SELI'HOTH : la coutume des juifs ashkénazes (1)
par Alain KAHN



Cérémonie de Seli'hoth chantées par Michel Heymann en la Synagogue de Luxembourg
(16 septembre 2006)
Le minhag (coutume) des Juifs Aschkénazes est de commencer la récitation des Seli'hoth (prières pénitentielles) le dimanche qui précède Rosh Hashana. Cela est possible lorsque Rosh Hashana, le Nouvel An, commence un jeudi ou un Shabath, laissant ainsi un minimum de quatre jours de Seli'hoth avant Rosh Hashana. Cependant, si Rosh Hashana commence un lundi ou un mardi, la récitation des Seli'hoth est avancée au dimanche de la semaine précédente. Ils débutent toujours les Seli'hoth le dimanche dans le but d'habituer les personnes à une certaine constance.

Une autre explication du minimum de quatre jours de Seli'hoth avant Rosh Hashana est que, en règle générale, chacun doit se considérer comme s'il était lui-même un korban (sacrifice), afin d'être humble et plein de regret pour toutes les fautes et les iniquités qu'il a commises. En gardant cette pensée à l'esprit, il s'agit de réciter les Seli'hoth - en se concentrant sur le Jour de jugement qui se profile à l'horizon - pour une période d'au moins quatre jours, qui correspond aux quatre jours pendant lesquels, les animaux destinés aux sacrifices étaient vérifiés, afin de s'assurer qu'aucune imperfection ne les rendraient invalides à être un korban. En essayant de se préparer, le mieux possible pour Rosh Hashana, chacun sera alors mieux préparé pour les Asséreth yémé téchouva (les dix jours de pénitence) qui suivent Rosh Hashana et de la sorte, il méritera une autre année consacrée à D. et à Sa Torah.

En effet, même les talmidé 'hakhamim (érudits du Talmud) mettent de côté leurs études et leur emploi du temps, généralement établi de façon extrêmement précise, pour réciter les Seli'hoth. En fait, l'essentiel est de considérer que réciter les Seli'hot recouvre une double obligation, celle de réciter les Seli'hoth elles-mêmes et celle d'utiliser sa force dans la Torah dans le but d'accroître la force de sa prière pour qu'elle intercède en faveur de ses proches, pour qu'ils méritent une bonne année, en bonne santé, une année productive sur le plan spirituel et matériel.

Un aperçu des deux premières Seli'hoth du premier jour (Aschkénazes)

Seder (rituel) Selihoth Kol Hachanah Frankfort
coll. © M & A. Rothé
Seli'ha 1
"Nous n'avons aucune raison valable de solliciter Ton pardon car nous avons gravement fauté".
"Nous avons suivi de faux prophètes, nous avons été têtus et effrontés; ceci a amené la destruction des deux Temples".
"Nos Cohanim ont été renvoyés de leur service et nous n'avons pas accepté les remontrances de nos prophètes".
"Depuis cet instant - et jusqu'à aujourd'hui - nous avons été piétinés et battus. Nous n'avons trouvé aucune consolation".
"Les idolâtres nous ont mené la vie dure. Pour quelle raison ont-ils réussi ? Eux qui nient l'existence du D-ieu vivant".
"Hashem - qui réside dans le ciel - constate notre honte; aie pitié de Ta nation qui croit en Toi".

Seli'ha 2
"Il n'y a personne parmi nous qui soit digne de valeur pour pouvoir plaider en notre faveur".
"Nous souffrons de nos propres fautes; nous sommes une nation qui ne sait pas où aller".
"Nous continuons d'alimenter la colère de D-ieu avec des péchés toujours plus nombreux".
"Nous craignons de Lui adresser nos prières ; nous qui sommes tellement dénués de (bonnes) actions".
"Tu es bon pour ceux qui T'appellent d'une façon sincère ; inclus-nous également lorsque Tu répondras à leur appel".
"Prends acte de notre cœur brisé et réponds-nous avec clémence".
"Nos besoins sont si nombreux qu'il nous est impossible de les formuler. Tu connais nos besoins ; s'il te plaît, subviens à nos besoins".
"Nous sommes seuls, tel un arbre isolé sur la cime d'une montagne. S'il te plaît, réponds-nous, ne permets à aucun de se perdre".
"Ne permets à personne de nous atteindre. D-ieu, s'il Te plaît, protège-nous".
"Toi - dont la voix est grande et forte - Tes amis font appel à Toi avec douleur; que Tu puisses trouver du plaisir dans leurs prières".
"Ils jeûnent continuellement dans le but de mortifier leur cœur; protège-les de Ton jugement strict".
"Ô D-ieu, qui s'enorgueillit dans Son désir de voir Sa nation être libérée; permets-nous de vivre et illumine nos yeux de l'obscurité de l'exil".



