Un enfant dans la tourmente (suite)
par Yohanan Cohen-Yashar

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Pendant le combat

Route du PoitouL'auto arriva par la route de Limoges à Poitiers, chef-lieu de la Vienne, qui contenait Civray. On descendit une grande côte. En haut était l'école, en bas était le grand pont qui enjambait la Charente. La route continuait sur Ruffec. Ruffec communiquait avec Paris à la longueur de 400 km.

Enfin, on prit par la rue du Commerce.
On s'arrêta devant une grande maison. On fut accueilli par une dame aux yeux noirs. Elle s'appelait Claude Maillet, avec son mari Gaétan. Elle avait avec elle des parents de Paris, Madame Rabaté, son mari, et trois enfants, Annie, Nicole, Jean-Louis.

On nous donna quatre chambres. Et nous étions toujours à manger avec eux. Ils avaient un chien blanc, Bijou, avec lequel Fidel se fit un ami.

Cela embêtait mon père d'être, malgré la belle vie, un mendiant chez des personnes étrangères.

On reçut bientôt une maison pour 4 familles, les (?), les Cremer, les (?). On s'approvisionnait chez (?). On vivait très bien jusque la paix se fit.

L'invasion. Malheur. Des adieux

Nous avions comme voisine Madame Génard, une ancienne amie du comté natal, Mme Massia et Mme Vincent tenant un restaurant, Mme Bachelier tenant avec elle son frère, son fis et son petit-fils. Elle était laveuse.

La cuisine basse et sombre de ma mère était une buanderie. Nous avions une mansarde qui servait de chambre à coucher à mon frère Paul et à Claude, une chambre à coucher et une cave plus une salle à manger et un long couloir.

La nouvelle maison avait trois étages, deux jardins, un portail où je grimpais souvent, un palmier qui gela l'hiver d'après, un poulailler où volaient des pigeons. Devant la porte était la grande place du Marché aux Cochons.
On avait ensemble loué un garage pour ranger nos autos.

Voilà un article du journal :

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TEXTE DU JOURNAL :

LE PETIT PARISIEN - 15 Février

NOUS AVONS PERDU LA GUERRE QUI A DURE DES MOIS
et (dans) la ville de Strasbourg une bataille se déroulait. Nos soldats, faute d'armement, prirent la fuite à travers la ville. Strasbourg, capitale de l'Alsace et de la Lorraine était prise. C'est le lendemain que le Maréchail Pétain ordonna de signer la paix. La France fut livrée aux Boches. Ils ont envahi ce pays.

LES REFUGIES PEUVENT PARTIR
Tous les réfugiés qui veulent devenir allemands peuvent retourner dans leur pays bien envahi par la Bochie.

Tout le monde était en même temps désappointé que joyeux. Les remorques furent chargées dans le garage. C'est là qu'arriva un malheur à mon père. Il chargea la remorque des Muller. Moi, j'étais dans la voiture et je klaxonnais "Coin coin !". Mon père attachait la remorque. Celle-ci, trop lourdement chargée, rebondit en arrière et la corde craqua. Il fut brusquement envoyé au plafond et dans l'air. Il tournoyait comme un plongeur qui sautait du plongeoir, poussé par quelqu'un. Quand il arriva à la maison, après avoir longtemps jeté une regard silencieux sur ces machines qui filaient sur la route Blanche, il dit à ma mère qui lui demandait pourquoi il marchait le dos courbé : "Il ne m'est rien arrivé, sauf que j'ai sauté au plafond et j'ai mal aux reins. Couche-moi, s'il te plaît."
Il dormit longtemps dans la chambre silencieuse où seul ronronnait le tac tac du réveil qui s'arrêtait bientôt.


Pendant la maladie paternelle


Jean-Georges à 9 ans
Le lendemain, mon père resta toute la journée couché. Ensuite il se releva : rien. Il se promena : pas même la moindre douleur. La fin de février s'écoula ainsi. Le premier mars, une petite douleur. Souvent il allait voir le docteur. On le radiographia : un gravier au rein gauche. On coucha mon père.
Je dormais dans la mansarde au-dessus du malade.

Un grand cri se fit entendre. "Paul ! Paul !" Maman criait de toutes ses force. Paul descendit. Des yeux luisants brillaient dans les ténèbres.
- Un chat ?  
- Non ! Ton père ! 
- Est-ce lui qui montre ces yeux verts ?
- Oui mon enfant ! 
Mon père balançait doucement sur le lit qui remue.

"Paul, allume s'il te plaît ! Allume la lumière !"
Ces paroles faibles étaient mêlées de sanglots d'émotion.
La lumière ne s'allumait pas. C'est la ruine ! Vite, au docteur ! Mais à quatre heures il ne sera pas réveillé ? Tant pis !

A ce moment, la lumière commença à briller. Paul marcha d'un pas alerte en direction du docteur. Il revint bientôt.
"Le docteur n'est pas là, Maman."
Le désastre était complet. "à quelle heure sera-t-il là ?" demanda la mère avec émotion.
"Pas avant huit heures !" Tant pis, attendons patiemment.

Trois heures s'écoulèrent, angoissantes et longues.
Enfin, toc toc ! Voilà le docteur.
"Regardez mon mari s'il vous plaît !"
Après l'avoir ausculté patiemment, il prononça ces trois mots :
- Votre mari est malade !
- Quoi ? 
- Une crise d'urémie. Mettez-lui une serviette fraîche sur la figure. Je reviens à midi.

Ce matin justement, aménageat dans la maison vide un nouveau locataire avec sa femme, M. et Mme Marry avec leur chien Chouchou.

Une auto vint s'arrêter devant la porte. Mon oncle Henri et Grand-mère arrivaient. La joie était grande.
"Taisez-vous, Marcel fait une crise d'urémie !"
Le silence et l'angoisse gagnèrent les nouveaux venus.

J'allais déjà à l'école. Il était dix heures quand l'oncle et la grand-mère arrivèrent. Je sortais à midi tapant. J'ai bientôt le plaisir de les revoir.

Avril, mai, rien ! Mais le docteur, le 10 mai, annonça que mon père irait à Poitiers en ambulance, pour l'hôpital Pont à Chards, car en face, était un petit hôtel pour loger Maman. En mai, elle resta là-bas deux ou trois jours. En juin elle rentrait tous les soirs.

Ah ! Voilà les vacances.
Ma grand-mère était seule avec moi. Ma mère et mon oncle étaient à Poitiers au chevet du malade.
J'avais la coqueluche.
Ma mère était embarrassée.
Les épingles rouillaient sur la tête de ma grand-mère en sueur.
Le 14 et le 15 juillet, j'étais à Poitiers.

Le 27, ma mère rentra.
Des discussions sombres se faisaient dans la chambre. On parlait d'enterrement.

Maman descendit à la cave. Elle me dit tout bas à l'oreille :
- Mon cher Jean-Georges, je t'annonce une triste nouvelle : ton père est mort !
- C'est vrai ?
- Oui mon cher.
Des sanglots éclatèrent de ma bouche.


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