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Le Mémorial pour les 86 victimes

Le premier Mémorial
Inauguration du Mémorial pour les 86 victimes de la médecine nazie.
Bulletin de nos Communautés - 16 septembre 1955

"Ci-gisent les corps de juifs hommes et femmes amenéss de divers camps de concentration de l'Europe orientale au Camp du Struthof. Mais après d'atroces souffrances, ayant servi de cobayes humains au nom d'une science au service du mal."
La Communauté de Strasbourg est sans doute la seule de France qui ait le douloureux privilège d'avoir la garde d'honneur des restes mortels non brûlés de victimes des Camps de la Mort. Découverts dès la libération à l'Institut médico-légal de l'Université de Strasbourg, ces corps affreusement mutilés, identifiés par le sinistre chef de camp du Struthof comme ayant appartenu à des juifs, ont été confiés à la Communauté israélite qui s'est mis en devoir de leur réserver une place d'honneur dans sa nécropole.
Dimanche dernier, premier jour de Seli'hôs, devant une très nombreuse assistance, on a inauguré un Mémorial pour ces martyrs. Cérémonie poignante et brève, qui a néanmoins permis aux trois orateurs, MM. le Président de la Communauté, le Président du Consistoire, et le Grand Rabbin, de dégager la leçon du plus grand drame de l'humanité. Chacun eut un mot judicieux pour le promoteur de l'idée généreuse du carré d'Honneur, M. Edouard Weill qui, avec une piété jamais en défaut, veille au souvenir de nos héros et de nos martyrs.
Désormais la nécropole de la Communauté strasbourgeoise compte un lieu de pèlerinage de plus. Au grand Mémorial consacré aux centres de ceux que jamais on ne retrouvera, au carré des héros et des fusillés vient s'ajouter le parterre de tombeaux de 86 cobayes humains ainsi que le dit sobrement l'épitaphe du nouveau monument. (…)


Le second Mémorial
L' inauguration d'un second Mémorial, érigé à la place de l'ancien et portant le nom des victimes a lieu le dimanche 11 décembre 2005 au cimetière israélite de Strasbourg-Cronenbourg sous la présidence de Monsieur Jean-Paul Faugere, préfet de la Région Alsace, Préfet du Bas-Rhin, et de Monsieur Jean Kahn, président du Consistoire israélite du Bas-Rhin.

Le même jour une plaque commémorative en mémoire des 86 victimes du professeur nazi August Hirt est apposée à l'Institut d'anatomie de la Faculté de médecine de Strasbourg (1 place de l'Hôpital), en présence de Fabienne Keller (présidente des Hôpitaux universitaires de Strasbourg, sénateur du Bas-Rhin) ; Gérald Chaix (recteur de l'Académie de Strasbourg, chancelier des Universités d'Alsace) ; Bernard Carrière (président de l'Université Louis Pasteur) ; Paul Castel (directeur général des Hôpitaux universitaires de Strasbourg) ; Bertrand Ludes (doyen de la Faculté de médecine).


Des noms derrière les matricules
Extraits d'une série d'articles publiés en hébreu par Gid'on BAR-LEV pendant l'année 2005 dans la presse israélienne, traduits en français par Georges WEILL

Une histoire tragique vient d'être révélée par un historien allemand, spécialisé dans l'histoire de la Shoahh. Il s'agit d'un acte de barbarie datant de la seconde guerre mondiale, qui fut perpétré par un professeur d'anatomie de l'Université de Strasbourg.

Hadassa Pastel, membre du moshav Nir Galim, a reçu une lettre d'un chercheur allemand lui donnant des détails sur l'exécution de sa mère, Sara Bomberg, déportée à Auschwitz en 1943. C'est de là qu'elle fut transférée, avec quatre-vingt-cinq autres juifs au camp du Struthof, près de Strasbourg, pour y être gazée ; leurs corps furent alors envoyés à l'institut d'anatomie de l'Université de Strasbourg pour figurer dans la "Collection de squelettes juifs originaires de différents pays".

