L'arbre, emblème du développement durable
par le Rabbin Claude HEYMANN

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Une lecture attentive du récit de la Création révèle d'emblée combien notre cadre de vie est important pour le judaïsme; en effet Adam, le premier homme, est placé dans le Jardin d
'Éden pour "le travailler et le garder" (Bereshith 2:15).
Le terme "garder" peut vouloir dire tout simplement : traiter avec soins et protéger contre tout dommage. Si la vocation d'Adam et Ève dans le Jardin d'Éden est d'une haute portée spirituelle, leur vie n' en est pas moins ancrée dans le concret.

Le statut d'Adam est bien celui d'un gardien. Ce terme sous-entend que ce Jardin est la propriété d'un Autre et bien que l'homme soit jugé digne de le garder et de l'entretenir, le cadre de vie dans lequel il se trouve placé par D.ieu ne lui appartient pas. La relation à la nature est donc présentée sous le mode d'une mission de conservation et de fructification
confiée par Hashem à Adam, cette mission s'impose à lui comme un devoir.

Qu'en est-il des hommes une fois sortis de l'Eden ? Sont-ils dégagés de toute responsabilité vis à vis de leur cadre de vie ? Certes non, la Thora nous enjoint de préserver la nature qui
concourt aux besoins de l'homme, de ne rien détruire sans raison : "Si tu es arrêté longtemps au siège d 'une ville que tu attaques pour t 'en rendre maître, tu ne dois cependant pas détruire les arbres portant sur eux la cognée : ce sont eux qui te nourrissent, tu ne dois pas les abattre. Oui l'arbre du champ, c'est l'homme même" (Devarim 20:19-20).

Au delà du monde végétal en général, ce précepte est étendu par les Sages à l'ensemble des éléments qui assurent notre survie. Il nous commande de préserver l'environnement, les écosystèmes, la qualité de l'air, des eaux...

Le Centre d'observation des oiseaux à Jérusalem

On pourra citer bien d 'autres lois concernant l'environnement, prenons l'exemple des villes, elles doivent être entourées d'une ceinture verte de deux mille coudées de rayon attenant à la ville appelées migrash ha-'ir ( Vayikra 25:34 et Bamidbar 35).
Un premier terrain communal de mille coudées est réservé aux animaux, aux biens meubles et autres agréments de la vie des citadins. Les autres mille coudées sont des champs et des vignobles. Ces terrains ne peuvent en aucun cas être vendus. Ils sont destinés à la préservation de la santé des habitants.

Le souci de la Torah s 'étend aux mesures d 'hygiène publique : ainsi en est-il de la gestion des ordures à Jérusalem fortement réglementée, aucune décharge ne peut être installée à l'intérieur des murs de la ville, les cendres du Temple doivent être rejetées suffisamment loin pour qu' elles ne puissent pas être ramenées par le vent. Pour protéger la qualité de l'air l'établissement d'une aire de battage à moins de cinquante coudées de la ville est interdit ; il en est de même pour l'équarrissage, les tanneries et les cimetières.

Ce sont là des règles minimales de protection de l'environnement dans une économie qui ne remet pas en jeu les grands équilibres. Mais de nos jours, face aux risques graves que font peser nos comportement et l'industrialisation à outrance sur l'avenir de la planète, soulignés jours après jours par les experts, ces règles d'hygiène et de protection des sites ne suffisent
plus. Un nouvel élément doit être pris en compte : l éventualité d 'une destruction de grands équilibres de la nature , avec pour corolaire la mise en péril de la santé voire de la vie.

La question est donc de savoir comment prendre en compte la mesure des risques, comment les évaluer et quelles conséquences en tirer dans nos comportements et dans nos choix.

