«JE FAIS LA GUERRE» - 1944/45
(Citation de Clemenceau)

F.F.I.

Engagé volontaire dans les F.F.I. (Forces Françaises de l'Intérieur, les maquisards) le 16 août 1944, je crois, à 19 ans, j'ai fait les campagnes du centre, du Doubs, d'Alsace et d'Allemagne en tant que 2ème Classe. Et fus démobilisé le 31 août 1945.

Aux F.F.I., mon premier chef de section fut l'aspirant Paul Auriol, fils du Ministre et futur Président de la République. Aussi - et parce qu'il était l'un des rares gradés instruits - lorsque je lui demandai une permission pour aller réviser mon bac, il ne me crut pas mais me donna, tout de même, ma permission.

Puis, par hasard, quelques jours plus tard, je vis, sur la Place du Breuil (Place centrale du Puy), mon vieil ami strasbourgeois Ric Hemmendinger, surveillant de son lourd pistolet un groupe de soldats allemands prisonniers.
Ric me demanda alors, tout simplement, si je ne voulais pas entrer dans son unité pour remplacer son chargeur de fusil-mitrailleur qui venait d'être tué. Et le changement d'unité s'opéra très simplement: je suis allé voir le Capitaine pour l'informer et celui-ci, sans noter quoi que ce soit, m'a ordonné d'avertir le cuistot qu'il y aurait une ration de plus.

L'unité F.F.I. s'appelait alors : « 1er Bataillon André - demi Brigade Gévolde » .

En "uniforme" des F.F.I. (blouson des chasseurs alpins italiens et le chèche).
F:F:I:

Le Commandant André (André Kaufmann, industriel à Troyes) disposait de deux voitures qu'il avait réquisitionnées. Une belle voiture américaine ayant appartenu à Pierre Laval et un joli cabriolet décapotable Ford de couleur jaune ayant appartenu à l'industriel de la Verveine du Velay, Julien Pagés. Ces deux voitures furent recouvertes d'une couleur verdâtre indéfinissable pour leur donner un cachet militaire.

J'avais alors un uniforme disparate : vieux pantalon kaki en tissu grossier de la vieille armée française, blouson gris des chasseurs alpins italiens et un long chèche gris plus un vieux fusil Lebel (modèle 1886) plus grand que moi.

Parmi mes activités :

  • déménagement de fûts de nitroglycérine
  • surveillance de détenus (des collaborateurs) dans les locaux de la Poste, là justement où furent détenus mes grand-mère, oncle et tante un ou deux mois auparavant.
  • une nuit en prison pour garder des collaborateurs notamment 5 condamnés à mort (j'en connaissais deux). Ce fut une expérience extrêmement marquante pour un gamin de 19 ans après son année de philo, après quelques cours seulement de psycho.
  • J'ai aussi passé une nuit ou deux à la caserne que venaient d'évacuer les allemands et en ai rapporté une puce (c'est ma grand-mère qui l'a attrapée alors que je logeais chez elle - puisque l'appartement de mes parents n'était pas libre à ce
    moment -).

ST PIERRE-LE-MOUTIER

Quelques jours plus tard, départ en train vers le Nord. C'est du train que l'on m'a appris à tirer au fusil, en visant de paisibles vaches. Arrêt dans la région de St Pierre-Le-Moutier (Nièvre), près de Moulins (Allier).

Premiers contacts avec l'ennemi. C'était le 11 septembre 1944. Mais ce fut pour faire 3000 prisonniers et je fis partie des 60 soldats qui prirent St Pierre-Le-Moutier sous les ordres du capitaine Cauvin originaire, justement, de St Pierre-Le-Moutier.

