Jacques-Henri DREYFUSS, alias DREYFUS
(1844 - 1933)
Rabbin à Sedan, grand rabbin de Belgique, grand rabbin de Paris

Gravure de 1891


Né le 19 avril 1844 à Schirrhoffen
Marié à Adélaïde Ury, soeur du rabbin Simon Adolphe Ury. Ils auront un fils, Edmond, polytechnicien, ingénieur en chef des Manufactures de l'État, vice-président du consistoire de Paris de 1949 à 1961, et une fille, Claire, épouse du médecin Édouard Oppert.
Sa sœur, Adèle, est la mère de Julien Weill, le grand rabbin de Paris, qui succèdera à son oncle.

Il est le fils du rabbin Heymann Loeb Dreyfuss et de Marianne Netter.
Il suit la scolarité des collèges de Bouxwiller et de Saverne tout en étudiant le judaïsme auprès de Jacob Hertz Wolff, rabbin à Bouxwiller. Il entre en 1862 au Séminaire israélite à Paris et en sort en 1868 diplômé du premier degré rabbinique.

Après avoir été précepteur pendant quelques années, il est nommé rabbin non rétribué par l'État et ministre officiant à Sedan. Le 17 mai 1872, il opte pour la nationalité française à la mairie de Sedan puis, le 21 janvier 1874, il y est nommé rabbin rétribué par l'État ; ce poste, qui répond aux voeux de la municipalité de Sedan, a été créé par décret du 29 août 1873. Il y est installé le 4 février 1874.

Candidat contre Moïse Schuhl en 1879 à la succession d'Élie Aristide Astruc au grand rabbinat de Belgique, il est élu en janvier 1880 à une écrasante majorité. Le judaïsme belge trouve en lui un chef spirituel éloquent, moins libéral et plus discret que son prédécesseur, efficacement secondé par les qualités sociales de son épouse. Il est nommé en mai 1887 chevalier de l'Ordre de Léopold. C’est lors de son séjour à Bruxelles qu'il prend conscience de la montée de l'antisémitisme en France et en Allemagne.

En 1890, Zadoc Kahn étant devenu grand rabbin du Consistoire central (aujourd’hui : grand rabbin de France), Jacques-Henri Dreyfuss se porte candidat à sa succession au grand rabbinat de Paris et vient prêcher deux fois à Paris, en 1890 et 1891. Il est élu le 13 mars 1891 et désigné par le Consistoire central à l'unanimité le 9 avril suivant, à la suite d'une longue vacance due au nombre de séances nécessaires (cinq) pour parvenir à une entente : certains lui reprochaient d'être titulaire d'un poste à l'étranger et d'être le fils d'un rabbin alsacien devenu allemand, ce qui était aussi le cas de son beau-frère Simon Adolphe Ury ; on alléguait qu'Isaac Lévy, alors grand rabbin de Bordeaux, était un plus fervent patriote français (mais il n'était pas candidat). Sa nomination déclenche une vive émotion et la presse fait écho à ces réticences. Un problème juridique se pose également, l'élu n'étant pas diplômé du deuxième degré rabbinique. L'épaisseur de son dossier au ministère des Cultes fait foi de ces débats qui sont finalement vite clos : nommé par décret du 4 juin 1891 au grand rabbinat de Paris, il y est installé le 29 septembre suivant et, de facto, acquiert le titre de grand rabbin.

L'agitation soulevée par sa nomination est suivie par des années discrètes d'administration attentionnée, dans son ressort parisien et au-delà. La prière qu'il prononce en 1894 pour le repos de l'âme du président Sadi Carnot peut être considérée comme un exercice normal de sa fonction autant que comme un gage d'attachement personnel à la République. Il témoigne en 1899 à Rennes au procès d'Alfred Dreyfus. En 1902, il donne un entretien au Figaro sur la séparation des Églises et de l'État. Il participe aux conférences du samedi soir (1891, 1896) ; il est membre du comité de l'œuvre des Missions rabbiniques, administrateur des temples consistoriaux parisiens de rite allemand, président du Beth Dîn (tribunal rabbinique), président de la Caisse de secours du rabbinat français.

