INSTALLATION SOLENNELLE

DE

MONSIEUR LE RABBIN

JACOB KAPLAN

DANS LA

SYNAGOGUE DE MULHOUSE

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Dimanche, le 17 septembre 1922

(Plaquette éditée à l'occasion de l'entrée en fonction du Rabbin Kaplan à Mulhouse. Nous tenons à la disposition des lecteurs intéressés le texte intégral de ce document. Les photographies ne font pas partie de la plaquette originelle, qui a été publiée sans illustrations - N.d.l.R.)

Le poste de Rabbin de la communauté israélite de Mulhouse a été déclaré vacant en janvier 1922 du fait de la demande de son titulaire Monsieur le Rabbin Félix BLUM d'être mis en état de retraite. Un concours a été ouvert peu de temps après. Le choix de la communauté s'est porté sur Monsieur le Rabbin JACOB KAPLAN, du Séminaire israélite de Paris, qui a obtenu tous les suffrages de la Commission administrative, réunie en séance le 11 avril 1922. Dans sa délibération du 7 mai 1922 le Consistoire du Haut-Rhin a ratifié à l'unanimité l'élection de la Commission administrative en nommant Monsieur le Rabbin Kaplan titulaire du poste rabbinique de Mulhouse. La nomination a été approuvée par M. le Commissaire Général de la République, à Strasbourg, par arrêté en date du 19 août 1922.

L'installation du nouveau pasteur dans ses fonctions de Rabbin de la Communauté israélite de Mulhouse eut lieu le dimanche 17 septembre 1922 à 10 heures du matin. Cette cérémonie se déroula avec le plus vif éclat devant une affluence des plus considérables. Des fleurs et des drapeaux ornaient la synagogue. Tous les lustres étaient allumés.

La cérémonie fut présidée par M. EMILE LANTZ, Président du Consistoire israélite du Haut-Rhin.

M. ARMAND BLOCH, Président de la Commission administrative, reçut les représentants des autorités civiles et militaires, ceux de la presse, ainsi que les Rabbins et Présidents des communautés avoisinantes qui avaient répondu en grand nombre aux invitations faites par la Commission administrative.

Parmi les invités il y eut, entre autres :

· M. Gasser, Sous-Préfet de l’arrondissement de Mulhouse,
· M. le Colonel Mourier, Commandant d'Armes intérimaire, représentant M. le Général Taoums,
· M. Drumm, Président du Conseil Général,
· M. Wolff, Maire de la Ville de Mulhouse,
· M. Rémy, Adjoint au Maire .

M. le Rabbin Kaplan fit son entrée dans la synagogue, accompagné par M. LANTZ, Président du consistoire du Haut-Rhin, M. le Grand-Rabbin WEILL de Colmar, Grand-Rabbin de la circonscription, MM. JULES BLUM, de Colmar, et FERNAND DREYFUS, de Mulhouse, membres du Consistoire.

La cérémonie commença par le chant de Borouch habô exécuté par le chœur et l'orgue. 

Après lecture du décret de nomination,

M. EMILE LANTZ

Président du Consistoire du Haut-Rhin,
procéda à l'installation de Monsieur le Rabbin Kaplan
par le discours suivant : 

(Il adresse ses vœux au rabbin sortant, Monsieur Félix BLUM, qui part à la retraite, et fait l'éloge du Rabbin Kaplan, dont il rappelle les faits de guerre et les décorations.)

M. le Grand-Rabbin ERNEST WEILL

Grand-Rabbin de la circonscription du Haut-Rhin
prononça le sermon d'installation suivant :

(Il félicite le Rabbin Kaplan pour sa nomination. Il médite sur les enjeux que doit affronter un « chef spirituel » et lui prodiguant ses conseils tout en lui offrant son aide.)

