Léon MEISS
1896 - 1966

 

Léon MEISS à Lyon
par le grand rabbin de France Jacob KAPLAN
Extrait du Bulletin de nos Communautés 16 décembre 1966  n°308

On sait que les Consistoiress ont célébré à Paris l'anniversaire de la disparition du regretté Président, M. Léon MEISS.
A cette occasion, M. le grand rabbin de France rappelle la carrière "juive" de Leon Meiss et plus particulièrement son action à Lyon.

Nous pensons intéressant de rappeler ici les principaux faits.

Léon Meiss avec sa mère et sa fille aînée, été 1936
Avant de connaître personnellement Léon Meiss, j'avais entendu parler de lui. C'était au début de la guerre alors que j'étais aumônier-militaire. En cantonnement  pendant quelques jours à Mezières-les-Metz, je fus reçu dans des maisons juives, parmi lesquelles celle de sa belle-mère. Elle me fit l'éloge de son gendre, se plaisant surtout à souligner son attachement à notre culte.

Quand, démobilisé, je vins reprendre mes fonctions auprès du grand rabbin Schwartz, j'eus 'heureuse surprise d'y rencontrer celui que je souhaitais connaître. Replié à Lyon, il était un des fidèles les plus assidus de la synagogue du quai Tilsitt. On pouvait l'y voir tous les matins. Coopté comme membre du Consistoire central en tant que délégué du Consistoire de Lyon, puis nommé directeur du Consistoire central, il se rendait régulièrement après le service religieux, au siège du Consistoire central, rue Boissac. La fidélité exemplaire de cette double démarche l'une au service de Dieu, l'autre au service du judaïsme, me faisait souvent penser à cette parole du Talmud :

"Celui qui sort de la maison de prières pour aller à la maison d'étude accomplit un acte des plus méritoires devant Dieu".
Dans la circonstance, la maison d'étude, c'était celle où il allait se consacrer journellement à la défense du judaïsme.

S'adonnant avec la conscience qu'il mettait dans tout ce qu'il faisait, aux activités du Consistoire central, devenu la cheville ouvrière de notre institution, il fut appelé aux fonctions de vice-président. Sous son impulsion, le Consistoire central, tout en gardant son caractère officiel à l'égard des autorités et des occupants, entra en contact avec des mouvements  de résistance. Il y eut ainsi dans les bureaux de la rue Boissac un service de distribution de cartes d'identité.

Vinrent les premières mesures d'arrestation des Juifs étrangers en zone sud. Le Consistoire central, d'accord avec le grand rabbin Isaïe Schwartz et le Consistoire de Lyon, fit de la synagogue du quai Tilsitt un centre d'accueil permanent de jour et de nuit pour nos coreligionnaires traqués. Comme on pouvait le craindre, le droit d'asile ne fut pas respecté. Un jour, la police de Vichy fit irruption dans l'enceinte sacrée et arrêta tous ceux qui s'y trouvaient. Il y eut alors la courageuse démarche de protestation faite auprès de l'intendant de police par M. Jacques Helbronner, président du Consistoire central, démarche couronnée de succès puisque, deux jours après, les personnes arrêtées furent ramenées en camion à la synagogue. Léon Meiss au titre de délégué du Consistoire de Lyon et le Consistoire de Lyon leur procurèrent des abris plus sûrs dans la région lyonnaise.

M. Louis Kahn a dit avec quelle abnégation Léon Meiss assuma la présidence du Consistoire central après l'arrestation du président Jacques Helbronner, victime de son devoir, déporté ainsi que son épouse. Mais ce que l'on sait moins, c'est dans quelle ambiance de tragédie il eut à répondre à une convocation de la Gestapo quelques heures seulement après l'arrestation du président Helbronner. Il se montra dans cette circonstance tel qu'en lui-même, dans sa fidélité au devoir et son courage à toute épreuve. J'en ai eu le récit détaillé dans une lettre qu'il m'adressa il y a deux ans, trop longue pour être lue en ce moment, mais qui mériterait d'être connue entièrement. Je n'en donnerai que ce court extrait :

