PESSAH JADIS AU VILLAGE
à Niedervisse en Moselle…
par Alphonse CERF

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Combien sommes-nous encore à ce jour, nous Juifs originaires des villages lorrains, à nous souvenir comme jadis fut préparée et vécue Pessa'h, la Pâque juive au village ? Dans peu de temps… qui pourra raconter ou transmettre aux nouvelles générations comment nos petits Killess célébraient si intensément cette première fête, après les longs et souvent difficiles hivers dans les campagnes ?

C'est donc pour moi, issu d'un village dans lequel en 1905, sur une population composée de deux communautés, la catholique et la juive, soit environ 200 personnes, y vivaient 94 juifs, soit près de la moitié du village. Ces Juifs y étaient venus vers l'an 1750. Ils y avaient construit une Schule et y avaient également leur Beïss-aulom

Alphonse Cerf
Donc, dès après Pourem (Pourim), commençait très très activement et sérieusement la Peïssah-Butz ou Peïssah-Erleth : les préparatifs pour Pessa'h. Ce qui n'était pas du tout une mince affaire…

Dans chaque maison juive… grand branle-bas de la cave au grenier… tout allait devoir être Peïssachtik. Il n'y avait dans nos maisons qu'un seul étage avec les chambres, en général chambres à coucher. Le plan ou plain-pied, le bas, était composé de la cuisine et de la salle à manger. Il y avait aussi caves et greniers, donc tout cela à… nettoyer.

Chaque maison avait en règle générale deux greniers : le grenier dans lequel on rangeait tous les surplus non nécessaires au bon fonctionnement du ménage, l'autre grenier on le désignait sous le nom de… Heïspeicher : grenier à foin ou paille (Heuspeicher en allemand), car chaque maison ou famille juive avait écurie ou étable, des bêtes domestiques, d'où la nécessité d'avoir ce grenier pour nourrir les animaux. Seul le grenier dans lequel étaient rangées les affaires de la maison devait être nettoyé pour Pessa'h.

Il faut également et surtout noter que cette période pré-pessa'htique, c'est-à-dire mars-avril… correspondait avec le réveil printanier de la nature. Et comme chaque maison juive avait comme les non-juifs un jardin potager derrière chaque maison, il fallait en plus du Peïssahbutz… bêcher les jardins afin d'y semer ou plante les semailles de printemps, tout ce qui tout au long de l'année allait être nécessaire pour la nourriture de la famille. Ce surcroît de travail en cette même période était très difficile, surtout quand il concernait des personnes âgées ou des veuves.

Page de garde d'une Hagadah (rituel pour la cérémonie de Pessa'h) manuscrite, datant de 1746 - Bibliothèque Nationale Universitaire de Strasbourg
Donc, dans toutes les maisons… on travaillait très très dur… Toutes les pièces de la maison étaient nettoyées de fond en comble. Placards, armoires, étagères… Mais la salle à manger dans laquelle on ne mangeait qu'aux grandes occasions étaient particulièrement traitée. Le plancher était ciré et je revois nos vaillantes femmes juives cirer leurs planchers, à genoux avec leur boîte de cire ou encaustique, je me souviens encore de la marque, "Le Soleil". Ensuite elles faisaient briller ces parquets, toujours à genoux avec leurs chiffons de laine, et ce n'était en tous cas pas le moment de les déranger… Et si par malheur nous les enfants, nous nous approchions trop près avec nos tartines de pain, beurre et confiture, nous étions quasi-sûrs de recevoir maints coups de manches à balais ou brosses en conséquence…

Cuivres, argenterie… tout passait à la "géoline", c'était le nom du produit employé pour ces choses-là.

Les habits de toute l'année étaient sortis des armoires et suspendus dans le jardin, aux fils ou d'habitude on séchait la lessive. Toutes les poches des vêtements étaient retournées pour en extraire le cas échéant des "grimells" : miettes de pain ou de gâteaux, ou autres sucreries…
Quand les armoires à linge étaient nettoyées, on y rependait vêtements et autres, mais nantis amplement de naphtaline contre les motten (mites) : Mottenpulves.