Faisant tourner nos quelques voitures et les rares Jeeps parachutées, exhibant notre Lieutenant (parachuté lui aussi: il semble qu'il s'agissait d'un Lieutenant Wagner fils d'un des dirigeants de la Banque Ottomane) en uniforme britannique et aussi notre aumônier en soutane (pour les allemands, les F.F.I. étaient tous des communistes donc ne pouvaient avoir des prêtres avec eux), nous fîmes croire aux Allemands qu'ils étaient encerclés, non point par quelques maquisards mais par de nombreuses troupes régulières. Le Commandant de cette opération était le colonel Colliou, notre futur Colonel du 15.2 R.I. pour les campagnes suivantes.

Si contrairement à Fabrice Del Dongo à Waterloo (cf. La Chartreuse de Parme de Stendhal), j'ai participé à la bataille.. je n'en ai, en fait., pas vu beaucoup plus que lui.

Aussi, pour tous détails sur les combats de St Pierre-Le-Moutier et sur la reddition d'un corps d'armée allemand, vous pouvez vous reporter au livre Saint-Pierre-Le-Moutier 1940-1944, que j'ai reçu, dédicacé « En hommage à un des libérateurs de ma ville » en novembre 1999.

II y est dit, notamment, p. 151 :
« La libération réelle de St Pierre-Le-Moutier, avec la reddition de troupes allemandes. fut bien l'ceuvre, d'une part : des unités de la Division légère d'Auvergne (Gendarmes de Périgueux et éléments Cauvin), d'autre part, des parachutistes S.A.S. du Capitaine Leblond, aidés. enfin, pour le contrôle des prisonniers par les maquis de Chabet et de Munet ».

15.2 R.I. - 1ère Armée Francaise

Ce doit être lors de notre séjour à Moulins - ou peut-être à Auxonne - que nous sommes devenus 152ème Régiment d'Infanterie, le Régiment des Diables Rouges, 7ème Compagnie 2ème Bataillon (Chef de Bataillon, le Capitaine Kretz, un brillant officier, calme et efficace au combat).

II est à souligner que les armées alliées, notamment américaines, anglaises et russes, comprenaient alors 10 millions de soldats. L'armée française, 1ère Armée Française et 2ème D.B., y compris les quelques dizaines de milliers de F.F.I. engagés volontaires, ne comprenait qu'environ 350 à 400.000 hommes.

Lors de notre séjour à Moulins, avec mes amis Ric Hemmendinger et Pierre Heymann, nous avons loué un coffre à la banque pour y laisser les pistolets que nous avions pris à des officiers allemands. J'y ai ajouté.... devinez quoi.... une paire de pantoufles... que j'avais emportée pour partir en guerre !

Puis, toujours en train, vers Auxonne (Côte d'Or), en attendant de monter au front. La nuit du transport en train était celle de Yom Kippour. Aussi ai-je retardé mon repas du soir jusqu'aux approches de la nuit. Et, pour le repas du lendemain soir, après le jeûne, nous, les quelques juifs du Bataillon, avons demandé à l'Aumônier du Bataillon, le Père Vollin, de présider notre repas.

Nous étions stationnés dans un petit village près d'Auxonne. Et nous faisions « nos courses ». Très gentiment, nous entrions dans les basses-cours, et en visant et tuant les poules, nous demandions combien elles coûtaient. Une fois, j'ai acheté un lapin vivant que la paysanne ne voulait pas tuer. Je l'ai apporté - pour le cuire - à une autre paysanne qui, elle non plus, ne voulait pas tuer la bête. Aussi, tout simplement, ai-je tiré une balle de pistolet dans la tête du lapin qui saigna beaucoup. Ce qui me permit de dire que je l'avais « geschescht » (tué rituellement, ce qui est, par ailleurs, impossible puisque le lapin n'est jamais casher).

Ensuite, on nous fit «monter» vers Charquemont (Doubs) où nous entendîmes, pour la première fois, le canon. Je crois que c'est à Charquemont que l'on proposa aux candidats-bacheliers d'aller passer le baccalauréat à Dijon - en session spéciale.

Nous étions 6 ou 7 à qui l'on remit des permissions pour Dijon. Nous nous sommes mis autour d'une table et chacun a demandé à son voisin de corriger sa permission en y notant par exemple « Paris via Dijon - Lyon via Dijon - pour moi ce fut Le Puy via Dijon ».
Ainsi, suis-je allé en «fausse» permission au Puy aux environs d'octobre 1945.

