A propos du costume rabbinique
Extrait des Archives israélites de France, 1840

Strasbourg, le 28 Juillet 1840.
MONSIEUR LE RÉDACTEUR,

Les Archives israélites de France, en se dégageant peu à peu des entraves qui entourent les premiers pas de toute nouvelle entreprise de ce genre, en repoussant surtout le secours mensonger de ceux qui, sous les apparences d'amis de notre belle religion, s'attachent à en saper les bases fondamentales, ont satisfait à un besoin universellement reconnu, celui d'offrir à tous les esprits sincères et animés d'un zèle ardent pour nos institutions religieuses, un Recueil impartial, prêt à accueillir toutes les propositions et à les soumettre au jugement public et des autorités compétentes.
Une question est, maintenant à l'ordre jour chez nos coreligionnaires d'Allemagne. Les autorités ecclésiastiques de plusieurs pays d'Outre-Rhin s'occupent de la régularisation du costume des rabbins (1).
Permettez-moi, Monsieur le Rédacteur, de saisir cette occasion pour appeler aussi, sur ce point, l'attention du Consistoire central. Je ne crains pas d'être démenti par un seul de mes confrères, en disant que le costume des rabbins français a grandement besoin d'être modifié ; introduit à une époque déjà bien éloignée de nous, il pouvait être conforme aux idées et aux exigences de ce temps, mais il n'a pas tardé à présenter, dans son ensemble, de graves inconvénients, et comme il arrive à toute loi en désharmonie avec les moeurs, le règlement qui l'a mis en vigueur est presque tombé en désuétude.
Ce que je lui reproche surtout, à ce costume, c'est de gêner les allures du prédicateur en lui interdisant les mouvements et gestes oratoires indispensables à celui qui se sent rempli du sujet qu'il a à traiter en chaire. J'examinerai plus tard, en détail, les vices de notre costume, et j'espère, en le comparant avec celui de nos confrères des autres pays, pouvoir soumettre au Consistoire Central une proposition à ce sujet. Je me borne aujourd'hui à vous adresser copie de deux documents émanés de cette autorité, peu de temps après son organisation. Je crois faire plaisir aux nombreux lecteurs des Archives en portant à leur connaissance ces pièces.
Agréez, Monsieur, les assurances de ma considération très-distinguée.

ARNAUD ARON, grand rabbin.

COPIE A.
Paris, le 31 Décembre 1810.

Le Consistoire central des Israélites à Messieurs les Membres
du Consistoire de....

MESSIEURS,
L'organisation de notre culte, grâce au héros immortel qui nous gouverne, se consolidant tous les jours de plus en plus, nous avons pensé qu'il était non seulement convenable, mais nécessaire, d'adopter pour les membres des Consistoires et autres fonctionnaires du culte un costume  distinctif propre à inspirer la considération dont ils ont besoin d'être entourés pour l'intérêt de la religion et celui même des administrés.
A cet effet, nous avons l'honneur de vous adresser, joint à la présente, extrait de notre délibération de ce jour qui fixe le costume de Messieurs les grands rabbins et membres laïques des Consistoires, celui de Messieurs les commissaires surveillants, administrateurs ou délégués près les Temples et celui des ministres (hazanim).
Nous vous invitons, Messieurs, à la faire lettre en exécution dans toute l'étendue de votre circonscription, et à nous faire part des mesures que vous aurez prises à cet égard.

Nous avons l'honneur etc.,
Signé : DAVID SINZHEIM, président; le chevalier de COLOGNA, grand rabbin E. DEUTZ, grand rabbin; J. LAZARE et ARON SCHMOLLE.


Pose de la première pierre de la synagogue de Wissembourg en 1805. Le rabbin porte déjà le costume préconisé par le consistoire.


Dans les années 1930, Jacques Kahn, grand rabbin de la Moselle (mort en déportation) porte toujours le costume traditionnel.


Pose de la première pierre de la synagogue de la Paix à Strasbourg, 3 septembre 1954. Le costume du rabbin reste identique.


Au début du 21ème siècle, le grand rabbin René Gutman porte toujours le même costume, mais il a adopté la toque à la place du chapeau.

COPIE B.
CONSISTOIRE CENTRAL DES ISRAÉLITES. - EXTRAIT DES .REGISTRES DES DÉLIBÉRATIONS.

Séance du 31 Décembre 1810.           

