Alexandre Weill
par Moché Catane
Extrait de Des croisades à nos jours, Bibliothèque juive, Editions de Minuit, 1956


Un seul écrivain mériterait, de notre point de vue, d’être sauvé de l’oubli Alexandre Weill (1811-1899). Non pas qu’il se distingue entre ses pairs par une valeur littéraire exceptionnelle. Mais il est puissamment original, et inébranlablement juif (1).

Ce petit alsacien de Schirrhoffen gardera toute sa longue vie la trace de la fruste piété de son milieu natal, de ses prouesses de ministre-officiant et de ses études rabbiniques dans les petites yechivoth de Lorraine, de Bavière et de Francfort. Non seulement il en rappellera le souvenir avec un réalisme prolixe plein de tendresse et de verve, mais il s’affirmera partout, dans les milieux romantiques et républicains qu’il fréquente assidûment et où l’on aime sa fougue ignorante du ridicule, comme un Juif au plein sens du mot et refusant de renoncer au moindre atome de sa fierté, même si sa religion d’un "mosaïsme" extrémiste n’est pas tout à fait conforme aux canons. Plein de mépris en effet pour le christianisme, son intransigeante doctrine de justice exclut la notion du pardon - qui est une injustice. Certes, Alexandre WeiIl n’est pas un grand écrivain. D’abord parce que sa formation hébraïco-allemande ne l’a pas doué, malgré son entrain et sa vigueur, d’un beau style en français. Ensuite, parce qu’il ne se critique et ne se corrige guère, laissant libre champ à son exubé rance et souvent à son mauvais goût, qui l’entraîne par exemple à s’affirmer partout prophète et envoyé de Dieu. Ich aber herzhaf t sage Euch ; Ich bin ein Gotlesgesandter. /Ich komme aus dem Frankenreich /Und heisse Alexander - "Mis je tiens à vous dire que je suis en envoyé de Dieu. Je viens de France. Je m'appelle Alexandre"). Et à traiter tous les autres d’imbéciles, sans le moindre sens du ridicule. Enfin, parce qu’il défend tour à tour et avec la même conviction des idées contradictoires et parfois absurdes.

Néanmoins il demeure un type c’est le petit Juif, indifférent à l’argent, peut-être même à la gloire, et assoiffé de justice. Nourri à la double source de la Tora et de la Révolution française, il tentera de délivrer un message pour le perfectionnement de l’humanité. Et, quand on tient compte de la qualité de son judaïsme, hétérodoxe et sous bien des aspects grossier, mais dense, fier, savoureux, enraciné, en un mot vivant, il est permis de regretter qu’il soit tellement tombé dans l’oubli, et que les doctrines officielles dépourvues de nerf et de pittoresque aient si facilement obnubilé les siennes, en raison de ses impardonnables défauts.

(1) Voir Robert Dreyfus, Le Prophète du faubourg Saint-Honoré, conférence faite à la Société des Études juives le 23 mars 1907.


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