Pont de Roide (Doubs)

Après ce fut la montée au front, en première ligne, devant Pont de Roide. Nous étions les troupes de blanchiment, c'est-à-dire des européens chargés de remplacer les indigènes noirs qui ne pouvaient supporter les rigueurs du climat.

Très mauvais souvenir de ce front, surtout de la boue, de la boue. de la boue.
Et nous, avec nos bandes molletières et nos équipements insuffisants (Plus tard, nous toucherons, enfin, l'équipement américain : uniforme de sortie, tenue de combat, casque et fusil U.S. Pour ma part, je portai l'élégant et confortable blouson kaki clair doublé de laine de l'armée américaine).

II y avait notamment devant notre position, deux cadavres de sénégalais, que l'on ne pouvait pas enlever, d'une part parce que nous aurions dû nous exposer aux tirs ennemis et, d'autre part, parce qu'ils étaient piégés (avec des mines).

Les seuls moments d'accalmie - c'est-à-dire sans bombardements - c'était lorsque le Piper-Cub survolait les lignes. Alors les canons allemands se taisaient afin de ne pas être repérés par l'avion.

Valdahon

C'est vers novembre 1944 que je fus envoyé au Camp du Valdahon (Doubs) près Pontarlier pour y suivre des cours de radio et de téléphonie. Nous étions - très mal - logés dans de vieilles écuries ou je ne sais quoi, chauffés par un malheureux poêle sur lequel nous faisions griller du pain - ce qui représentait le seul élément mangeable de nos repas .

Nous suivions des cours - cela rappelait le lycée -.
Utilisation du téléphone, montage de lignes téléphoniques (avec des exercices d'ascension des poteaux téléphoniques), utilisation des radios, L.A.S. (Lecture Au Son) - oui les communications alors se faisaient parfois encore en morse et à très grande vitesse -.

J'ai rencontré, au Valdahon, mon cousin Francis Wolf - arrivé de Genève à la Première Armée Française (avec le G.M.A., Groupe Mobile d'Alsace). Aussi, j'allais passer les week-ends avec Francis et son frère Pierrot à Ornans (où était basé le G.M.A).

Une fois, je suis allé, pour le week-end à Pontarlier chez les Brunschwig - parents de Pierre - (ami du Puy) et me souviens que Mme Brunschwig m'a offert, dès mon arrivée, un bain. Oui, un bain, quelle merveille

De Lattre, le Général de Gaulle et Winston Churchill
au camp de Valdahon le 13 novembre 1944
valdahon

D'une fenêtre de salle de cours du Valdahon j'ai pu voir, sous la neige de novembre 1944, le Général de Lattre de Tassigny et Winston Churchill. Ce dernier disait au Général : « Vous n'allez tout de même pas attaquer par un temps pareil ». Et le Général de lui répondre : « Il n'en n'est pas question, M. le Premier Ministre ».
Et pourtant, ce fut durant ces tempêtes de neige, que la Première Armée attaqua le front de Belfort.

Campagne d'Alsace

C'est alors que je rejoignis mon unité, la 7ème Compagnie du 2ème Bataillon du 152eme R.L, en tant que radio (et accessoirement téléphoniste).

Et, pour Noël 1944, nous étions installés à Bourbach-Le-Bas (Haut-Rhin), le long de la « Poche de Colmar », seul morceau de France, avec Royan, encore aux mains des Allemands.

Nous logions dans une grange, sur la paille. Et je me souviens qu'une fois, pour éteindre la lumière, au lieu de me lever pour le faire, j'ai, tout simplement, tiré sur l'ampoule au pistolet.

Par la suite, en première ligne, plus d'électricité. Nous nous éclairions à l'aide de lumignons fabriqués avec des boîtes de conserve, des douilles, du chiffon et de l'essence. Cela éclairait un peu et fumait beaucoup, d'où des visages pleins de suie au petit matin.