Une autre tellement importante et tellement invraisemblable anecdote :
Comme je l'ai écris : les chambres étaient généralement situées à l'étage, avec leurs planchers en bois. Sous ces chambres, donc en bas, étaient cuisine, salle à manger…
Dans notre village, il y avait un menuisier catholique ; son nom : Zimmermann. Environ un mois avant Pessa'h, il était constamment occupé par les Juifs du village. Allant avec son échelle d'une maison juive à l'autre, il avait une lime. Il enlevait la partie qui protégeait le manche de la lime, et avec cette fine et mine partie, il recherchait entre les planchers toute miette ou autre qui aurait pu s'y trouver, dans les rainures entre les planches.

Ecrire et transmettre cette anecdote me paraît être nécessaire afin d'honorer tous les braves juifs de mon village, dont la méticulosité dans l'accomplissement des règles religieuses allait jusqu'aux moindres détails. Qui de nos jours ferait encore cela ? Qui ?

Parmi les multiples préparatifs concernant Pessa'h il faut encore noter certains détails ou anecdotes d'importance :
Nos maîtresses de maison changeait également le contenu des boîtes servant à faire Afdaule. Elles les vidaient et y remettaient de nouveaux clous de girofle ou de la canelle... Quant aux hommes, en particulier les fumeures de pipes, ils avaient tous une Neïe Peïff pour Pessa'h, c'était une règle absolue...

Les femmes ou encore les jeunes filles juives du village voulaient être belles pour Yonteff... aussi avaient-elles chacune sa couturière préférée. Dans le village, il y avait une brave couturière : la Marilé, qui était au plein emploi. Il y avait encore au tout proche village, situé à environ deux kilomètres, Obervisse, deux autres couturières : la Marcelline et la Emma.
Elles venaient chez nous pour les essayages des nouvelles robes... Aussi, lors des jours de Yonteff, les commérages allaient bon train concernant les nouvelles "toilettes", ou chapeaux et même chaussures de ces dames. Ca papotait dur dur après la Schule.

Quant aux hommes, et selon les moyens financiers du ménage, il y avait dans deux ou trois villages tout proches de Niedervisse quelques braves tailleurs. Eux aussi venaient plusieurs fois au village chez leurs clients pour anprobieren le nouveau costume. Comme à l'époque nous n'avions ni le temps ni les moyens de transport pour aller à Metz, située à environ 33 km de chez nous, c'étaient donc les braves tailleurs ou couturières qui nous habillaient de neuf pour Yonteff.

Peut-être faut-il noter que les cadets ou cadettes... héritaient des vêtements ou habits des aînés qui avaient grand, ce qui représentait une sérieuse économie pour les parents, pareil pour les chaussures de Chabess ou Yonteff.

Cela existe-t-il aussi de nous jours ? Plus de tailleurs ni couturières dans nos villages...

Assiette utilisée pendant la fête de Pâque
coll. M. et A. Rothé
Quand enfin, les ou la maison étaient à peu près "yontefftik" et qu'on approchait de Pessa'h, on allait à Boulay un Sunntiksmorje, acheter à l'épicerie juive Lévy tous les produits koscher-peïssahtik. On ramenait tout cela à la maison, et l'on rangeait le tout dans une pièce à laquelle seulement la maîtresse de maison avait accès… d'ailleurs elle fermait cette pièce à clé, d'où impossibilité d'y rentrer pour nous enfants…

Arrive le dernier dimanche matin avant Pessa'h : les hommes sont à la maison et on va allumer un grand feu dans le jardin, derrière la maison : les mamans vont apporter tous les ustensiles de cuisine en fonte, et on va les "gliehess" : les faire rougir au feu afin d'éliminer les graisses ou autres. Il faut que les dits ustensiles passent ensuite à l'eau, et ils seront utilisables pour cuisiner pour la fête. On les tournait et retournait dans la braise rouge du feu…

La toute-dernière semaine précédant la fête, toutes les femmes valides ou solides vont aller laver, préparer, nettoyer la Schule. Astiquer les Leïchter, laver le plancher et le carrelage, nettoyer les armoirettes de chaque place, tiroirs etc… Laver, repasser les draperies recouvrant l'Oren Hakaudèsh et l'Almèmer ; remettre de nouvelles Kertzen. Bref, la Schule sera elle aussi yontefftik.