Au niveau philosophique Hans Jonas dans son ouvrage l'Éthique de responsabilité a élaboré une éthique de la préservation : nous serions impérativement tenus de transmettre aux générations futures les possibilités offertes par la nature telles qu' elles nous ont été léguées. Il s 'agit en quelque sorte, d 'envisager le pire et donc de tout mettre en oeuvre pour l'éviter. C'est ce en quoi réside le principe de responsabilité.
A cette théorie qui érige en dogme incontournable le principe de précaution, d 'autres répondent qu' on risque bel et bien de paralyser toute action voire toute innovation. Il n' y a pas d'action sans risque et dans bien des cas le plus grand risque est celui de ne pas agir.

Du point de vue de la Halakha on pourra dans la même perspective distinguer entre deux notions voisines mais qui ne se recoupent pas totalement : la protection de l'environnement et le développement durable.

Le développement durable ne se réduit pas aux problématiques environnementales (milieux naturels, pollution, ressources, risques, qualité de la vie) mais comprend deux autres piliers : un pilier économique avec comme principale problématique une croissance maitrisée d'une part, et le social, comprenant l'éducation, la vie en société et le travail d 'autre part.

Sans ici répondre directement à des questions plus précises qui feront l'objet de shééloth outechouvoth (questions et réponses halakhiques) dans l'avenir, le judaïsme on l'a compris ne fait pas de la préservation de la nature un impératif catégorique, il intègre dans ses réponses des éléments plus larges et statue sur les dangers clairement avérés tout en préservant l'avenir dans la mesure du possible.

En effet, ne sommes nous pas responsables de nos actions au regard des générations futures ? Et n'est-ce pas cette idée aussi qui, au moment de remettre leSepher Thora dans l'Arone Hakodesh est particulièrement soulignée : "Eitz 'hayim hi la ma'hazikim ba" - "elle est un arbre de vie pour ceux qui la soutiennent".


Caroubier à Jérusalem
L'arbre avec ses racines profondément enfouies dans le sol et ses branches dirigées vers le haut, vers l'avenir, n' incarne-t-il pas l'homme capable de donner la vie ? l'arbre n'évoque-t-il pas aussi le temps, non pas le temps immédiat mais la durée qui voit l'arbre grandir ? Et c'est bien de développement durable dont nous parlons !

Dans le même ordre d'idées il est encore une image : celle de l'arbre généalogique. Or celui-là ne risque-t-il pas lui aussi de s' étioler ? Nous entendons peu parler du déclin démographique de nos communautés, cette question n 'est pratiquement pas abordée, or la situation est préoccupante et les chiffres alarmistes. Sans des nouvelles générations nous ne pouvons pas prétendre exister en tant que peuple autonome et créatif.

Une bonne gestion de notre développement durable nous impose de faire de notre Torah un "arbre de vie", de nos communautés des lieux aux fondations fortes et profondes et surtout accueillants. Nous saurons véritablement nous développer si nous nous donnons les moyens de croître, de faire "des petits d 'hommes" et de créer aussi les pôles d'éducation nécessaires afin de leur transmettre notre idéal !s
Ainsi, nos enfants attendus comme une bénédiction se sentiront soutenus dans leurs efforts pour poursuivre la mission qui est la nôtre.

Pour conclure citons ce beau Midrash qui résume à lui seul notre propos et qui comme toute métaphore peut se comprendre à différents niveaux.
Le Talmud raconte l'histoire d'un Sage appelé Honi Ha-meaguel qui, se promenant "voit un homme occupé à planter un caroubier. 'Honi lui demande : combien de temps lui faudrat- il pour produire des fruits ?
l'homme répond : Soixante dix ans.
'Honi lui pose alors cette question : Crois-tu que tu vivras encore dans soixante dix ans ?
Et notre homme de répondre : j'ai trouvé à ma naissance le monde rempli de caroubiers que mes ancêtres avaient plantés pour moi. Il faut donc que j' en plante à mon tour pour mes descendants."

Bonne fête de Tou Bichvat à tous
Rabbin Claude Heymann

Photographies : © Michel Rothé

© A . S . I . J . A .