Dans la Soucca.
Hippolyte Prague (*)
LA TRIBUNE JUIVE - STRASBOURG, 28 septembre 1928

Décoration de la Souka
Ce qui fait le charme séduisant de nos fêtes religieuse, et leur assure un accueil si empressé, des fidèles, c'est, avant tout, leur caractère familial qui se retrouve à un suprême degré dans Souccoth. Certes, la Synagogue joue un rôle considérable dans nos solennités, surtout à Rosch-Haschanah et Kippour, où elle est le centre rayonnant du culte public et le théâtre imposant où se déroule la majesté des offices sacrés.
Mais ces grandes journées religieuses sont marquées elles-mêmes au sceau de la vie de famille. Les vœux qu'on y échange entre parente et amis, et qui sont plutôt des prières adressées à Dieu à l'intention de ceux que l'on aime, la bénédiction émue que le père donne à ses enfante à l'heure solennelle du Col Nidré, avant d'aller au Temple, montrent combien dans le Judaïsme la vie et les affections de famille sont intimement associées aux préoccupations religieuses.

Cette empreinte familiale, nous la trouvons plus forte encore, dans un des rites principaux de la fête de Souccoth qui est, par excellence, la fête de la joie, Zeman Sim'haténou, succédant aux tressaillements et aux émotions sacrées des journées redoutables Yamim noraïm
Ce séjour prescrit dans la hutte champêtre, à la belle étoile, évocation radieuse de la vie pastorale de nos ancêtres est destiné à rappeler la protection divine accordée aux errants quarantenaire. du Désert. Il stimule admirablement les affections familiales, en faisant se réunir autour de la table commune, parents et enfante, frères et sœurs, pour glorifier ensemble le Créateur de toutes choses et chanter ses louanges.

Quelle grâce poétique dans tous ces rites de Souccoth, surtout lorsqu'ils sont célébrés en Orient et dorés par un beau soleil, au milieu d'une nature luxuriante !

Certes, dans nos pays, surtout aux approches de l'hiver, la Soucca ne se présente pas au milieu d'un cadre aussi éblouissant. Mais il ne s'en dégage pas moins an charme infini, quand un rayon de soleil automnal vient se jouer à travers les treillages de la tonnelle sous laquelle parents et amis se livrent aux joies pures de la vie de famille, sanctifiées par le pensée de Dieu et le sentiment de la charité qu'atteste la présence du pauvre à la table. N'est-ce pas, d'ailleurs, au sujet de cette fête de Souccoth que le Pentateuque a prescrit : "Tu te réjouiras, en ta fête, toi, avec ton fils, ta fille, ton serviteur, ta servante, le lévite, l'étranger, l'orphelin et la veuve qui sont dans tes portes" (Deutéronome 16:14).

Imaginez vous le ravissement des enfants, dans les familles pratiquantes, quand ils collaborent à la décoration de la Soucca, quand, de leurs menottes, ils tressent les guirlandes en papier de couleur qui vont se balancer sous le plafond de verdure !
Qu'on demande à tous ceux qui ont été élevés dans des milieux foncièrement religieux, s'ils ne se rappellent pas, avec émotion, ces années de jeunesse où le culte revêtait à leurs yeux une forme si séduisante et agissait avec tant de force sur leur imagination d'enfant !

Et le rite du Loulab, de la branche verdoyante du palmier avec sa garniture de myrtes parfumés et de saules, agitée joyeusement eu signe de reconnaissance pour le Créateur de le nature, par la main qui presse un cédrat odorant !
Et le bouquet de seules qu'au jour de Hoschano rabbah en arborera, et les gracieuses processions autour de l'Almémor !

Que de gracieux souvenir, la fête de Souccoth évoque dans l'âme de ceux qui ont eu le bonheur de naître et de grandir au sein d'un foyer de piété, sous l'aile du Seigneur !
Et ne devraient-ils pas souhaiter, à leur tour, pour leurs enfants, une éducation pareille qui attendrit les cœurs encore neufs d'émotion, qui les élève vers Dieu, qui donne à leur jeune imagination un tour religieux, qui leur fait aimer davantage leurs parente et leur laisse d'inoubliables souvenirs de la vie de famille sanctifiée par les devoirs de piété et de bonté.

Et combien mieux sont armée pour les luttes de la vie, mieux défendus contre les déceptions, les amertumes, les défaillances, mieux abrités contre les tempêtes de l'existence contemporaine, ceux qui peuvent retremper leur courage mollissant et leurs forces ébranlées dans les réminiscences d'un passé où ils revoient, par la pensée, leurs pieux parents fermement attachée à leurs devoirs, inébranlablement fidèles à leur Dieu, soumis avec sérénité à ses lois, confiants dans sa protection et qui, du fond de leurs tombes, leur crient : "Crois et espère !"