En 1906 il est élu vice-président de l'Union du rabbinat français, à la création de laquelle il a contribué, et membre du conseil de l'Association Zadoc-Kahn, ainsi que vice-président de la commission administrative du Séminaire, et il prend des mesures pour améliorer l'enseignement religieux. Il sera aussi membre du comité central de l'Alliance israélite universelle de 1923 à son décès, membre de la Société des Études juives à partir de 1892, et son président en 1902.

Peu directif, Jacques-Henri Dreyfuss montre un attachement modéré à la tradition. Il s'investit dans les œuvres sociales de la communauté, bénéficiant de l'aide de son épouse et du salon que celle-ci tient rue Taitbout, et qui est un vivier de souscripteurs. Il est membre du conseil d'administration de l'hôpital, de la maison de retraite et de l'orphelinat Rothschild, ainsi que du refuge du Plessis-Piquet, du Comité des écoles, de la Société de patronage des apprentis et ouvriers israélites.

Franchement opposé au sionisme politique, il devient néanmoins vice-président du Comité central de secours pour les israélites de Palestine, président de la société La Terre promise et, en 1926, il signe avec Israël Lévi un message du comité de l'OEuvre palestinienne des juifs de France.
En 1909 et 1910, il va prêcher rue Popincourt à l'Association cultuelle orientale de rite sefarade.
En 1910, il reçoit le prix Michel et Fanny Weill.

Agé de 70 ans en 1914, il affirme son patriotisme par des sermons, des prières et des appels pour les combattants, des célébrations à la mémoire des morts. Il est nommé en 1914 aumônier de l'ambulance de la rue de la Chaise à Paris. Son fils est cité à l'ordre du corps d'armée. En 1916, il est membre du comité directeur de la Société de secours aux juifs victimes de la guerre en Russie.
En 1922, il reçoit le prix Montyon de l'Académie française pour son volume de Sermons de guerre.

Nommé chevalier de la Légion d'honneur le 9 février 1903, il sera promu officier le 11 juin 1924.

En 1926, il met au point les relations des rabbins consistoriaux de son ressort avec l'Union libérale.

Veuf depuis 1924, il mourra très âgé, sans s'être retiré, prononçant encore sermons et allocutions, rédigeant une lettre pastorale sur l'enseignement religieux. Il est aidé depuis plusieurs années dans son ministère par son neveu Julien Weill qui sera désigné en 1930 pour être son adjoint, et qui deviendra lui-même grand rabbin de Paris.

Décédé le 27 juillet 1933 à Paris 9ème, Jacques-Henri Dreyfuss est inhumé au cimetière Montparnasse.
Son fils créera en 1934 un prix d'éloquence en sa mémoire, « Prix grand rabbin J. H. Dreyfus », décerné par l'Association Zadoc-Kahn à un élève du Séminaire.

Source : Dictionnaire biographique des rabbins, Berg International Editeur, 2007



Extrait de Souvenir et Science, n°8 août 33

La communauté juive parisienne et le judaïsme français viennent d'être cruellement éprouvés par la perte de M. J.-H, Dreyfuss, grand-rabbin de Paris. La presse a déjà retracé la belle carrière de cet enfant de l'Alsace, né à Schirrhoffen, et qui, après le rabbinat de Sedan, occupa celui de Belgique et enfin, pendant près de quarante-trois ans, le grand rabbinat de Paris. Le vénéré a atteint un âge auquel le commun des mortels ne parvient pas : il n'a manqué que quelques mois pour fêter son quatre-vingt-dixième anniversaire. Et cependant sa mort a jeté une profonde consternation non seulement auprès de nos coreligionnaires, mais aussi parmi nos concitoyens appartenant aux classes les plus distinguées du pays, suprême hommage à ses qualités pastorales et oratoires.

Le grand-rabbin Dreyfuss n'a jamais eu besoin de forcer les dons qui lui avaient été départis par la Providence, Il voulut bien nous dire un jour "qu'il vivait sur son propre fonds", et combien cette affirmation était vraie. Né au lendemain de l'époque où nos devanciers avaient déclaré qu'on pouvait être aussi bon français qu'excellent juif, il s'efforça de rester toujours fidèle à ce programme. Et, devant les récriminations de ceux qui prétextaient les temps modernes pour justifier l'indifférence religieuse, il s'écria, il y a quelques années, dans un sermon mémorable : "Difficulté, oui ; impossibilité, non".