Un ou deux jours avant Yonteff, une ou deux personnes juives du village iront à Metz, au marché couvert, place de la Chambre, à la halle aux poissons, et ramèneront les carpes que chaque famille leur auront commandées. D'ailleurs, de toutes les communautés ou presque, on venait à Metz chez Clément, acheter les carpes pour Pessa'h.

Voici enfin arrivé le Hometz-Batteln.

Nous suivons notre Papa et Maman, une bougie allumée, une Fedderwich, une belle serviette damassée blanche, et d'une pièce à l'autre de la maison, les chefs de famille vont ramasser le morceau de pain préparé sur un morceau de papier… Puis tout sera enveloppé dans la serviette, on dira la Berokhe… et on mettra de côté soigneusement cela pour être brûlé demain matin à l'heure prévue.

Voici enfin venue Erev-Yonteff.

Tous les be'horim doivent fachten jusqu'à midi ½ à peu près.
On change dans la matinée les vaisselles. On descend du grenier ess yontefftik Gescherr, et l'on ramène aussi de la chambre les produits koscher lePeïssah.

Les ménagères donnent un ultime coup de balai et lavent cuisine et corridors (carrelages). Puis elles cuisinent et aussi préparent la Seïderplatt (le plat du Seder). Comme on a tout sur place : Kreïm, persil, oeuf… ce sera assez facile à faire.
Mais et surtout nos mères de famille ne manquent jamais de nous faire les "Matzenknepplich" que nous attendons tous dans notre soupe du soir : boulettes de farine de matza roulées à la main et qui, mises dans la soupe, gonflent et font partie de notre rite ashkeness

Et aussi reviennent au village pour passer Peïssah en famille nos garçons ou filles, partis gagner leur vie ou préparer leur avenir dans des villes d'Alsace ou de Lorraine, même certains bien plus loin encore, mais pour Peïssah on revient à la maison. D'autre part, des proches ou autres parents viennent également passer au moins les deux premiers jours dans leurs parentés respectives, ce qui anime un tant soit plus l'ambiance de la Schule. Et tous ceux-là auront le Kowed d'être appelés à la Torah durant ces jours de Yonteff.

Illustration d'une Hagadah (rituel pour la cérémonie de Pessa'h) manuscrite, datant de 1746 - Bibliothèque Nationale Universitaire de Strasbourg

Nous voilà donc arrivés au Seïdernaacht, la soirée pascale.

Après la sortie de la Schule, et en attendant la tombée de la nuit pour commencer le Seïder, il faut encore donner à manger ou à boire aux Beheïmess im Schtall , bien sûr.

Puis va commencer le Seïder… puis le repas… et ensuite nous, les enfants devrons aller ouvrir la porte pour le Chefaur Hamoncho
J'avais toujours un peu Eïme de faire cela.

Puis vont passer les deux jours de Yonteff avec l'Aumer au deuxième soir…

Dès le premier jour de Halemoth, chaque maison juive, c'est-à-dire nos maîtresses de maison, nous emballaient dans une belle serviette damassée blanche deux ou trois Matzen que nous, les enfants, devions porter à nos voisins non-juifs, catholiques, cela en raison de nos bons liens de voisinage. Aussi allais-je avec ma sœur porter des Matzen à plusieurs de nos amis goys du village.
En retour, nous rapportions de leur part des Ostereïer mais non colorés… ils connaissaient nos règles….

Il arrivait assez souvent que Peïssah coïncide avec les Pâques chrétiennes. Au cours de ce qui s'appelait la "Semaine sainte", la tradition catholique était que les cloches de l'église du village étaient parties à Rome pour y être bénies, et n'en revenaient qu'au samedi… veille des Pâques chrétiennes. Durant toute cette semaine dite sainte, c'étaient les garçons de l'école qui trois fois par jour traversaient le village avec leurs crécelles pour annoncer l'heure des prières aux catholiques. Ce qui pour nous nous permettait de savoir quelle heure il était ou à peu près.

Voilà donc ce que fut jadis Peïssah à Niedervisse.

  Alphonse Cerf, Jérusalem
Enfant de
Niedervisse


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