LA GUERRE
Souffle pascal souffle de liberté
Attendrissement -- Fermeté
par le rabbin Mathieu WOLFF
Extrait de l'Univers Israélite, 19 mars 1915

Belfort, le 19 Mars 1915         

Peinture sur verre de © Martine Weyl


Les neiges sont fondues ; la vie renaît dans les champs en même temps que l'espoir dans les cœurs. C'est Pâque ! Fête du renouveau dans l'ordre physique, fête de la résurrection dans l'ordre moral. Si l'éternel rajeunissement de la nature nargue toutes les forces de destruction, l'incompressible essor de Pâque se moque de toutes les contraintes.

Nous traversions ces jours-ci des bois dont les arbres, victimes eux aussi de la guerre, ne reverdirent pas cette année. Ils reverdiront plus tard. La sève d'avril ne débordera pas dans les chênes et les hêtres déchiquetés par la mitraille ; mais le sang vermeil de nos soldats, coulant au pied des troncs mutilés, en ce rouge printemps, 1es fécondera pour les floraisons à venir.
Pareil à celui de l'agneau pascal, il annonce la fin de nos maux.
C'est l'indice tragique de notre libération.

Rappelez-vous la veillée de l'exode biblique, lél chimourim. Assis autour de la table, le bâton de voyage à la main, le manteau de pèlerin sur les épaules, la ceinture aux reins, Israël ne dort, ni ne sommeille. Infatigable sentinelle, il observe l'ennemi, toute la nuit. Dans quelques heures, il quittera la terre d'esclavage ; à l'aube du jour il sera libre. Ii faut être prêt. Nos soldats, eux aussi, montent la garde, sous le ciel étoilé, vigilants et fermes et épient le moment, où, par-dessus les vallons et les montagnes, retentira la dernière sonnerie du clairon libérateur.

Ah, la vie digne et belle de la vraie beauté morale que nous allons vivre ! Souvenirs, émotions, espérances, hautes pensées, sentiments élevés, nobles résolutions, tout ce qui donne du prix à notre existence surgit, comme par enchantement dans les profondeurs de notre être. En cette charmante fête de Pâque, si évocatrice pour le cœur israélite par l'atmosphère de discrète intimité et de confiance qu'elle répand dans nos foyers, nous revivrons doublement toute cette réconfortante vie de l'âme. Nous prendrons place avec plus d'attendrissement et de mélancolie peut-être à. la table familiale du Séder — car plus d'un siège restera inoccupé — mais nous ne nous y assoirons jamais avec plus de ferveur ; nous verserons sans doute aussi des larmes au souvenir des chers absents, mais nous n'en verserons jamais d'aussi douces ni d'aussi pures.

Mais s'émouvoir, ce n'est pas s'amollir. L'émotion trempe la volonté et ne la brise pas. Certes notre pauvre cœur et surtout le cœur de nos femmes et de nos mères souffre au-dessus de tout ce que l'on peut imaginer. Mais loin de fléchir au contact de leurs douleurs, notre courage se fortifie dans le voisinage de nos sœurs. Elles demeurent les grandes consolatrices. Semblables à leurs aïeules de l'Écriture, nos compagnes nous soutiennent, nous donnent l'exemple d'une constance admirable et d'une fermeté stoïque. "C'est au mérite de la femme, s'il en faut croire nos Sages, qu'Israël a dû de rompre enfin le joug de la servitude". C'est dans la conscience féminine, suprême et inexpugnable asile de la foi, de la bonté et du dévouement, que l'humanité, selon les commentaires traditionnels de la Pâque juive, continuera de puiser force, vaillance et espoir.

Ce dernier enseignement de Péçah n'est pas celui qui nous agrée le moins. Il nous plaît de voir les tristesses de l'heure présente, adoucies et rachetées par le tendre et confiant regard de la femme. Ce que femme veut, Dieu le veut, dit un vieil adage. La jeune française veut la victoire. Nous l'aurons.



Voir notre dossier :
La première guerre mondiale vécue par les Juifs d'Alsace et de Lorraine


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