C'est à Bourbach que se situent mes premiers exploits de chauffeur. Durant toute la guerre, en effet, donc depuis plus de 5 ans, les voitures ne circulaient pratiquement plus en France (manque d'essence.... et interdiction de circuler). Je n'avais d'autres possibilités de m'entraîner à la conduite que de manoeuvrer le changement de vitesse de notre Vivaquatre Renault qui était sur cales dans le garage.

Et pourtant, j'empruntais à un vieux soldat que l'on appelait «papa» et qui devait bien avoir dans les 40 ans, la Primaquatre Renault dont il était le chauffeur attitré. Et je partis avec 3 copains passagers.
La circulation dans le village à la sortie de la messe, se passa sans problème et je sortis du village pour aller me balader à la campagne.

Au coin d'un bois, nous nous sommes faits arrêter par un soldat qui nous expliqua que les Allemands tiraient à vue sur tout ce qui dépassait le coin du bois. Je lui ai alors demandé s'il savait faire un demi-tour en voiture. Ni lui, ni mes passagers ne savaient conduire. Et je dus me résoudre à réussir mon premier demi-tour, n'ayant pas le choix de le rater.

Un ou deux jours plus tard, en vue de la préparation de la manoeuvre, on nous fit monter aux environs de Mulhouse, près de Dornach.

J'en ai profité pour faire une visite à l'adjoint au Maire de Dornach ou de Brunstatt (celui-là même à qui mes parents avaient prêté leur appartement du Puy lorsqu'ils sont allés se planquer à Ceyssac) et là, marchant seul, de nuit, je fus la cible d'un tireur isolé (il en restait encore dans tous les coins !).

Heimsbrunn

Puis nous montâmes à Heimsbrunn. C'est là que je me résolus à mettre mon casque alors que l'explosion d'un obus avait fait bouger mon calot sur ma tête ! A Heimsbrunn, les radios et les téléphonistes occupaient une ferme. Et l'on avait bricolé un système permettant de transmettre de la musique - trouvée sur nos radios - à l'aide du téléphone.
On nous a, alors, mis en première ligne, sur la Doller - en nous installant dans une usine textile près d'Heimsbrunn - en face du couvent d'Oelenberg.

Un des problèmes, alors, c'était l'eau. On ne pouvait en chercher que de nuit car nous étions en vue des Allemands, très proches de nous, lesquels nous tiraient comme des lapins.
Aussi, ai-je du apprendre à me laver avec un seul casque d'eau (de toute façon, toilette sommaire : il faisait très froid, beaucoup de neige, thermomètre flirtant avec les -20° C).

Un soir, alors que je tentais d'obtenir une communication radio, le type d'en face, de l'autre côté de ce ruisselet appelé la Doller, me tira dessus. Je l'ai engueulé dans un mauvais allemand en lui disant que j'avais déjà assez de problèmes comme cela et qu'il arrête de tirer. Ce qu'il fit.

La Poche de Colmar

Enfin vint le grand jour; le 20 janvier 1945, début de l'offensive contre la Poche de Colmar par laquelle nous boutâmes les allemands hors d'Alsace.

La nuit du 19 au 20 se passa dans une cave d'Heimsbrunn. Avant l'aube, j'entendis tout le monde s'agiter pour se préparer pour cette attaque. Branle-bas de combat. Mais j'ai continué à dormir sachant « qu'ils ne pouvaient pas faire la guerre sans moi » : j'étais le radio de la compagnie.

Bref, nous arrivons à nouveau en première ligne, face au couvent d'Oelenberg. Le paysage était tout blanc : il y avait beaucoup de neige et il faisait très froid. Le jour se levait à peine. Le Capitaine décida d'installer son P.C. (poste de commandement) sous un pylone à haute tension ce que - du haut de mes pas encore 20 ans - je réfutai en arguant :
« Premièrement la masse métallique gênera mes émissions,
« Deuxièmement, si je suis repéré par la goniométrie, il sera facile aux Allemands de diriger leurs tirs sur un élément aussi visible dans le paysage
. »

Heureusement, car ce coin fut totalement dévasté par les obus.
Nous nous sommes installés un peu plus loin et n'en avons pu bouger jusqu'à la fin de l'après-midi, couchés dans la neige.