Seli'ha El Melekh yoshev - coll. © M & A. Rothé
Ces quelques versets donnent une idée des sentiments ressentis pendant la période de récitation des Seli'hoth qui nous rapproche de Yom Kippour. Il existe de nombreuses autres prières de Seli'hoth. Certaines abordent une tragédie particulière ou un décret cruel qui frappèrent les juifs à une époque ou à une autre de notre histoire notamment au moment des croisades.

Le thème de Yom Kippour

Dans chaque ensemble quotidien des Seli'hoth, l'accent est mis sur la souffrance juive par les mains des nations tyranniques et sur nos péchés qui ont conduit les juifs dans ces situations. S'il fallait faire une comparaison, l'esprit de la récitation des Seli'hoth aschkénazes correspond plutôt à l'esprit de Yom Kippour. De fait, c'est un peu comme les Qinoth (Lamentations) qui sont récités à Tisha beAv et qui abordent le sujet de l'oppression, de la destruction et du péché. Même si la majorité des aschkénazes commencent à réciter les Seli'hoth à l'approche de Rosh Hashana, certains débutent leur récitation au début du mois de Eloul, car ils considèrent que la période de quarante jours - de Roch 'Hodech Eloul jusqu'à Yom Kippour - correspond aux jours que Moïse passa au sommet du Mont Sinaï qui étaient essentiellement des jours de miséricorde divine. Malgré tout, ils s'accordent pour associer l'attribut de stricte justice à la récitation des Seli'hoth, à cause de l'approche de Rosh Hashana, le jour du jugement. En effet, nos sages rappellent que, lorsque Moïsemonta pour la dernière fois au sommet du Mont Sinaï pour y passer à nouveau quarante jours avant Yom Kippour, les Enfants Israël jeûnèrent chaque jour, jusqu'au coucher du soleil et le dernier jour, ils jeûnèrent pendant 24 heures sans interruption, ce qui correspond à Yom Kippour.

Massacre de Juifs au cours de la première croisade.
Bible du XIIIe siècle. (wikipedia.org)

Le thème tiré des "Chroniques des Croisades"

En l'an 1095, l'Église - suite à l'invasion musulmane en Palestine - décréta une croisade contre les Sarrasins dans le but de reconquérir Jérusalem. L'année suivante - au printemps 1096 - des bandes de croisés zélés, dirigés par des moines et des soldats embarquèrent pour la Terre sainte. Parmi les croisés, se trouvaient de nombreux serfs fugitifs, des aventuriers et des criminels. Sur son chemin vers Jérusalem, cette horde bigarrée tua des milliers de juifs "infidèles" dans les plus grandes villes d'Allemagne : Spire (Speyer), Worms, Mayence (Mainz) et Cologne (Köln). Au mois de mai 1096, une bande de croisés - dirigée par Emi'ho (2), un noble allemand - pénétra en force dans la ville de Mayence et par la suite, dans l'archevêché où les juifs s'étaient réfugiés. Les meurtres sauvages et les suicides de ces juifs dans ce palais, l'horreur et l'hystérie qui les accompagnèrent sont clairement décrits dans les trois textes qui suivent, d'après un récit rédigé en hébreu par Shlomo bar Shimchon, chroniqueur de l'époque et d'une chronique anonyme de Spire.