 « …Oui, c'est une mission providentielle qui vous est confiée, vous n'en doutez pas, mon cher collègue. Vous lui consacrerez toutes vos facultés, toutes vos pensées, tout votre être. Vous remplirez cette mission en expliquant aux fidèles de votre communauté la grandeur et la poésie de ces cérémonies juives qui répandent l'harmonie du ciel dans les plus humbles demeures ; vous leur ferez comprendre que nos traditions n'ont rien à redouter des admirables progrès de la science moderne ; vous leur démontrerez que la bienfaisance et la probité, si nécessaires et si respectables qu'elles soient, ne suffisent cependant pas à assurer parmi nous ce magnifique et touchant respect filial qui est peut-être la plus belle création de noire sainte religion et que notre vie de famille a besoin, pour être noble et belle, de la lumière et de la chaleur que rayonne la Torah…. »

M. ARMAND BLOCH

Président de la communauté israélite de Mulhouse
souhaite la bienvenue à M. le Rabbin Kaplan en ces termes :

(Il se réjouit d'accueillir un jeune rabbin, qui vient « avec cette auréole du soldat qui a porté l'uniforme bleu horizon ».)

« …La grande guerre, où vous avez si vaillamment défendu le sol de la Patrie mutilée, vous a mûri plus tôt que bien d'autres. Mais vous venez ici précisément avec cette auréole du soldat qui a porté l'uniforme bleu horizon, emblème de la liberté, cette liberté que nous appelions de toutes nos forces, et ce n'est pas sans fierté que je tiens à vous rappeler que vos futures ouailles, vos frères israélites de Mulhouse, ont été les plus farouches piliers des idées françaises que 47 ans de servitude n'ont pas ébranlés, témoins ces psaumes français fièrement gravés sur les murs de notre temple que jamais nos oppresseurs n'ont pu nous faire enlever ; et aujourd'hui encore, brisant avec bien des traditions alsaciennes, c'est à Paris même, au cœur de notre France bien aimée, que nous avons cherché celui qui va devenir notre directeur de conscience…. »

Le Rabbin Kaplan (au centre, portant la Croix de guerre) avec la commission administrative de la synagogue de Mulhouse - document fourni par Madame Marlyse Rein

Monsieur le Rabbin JACOB KAPLAN

répondit par le sermon suivant :

 

« Ce jour, c'est l'Éternel qui l'a préparé, réjouissons-nous
et célébrons-le par notre allégresse. » (Ps. 118, 24 )

Chers frères et chères sœurs,

 Au moment de prendre possession de mon poste rabbinique, ma première pensée va à Dieu, le Maître de nos destinées, qui a permis le rare honneur qui m'est fait aujourd'hui. En cette heure si émouvante par elle-même, puisqu'elle marque pour moi le début de mon activité pastorale, si grandiose par le décor magnifique dans lequel elle se déroule, si solennelle enfin par l'affluence innombrable qu'elle a attirée et par l'assistance empressée des notabilités de la ville et de la communauté, en cette heure unique, c'est vers Dieu que j'élève mes regards et mon cœur, publiant comme le psalmiste ma reconnaissance immense pour la grâce manifeste dont il a daigné me rendre l'objet :

« Ce jour, c'est l'Éternel qui l'a préparé, réjouissons-nous
et célébrons-le par notre allégresse. » (Ps. 118, 24 )