Le Consistoire central des Israélites de l'Empire, considérant que les membres des Consistoires étant honorés du choix de S. M. I. et R., il importe qu'ils se montrent, soit dans les temples, pendant l'exercice dû culte, soit à l'occasion d'autres cérémonies, avec la dignité qui convient à des fonctionnaires publics et au caractère de chefs religieux dont ils sont revêtus.
Considérant qu'il importe également pour le maintien de l'ordre dans l'intérieur des synagogues, que les commissaires-surveillants, administrateurs ou délégués près les temples, comme représentants des Consistoires, soient distingués dans l'exercice de leurs fonctions.
Considérant que les ministres (hazanim), comme fonctionnaires religieux, doivent aussi, lors de la célébration de la prière, se présenter devant la Téba ou l'Aron-hakodesch, avec le maintien décent que commande la dignité du culte divin ;

Délibère :

ART. 1er. A dater du 1er  février prochain, Messieurs les grands rabbins et membres laïques des Consistoires, les commissaires-surveillants, .administrateurs ou délégués, et les ministres (hazanim), adopteront un costume particulier, dans lequel ils paraîtront dans les temples, les jours de sabbats et fêtes solennelles, pendant l'exercice du culte ou à l'occasion d'autres cérémonies.

ART. 2. Messieurs les grands rabbins seront entièrement vêtus en noir, robe longue boutonnée de haut en bas, ceinture en soie noire, rabat blanc, chapeau ecclésiastique.

ART. 3. Messieurs les membres laïques des Consistoires prendront le costume suivant : habit français noir, veste, culotte et bas noir, manteau de soie noir garni autour d'une bande de velours noir de la largeur de trois doigts, collet de velours noir, petit chapeau à la française dont la forme approche du chapeau ecclésiastique, boucles de souliers en argent, cravate blanche pendante.
Messieurs les seconds rabbins, membres des Consistoires et Messieurs les rabbins suppléants des grands rabbins siégeant au Consistoire central, prendront le même costume que Messieurs les membres laïques, avec cette différence qu'ils auront le chapeau ecclésiastique et le rabat blanc.

ART. 4. Messieurs les commissaires-surveillants, administrateurs ou délégués auront le même costume que Messieurs les membres laïques, sauf que le manteau sera sans bande et sans collet de velours.

ART. 5. Messieurs les ministres (hazanim) seront vêtus en noir, chapeau ecclésiastique, manteau de serge unie et rabat blanc.
ART. 6. Extrait de la présente sera transmis à tous les Consistoires départementaux de l'Empire, ainsi qu'à S. Exc. le Ministre des Cultes.

Fait en séance consistoriale, les jour, mois et an que dessus.
Signé : DAVID SINZHEIM, président; le chevalier de COLOGNA, grand rabbin ;E. DEUTZ, grand rabbin; J. LAZARE et ARON SCHMOLLE.

(1) Récemment monseigneur l'archevêque de Paris a publié des dispositions sur le costume des prêtres; ce, qui donne à cette lettre plus d'à-propos.

LE COSTUME RABBINIQUE
Extrait de l'Univers Israélite

Notre enquête

Un lecteur nous ayant adressé une lettre sur le costume rabbinique pour en demander la modification en se basant sur les explications d'un membre du rabbinat, nous avons prié tous nos lecteurs de nous communiquer leurs vues et propositions à ce sujet (voir le numéro du 27 octobre). Cette enquête paraît avoir intéressé le public israélite, à en juger par le nombre des réponses reçues jusqu'à présent.

Un de nos correspondants estime qu'il est des questions plus importantes et plus urgentes. C'est aussi un peu notre avis. Aussi avons-nous retardé jusqu'ici l'examen des réponses reçues. Mais le moment est peut-être venu de donner suite à notre enquête en en faisant connaître les premiers résultats.

M. J.-B. Mossé, 46, rue Custine, trouve que le costume rabbinique ne ressemble pas à s'y méprendre à celui des prêtres ; il est pourtant d'avis de le modifier en substituant à la soutane actuellement portée une soutane plus ample, comme celle des frères ignorantins. Mais les vues de M. Mossé sont trop nuancées pour être résumées ; voici sa lettre :

