SERMON
prononcé à l'occasion de Rosch Haschonoh 5711 (1950)
par M. le Grand Rabbin Simon FUKS


"Mes entrailles! mes entrailles!, je souffre au dedans de mon cœur. Le cœur me bat, je ne puis me taire. Car c'est le son du Chofar, que tu entends, O Mon Ame! c'est le cri de la guerre.
On annonce ruine sur ruine, car tout le pays est ravagé. Mes tentes sont renversées tout à tout, mes pavillons, en un instant.
Jusques à quand verrai-je la bannière, entendrai-je le son du Chofar? " (Jérémie 4:19).

Frères et Sœurs,
"En ce jour, où nous inaugurons le cycle de nos fêtes austères, pendant lesquelles nous prions le souverain Maître de la vie et de la mort, de nous accorder une année d'où soit bannie toute misère et tout deuil, demandons aussi à Dieu de nous donner la volonté de prendre conscience, des problèmes angoissants qui se posent à l'humanité entière, afin que nous puissions trouver, dans une réflexion sérieuse, le chemin du salut et de la paix, pour nous et pour tous les hommes.


Sonnerie du Chofar

Puisse la sonnerie du Chofar, être pour nous, comme un signal d'alarme, comme l'écho des paroles, qu'à travers les siècles, le prophète Jérémie, semble avoir adressé également, aux hommes de notre temps. "Jusques à quand verrai-je la bannière déployée, entendrai-je le son du Chofar ?"

Et en vérité, que de pensées doit susciter en nous cette solennité de Rosch Haschonoh ! Car si, d'une part, le terme même de Rosch Haschonoh, de début de l'année nouvelle, éveille en nous, un sentiment de fête, qui met de l'espoir dans nos cœurs, espoir en un avenir de lumière et de joie, espoir en un monde fondé sur la justice et la bonté, l'expression de "jour du souvenir" nous ramène vers le monde de la réalité, de la dure et triste réalité.

Bref, tandis que Rosch Haschonoh nous dit "que commence l'année nouvelle avec ses bénédictions", Yom Hazikorôn, nous rappelle qu'une année s'est achevée, mais que ses malédictions se prolongent encore.
En vérité, comment ne serions-nous pas épouvantés, lorsque nous songeons que nous avons eu le triste privilège de vivre la guerre, la plus terrible qui ait jamais ensanglanté l'humanité, et que cinq années après la fin de ce cataclysme effroyable, il est de nouveau question de guerre et de destruction ?
Et, cette fois-ci, les moyens techniques qui peuvent être mis au service de la guerre, sont tellement puissants, qu'ils seraient capables de mettre un terme, une fois pour toutes, à l'histoire et à l'existence de l'humanité.
Devant l'éventualité d'un déchaînement de forces aussi gigantesques, nous restons muets, désemparés et impuissants. Quelles fautes avons nous dû commettre, O Eternel, pour mériter de vivre dans une continuelle alarme, pour que la paix si ardemment désirée et espérée, se dissipe comme un rêve, avant même que nous en ayons goûté pleinement toute la saveur ?
Ah ! le son du Chofar, le cri de la guerre ne cessera-t-il pas de faire trembler de nouvelles générations? Et devons-nous, sans cesse, être hantés par l'image de la guerre qui mutile, arrache, détruit et anéantit à jamais, l'œuvre de nos mains et le fruit de notre pensée ?

Mais peut-être, le spectre de la mort et de la ruine vient-il troubler nos nuits afin de nous secouer de notre torpeur et de notre insouciance, afin que nous donnions à nos actions un sens plus juste, afin que nous apprenions à écarter de nos préoccupations, tout ce qui n'est pas essentiel. "Le Chofar retentirait-il dans une ville, sans que le peuple en soit effrayé ?" (Amos 3:6). Le Chofar doit ébranler nos cœurs et les faire frissonner. Mais, épuisés sans doute par tant d'horreurs vécues, il y a si peu d'années, nous ne savons plus que nous lamenter devant les événements lourds de menaces qui s'approchent de nous. Et, pourtant, il ne suffit pas que nous déplorions la fragilité de notre vie, l'incertitude de notre temps, il ne suffit pas que nous nous demandions pourquoi il est si facile de susciter la haine entre les peuples, de dresser les hommes les uns contre les autres ? Pourquoi nous n'arrivons pas, faute d'assez de constance et d'assez d'amour à trouver la foi et l'enthousiasme qui nous permettraient d'édifier une paix, sauvegarde des valeurs humaines les plus précieuses, et de veiller, pour que cette paix soit solide et durable ?