A notre gauche, les Allemands firent sauter tout un champ miné, tuant, d'un coup, les 60 chasseurs qui assuraient notre flanc gauche.

En fait, ce fut, là, un des très rares endroits où l'armée française fut bloquée et ne put avancer dans le cadre de l'offensive.
Mais quel bombardement !

On entendait sans cesse les obus siffler au-dessus de nos tetes, les obus français se croisant avec les obus allemands - une vraie voûte d'acier -. Je me demandais ce qu'il adviendrait si deux obus se heurtaient au-dessus de nous.

A un moment, un fracas épouvantable. Bien que couchés, nous avons été « décollés » du sol par le souffle et l'explosion d'un obus de 88 (le canon allemand de 88 mm était particulièrement meurtrier, encore plus que notre 75). Mais, ô miracle, parce que trop près de l'explosion, nous ne fumes pas touchés., les éclats passant en une « gracieuse » courbe au-dessus de nous et hachant menu les branches de l'arbre sous lequel nous nous trouvions. Seul un éclat, heureusement arrivé à plat, heurta mon casque. Et, grâce à mes écouteurs, je n'ai pas trop souffert du souffle.

Notre premier mort, au matin, fut un petit caporal tué d'une balle entre le nez et le casque (ils visaient vraiment bien, les gars d'en face). Il avait dû avoir l'intuition de sa mort prochaine, car il avait donné sa montre - son seul bien propre - à son copain avant l'attaque.

Après une journée, couché donc, dans la neige et sans bouger (alors que je n'avais pas froid aux oreilles puisqu'elles étaient protégées par les écouteurs radios), j'avais les pieds gelés. Cela me fit une drôle d'impression en me levant ; je ne sentais plus mes pieds et ressentais l'impression que je n'avais plus de pieds mais que mes jambes se terminaient par un bout rond. Impossible de marcher. Toutefois, en m'appuyant sur deux fusils (américains) utilisés comme cannes (si j'avais deux fusils c'est, évidemment parce que j'avais récupéré celui d'un mort) je parvins à la route et fus évacué par ambulance.

Puis nous sommes remontés en ligne, de nuit, en passant, sauf erreur, par Lutterbach (près de Mulhouse). Lors de notre traversée du village, dans le froid et la neige, un immeuble, touché de plein fouet par un obus, s'effondra à notre passage.

Ensuite, ce fut la charge, nous, les fantassins couchés sur le cul des chars qui s'enfonçaient dans les lignes ennemis. Après la charge. nous dûmes avancer à pied à travers des champs de mines (je dois avouer que j'avais deux peurs : les mines et les lance-flammes). Nous mettions précautionneusement nos pas dans les pas des précédents ; heureusement, alors, qu'il y avait de la neige : cela nous permettait de voir les traces des pas.

II faisait si froid que le vin gelait - en paillettes - dans les gourdes.

Cité des Mines de Potasse

Ensuite on nous a regroupés dans les Mines de Potasse, mon Bataillon à la Cité Amélie Il.

Les lignes allemandes étaient à portée de voix.

Nous nous installions dans des maisons, cherchant dans les maisons voisines les matelas et la vaisselle manquante. La vaisselle manquait souvent car nous ne la lavions pas. Et, une fois, pour parer à cela, nous avions tout simplement changé de maison en emportant nos matelas.

