Un enfant dans la tourmente (suite et fin)
par Yohanan Cohen-Yashar

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Entre-temps


Photo de famille : Jean-Georges au premier plan avec sa grand-mère, à droite, son cousin
Après la mort de mon père, mon souci ne dura pas huit jours. Celui de Paul non plus.
J'ai oublié de dire que Claude était d'abord à Nantes élève officier de la marine marchande. Puis il est allé dans le monde, et quand j'en entendais parler pour la dernière fois, il était à Saïgon.

Une ligne de démarcation avait été formée.
Paul fit un bateau sur lequel il pouvait monter. Il le partageait avec un ami Guido Fautré et un autre, Cadet Rousseau, fils d'un épicier.

Le Maire (…) mourut et fut remplacé par un bijoutier, Maurice Baillit.

Un jour, Paul alla manger des crêpes de la Chandeleur avec le petit fils du maire, et il en eut une indigestion.
Un autre soir, il fut invité à manger et à boire à l'hôtel du Commerce avec son oncle Henri, une amie de son oncle, Biquette, et un professeur, Luno.
Il mangea et but beaucoup.
Dans la nuit il vomit. Le lendemain, M. Mary vint prendre son balai, et trempa sa main, en plein dans la dégobillade.

Un autre jour, c'était lui-même qui devint saoul. Il rentra à la maison en se dandinant. Il passa une mauvaise nuit dans ses draps froissés.

Le lendemain, un allemand fut tué.
Couvre-feu à huit heures.

Un soir, l'oncle Henri sortit à Poitiers, puis il revint à sept heures un quart. Il dîna chez Vincent en face de chez nous. Il arriva à l'hôtel à huit heures neuf minutes. Un soldat examina sa montre. Il ne dit rien.
Le lendemain, il fut en prison où il resta 54 jours.
Puis on le déporta en Silésie.

Paul cherchait chez des paysans du lait ; tous les jours, on avait trois litres de lait.
Un soir, à sept heures et demie, il n'était pas de retour. Un soldat montait la garde devant le portail. Il rentra à huit heures moins trois minutes. Maman était déjà toute angoissante.

Oncle Henri réservait du tissu pour le vendre à un commerçant. Quelques fois, il l'échangeait contre des denrées alimentaires. Sur sa carte d'identité, il était marqué : Profession : sans.

Un soir, un colis était accompagné de gendarmes. On avait un grenier caché où on rangeait les affaires. Une perquisition : ça y est, nous suivrons tous le chemin de Henri.

Dans une chambre était étalé le tissu. Cette chambre était un cabinet de toilette. Pendant que les gendarmes fouillaient la chambre, Maman se mettait sur la porte du cabinet de toilette.
"Cà va madame, vous pouvez sortir..." Tout se passa bien, on ne trouva rien.

Mais bientôt, Maman abandonna Civray pour Lyon en zone non occupée. Nous nous en sommes sortis comme le poisson d'une maille d'un filet...


Deuxième trajet

On quitta Civray à cinq heures du matin, avec des amis Lévy. On se dissimula dans les bois. On arriva à une ferme. On était huit. On demanda du lait à la ferme.
On répondit à ma mère :
- Pas aujourd'hui, nous avons huit personnes à signaler.
- Vous ne pensez pas que ce soit nous, quand même !
- Non ! Mais je ne peux pas !
- Au revoir…

C'était nous. D'un pas alerte, nous marchâmes vers Charoux.
J'ai oublié de dire que l'année auparavant, ma grand-mère avait passé.
Nous marchâmes 30 km sur la route, à travers la plaine.
Voilà la ligne. L'angoisse gagna tout le monde. On se dissimula dans les feuillages.
Aïe ! Voilà un marécage.
Il faut le contourner à quatre pattes, en se faisant disparaître sous les herbes hautes.
Nos mains et nos pieds s'enfonçaient dans la boue.

Une ferme ! Oui ! C'était de braves gens qui nous accueillirent. On resta dans la grange. Les Allemands patrouillaient devant nos yeux. Bientôt, en route. On traversa une mare. Bientôt il y eut un croisement de routes. Je m'égarais. "Ou ! Ou !" J'entendais des appels. Ah, J'y suis. Je repris bientôt mon chemin. Nous voilà à Mauprevoir.

Dormez les enfants, car les Lévy avaient avec eux un fils et une fille, Bernard et Micheline. Nos parents vont chercher les bagages à la ferme. Le lendemain, on partit en car pour Etvail, Limousin où nous passâmes trois jours à l'hôtel. On prit le train pour Limoges. Là on prit le grand express pour Lyon où nous passâmes un mois en vie familière.

On descendit à la gare Peyrache. On prit le tram 7 pour Boteaux.
Mon oncle Yvan avec ma tante Hélène vinrent nous chercher.
On voyait de loin la grande maison à six étages. René et Betty, mon cousin et ma cousine, m'attendaient au balcon.

La vogue se passait justement à Lyon. Bientôt, on allait ensemble, René et moi, voir les beaux boulevards et visiter les beaux magasins.
Un jour, ma tante décida que nous irions à la vogue et je voguai bien sur les chevaux de bois.

Mme Lévy, ses enfants et son mari étaient à Èze dans les Alpes Maritimes, sur le bord de la mer. On recevait souvent des lettres où elle nous invitait à venir. Ma mère restait indécise. J'espérais toujours partir car je n'aimais pas la ville, manque de liberté. Un jour, Betty court à moi. "Vous partez jeudi", dit-elle. "Chouette ! Chouette ! Chouette ! Chouette !" je chantais. "Chouette ! Chouette ! Chouette ! Chouette !" je disais.