Chers frères et chères sœurs, j'ai un devoir bien doux à remplir à votre égard : c'est celui de vous exprimer à tous, membres de cette imposante communauté, mes sentiments de profonde gratitude, sentiments de gratitude qui ne sont pas d'aujourd'hui, mais qui datent du jour où il m'a été donné de prendre la parole pour la première fois du haut de cette chaire sacrée. Permettez-moi d'en adresser l'hommage à votre aimé président et aux membres tant dévoués de votre commission administrative qui, après avoir pris en considération une modeste candidature, ont fait, en votre nom, à cette candidature le plus beau sort qu'on pût rêver : groupant sur elle l'unanimité de vos suffrages. Cette unanimité, que votre cher président a rappelée lui-même tout à l'heure en y joignant ses meilleurs souhaits de bienvenue, ce dont je lui sais un gré infini, cette unanimité, je me plais à l'évoquer en ce moment, non pas dans un esprit de vanité qui serait tout à fait déplacé dans ce temple consacré au Seigneur, (car, faveur, dignité, succès, c'est de Lui que nous les tenons et notre mérite n'est rien en regard de Sa grâce), mais parce que j'y vois la preuve d'un complet accord de vues et de pensées entre vos élus et le nouveau pasteur, accord précieux, au-delà de ce que je puis dire, pour la tâche délicate qu'il a à mener à bien, et qui, s'étant établi ainsi dès le premier abord, se fortifiera, il l'espère, de jour en jour, avec l'aide de Dieu qu'il invoque aujourd'hui plus ardemment que jamais.

 Je dois, mes frères, des remerciements très chaleureux au Consistoire du Haut-Rhin qui a ratifié unanimement aussi le vote de vos mandataires. Nous avons à Mulhouse un privilège : c'est celui de compter au nombre des fidèles de notre synagogue le respecté président de cette commission supérieure. C'est là un véritable privilège et je m'en réjouis de tout cœur. Nul doute que, malgré la réserve dans laquelle il s'est tenu en sa qualité de président du Consistoire, son opinion n'ait été d'un grand poids dans le choix du rabbin de sa communauté. Comment celui-ci ne se féliciterait-il pas de s'être acquis une si haute et si bienveillante sympathie et ne se montrerait-il pas touché des paroles de bienvenue entendues de sa part tout à l'heure ?

 La consécration religieuse de cette installation venant du Grand Rabbin de la circonscription, dont la notoriété en matière rabbinique est des plus grandes, reçoit de ce fait un lustre particulier. Je l'en remercie bien sincèrement ainsi que de ses conseils autorisés et de l'intérêt affectueux qu'il a bien voulu me témoigner et suis heureux de me voir inaugurer mes fonctions sous ses auspices.

 Mais je n'en finirais pas, mes frères, si je voulais formuler ici et dire à tous les paroles de reconnaissance dont mon cœur déborde. Laissez-moi cependant remercier à mon tour les hautes personnalités civiles et militaires de notre cité, les premiers représentants du Gouvernement, de l'Armée, du Département et de la Municipalité dont la participation à cette fête en rehausse si grandement l'éclat et qui, par leur présence, étendent singulièrement la portée de cette cérémonie, nous montrent, par delà les murs de cette enceinte sacrée, la ville tout entière s'associant à la joie de sa communauté israélite.

 Je tiens à rendre hommage aussi à mes chers et très estimés collègues du Rabbinat qui ont répondu avec tant de bonne grâce à l'appel du pasteur et de la communauté. Leur venue en ce lieu, à cette heure, est un honneur pour moi et une marque de cordialité dont je sens tout le prix et que j'ai plaisir à leur faire savoir ainsi publiquement.

 Mes frères, c'est le sort spirituel de votre communauté que vous me confiez aujourd'hui, et cette redoutable responsabilité, je l'envisage avec l'émotion légitime que vous comprenez. Cette grave pensée qui a de quoi émouvoir tout rabbin en pareille circonstance me trouble d'autant plus que je vais assumer la direction religieuse d'une communauté qui figure parmi les plus importantes de notre pays.