Nous étions, un soir, dans l'une de ces maisons bi-famille de la Cité. J'ai écrit à mes parents que j'étais couché sur un lit, les pieds près d'un bon feu et lisant du Pierre Loti. C'était la vérité, rien que la vérité, mais pas toute la vérité !
Le soir, en tant que radio, je prenais les informations qui passaient en graphie (c'est-à-dire en morse et ce, à toute allure) et je notais, non pas les points et les traits, mais directement les lettres « entendues » au son. Par dessus mon épaule, les officiers lisaient les nouvelles au fur et à mesure.

Un soir parmi nos « hôtes », il y eût l'aumônier du Bataillon, le Père Leclercq. Nous nous connaissions bien : j'étais à peu près le seul du niveau bac, les autres étant plutôt du type illettré.
Après les émissions, le Père me demanda mon conseil :
« Jean, le Commandant a mis une villa à ma disposition. Il y a un rez-de-chaussée mais il me conseille de dormir à la cave car la maison est juste dans l'axe de tir».
J'ai accompagné le Père « chez lui » toujours dans la neige et après avoir vu le peu de confort offert par la cave, je lui dis :
« Mon Père, vous croyez en D... ? alors couchez en haut ».

Lors des nombreux combats dans ces cités, mon homologue, l'autre radio du bataillon fut tué. Et tous, sachant la mort du radio et croyant que c'était moi, me regardaient avec un drôle d'air en me voyant vivant. Drôle d'impression d'être pris pour un revenant
C'est au cours de ces combats que je fus l'objet de la citation suivante - avec attribution de la croix de guerre - (soit 12 jours avant mes 20 ans).

« Jeune radio qui a fait preuve des plus belles qualités de dévouement et de
« maîtrise de lui-même au cours des combats de la Doller, se faisant
« remarquer particulièrement les 23 et 24 janvier 1945 au cours des combats
« de la Cité Amélie Il ».

Quelques épisodes :

  • Nous avons passé une nuit dans la gare de Richwiller, dans le hangar à potasse. Or, la potasse étant endothermique, il faisait encore plus froid à l'intérieur. Nous étions recouverts de couvertures blanches et nous avions emballé nos casques dans du tissu blanc, ceci, évidemment, pour être moins vus dans le paysage tout blanc. Toutefois, cela posait problème pour l'officier qui nous commandait car il était du plus beau noir : c'était un sénégalais, licencié es-lettres.

  • En patrouillant dans le coin, j'ai voulu boire à ma gourde, mais elle était vide, percée d'une balle ! Elle n'était pas passée loin et je ne m'en étais pas rendu compte.

  • Une nuit, nous nous sommes installés dans une sorte de bunker près de la voie ferrée, laquelle passait à cet endroit sur un remblai. Et je dus apporter le téléphone à ce bunker en déroulant le fil sur plus d'un kilomètre. Zut, il en manquait un bout. C'est alors qu'un brave alsacien - qui s'abritait avec sa famille et ses chèvres dans ledit bunker - m'indiqua qu'il y avait du fil téléphonique pas loin... dans les lignes allemandes. Aussitôt dit, aussitôt fait. Avec ce jeune patriote, nous avons passé en rampant le remblai et nous nous sommes « promenés » dans les lignes allemandes à la recherche du fil. Ce fil trouvé, je l'ai vérifié avec mes pinces crocodile (qui percent la gaine du fil) et j'ai pu entendre les conversations des soldats allemands. J'ai prélevé ce qu'il me fallait et nous sommes revenus au bunker.

N'oublions pas que lors de toutes ces attaques, nous, régiment de choc, nous avons beaucoup « travaillé » avec nos camarades marocains. magnifiques au combat.

Vers l'arrière

Quelque temps après, nous fûmes regroupés, au repos.. à l'arrière des lignes, dans la région de Belfort. Et c'est là qu'un paysan nous offrit un bain de pieds. Quel bonheur!

Fourragère rouge,
couleur de la Légion d'Honneur
fourragere

Les autorités militaires avaient dû retirer le 15.2 R.I. du front parce qu'il ne tenait plus : en effet, partis le 20 janvier à 2500, nous n'étions plus que 1000.