"Ils croient guérir facilement la blessure de mon peuple en s'écriant : c'est la paix, c'est la paix, alors qu'il n'y a pas de paix." (Jérémie 6:14). Ah, certes, il ne s'agit pas là, d'un problème particulier à notre époque. Car, déjà les prophètes reprochaient aux chefs indignes de leur temps, de faire miroiter aux yeux de leur peuple, l'illusion d'une paix fragile et trompeuse, et d'endormir ainsi leur vigilance.
"C'est la paix" annonçaient-ils, et pourtant, il n'y avait pas de paix.

Mais, quelle est donc la paix à laquelle aspirent si ardemment les peuples ?
Ce n'est certes pas celle que le vainqueur impose au vaincu. Car c'est là une paix trompeuse, le triomphe de la violence, et, sous le calme apparent de cette paix, gronde déjà le ferment de révolte, et l'effort de tous ceux qui s'unissent, parce qu'ils ont faim de justice et soif d'égalité. La paix sans justice, n'est pas la paix, mais un pont jeté entre deux guerres. Il ne suffit pas non plus, comme nous voudrions nous en persuader, que le cliquetis des armes soit éloigné de nos rivages, que l'odeur des corps martyrisés et des cadavres ne parviennent pas jusqu'à nous, pour que nous ayons le droit de poursuivre notre travail quotidien, dans l'insouciance, et de nous organiser une existence confortable, alors qu'il existe de par le monde des pays, où la bataille fait rage. En vérité, la paix véritable ne peut être qu'universelle.

Et comment, je vous le demande, peut-il y avoir la paix entre les peuples, lorsque chez certains d'entre eux, règne une famine indigne d'un siècle civilisé, alors qu'il y a des pays où un des soucis majeurs des gouvernements est, comment résorber, transformer ou même détériorer l'excédent des récoltes ?
Mais, n'est-ce pas là, comme si on répandait le sang de millions d'hommes, de femmes et d'enfants, qui meurent littéralement de faim ? Et de telles indignités peuvent-elles demeurer impunies?
De plus, ce n'est pas seulement la paix entre les peuples qu'il faut organiser, mais aussi la justice et paix au sein même de chaque peuple. Or, la paix sociale ne peut exister lorsqu'une grande inégalité sépare les hommes entre eux. Et, il faut bien le dire, ce ne sont pas les prétentions et les exigences des masses défavorisées qui sont dangereuses pour l'ordre et pour la paix, mais les criantes misères qui élèvent jusqu'au ciel leurs protestations contre l'injustice des hommes.

Est-ce la paix véritable, Frères et Sœurs, que nous apportera l'année qui vient ? Ah ! sans doute, ne nous est-il pas possible de soulever le voile de l'avenir. Mais, en ce jour de Rosch Haschonoh, soyons bien pénétrés de la conviction, que la réponse à cette angoissante question, dépend aussi des hommes. Car, c'est dans la mesure, où nous ferons reculer l'injustice, que la paix sera affermie.

Paix entre les peuples, paix sociale entre les différentes classes de la société. Mais aussi, bonne entente dans nos Communautés, et concorde dans nos foyers.
Oui, que dans chaque communauté règne enfin une atmosphère fraternelle. Si des malentendus, des erreurs ou même des injustices ont séparé deux hommes, qu'ils comprennent enfin, combien stériles sont leurs petites querelles privées, qui usent des forces qu'ils devraient consacrer à des buts plus élevés qu'à des questions d'amour-propre. D'ailleurs qui peut prétendre avoir la justice et la vérité avec lui ?

Concorde dans les foyers : Nous pensons tout particulièrement au fossé, qui se creuse de plus en plus profondément dans une même famille entre les différentes générations qui la composent. L'époque n'est pas si lointaine, où la famille juive formait un bloc uni, où parents et enfants étaient liés non seulement par la tendresse, mais aussi par un même idéal de fidélité à l'égard du judaïsme. Qu'en est-il de nos jours? Chaque génération a sa conception de la vie, et il est bien rare que celle des enfants ne s'oppose pas à celle des parents. Le spectacle est trop fréquent, de jeunes qui accordent toute leur sympathie, leur curiosité ou même leur dévouement à ce qui est étranger au judaïsme alors qu'à ce judaïsme qui les a enfantés, ils ne réservent que leur indifférence où leur dédain.
Mais peut-être les parents portent-ils la responsabilité de ce triste état de chose. Car s'ils avaient donné eux-mêmes l'exemple d'une vraie fidélité à l'égard du judaïsme, en sachant sacrifier leur commodité ou leur intérêt-matériel, à l'observance de la Torah, ils auraient été imités, dans cette voie, par leurs enfants.

Commençons donc l'année nouvelle avec la volonté de réaliser la parole du prophète : "Il ramènera le coeur des parents à leurs enfants et celui des enfants à leurs parents." (Malachie chap. 3 y. 24)

Puisse l'Eternel exaucer nos vœux et nous bénir par la bénédiction de la paix, afin que nous puissions l'adorer d'un cœur entier et pacifié."


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