"D'abord désemparé, écrit-il à propos de cette convocation, je récupère rapidement mon sang froid et j'informe par tous les moyens M. le grand rabbin Schwartz et les autres membres du Consistoire central et Consistoire de Lyon...
" M. Schwartz me laissa le choix de rester dans la salle ou de sortir puisqu'il s'agissait d'une décision grave pour moi et pour le sort des Juifs de Lyon et de toute la. zone sud.  Je crois me rappeler - mais d'autres pourraient peut-être préciser - que je suis allé à mon bureau pendant une vingtaine de minutes. A mon retour, M. Schwartz m'a déclaré :
"Nous avons délibéré, mais nous entendons ne pas peser sur votre décision. Si vous décidez de rentrer dans la clandestinité, nous vous comprendrions sans peine. Main si vous décidez d'obéir à l'ordre de la Gestapo, que D. vous protège !"
Ma réponse : en principe j'irai, mais je tiens à en conférer avec ma femme; je vous fixerai très rapidement.
"A 17 heures, après avoir embrassé mes enfants comme si je ne devais plus les revoir, je m'habillai pour le 'grand voyage' et accompagné de ma femme, enveloppée de tendresse, et de Raymond Geissmann, je me dirigeai vers la Gestapo."
Ces quelques lignes d'une simplicité si émouvante nous font réaliser, saisir sur le vif et dans toute sa noblesse, l'immense esprit de sacrifice qui anima constamment Léon Meiss dans son dévouement à la communauté.

En ces temps de dures épreuves, le Consistoire central fut comme le drapeau du Judaïsme français tout entier. Il n'y avait plus qu'une seule communauté groupant les Juifs autochtones et les Juifs étrangers, les Juifs de vieille souche et les Juifs récemment immigrés. Ce rôle unificateur du Consistoire central dans la tourmente, il convenait de le maintenir dans l'intérêt de tous, la Libération venue. Et il fallait pendant l'occupation même jeter les bases de l'entente qui s'imposait. Léon Meiss attachait une importance particulière a cette réalisation. La première réunion où fut envisagée la création de ce qui devint dans la suite le conseil représentatif des Juifs de France, restera toujours présente à ma mémoire. C'était en hiver 1944, dans un café désert entre Villeurbanne et Vaulx-en-Velin. On voyait à travers la vitre la campagne couverte de neige, la route toute proche obstruée de chevaux de frise. A tout instant une patrouille allemande pouvait passer par la, et certes elle n'aurait pas manqué de s'intéresser à ce groupe de Juifs en conciliabule.

La situation devint bientôt a ce point dangereuse a Lyon qu'il ne fut plus question de réunir le Consistoire central. A partir de janvier 1944, il n'y eut plus autour de Léon Meiss que le docteur André Bernheim, Albert Manuel, Marcel Sachs et moi-même, nommé grand rabbin de France par intérim à la suite de l'arrestation du grand rabbin Isaïe Schwartz, qui miraculeusement put échapper ses ravisseurs. Ces fonctions de grand rabbin de France par intérim, peu tentantes a un pareil moment, le grand rabbin Liber était prêt a en accepter les risques. Il était notre Maître à tous et n'hésitait jamais à payer de sa personne. Mais les circonstances me firent un devoir d'assurer moi-même cet intérim. C'était aussi le sentiment du président Léon Meiss.

Nous n'étions plus alors que dix-huit rabbins en activité. Une vingtaine avait déjà été déportée. En ce janvier 1944, à Lyon même, une assemblée générale des membres restants du rabbinat se tint dans une salle attenante à la Synagogue du quai Tilsitt. Dix d'entre eux furent présents.

Léon Meiss aimait à s'entretenir avec les rabbins. Il connaissait leur dévouement et aussi les périls qu'ils couraient du fait de la situation en vue qu'ils occupaient dans leur communauté. Il vint à cette réunion pour le leur dire. A cette occasion il leur fit connaître son point de vue sur les graves questions qui figuraient à l'ordre du jour et aussi sur les tâches qui seront celles du rabbinat et du Consistoire central dès la fin de l'occupation, les invitant à participer aux travaux préparatoires par des rapports écrits sur  les problèmes d'après-guerre.

La menace qui pesait sur le Consistoire central se fit de plus en plus précise : la Gestapo fit savoir qu'elle voulait se rendre compte sur place de l'activité de notre institution. Effectivement, quelques officiers allemands vinrent un jour rue Boissac, s'arrêtant dans chaque bureau, s'informant de ce qu'on y faisait. De là ils se rendirent à la synagogue où ils agirent de même. Mais peu de temps après - on était alors en juin 1944 - la Gestapo vint arrêter à la synagogue les Juifs venus pour le service de Minha. Léon Meiss comprit que nous ne tarderions pas à subir le même sort. Les bureaux de la rue Boissac furent fermés  Le Consistoire central entra dans la clandestinité. Mais il n'en continuait pas moins à s'occuper des affaires du judaïsme. Ou se réunissait-on alors pour en parler ? Tantôt sur un banc dans la rour d'une clinique, tantôt dans un logement privé ou, pour ne pas attirer l'attention, il fallait venir isolement et après un certain intervalle de temps. Bientôt il ne resta plus que quatre personnes pour poursuivre l'œuvre clandestine du Consistoire central du fait de mon arrestation, le 1er août 1944.

(Extrait du Journal des Communautés)


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