Il y a quelques semaines, Hadassa Pastel se rend, comme d'habitude, au "Foyer des anciens", situé à la mairie. Elle y apporte une lettre en anglais qu'elle vient de recevoir d'un chercheur allemand de Tübingen, en Allemagne, et demande à Hanna, la directrice du foyer, de la lui traduire. Hanna, saisie par la teneur surprenante de cette lettre, éprouve des difficultés, dans un premier temps, à expliquer à Hadassa de quoi il retourne. L'auteur de la lettre commence par s'excuser de la tragique nouvelle qu'il transmet, concernant les circonstances du décès de Sara Bomberg, mère de Hadassa. Il précise que l'on sait désormais que les restes de Sara reposaient dans une fosse commune, à Cronenbourg, cimetière de la communauté juive de Strasbourg.

Avec l'accord de Hadassa , nous avons commencé à reconstituer les événements qui ont eu lieu en 1943, afin de rendre public un chapitre supplémentaire des horreurs commises par les nazis et leurs acolytes au cours de la Shoah.

Le Dr. Hans Yoachim Lang, historien allemand, a donné les détails de cette affaire dans un ouvrage intitulé Die Namen der Nummern (Des noms derrière les matricules) paru l'automne dernier en Allemagne. Le Dr Lang est d'ailleurs conscient que son ouvrage n'est que le début d'un nouveau chapitre de révélations sur cette tragique époque.
En février 2005, l'auteur a commencé à parcourir le nouveau site internet de Yad VaShem et il y trouvé la feuille de témoignage remplie par Hadassa Pastel au sujet de sa mère Sara Bomberg. L'adresse de H. Pastel à Nir Galim, où figurait également sur la feuille.

Le Dr Lang, né en 1951, étudie depuis de nombreuses années les crimes de guerre commis par le professeur Auguste Hirth, qui dirigea l'institut d'anatomie de l'université de Strasbourg pendant l'occupation allemande. C'est sur les ordres de ce dernier que deux employés de l'institut se rendirent, en juin 1943, à Auschwitz pour y sélectionner des juifs, hommes et femmes, d'origines diverses. 29 femmes et 57 hommes, venant de huit pays différents, furent transférés en août 1943 au camp du Struthof-Natzwiller, situé à une cinquantaine de kilomètres au sud de Strasbourg. Hirth s'occupa également de faire construire une chambre à gaz pour la bonne exécution de son "programme". On a retrouvé un document rarissime, dû à l'entreprise chargée de la construction de cette chambre où se trouve mentionnée en clair – et non en langage secret comme d'habitude - la "construction d'une chambre à gaz à Natzwiller" . Il s'agit d'une facture adressée par la SS à l'Institut de pathologie de Strasbourg, et portant sur 236,08 Reichsmark (Source : Lexique du site internet de Yad VaShem).

Les cadavres de ces hommes et de ces femmes, destinés à la "Collection de squelettes juifs", furent déposés dans les caves de l'institut, mais le sinistre Hirth ne trouva pas le temps de s'en occuper avant la fin de la guerre. Strasbourg fut libérée à la fin de 1944 et les cadavres anonymes furent enterrés au cimetière juif de Strasbourg.

Hadassa raconte qu'elle a été saisie d'une grande émotion à la lecture de la lettre du Dr Lang. Tout ce qu'elle savait de ses parents c'est qu'ils avaient été déportés à Auschwitz. C'est donc ainsi qu'elle a apprit la tragique histoire des 29 femmes et des 57 hommes transférés d' Auschwitz au camp du Struthof- Natzwiller , à la demande du sinistre professeur Hirth de l'université de Strasbourg.

La boucle est bouclée

Voici quelques jours que la famille de Hadassa Pastel est revenue d'un voyage qui lui a permis de boucler une boucle de son histoire familiale.

Hadassa, son mari et leurs quatre enfants sont allés en Belgique, où elle est née et où son père, sa mère, ses oncles et ses tantes ont été arrêtés et envoyés, sans retour, à Auschwitz.. Ils se sont aussi rendus sur la tombe de la mère de Hadassa – Sara Bomberg - enterrée à Cronenbourg, cimetière de la communauté juive de Strasbourg.
Comme il ressort des recherches du Dr Lang, c'est en effet là qu'ont été réinhumés Sara Bromberg et quatrevingt-cinq autres déportés transférés d'Auschwitz au camp du Struthof-Natzwiller ; ils y furent assassinés par le gaz avant que leurs corps ne soient remis à l'Institut d'anatomie de l'hôpital de Strasbourg, où sévissait le Dr Hirth, l'infâme "chercheur" nazi, qui voulait se constituer une collection de squelettes juifs.