Peut-être est-ce à ce moment, alors que nous grelottions de froid et de fatigue,que le commandement nous attribua une pièce pour notre uniforme ; non pas des lainages ou des chaussettes, mais la belle fourragère rouge - aux couleurs de la Légion d'Honneur - que notre régiment avait gagnée sur les pentes du Hartmannwillerskopf en 1914-1918.

Pour nous réchauffer les pieds, il y avait mieux !

 

 

Colmar

Colmar
colmar

Après quelques jours de repos, nous fûmes appelés à défiler à Colmar, le 15.2, Régiment des Diables Rouges, étant le régiment de Colmar.

Pour aller de la région de Belfort à Colmar. Il nous fallut faire le tour, derrière les Vosges. car la Plaine d'Alsace n'était pas encore « nettoyée ».

C'est ainsi que le 5 février 1945, le jour de mes 20 ans, je revenais, les armes à la main, par le col de Saales, dans mon département du Bas-Rhin.

Je n'ai pas l'habitude de boire du vin au petit déjeuner, mais offris, néanmoins, la tournée générale lors d'une halte dans un bistrot de Saales.

Nous nous arrêtâmes à Sélestat un ou deux jours pour nous préparer à défiler. Nous savions nous battre, mais, horreur pour des militaires, nous ne savions pas défiler. C'est ainsi que je pris le commandement d'un petit groupe et, tant bien que mal, nous avons marché au pas, en maniant nos fusils plus ou moins selon les règles.

Le 7 ou 8 février 1945, premier défilé à Colmar. Au pas !
Une demi-heure avant le défilé, nous dûmes huiler nos casques pour les rendre plus brillants.

On nous logea dans ces grandes casernes sises au Nord de Colmar, le long de la route. Je ne sais si ce fut la première ou la deuxième nuit que nous subîmes un violent bombardement. Les Allemands tiraient au canon depuis l'autre rive du Rhin. Ils ont touché, d'abord, la caserne en face qui « abritait » des américains, lesquels. du fait de l'effondrement de leur caserne, se trouvèrent écrasés, plats comme des omelettes.

Puis ce fut le tour de notre caserne. Evacuation immédiate. Nous sommes conduits dans les escaliers.
Et là, un miracle : alors que je m'apprêtais à sortir de la caserne, j'eus un frisson, et fis, je ne sais pourquoi, deux pas en arrière, juste à temps pour éviter la chute d'un énorme linteau de pierre (qui m'eût écrasé à tous les coups).

J'ai vu, dans la cour de la caserne, en grande partie en feu, un soldat qui, avec un courage magnifique, se mit au volant d'un camion citerne plein d'essence et le manoeuvra, cul vers le feu, afin qu'en explosant, les risques fussent diminués.

On nous logea ensuite dans un couvent près du centre ville et là, à part quelques chants paillards, il n'y eut pas de problème.

Je ne sais comment j'ai rencontré, à Colmar, un autre soldat, René Heimendinger - oui le fils des Heimendinger du carton à chapeau - et son cousin le Lieutenant-dentiste Hirsch. Mais grâce à eux, je pus dormir dans l'appartement de ses parents au centre de Colmar. Cet appartement était en bon état car il avait été réquisitionné pour y héberger la putain du chef de la Gestapo de Colmar. Nous y sommes restés quelques jours, empilant les assiettes sales de nos petits déjeuners - sans avoir évidemment l'idée de faire la vaisselle.

Perm. à Strasbourg

C'est de Colmar, en février 1945, que je partis pour deux jours à Strasbourg. J'avais demandé à mon chef de Bataillon, le commandant Kretz, une permission de deux jours. Or, il n'avait pas les pouvoirs nécessaires pour accorder des permissions en jours ; aussi m'accorda-t-il une permission de 48 heures

J'ai rejoint Strasbourg en auto-stop. D'abord ce fut le chauffeur de la belle voiture du Général de Montsabert qui me conduisit une partie de la route. Nous avons traversé la plaine, au Nord de Colmar : tous les villages étaient détruits et certaines maisons fumaient encore. Les vaches, crevées dans les prés, étaient toutes gonflées.