Comme viatique à travers les router si escarpées de ce bas-monde, l'éducation juive a trop bien fait ses preuves pour qu'on n'y revienne pas, surtout dans les circonstances si graves que nous traversons !

Impressions de Souccoth.
Hippolyte Prague (*)
LA TRIBUNE JUIVE - STRASBOURG, 18 octobre 1929

Repas dans la Souka - gravure de Hermann Junker
De toutes les fêtes de Tischri, les unes grandioses, comme Rosch Haschana et Kippour, celle de Souccoth est la plus riche en rites intimes et en cérémonies publiques.

La bénédiction du Loulav, et les processions joyeuses de la Synagogue, le séjour dans la soucco embaumée au toit de mousse, l'office de Hoshana Rabbo, où deux traditions, l'une, la plus ancienne, retentissante de joie, l'autre, plus moderne, et d'un mysticisme kabbalistique, se coudoient et s'entremêlent, enfin l'allégresse étincelante de Sim'hath Torah fournissent aux fidèles de nombreuses occasions de rendre grâces au Créateur et de lui témoigner leur reconnaissance exultante du pardon qu'il a bien voulu, suivant la promesse inscrite dans le Pentateuque, leur octroyer.

Ce sont des jours de liesse, mais de sainte liesse. Suivant la prescription biblique, l'israélite se réjouit devant Dieu, sous l'oeil indulgent de la Providence qui donne aux âmes concentrées dans la prière, humiliées par la pénitence, l'heureuse détente de l'absolution.
Les rites si nombreux, si expressifs de Souccoth où l'on goûte en famille les joies de la religion, où l'on prend plaisir à la vie, après avoir sondé sa fragilité, font songer aux molles douceurs de la convalescence suivant les grandes crises physiques.

Au bon vieux temps - qui est demeuré le temps présent dans les communautés où la piété bat encore son plein - ces journées de Souccoth étaient pour ces fidèles une source de délicieuses sensations.
Au lendemain de Kippour on se mettait bravement et gaiement à dresser la soucco, on rivalisait de zèle et d'ingéniosité pour la parer le mieux possible et en faire une demeure confortable et avenante. Le choix de l'Ethrog [le cédrat] occupait le chef de la famille. Il ne le faisait pas à la légère. Il examinait attentivement, en connaisseur, tous les spécimens de ce fruit odoriférant que le marchand lui présentait. Ce n'était pas une mince affaire que l'acquisition des ארבעה מינים [les quatre espèces]; le fervent ne regardait pas au prix.
Aussi quelle joie sur leurs visages à tous quand le matin du premier jour de Souccoth ils se rendaient à la Synagogue, arborant fièrement leur loulab verdoyant au milieu de la corbeille de myrtes et de style.

Le premier soir de Souccoth était une vraie fête du cœur pour les élus du Seigneur.
Groupés autour de la table, le père de famille voyait tous les siens partager sa pieuse émotion, et l'étranger pauvre de passage, qui a toujours sa place marquée au foyer israélite, oubliant pour une soirée l'incertitude et la misère de son sort, subissait le charme ambiant.
Une atmosphère de piété baignait tout ce monde, plein de reconnaissance envers Dieu qui a su ménager à ses fidèles ces pures jouissances familiale ; et d'un même élan, tous les cœurs, en hommage, s'élevaient vers Dieu.

Dans leurs cabanes rustiques, les anciens juifs se sentaient véritablement heureux, plus que ne peuvent l'être nos modernes Crésus dans leurs châteaux princiers, au milieu des raffinements du luxe le plus fastueux.
Ils avaient la foi ... et pas de désirs immodérés.
Leur horizon était borné par la religion, qui déroulait leurs yeux, qui ne pouvaient assez s'en rassasier, des perspectives radieuses avec des échappées sur le monde à venir.

Oui, pendant ces journées de Souccoth, remplies par les pratiques du culte privé et du culte public, nos pères buvaient à pleines gorgées, à la coupe des jouissances les plus saintes et les plus délicieuses..
Cet état d'âme toujours dispos, quand il s'agit de servir le Seigneur, n'est pas le nôtre, malheureusement pour Israël.
Ce optimisme, qui était le fond du caractère de nos pères, si peu gâtés par la fortune dont la foi était la clef ; les idées et les doctrines que nous avons empruntées à la Société moderne l'ont étouffé dans nos cœurs.
Et pourtant, le champ des jouissances s'est agrandi devant les émancipés ; il est devenu à notre époque, qui ne connaît plus aucun frein, presque illimité.