I. Martyre et massacre à Mayence (Mainz)

Ce fut le troisième jour du mois de Sivan… à midi (jeudi 27 mai 1096) que l'ignoble Emi'ho - l'ennemi des juifs - se présenta avec toute son armée aux portes de la ville que ses habitants lui ouvrirent. Emi'ho - un noble allemand - dirigeait une bande de croisés allemands et français qui pillaient tout sur leur passage. Alors, les ennemis de Hashem se dirent mutuellement : "Regardez ! Ils nous ont ouvert les portes. Vengeons-nous". Les enfants de l'Alliance sainte qui étaient présents - martyrs qui craignaient le Tout-Puissant - restèrent attachés à leur Créateur, malgré la présence de cette multitude. Les jeunes et les anciens revêtirent leur armure et préparèrent leurs armes. A leur tête, se tenait Rabbi Kalonymous ben Meshoulam, le Grand Rabbin de la communauté. Ayant subi de grands malheurs et observés de nombreux jeûnes, ils n'avaient aucune force pour tenir tête à leur ennemi (ils avaient jeûné pour éloigner les malheurs imminents). Alors, les hordes et les troupes se répandirent rapidement - tel un déluge - jusqu'à ce que Mayence en fut entièrement rempli.

L'odieux Emi'ho proclama que l'ennemi devait être expulsé de la ville et anéanti, ce qui provoqua une grande panique dans la ville. Tous les juifs, dans la cour intérieure de l'archevêché fourbirent leurs armes et se dirigèrent vers la porte du palais pour combattre les croisés et les habitants de la ville. La lutte s'engagea autour de la porte, mais les péchés que les juifs avaient commis firent que l'ennemi triompha et s'empara de la porte.

"Soyons forts"

Hashem eut la main lourde avec Son peuple. Tous les idolâtres étaient unis contre les juifs dans la cour afin d'effacer leur nom. La force de notre peuple déclina lorsqu'il réalisa que les méchants édomites étaient sur le point de l'emporter. Les hommes de l'évêque - qui avaient promis d'aider les juifs - ne furent d'aucun secours car ils s'enfuirent les premiers, laissant de la sorte les juifs entre les mains de l'ennemi. L'évêque lui-même s'enfuit de son église : il était menacé en raison des bonnes paroles qu'il avait eues pour les juifs... (L'évêque de Mayence Ruthard avait reçu une somme d'argent pour défendre les juifs) (3).

Lorsque les enfants de l'Alliance Sainte constatèrent que le décret céleste de mort avait été pris et que l'ennemi était en train de les vaincre - il venait d'entrer dans la cour - les vieux, comme les jeunes, les jeunes filles et les enfants, les serviteurs et les servantes, tous implorèrent leur Père dans le ciel et - pleurant sur eux-mêmes et sur leur fin imminente - qcceptèrent la décision de D-ieu comme juste. Ils se dirent, l'un à l'autre: "Soyons forts et acceptons le fardeau de notre sainte religion - car c'est seulement dans ce monde que l'ennemi peut nous tuer - et la mort la plus douce est celle qui est donnée par l'épée. Quant à nous - lorsque nos âmes seront au paradis - nous continuerons à vivre une vie éternelle, dans la réflexion lumineuse (de la Gloire divine)." De tout coeur et pleinement consentants, ils dirent alors : "Après tout, il n'est pas juste de critiquer les décisions de D-ieu - béni soit-Il et béni soit Son Nom - qui nous a donné Sa Torah et qui nous a ordonné de nous tuer, de nous tuer nous-mêmes pour l'unité de Son Saint Nom. Soyons heureux de pouvoir accomplir Sa volonté. Heureux est celui qui est tué ou massacré, qui meurt pour l'unité de Son Nom afin de pouvoir entrer dans le monde à venir, résider dans le camp céleste avec les hommes pieux, avec Rabbi Akiva et ses compagnons - les piliers de l'univers - qui furent tués en Son Nom (les Romains torturèrent - jusqu'à la mort - Rabbi Akiva pendant la révolte de Bar Kokhva, approximativement vers l'an 135). De plus, Il quitte le monde de l'obscurité pour le monde de lumière, le monde de la confusion pour le monde de la joie et le monde qui passe pour le monde qui dure pour l'éternité.", Tous les hommes s'écrièrent ensuite à l'unisson : "Il ne faut pas retarder ce qui doit arriver car l'ennemi est déjà sur nous. Hâtons-nous et offrons-nous comme sacrifice à Hashem. Que celui qui a un couteau vérifie que sa lame ne soit pas ébréchée. Qu'il vienne ensuite nous tuer pour la sanctification de l'Unique, l'Éternel, et qu'il tranche ensuite sa gorge ou qu'il enfonce le couteau dans son corps" (un couteau avec une lame non effilée rend le sacrifice impropre).