 Certes, j'ai conscience de n'avoir encore rien fait qui m'ait valu semblable poste d'honneur. Je le dois à la confiance toute spontanée que vous m'avez accordée. Aussi veux-je prendre l'obligation sacrée de répondre à votre attente, de justifier votre choix par une inlassable activité. Je ne puis, mes frères, invoquer l'expérience que donnent l'âge et la longue pratique du ministère rabbinique, mais je puis invoquer un dévouement absolu à ma mission et un désir ardent d'y consacrer toutes mes forces ; mais j'ai foi en l'assistance divine ; je sais que Dieu aide à qui veut bien faire ; je sais aussi que je puis compter sur le concours le plus cordial de la commission administrative et du consistoire ; ainsi soutenu, ainsi entouré, j'ai la belle espérance de me rendre digue des pasteurs qui m'ont précédé dans la communauté, d'être en mesure de poursuivre leur œuvre, de la mener à bien à mon tour. En cet instant où je prends place à leur suite, je tiens à leur donner un souvenir ému, présentant un hommage particulier à mon vénéré prédécesseur Monsieur le Rabbin Blum, m'associant en même temps aux paroles et aux vœux qui lui ont été adressés ici et me félicitant d'avance de pouvoir recourir le cas échéant à sa connaissance complète des choses de la communauté.

 Est-il nécessaire, mes frères, de parler programme dans une communauté qui a des traditions aussi solidement assises que la nôtre, si ce n'est affirmer qu'on veut les continuer et même les fortifier si possible. Ces traditions, d'ailleurs, ne méritent-elles pas attachement sans réserve de notre part, elles qui constituent la parure de nos communautés alsaciennes et lorraines à Deux mots les résument : Patrie, Religion ; formule saisissante dont se réclame à juste titre le judaïsme tout entier de notre pays, mais qui est, pour ainsi dire, plus intimement gravée dans le cœur des israélites de nos deux provinces reconquises. N'est-ce pas, frères et sœurs, que vous n'entendez rien renier de cette glorieuse devise qui, sur le premier point tout au moins, a reçu de nos jours la plus éclatante des confirmations à Et bien, c'est à ces traditions que nous voulons faire honneur, et nous y parviendrons certainement, si, à l'exemple de notre zèle patriotique, nous redoublons d'efforts et d'ardeur pour la cause également sainte de la Religion.

 Grâce à Dieu, les ressources intellectuelles, morales et matérielles ne manquent pas dans notre communauté ; les bonnes volontés non plus. C'est à elles toutes que je fais appel dès aujourd'hui. Travaillons en commun à la prospérité de notre communauté, mais disons-nous bien que cette prospérité ne se mesure pas uniquement à notre importance numérique ou à notre richesse matérielle, qu'elle se mesure aussi, qu'elle se mesure surtout à notre ferveur religieuse, à notre valeur morale, en un mot, à la qualité de notre judaïsme.

 Faisons donc, frères et sœurs, que notre communauté atteigne une prospérité comme il faut la comprendre, comme il faut la vouloir. Groupons ensemble nos bonnes volontés, nos efforts, nos activités, dirigeons-les dans ce sens ; nous nous trouverons ainsi avoir réalisé le programme le mieux approprié à nos nobles traditions.

 J'ai terminé, mes frères. Auparavant, appelons encore la bénédiction divine sur l'œuvre à accomplir. Prions Dieu de susciter en nous les résolutions nécessaires, de les faire fructifier dans nos âmes, puis de les faire aboutir en résultats féconds :

« Que la bienveillance de l'Éternel, notre Dieu, soit avec nous,
fais prospérer l'œuvre de nos mains,
oui, l'œuvre de nos mains, fais la prospérer ! » (Ps. 90, 17)

A m e n .

Chers frères et chères soeurs,

Que l'Éternel vous bénisse et vous protège.
Que l'Éternel vous éclaire de sa grâce et vous soit favorable.
Que l'Éternel tourne ses regards vers vous et vous fasse jouir en paix de ses bénédictions. ( Nombres 6, 24 à 26)

A m e n .
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 L'on procéda ensuite à la sortie du Rouleau de la Loi et M. le Rabbin Kaplan récita la prière pour la République.
Les chants qui accompagnèrent cette partie de la cérémonie, exécutés par M. WOLF, ministre officiant et le chœur impressionnèrent vivement l'assistance.
Après le chant du psaume 150 qui mit fin à la solennité, les invités présentèrent leurs félicitations au nouveau chef spirituel de la communauté de Mulhouse.

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