Comment raconter les souvenirs d'une rabbine ?
par Colette KAHN
Paris 14 novembre 1925 - Jérusalem 12 décembre 2017


Colette Kahn
(née Colette Lévy)
s'est éteinte
le 12 décembre 2017
à Jérusalem.
תהי זכרה ברוכה
Comment raconter les souvenirs d’une rabbine ? Avant tout je n’aime pas beaucoup ce mot .
Etre rabbine n’est pas un métier mais c’est être la femme du rabbin, et plutôt sa collaboratrice.
Saint- Exupéry a dit (à peu près) "l’amour, c’est de regarder tous les deux dans la même direction". C’est ainsi qu’il me faut définir le rôle du couple rabbinique.

Dès notre mariage, nous savions tous les deux que nous ne resterions pas toute notre vie dans la même communauté, au point que nous disions, en riant, que nous ferions bien d’acheter une caravane. La vie nous a donné raison !

Comment décrire la vie d’une jeune femme de 24 ans dans une petite communauté lorraine ? Mes deux puis trois bébés m’occupaient suffisamment pour ne pas voir le temps passer. Mon rôle se bornait à quelques cours dans les écoles, quelques visites aux malades et aux personnes âgées et surtout à tenir une maison toujours ouverte pour les jeunes. Certains se souviennent peut être encore des sedarim où ils étaient nos hôtes et surtout du cercle d’études du samedi soir où nous discutions beaucoup et surtout où nous nous sentions mon mari et moi de nouveau jeunes avec nos étudiants.
Si l’un d’entre eux lit cet article pensera-t-il encore à “L’éléphant et la question juive” et autres plaisanteries ? Et qui ne se souviendra du théâtre de marionnettes que nous avons fabriqué et des tournées dans la région?

Mais l’expérience la plus riche a certainement été notre expérience à Montpellier. L’Université de Montpellier attire les étudiants de tout le bassin méditerranéen dont beaucoup d’étudiants juifs. Roger nommé à Montpellier en tant qu’aumônier de la jeunesse a vite compris qu’il nous fallait créer un centre communautaire. Ce concept qui commençait à se développer aux Etats-Unis était encore mal connu en France et je pense que notre centre a été le premier en France. Nous pensions qu’il devait être aussi notre foyer et je vous épargnerai les détails d’une installation dans une grande bâtisse où l’appartement du rabbin était imbriqué dans les salles de cours, la bibliothèque et la salle de télévision, sans oublier la grande pièce où les étudiants se réunissaient pour danser le samedi soir.

Ce qui est sûr , c’est que la place de la femme de l’aumônier était prépondérante. Il me fallait être cuisinière pour nourrir midi et soir une vingtaine d’étudiants désirant manger cacher. Il me fallait être professeur au Talmud-Torah ; préparer le petit déjeuner pour les plus grands élèves qui faisaient l’office du matin avant les cours. Il me fallait me creuser la tête pour organiser des activités intéressantes le jeudi après-midi. Il fallait bien souvent consoler une étudiante qui avait des chagrins d’amour, ou héberger un garçon trop malade pour rester seul dans sa chambre. Parfois, bien que mon mari ne soit pas le rabbin il fallait être la rabbine : Wizo,visites aux malades et toilettes mortuaires. Malgré le travail que m’a donné cette période, (Pensez ! A Pessach nous étions plus de cent aux deux sedarim et une soixantaine pendant la semaine) je pense que cette période a été la plus fructueuse de notre vie et certainement la plus heureuse

Roger et Colette Kahn avec les enfants du Talmud-Torah
Après deux cours séjours à Marseille et à Sarcelles que je vous épargnerai, nous voici redevenus lorrains, mon mari étant devenu grand rabbin de la Moselle. Me voici donc, à mon corps défendant “grande rabbine” ! Je pense que mes activités ont été les mêmes que celles de mes collègues et amies dans les autres communautés. Cours au Talmud-Torah et dans les écoles, visites aux malades, visites aux familles endeuillées etc.. Les relations de mon mari avec la commission administrative n’étaient pas toujours harmonieuses, heureusement le Consistoire de la Moselle sous la présidence de l’admirable René Lévy était composé d’hommes remarquable qui lui étaient d’un précieux soutien

Je m’y suis fais de nombreuses amies surtout dans le milieu des wizéennes. Nous préparions ensemble les dîners-débats et j’aimais particulièrement cette activité. Il y avait aussi la “Société des Dames”. Quand la présidente, Madame Léonce Lévy, m’a demandé de prendre sa place j’y ai mis une condition. Il y avait en effet à Metz deux sociétés de bienfaisance féminines : La Société Des dames qui regroupait les femmes autochtones, et les Dames de Bon Coeur formée par les femmes de la communauté polonaise. Cela me paraissait complètement dépassé et je n’ai accepté cette présidence qu’à la condition que les deux groupes n’en forment plus qu’un seul. Je pense que quand dans le monde futur, j’aurai à rendre compte de mes bonnes actions sur cette terre, ma plus grande fierté sera de raconter comment j’ai pris mon bâton de pèlerin pour visiter toutes ces dames et les convaincre de s’unir. Les plus vieilles ont décidé de démissioner, nous nous sommes retrouvées une équipe de jeunes femmes et nous avons bien travaillé ensemble (à titre de curiosité, la vice-présidente issue des Dames de Bon Coeur s’appelait elle aussi Colette et était ma jumelle, comment ne pas s’entendre !)

J’ai aussi aidé mon mari à créer un jardin d’enfants .Cela n’a pas été sans l’opposition de la commission administrative mais avec l’appui du Consistoire dont un des membres Monsieur Gaston Lévy, a mis une maison à notre disposition .Là encore “La Grande Rabbine” s’est transformée en peintre en bâtiment et en cireuse de parquets, mais cela était beaucoup plus amusant que de faire de la représentation dans des cérémonies officielles plus ou moins intéressantes. Je garde un bon souvenir des réunions de la commission administrative du Gan Chochana, des idées géniales qui y naissaient, comme par exemple un défilé de mode enfantine pour renflouer la caisse et de l’humour de certains des membres.

Mais nous commencions à penser sérieusement à monter en Israël. Nos enfants nous quittaient les uns après les autres pour s’y installer. Il était difficile de se préparer à Metz. Donc en route pour Nîmes où le président, un bon ami, était ravi de nous accueillir pour deux ans (nous y sommes restés trois ans et demi). Là encore la vie de la rabbine était celle qu’elle avait menée dans les autres communautés, je n’y reviendrai pas mais je dois dire que le contact avec une communauté sefardite n’avait pas de quoi nous déplaire.

En Juillet 1976 nous sommes enfin venus nous installer à Jérusalem. Je ne garde aucun regrets, ni d’avoir pu servir dans plusieurs communautés, ni d’avoir pu enfin réaliser un vieux rêve et de devenir israélienne. Si c’était à refaire je recommencerais ce chemin avec ses joies et ses peines et les amis qui nous sont restés fidèles jusqu’à ce jour.


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