La Techouva
par André NEHER
Extrait de Information juive, Alger, août-septembre 1955


Revenir. Se repentir. Faire techouva. Réparer le passé, effacer les fautes, corriger les erreurs, pardonner, recommencer comme si rien de ce qui précède n'avait été. Comme tout cela paraît facile et s'énonce aisément.

Pourtant, tout cela est impossible. Pour l'homme, inséré dans le temps, la succession et l'aliénation sont inéluctables. Nous sommes irrévocablement poussés en avant. Notre heure passée ne nous appartient plus. Elle est ce qu'elle est. Nous avons beau penser à elle, la transfigurer par l'esprit et par l'imagination. Elle reste ce qu'elle est. Et si, volontairement, ou même simplement par mégarde, elle a été pleine d'injustice et de mal, cette injustice et ce mal continuent à crier, et leurs conséquences continuent à nous éclabousser, à faire gicler autour de nous des gouttes, des fleuves, des océans de boue, encrassant l'heure présente et l'heure de demain. Nous pouvons balayer devant notre porte, mais il faudra bien jeter les déchets quelque part, et les dépotoirs qui se trouvent, à coup sûr, à proximité de la ville la plus belle, montrent et démontrent que le mal, un fois commis, est irréparable.

Le repentir est impossible. Mais c'est précisément pour cela que Dieu l'exige. Se repentir, ce n'est pas balayer devant sa porte, quoique ce devoir soit impérieux et qu'il serait bon que fréquemment les hommes l'entreprennent, non point tellement pour vivre dans un milieu propre, mais pour prendre conscience, comme l'enseignait Gandhi, de la réalité invincible des déchets. Se repentir, c'est tenter l'impossible. Pour l'homme, c'est détruire la chaîne mécanique et irréversible du temps à laquelle il est attelé. C'est sortir de sa propre dimension biologique, psychologique, rationnelle, et faire un saut vers la dimension métaphysique où il n'est plus seul, mais compagnon de Dieu. Le repentir est proprement l'expérience religieuse par excellence, parce qu'elle ne se réalise que lorsque l'homme consent à l'Eternel.

C'est pour cela que la techouva, dans l'expérience religieuse du peuple juif, revient, dans sa forme aigüe et pressante, au sommet de l'année, dans la ferveur mystique de Tichri. Certes, nos Sages nous le disent : repens-toi tous les jours ! Mais la techouva essentielle, celle qui transforme véritablement l'action humaine de fond en  comble et permet à l'homme de sentir qu'il est lui-même devenu autre, celle-là ne se réalise que dans l'atmosphère de Tichri où, homme, tu n'es plus seul, mais où tu es quelles que soient tes trahisons, tes lâchetés, tes ignominies, tes erreurs en face de Dieu qui te purifie.

Le prix de cette techouva authentique n'est pas banal. II y faut  l'esprit de l'Aquéda (1) qu'évoque le shofar de Rosh Hashana : volonté délibérée de sacrifier tout ce qui vous tient à cœur, comme le fit Abraham ; rejet absolu de tout égoïsme ; renoncement à la partie décisive de ce qui fait votre bonheur individuel, si l'idéal l'exige. Il y faut aussi l'esprit de Kippour : esprit de prière, mais  d'une prière qui ne vienne pas nous appeler vers Dieu par intervalles. D'une prière continue, embrassant sans interruption vingt-quatre heures de notre journée, de telle sorte que la présence devant Dieu soit le rythme même de notre conscience ; que les besoins de notre nature humaine ne soient plus scandés par le manger, le boire, la réalisation technique, mais par les in finies plénitudes et nostalgies de l'âme en quête de l'idéal.

  1. Aquéda : le sacrifice d'Isaac, cf: Genèse 22:1-19 (n.d.l.r.)


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