J'ai lu avec un grand intérêt l'article que vous avez récemment publié sur le costume rabbinique, et je suis heureux de vous soumettre ces quelques idées à son sujet.
Tout d'abord, il sied de répondre à cette première question : Est-il impossible de distinguer un rabbin français d'un prêtre catholique? Non, car, à ma connaissance, aucun prêtre catholique ne porte, en France, du moins, de rabat blanc. Le clergé catholique porte des bavettes noires brodées de blanc, et, même, si j'ai bonne mémoire, Monseigneur Dubois est ennemi de tout rabat. Voici une première distinction, visible et nettement établie.
De plus, bien rares sont les prêtres catholiques qui portent la barbe, comme le font et doivent le faire nos rabbins. Seuls les missionnaires ont de la barbe et cela par égard aux usages des gens - particulièrement des Orientaux - qu'ils veulent convertir. Voilà donc une seconde distinction.
On peut en trouver d'autres, voire même en créer, Par exemple, rien n'est plus simple que de fixer sur la soutane du rabbin une Table de la loi, comme en portaient pendant la guerre nos aumôniers Ce serait tout aussi bien que certaines médailles et "croix"…
D'autre part, examinons la question : robe ample et toque. Mais, c'est là la tenue des pasteurs protestants. Faut-il que nous sortions d'une erreur, si erreur il y a, pour retomber dans une autre ?
Si l'on repousse la soutane, rejetons au même titre la robe ample. Que faire alors ?
Eh bien! il existe un vêtement ecclésiastique qui conviendrait, à mon avis, au rabbin. C'est celui que portent les frères de la doctrine chrétienne. Il se compose comme suit : Une espèce de soutane ample munie de manches ajustées est recouverte de deux demi-manches partant des épaules, larges, ouvertes et tombantes. La tenue se complète par un rabat blanc et un tricorne, assez ridicule du reste, de nos  jours, que je remplace par le chapeau actuel de nos rabbins.
Quoi qu'il en soit, nous ne devons pas nous écarter de ces deux considérations :
1° La modestie, la simplicité, la sobriété doivent présider au choix du costume rabbinique. Nous ne devons pas oublier que les prêtres de Jérusalem étaient plus beaux et plus magnifiquement vêtus que ne le seront jamais les représentants des cultes actuels, et que, tant que la glorieuse cité ne sera pas relevée, nos docteurs ne devront pas se vêtir pompeusement.
2° Nous autres, israélites français, ne devons pas oublier que c'est envers la Révolution que nous sommes débiteurs de notre liberté, et c'est pour nous une occasion de rendre un perpétuel hommage à ce grandiose événement que de conserver pour nos rabbins la première tenue officielle qu'ils ont reçue, à savoir, un tricorne et un rabat sur le vêtement. Comme de nos jours un rabat sur un complet veston serait quelque peu ridicule, adoptons donc une robe et.., occupons-nous plus sérieusement de l'éducation de nos futurs rabbins que de leur tenue.

Une lectrice, Mme ou Mlle Suzanne Lévy - les questions de toilette intéressent aussi les dames, - nous écrit de Paris qu'étant à Nice, elle a vu à la synagogue une coreligionnaire étrangère stupéfaite de voir le rabbin affublé du costume d'un prêtre catholique. Nous pourrions faire observer que Nice reçoit la visite de plus d'étrangers que la plupart de nos communautés et que les premières impressions d'une étrangère ne sont peut-être pas déterminantes en France. Mais puisque c'est une Parisienne qui parle, laissons-lui la parole, d'autant qu'elle invoque le suffrage du rabbin de Nice en personne pour voter - les femmes vont voter maintenant - pour la modification du costume rabbinique.

Voici un petit souvenir personnel qui mérite, je crois, de figurer dans votre dossier sur la question "du Costume rabbinique".
En 1913 je me trouvai, un vendredi soir, un peu avant l'heure de l'office, dans la tribune des Dames de la synagogue de Nice. Le temple était encore vide. Seul, à côté du Héchal, au fond du  sanctuaire, le rabbin occupait sa place, plongé dans la lecture de son livre de prières. Je me disposai  à ouvrir également le mien, lorsqu'une inconnue, qui venait de s'asseoir derrière moi, m'adressa la parole avec un fort accent étranger.
"Madame, me dit-elle, suis-je bien ici dans une synagogue ?"
- Vous n'en doutez pas, je pense, si vous êtes israélite.
- Certes, me répondit mon interlocutrice, je suis juive, et je vois ici bien des choses qui me rappellent mon culte ; mais je remarque aussi là-bas, au fond du temple, un prêtre catholique et vous comprenez maintenant pourquoi je vous demande...
- Mais, Madame, c'est notre rabbin.
- Votre rabbin ! mon Dieu, est-ce possible ? Pourquoi se déguise-t-il en curé ?
J'eus beau donner à mon étrangère les explications les plus amples et les plus détaillées, elle, ne parvenait pas à comprendre comment les représentants du judaïsme français étaient arrivés à s'affubler d'un costume qui non seulement n'a rien de juif, mais qui est depuis longtemps dans notre pays l'uniforme caractéristique du prêtre catholique.
Quelques jours plus tard, je fis part au rabbin de Nice de ma conversation à la synagogue. Il ne s'en montra nullement surpris. Il m'affirma même que très souvent on le priait de ne pas revêtir la soutane aux cérémonies d'inhumation de coreligionnaires russes ou orientaux.
Je vote pour la modification du costume rabbinique.



Rabbins Judaisme alsacien Histoire
© A . S . I . J . A .