En effet. Jeudi au soir à 11 heures, on quitta Lyon. On nous accompagna à la gare. Un dernier adieu puis on entendit : "luiluilui !" Le chef de gare sifflait ! Orouar ! Bonne nuit ! Le train ronfla péniblement. Une secousse puis on démarra. On entra en plaine. Je dormis toute la nuit. Le lendemain matin, je me réveillai à Marseille par le sifflement du train. Je regardai le paysage. De vertes prairies s'offraient à mes yeux, elles étaient mouillées de fleurs, encore mouillées de l'aurore. Plus loin on voyait des rochers plus loin. Le train s'engouffra dans un tunnel, ce qui me brisa la vue. Quand on sortit, on se trouvait dans un petit village puis dans un champ de blé. Au bout d'un immense jardin, Paul me montra une petite masse d'eau à peine visible : "C'est la mer, elle te semble petite car elle est bien loin". Un nouveau tunnel. Cela ne m'étonnait guère dans cette région montagneuse. Nous sommes en Provence. C'est vrai, on longeait la mer. "Tu vois là-bas le port de Toulon." me dit Paul. En effet, bientôt on s'arrêta dans une gare. Toulon. Deux heures de manœuvres. On longea encore la mer. Nous voici arrivés à Nice puis à Èze. On fut accueilli par les Lévy dans une jolie petite gare ; derrière, montait une allée. Nous montâmes à la villa des Lévy, on déjeuna très bien. On nous montra notre villa. "Le roc fleuri", au fin fond des bois, isolée, seule. On monta à Èze village. La sueur coulait sur le front maternel. On redescendit à Èze. On se baigna tous les jours. Ma mère avait le cafard de Civray, et pleurait jour et nuit. On ne tarda pas à quitter Èze pour Beaulieu-sur-Mer.


Débuts berlugans


Beaulieu-sur-Mer
Beaulieu était une belle petite ville entre Nice et Monaco, dans un petit golf. Le climat était très bon, mais une chaleur épouvantable et des moustiques. Maman pleurait Civray. Le ravitaillement était mauvais, et c'est Paul qui courait les magasins pendant que Maman s'exaspérait, et moi je jouais.

Notre voisine, appelée Mme Vangorel, s'appelait en commun Mme Freddy à cause du surnom de son mari. Elle consolait Maman.

Ma tante Camille avec Betty, vinrent quatre jours, puis elles quittèrent à cause des pluies. Cela remonta le moral de Maman.

Premier octobre, voilà les classes. Maman a du travail. Le cafard disparut complètement.
Rien de nouveau jusqu'au mois de décembre.

Vacances lyonnaises

On fut invité à passer les vacances de Noël à Lyon. Maman décida d'y aller.
Un mardi on fit les bagages, et le soir on prit le train. Le mercredi on était à Lyon. Tout allait très bien là-bas.

A Beaulieu le soleil luisait. A Lyon, les flaques d'eau gelaient. Un froid sec couvrait la campagne.

Dans l'appartement, le chauffage central brûlait, car du charbon mon oncle ne se faisait guère de souci, à cause d'une mésaventure en 1940 :
Le propriétaire dit au nouveau locataire : "Je ne vous loue cet appartement qu'à une condition. Ma cave est pleine de charbon et de bois et je ne veux pas les déménager ! Ça vous va ?" dit-il.  "Oui, très bien !" dit l'autre. Et maintenant, il avait du charbon plein la cave.

Mardi, voilà Noël. Maman reçut de l'eau de Cologne, Oncle Ivan des pralinés, Betty un mouchoir et tante Camille pareil, et Grand-mère des fleurs, et moi, j'avais un jeu de dames. Plus tard, au Jour de l'An, on resta debout jusqu'à quatre heures du matin.

Les jours passèrent très vite dans cette vie familière. Ils passaient comme une minute.
Et le quinzième jour s'étant écoulé, on prit le soir le train pour traverser la vallée du Rhône, puis la Provence.
On arriva à Beaulieu.
On a été très bien accueilli par les Freddy qui nous invitèrent à manger.
Les quinze beaux jours étaient écoulés.

Second et dernier trimestre


Jean-Georges pendant la guerre
Le second trimestre passa comme rien. Rien à signaler de l'état civil.
Pour les classes en janvier, tomba mon rang de deuxième que j'avais tenu jusque là, à troisième. Mais au mois de février, je rattrapais le voleur de place de 14,5. Au mois de mars, tout marchait bien.

Avril ! Avril ! Voilà le printemps qui s'amène ! Les vacances de Pâques ! Vive les vacances ! Avril amena encore la famille lyonnaise, fuyant les boches, sautant les italiens.

Pour moi, c'était une joie vive pendant la saison des bains. Avec Betty et René, je giclais l'eau, je barbotais dans l'eau limpide et claire.
Eh ! Voici les vacances !
Jean-Georges, monte donc à la Bollène Vesubie. A cette colonie tu prendras de l'embonpoint !

La Bollène Vesubie

Le premier jour me plaisait très bien dans cette colonie de vacances.
Le lendemain j'avais le cafard.
Jeudi d'après je fis une escapade. Mais je n'ai pu réussir.
On me rattrapa, alors j'attendis ma mère.

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