Le judaïsme français, au 19e siècle, et qui n'osait pas nier Dieu, a surtout cru se sauvegarder en mettant l'accent sur les traditions charitables d'Israël, C'était comme une conséquence naturelle de la vie juive synagogale et domestique. La pensée religieuse appréciée à sa juste valeur, l'incomparable satisfaction de découvrir et de faire épanouir des talents, le devoir d'hospitalité envers les pauvres : avec quelle ferveur le grand-rabbin J.-H. Dreyfuss restait attaché à ce patrimoine comprenant le meilleur de l'esprit de la Torah, l'un des plus beaux fleurons aussi de la couronne du judaïsme alsacien. Et c'est là ce qui a valu au regretté pasteur sa grande popularité. Combien il était heureux d'avoir béni les mariages de générations successives dont il savait les difficultés, les efforts, les succès, auxquels il fut souvent mêlé pour apporter ses encouragements ou pour exprimer sa joie devant la réussite. Avec une mémoire extraordinaire restée intacte jusqu'à ses derniers jours, il se rappelait, et dans les moindres détails, la vie des innombrables coreligionnaires qu'il avait connus depuis sa sortie de l'École Rabbinique. On venait encore le voir ou le consulter de Bruxelles, et il aimait à montrer à ses visiteurs les précieux souvenirs, accompagnés d'inscriptions touchantes, de ses anciens fidèles de Belgique. Son judaïsme était moins scientifique que pieux ; l'Histoire dira lequel vaut mieux, à moins que l'avenir en apporte la synthèse,

Le grand-rabbin J.-H, Dreyfuss a été enfin un orateur de talent. Et là encore il portait la marque de sa génération. Le profane qui ne fait que parcourir quelques documents du judaïsme du 19e siècle peut se rendre compte combien étaient prisées, il y a plus de cinquante ans, les commentaires français de nos saints livres. Les temps ont changé : combien se passionnent aujourd'hui pour les ouvrages, d'ailleurs quasiment introuvables, de Lazare Wogue, pour ne citer qu'un exemple ? Mais si le fait, de n'aller au temple qu'une ou deux fois par an empêche trop de coreligionnaires de cultiver et d'apprécier l'esprit religieux, non seulement les discours de M. J.-H, Dreyfuss furent appréciés des croyants et des connaisseurs, mais à une époque où la renaissance de la pensée juive devient une question de vie ou de mort, son œuvre oratoire demeurera ; et on aimera à y recourir autant qu'à celle du grand-rabbin Zadoc Kahn. Le style est certes séduisant, mais elle contient aussi un exposé lumineux de nos doctrines ancestrales confrontées victorieusement avec les obstacles du siècle ; et l'on peut regretter qu'elle n'ait pas eu toute la publicité souhaitable. Mais nos concitoyens, non juifs, ayant entendu, à l'occasion de cérémonies patriotiques ou commémoratives, M. J.-H. Dreyfuss, ont été souvent enthousiasmés, par sa parole, et c'est là aussi un hommage à Israël que nous n'avons peut-être pas non plus reconnu à sa juste valeur. Le cher disparu a fait aimer le judaïsme en montrant combien il était humain et, en des accents émouvants, il a prouvé le loyalisme de nos coreligionnaires. Grâce à des qualités de réflexion approfondie et de tact, il a su être une voix officielle et unanimement respectée de la Synagogue française.

Le bon serviteur s'en est allé après avoir scrupuleusement rempli sa tâche. Si, au début de son ministère à Paris, il a dû connaître des problèmes ardus tels que le sionisme ou l'Affaire Dreyfus, il est parti à temps pour ne pas sentir tous les ravages de l'athéisme qu'on ne connaissait pas de son temps sous la forme intellectuelle et économique qu'il revêt de nos jours. A ses nombreux amis de perpétuer son souvenir et son oeuvre, et puisse-t-elle dans les temps difficiles et obscurs que nous traversons, être une lueur dans la nuit Et ainsi la mémoire de l'inoubliable pasteur que Dieu a rappelé à Lui restera vivante et efficace. Ce sont, après Dieu, les justes qui seuls peuvent nous sauver.

Meyerkey.


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