Hanouka : un nouveau départ
par le Rabbin Raymond Furth

Extrait du Bulletin de nos Communautés, 4 décembre 1964

 

Juda Maccabée ; plaque d'émail, 16ème siècle, Musée de Cluny, Paris
Une des fêtes les plus populaires de notre calendrier religieux est certainement la fête de Hanouka. Il est rare de trouver un foyer juif où l'on n'allume pas dans l'allégresse les lumières de la menora. Cependant, si nous essayons de rechercher les textes que la tradition consacre aux événements que célèbre la fête, nous risquons d'être fort déçus. Il existe un ouvrage, le livre des Maccabées, qui n'a pas été admis dans le canon biblique. Cet ouvrage, en grande partie rédigé en grec, relate l'épopée courageuse des Hasmonéens, le martyre de 'Hanna et de ses sept fils...

Quant au Talmud, il nous enseigne d'une part (Yoma 29 a) que la mise par écrit du miracle de Hanouka n'a pas été tolérée, d'autre part dans le traité Shabath (22 b) après nous avoir énoncé les différentes thèses sur l'allumage des lumières, on s'interroge sur Hanouka et l'on nous rapporte uniquement le miracle de l'huile et l'institution de la fête pour les générations. Nous devons par conséquent nous demander quel est le motif de ce silence sur les Hasmonéens.

Ramban (Nahmanide) dans son commentaire sur la Torah (Genèse 49:10) accuse les descendants de Mathatias d'une part de s'être approprié la royauté qui revenait de droit à un homme de la tribu de Juda et en particulier à un descendant de David, et de plus d'avoir cumulé prêtrise et royauté. Nous savons par ailleurs que les Hasmonéens ont conclu une alliance avec Rome, ils ont donc oublié le particularisme d'Israël qui ne doit lier son sort avec celui d'aucune autre nation du monde et ne doit compter pour son existence que sur l'aide divine. Il est certes permis et même recommandé de nouer des liens d'amitié avec d'autres pays. La Judée a dû payer très chèrement cette alliance avec Rome au cours de l'histoire...

Cette révolte héroïque des Hasmonéens et des Judéens fidèles à la tradition que nous prenons pour modèle afin de nous inciter à lutter pour notre foi, et qui avait si bien commencé lorsque le danger était présent, a été suivie d'un laisser-aller décevant. Il a été également reproché aux descendants de Mathatias de s'être laissé influencer par les Sadducéens. Ceux-ci rejetaient l'enseignement de la tradition orale, car ils étaient sous l'influence de la culture hellénique et ne restaient rattachés vraiment au judaïsme que par le Temple. Il est d'ailleurs un fait notoire que les Sadducéens disparaissent avec la chute du deuxième Temple et que ce sont exclusivement les Pharisiens, les sages du Talmud qui ont résisté à la catastrophe et maintenu le peuple juif à travers un exil de près de 20 siècles.

Il apparaît ainsi clairement que le silence du Talmud est fort éloquent et se justifie par une critique profonde. De nos jours, comme jadis, lorsqu'on cesse de lutter pour une cause, on se laisse entraîner à des égarements néfastes. Un danger, un idéal compromis, suscite toujours le zèle, l'unanimité, l'union parfaite pour défendre ce qui est en péril, celui-ci dissipé, toutes les haines et toutes les bassesses se manifestent à nouveau au grand jour. Il suffit que l'on décrète le pays menacé pour que l'unité nationale se fasse spontanément, mais la menace disparue, les conflits internes se font plus virulents que jamais. Ceci est une vérité de tous les temps et de tous les lieux. Si nous désirons pouvoir soutenir le jugement de l'histoire et maintenir aussi bien l'effort qui a été réalisé après la deuxième guerre mondiale que nos réalisations ultérieures, nous devons veiller à rester fidèles à la Torah, à la foi qui nous animait dans la lutte.

Hanna portant le deuil de ses sept fils
Coll. Von Mittel Rhein, Hambourg
Le Talmud rapporte le martyre de 'Hana et de ses sept fils (Guittin 57 b) et le miracle de la lumière de Hanouka (Shabath 22 b). Il semble citer ces faits dans une perspective messianique. Hillel et Chamaï sont en controverse à propos des lumières, Chamaï prétend que l'on doit allumer 8 lumières le premier jour, 7 le second... tandis que Hillel nous demande d'allumer en progressant 1 lumière le premier jour, 2 le deuxième... Un sage de Palestine dit que l'enseignement de Chamaï est lié aux 70 sacrifices offerts en nombre décroissant (13-12...) au cours des solennités de Souccoth, tandis que Hillel se fonde sur la nécessité de l'effort pour monter en sainteté. A vrai dire, chacun situe la reconquête du Temple, sa purification et le triomphe de la Torah à un niveau différent. Pour Chamaï cette victoire conduit aux temps messianiques, époque où Israël sera le prêtre des 70 nations dans le monde. Hillel, lui, ne pense pas que cette victoire soit si probante ; une victoire des hommes sur eux-mêmes, sur leurs passions, leurs haines, leurs divisions au moment du danger n'est pas une preuve de grandeur. Certes, cette victoire mérite notre admiration, mais elle doit être suivie nécessairement d'une seconde victoire bien plus valable, obtenue par chaque homme sur lui-même en temps de paix, d'abondance et de sécurité.

A Hanouka commence une nouvelle lutte, Hanouka n'est pas un fin, mais un nouveau départ.
Maintes fois après les conflits, on a fait taire les haines et conclu des traités de paix. Notre génération a vécu ces faits et elle assiste à une transformation totale du monde. Des pays produisent des biens en si grande quantité qu'ils ne peuvent les absorber eux-mêmes. Il serait louable de s'acheminer vers une entr'aide, une fraternité universelle qui balayerait les conflits destructeurs de l'humanité et des valeurs humaines. Ce serait réaliser la sentence sur laquelle Hillel s'appuie, atteignant la paix universelle l'humanité aurait préparé les temps messianiques que Chamaï envisageait.

Que chacun célèbre donc Hanouka dans la joie et l'enthousiasme et considère que le combat pour la foi et la Torah mené en temps de guerre par les Hasmonéens doit être poursuivi aujourd'hui alors que tout semble paisible, car cette quiétude nous ensorcèle pour nous ravir ce pour quoi nous avons lutté.


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