"זכור ימות עולם" "Souvenons nous des jours anciens" où la religion mettait du baume sur les cœurs endoloris, où la pratique du culte réservait à ceux qui s'y abandonnaient une félicité si douce dans le cercle de la famille, et essayons par la force de notre volonté et dans la mesure du possible de la faire revivre ; cela vaudra certainement mieux que de remettre en question nos dogmes, de disséquer nos doctrines, de passer au crible d'une critique d'Ecole, nos prescriptions et cérémonies religieuses !


La vraie physionomie de nos fêtes.
Hippolyte Prague (*)
LA TRIBUNE JUIVE - STRASBOURG, 3 octobre 1930

Procession de Hoshana raba avec le loulav en main
Souccoth s'appelle, dans notre rituel, la fête de la joie, et au temple de Jérusalem, la liturgie en accusait les accents ; mais c'est une joie discrète qui ne dégénère par en ces débordements, où l'homme lâche la bride à ses instincts grossiers. Ses grelots ne sonnent pas le carnaval avec ses excès de toute nature. Le Juif ne s'oublie pas, ne se vautre pas.

Remarquons. en passant, que la scène où se déroule cette gaieté, c'est le foyer domestique, la Soucca, dans l'intimité de la famille. gaieté dominée, sanctifiée par la pensée de Dieu, contenue dans les limites d'une parfaite décence. C'est la gratitude qui déborde de tous les cœurs pour le Dispensateur des biens de ce monde, concrétisée par le décor rustique de la cabane et par le Loulav verdoyant que nous agitons devant le Tabernacle. Les mœurs patriarcales des Juifs brillent dans leur plus pur éclat sous les toits de verdure.

Mais cette fête de Souccoth donne encore un démenti un préjugé d'après lequel nous aurions, de tout temps, été réfractaires au dur labeur de la terre, préférant au maniement de la charrue celui des écus. Nous sommes, au contraire, et toutes nos fêtes en font foi, par tant de prescriptions du Pentateuque, une race foncièrement agricole et pastorale. Souccoth est la fête de la récolte, Chavouoth celle de la moisson, Pâque celle de la maturité des épis. Nos coreligionnaires qui, en Palestine, en Argentine, en Russie, aux États-Unis, au Brésil, se remettent au travail de la terre, ne font que renouer une tradition interrompue non par notre gré. mais par les malheurs qui s'abattirent sur nous, et par la législation chrétienne qui nous réduisit au métier de trafiquants.

On imprime que nous sommes des êtres antisociaux. Or, nos fêtes ont un parfum exquis de sociabilité. Elles ne nous parlent que de paix, d'amour, de fraternité. Le Pentateuque, en les édictant, en formulant le programme, nous prescrit d'y faire participer, non seulement la veuve et l'orphelin, l'indigent, mais aussi l'étranger, de lui donner une place à notre foyer.
La pratique de ces rites respirant la bonté, l'aménité et la charité, n'a pu entretenir en nous que les sentiments les plus nobles, que l'humanité doit sans cesse mettre en pratique, ceux qui expliquent sa mission sur la terre.

En un mot, ces fêtes juives qui sont la parure du Judaïsme sont des documents précieux pour l'histoire de nos idées, de notre caractère, de nos inclinations ataviques. En y restant fidèles, en les célébrant conformément à la tradition, nous satisfaisons aux commandements de Dieu, mais nous cultivons aussi les sentiments les plus précieux pour l'équilibre de nos facultés, pour l'harmonie sociale, et en même temps nous donnons le démenti à cet amas de fables accumulées sur notre compte.

Les fêtes de notre culte permettent aux esprits de bonne foi de nous voir tels que nous sommes en réalité : des créatures formées A l'image de Dieu, et qui s'en souviennent aux heures même où la religion leur accorde des licences, sachant garder la mesure, et prouvant ainsi que le matérialisme jouisseur dont certains écrivains, et non des moins renommés, mais mal renseignés sur notre compte font honneur à Israël, est fortement tempéré par le culte de l'Idéal qui empêche de verser dans des folies grossières, dont chez les Aryens s'accompagnent les fêtes et les réjouissances publiques.


LA FÊTE
LA TRIBUNE JUIVE - STRASBOURG, 17 septembre 1937

"Et vous prendrez chacun le premier jour un fruit de cédrat, des branches de palmiers, des rameaux de myrte et de saule, et vous vous réjouirez devant l'Et. votre D. durant sept jours. Et vous en ferez une fête à l'Et. sept jours chaque année ; c'est un précepte immortel pour vos descendants : au septième mois vous la fêterez (Lévitique 23 :40-41).