Ce voyage se situe exactement soixante ans après que les restes de ces malheureux aient été enterrés à Srasbourg, en septembre 1945. Cette tombe est restée longtemps anonyme, puis on a retrouvé le nom des victimes, dans le livre Des noms derrière les matricules. La visite de Hadassa et des siens se situe deux jours avant l'inauguration d'une nouvelle pierre tombale portant le nom de chacun des disparus. C'est cette pierre que l'on voit sur les photos, avec, notamment, le nom de Sara Bomberg.

Au cours de sa visite en Belgique, Hadassa a pu également pu relever le nom de tous les membres de la famille Bomberg sur le monument élevé en souvenir de la déportation du judaïsme belge, où sont gravés plus de 25.000 noms de juifs assassinés par les nazis pendant la Shoah.

Que leur mémoire soit bénie !

L'histoire de Hadassa Pastel

Lors des actions contre les Juifs, sa mère, Sara Bomberg l'avait confiée à un home d'enfants où elle a, par miracle, survécu à cette terrible période. Mais comme elle n'avait que huit ans à l'époque, ses souvenirs sont très limités. Toutefois l'auteur de ces lignes a réussi à retrouver de nouveaux détails sur les circonstances de son sauvetage. En effet, grâce à l'amabilité de Mme Hava Diener, nous avons été mis en contact avec Sylvain Brachfeld, journaliste spécialisé dans l'histoire des Juifs de Belgique pendant la dernière guerre mondiale.

Il ressort de différents témoignages et documents que la petite Hadassa Bomberg fut confiée à l'une des maisons d'enfants crées par l' Union des Juifs de Belgique, association fondée sur l'instigation des occupants allemands, et qui devait servir de Judenrat pour les Juifs de ce pays.

Les Juifs de Belgique furent progressivement internés dans le camp de Mechlen, soi-disant pour y trouver du travail. Le père de Hadassa fut le premier à être pris, mais la poursuite des Juifs prit de telles proportions que sa mère dut la confier à une maison d'enfants. Hadassa se souvient de la séparation d'avec sa mère, qui lui promit de revenir la voir bientôt, mais dont elle attendit en vain le retour. Elle se souvient que d'autres enfants recevaient des visites de leur parents et c'était d'autant plus pénible pour elle.

Ces maisons d'enfants étaient placées sous la surveillance absolue de la Gestapo, qui interdit d'y confier des enfants dont les deux parents n'avaient pas encore été déportés, ou dont l'âge excédait 16 ans. La nourriture était fournie par le Gouvernement belge, au vu des listes d'enfants internés. Ces listes ont été retrouvées dans les archives du Ministère belge de la Santé, et le nom de Hadassa figure sur la liste de la maison (fondée en 1944) de Esch, surnommée de "Là-bas". Hadassa se souvient avoir été aussi recueillie par une famille non-juive, à qui on la confiait généralement les fins de semaine.

D'après les témoignages recueillis dans le livre Yaldei ha-‘Hayyim, les enfants furent évacués par les Allemands au moment de l'avancée des troupes alliées. Les troupes allemandes s'emparèrent de la maison et y firent beaucoup de dégâts. Les enfants furent répartis dans des familles non-juives des environs jusqu'au départ des Allemands. Ils furent évacués une seconde fois dans ces familles au moment de la résistance allemande dans les Ardennes, lorsqu'il fallut loger les troupes américaines.

A la fin de la guerre, une tante de Hadassa arriva d'Angleterre et la prit avec elle. Elles débarquèrent à Douvres le 23 octobre 1947, comme cela figure sur le passeport polonais de Hadassa. Après un séjour d'un an et demi, Hadassa demanda à partir en Palestine. Sa tante lui réserva un passage sur le paquebot Eilat et elle s'embarqua en compagnie de son oncle paternel.

Le 17 mai 1949, Hadassa débarqua en Israël et fut envoyée au camp d'immigration de Karkour. Elle dut décider entre le courant religieux ou le courant non-religieux. Ayant choisi le premier, elle fut dirigée en mars 1950 vers un internat situé à Tel-Guiborim (appelé à cette époque Tel-Arish) près de Holon. Un an et demi plus tard, elle se joignit à un groupe de jeunes qui s'établirent, en octobre 1951, à Nir Galim. C'est là qu'elle rencontra son futur mari, arrivé avec un groupe de l'Alya des Jeunes. Il leur naquit quatre enfants et ils ont aujourd'hui douze petits-enfants.


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