Puis un gentil camionneur me prit en stop et... m'emmena coucher chez lui à Cronenbourg. Quelle merveille : un vrai lit et un bon petit déjeuner !

De là, à pied, je suis allé à Koenigshoffen chez notre brave Florentine (notre femme de chambre depuis 1926) qui m'accueillit à bras ouverts. C'est elle qui eut l'idée de m'adresser à l'une de nos anciennes employées, Emilie, habitant Koenigshoffen, qui put me prêter un vélo, indispensable pour circuler à Strasbourg.

Je suis allé voir où en était notre magasin, sis au 14 Faubourg de Saverne. Il était occupé par Bleikasten - articles pour couturières et tailleurs en gros - lequel avait obtenu, en 1940, l'attribution - par le séquestre nazi - de nos magasins. Il avait demandé l'attribution de ces magasins qu'il désignait «von die beruhmte judische Firme Valfer und Meyer» (de la firme juive renommée) en arguant de son lien de parenté avec son beau-frère, Kreisleiter à Molsheim... et en signant « Heil Hitler ».

Monsieur Bleikasten m'accueillit assez aimablement et me fit visiter les locaux. Puis je suis allé voir M. Morel qui occupait nos locaux Rue du Marais Vert. M. Morel, citoyen suisse, avait acquis cette entreprise de gros en matériel électrique de Rudi Leissner, N.S.K.K. Führer - ce qui mettait l'entreprise à l'abri du séquestre français.

Je ne sais comment j'ai rencontré à Strasbourg mon oncle Jean Hirsch. Grâce à lui - qui avait obtenu un bon de réquisition de je ne sais quel sous-préfet - j'ai pu loger deux nuits à l'hôtel avec lui en montant, chaque fois, mon précieux vélo dans la chambre : la première nuit dans un petit hôtel, rue du Marché ou Fossé des Tanneurs, la seconde à l'Hôtel de la Maison Rouge Place Kléber (Oncle Jean et moi .nous nous partagions le lit à savoir l'un le matelas, l'autre le sommier).

Je suis aussi allé voir l'appartement que nous occupions avant guerre au 4 Rue Silbermann. La maison était si heureuse de me voir revenir qu'elle était descendue m'attendre dans l'escalier (comprenez: elle était l'une des victimes des bombardements américains sur Strasbourg). Toute la partie principale de l'édifice était à terre. Ne restait qu'une colonne comprenant l'escalier de service, les chambres d'enfants, la cuisine et la moitié de la salle de bain (la baignoire à moitié dans le vide).

Je suis allé consulter les dossiers du séquestre allemand, détenus par le séquestre français, logé dans la maison Hirschfeld, Allée de la Robertsau. J'ai pris de nombreuses notes que je transmis de suite à mon père. Elles lui furent précieuses par la suite (notamment pour déterminer le vol et la vente, par le séquestre nazi, de la quasi-totalité de notre stock).

Je suis rentré à Colmar, en auto-stop évidemment et crois bien que c'est cette fois-ci que je fis deux rencontres : dans la première voiture, une Citroën conduite par Henri Schwab qui me dit, en alsacien, et à brûle pourpoint: «n'aie pas peur je dois encore de l'argent à ton père ».
II m'avait reconnu du fait de ma ressemblance avec mon père c'était un ancien client.

Dans la deuxième voiture, une petite Peugeot, avec des auxiliaires de la Croix Rouge. Apprenant que je revenais de Strasbourg, l'une d'elles me questionna, me demanda même l'adresse de la maison (j'avais indiqué que j'avais trouvé notre demeure détruite par le bombardement). Et me dit alors « vous êtes le fils Meyer ou le fils Bloch ». Quelle surprise ! Et elle me précisa, alors, qu'elle occupait avant guerre, une chambre d'étudiante chez le locataire du rez-de-chaussée. Les Bloch habitaient au second et nous, au 3ème étage.

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