Procession de Sim'hath Torah à la synagogue
Outre les lois proprement dites que la Torah nous prescrit pour chaque fête, il existe une mitsvah commune aux trois "régalim" [fêtes de pèlerinage] et que l'on oublie trop souvent malgré sa facilité de réalisation, malgré l'attraction qu'elle devrait exercer sur le fidèle par sa nature même : c'est le commandement qui consiste à se réjouir le Yom-Tov [jour de fête] et qui, pour Souccoth est encore plus accentué puisque le Deutéronome nous dit à propos de cette fête appelée "La Fête" tout court pour cette raison même que la gaieté y est prépondérante : "Tu ne seras que Joie".

Il serait vain et peut-être faux de chercher dans le pessimisme croissant en fonction des avatars de la situation internationale la cause de cette indifférence à la "sim'hah chel mitsvah" [joie d'accomplir un commandement], laquelle semble avoir disparu de nos contrées depuis fort longtemps déjà. Aussi, allons-nous tâcher plutôt de préciser d'abord la teneur de cette joie un peu... spéciale - il faut en effet se méfier des contrefaçons -, de voir ensuite comment ses manifestations peuvent modifier notre conception de ta fête juive et d'en tirer enfin les conséquences pratiques qui s'imposent.

Vous est-il jamais arrivé de voir un coreligionnaire, sous l'œil ironique d'un certain nombre de ses semblables, choisir son "loulav" et son "ethrog" avec la plus minutieuse circonspection ? Avez-vous pu constater sur son visage, lorsqu'il eut trouvé le plus beau, l'idéal, l'objet de ses rêves, une sorte d'illumination, d'extase ? Si oui, vous avez déjà été témoin de cette joie pure qui nous fait défaut et qui est pourtant inhérente à la Fête, car ce n'est pas sans raison que, dans le verset cité plus haut, le Lévitique l'a mentionnée immédiatement à côté de la "mitsvah loulav" On cajole ces plantes sacrées, on les caresse parfois avec un plaisir visible. Rabbi Jisroël Salanter - dit-on - dansait une hora quand il avait obtenu un ethrog qui lui plaisait particulièrement ! Une telle exubérance nous paraît étrange venant de la part d'un des plus respectables savants du rabbinat lithuanien mais elle nous apprend que certaines personnes - elles se font, hélas, de plus en plus rares - prennent à la lettre les prescriptions de la Torah et savent montrer au Très-Haut, quand Il l'exige, un visage empreint de la gaieté la plus franche et la plus innocente.

D'aucuns, pour célébrer dignement leurs fêtes religieuses, s'en vont le soir dans une salle privée d'air et enfumée passer une nuit dite joyeuse pour en ressortir le lendemain la panse garnie et le portefeuille vide, après avoir sacrifié le plus clair de leurs forces et de leur argent aux dieux païens. Le vrai judaïsme, lui, dispose de joies plus saines, moins coûteuses et, ce qui ne gâte rien, d'un rang infiniment plus élevé dans la hiérarchie des choses de l'esprit.

Quand, sous le bruissement délicieux des verts loulavim, retentissent les Hosannas de Souccoth, quand, le Chemini Atséréth, les murs de synagogue frémissent d'aise, dirait-on, sous les mélodies harmonieuses commémorant les Fêtes de l'Eau, quand enfin Sim'hath Torah - dernier fleuron, et non le moins charmant. de cette couronne de joie qu'est la Fête de l'Automne - développe ses cortèges, ses danses et ses chants, comment, à toutes ces manifestations, nôtre âme pourrait-elle ne pas crier, pleine de joie, une action de grâce au Seigneur qui a bien voulu nous accorder de telles fêtes !

Peu nous importe que l'hiver approche, que la nature s'attriste, D. nous a ordonné de nous réjouir triplement aujourd'hui : dansons, chantons, louons l'Eternel. Ah, qu'il est bon de quitter pour quelques jours les brutalités de la vie et de laisser retentir en nous-mêmes, une symphonie puissante qui nous élève vers le Ciel et nous rend sensibles a la joie d'une fête, d'une vraie fête juive, de la fête des fête "He-'hag".

Certes le Choul'han-Aroukh a d'ores et déjà codifié certaines manifestations de cette gaieté du Yom-Tov, comme les belles parures, les banquets et les Zemiroth [chants liturgiques], mais les possibilités sont, dans ce domaine, illimitées car plus nous y mettrons de sentiment et plus nous sentirons le dynamisme de ce commandement bizarre par lequel il nous est expressément ordonné de nous réjouir.


Judaisme alsacien Tishri
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