Lorsque l'ennemi entra dans la cour, il trouva quelques-uns des hommes pieux entourant leur brillant maître, Yits'hak ben Moché. Ce dernier offrit alors sa gorge à l'ennemi qui la lui trancha en premier. Les autres, enveloppés dans leurs vêtements de prières munis de franges, s'assirent dans la cour, impatients de remplir la volonté de leur Créateur. Ils ne prirent pas la peine de s'enfuir dans le palais pour essayer de préserver leur vie temporelle, mais acceptèrent entièrement la décision de D-ieu. L'ennemi leur envoya des pierres et des flèches, mais ils ne s'enfuirent toujours pas. Alors (Esther 9 :5), "en frappant du glaive, en tuant, en détruisant", l'ennemi assassina tous ceux qu'il trouva. Lorsque ceux qui étaient dans le palais virent l'attitude de ces hommes pieux, la façon dont l'ennemi était tombé sur eux, ils s'écrièrent alors : "Il n'existe rien de mieux pour nous que d'offrir notre vie comme sacrifice" (le nombre important des troupes ennemis - il est dit que Emi'ho avait quelques 12 000 hommes - ne laissait aucune chance de survie aux juifs).

"Comme Avraham, notre père"


Seli'hoth "Elzous" : il s'agit d'une des premières éditions du rituel alsacien,
paru vers 1750. - coll. © M & A. Rothé

 

 


Rituel de Seli'hoth selon le rite alsacien (1963)
coll. © M & A. Rothé
Les femmes rassemblèrent leur force et tuèrent leurs fils et leurs filles, avant de se tuer elles-mêmes. Des hommes braves sacrifièrent leur femme, leurs fils et leurs filles. Les mères - d'habitude délicates et sensibles - tuèrent leurs bébés avec lesquels elles jouaient encore quelques minutes auparavant. Aucune ne fit exception; hommes et femmes s'entretuèrent. Les servantes et les jeunes mariées regardèrent par la fenêtre et s'écrièrent d'une voie puissante : "Regarde et constate, ô notre D-ieu, ce que nous faisons pour la sanctification de Ton grand Nom et pour ne pas Te remplacer par quelqu'un qui a été pendu et crucifié...". Ainsi furent les enfants précieux de Sion, les juifs de Mayence, (…) - comme Avraham, notre père, et comme ‘Hanania, Mickaël et Azaria (qui furent jetés dans la fournaise ardente, Daniel 3 :21). Ils attachèrent leurs fils, comme Avraham avait attaché son fils Yits'hak et ils acceptèrent sur eux-mêmes, de tout coeur, le joug de la crainte de D-ieu, le Roi des Rois, le Saint béni soit-Il, plutôt que de renier et d'abjurer la religion de notre Roi. Tel "un rejeton maudit" (Yechaya Isaïe 14 :19), ils offrirent leur gorge pour qu'elle soit coupée et ils offrirent leur âme pure à leur Père, au ciel. Des hommes pieux et des femmes vertueuses découvrirent leur gorge et les offrirent à qui voulait, comme sacrifice pour l'unité du Nom. Un père se tourna vers son fils ou son frère, un frère vers sa soeur, une femme vers son fils ou sa fille, un voisin se tournait vers son voisin ou vers un ami, un jeune marié vers sa nouvelle épouse.

Tous tuèrent et furent tués; leur sang se mélangeant pour n'en faire plus qu'un. Le sang des hommes se mêla à celui de leur femme, le sang des pères à celui de leurs enfants, le sang des frères à celui de leurs sœurs; le sang des maîtres à celui de leurs élèves ; le sang des jeunes mariés à celui de leur nouvelle femme; le sang des responsables à celui des exécutants; le sang des juges à celui des scribes; le sang des nouveau-nés à celui de leur mère. Pour l'unité du Nom honoré et qui inspire la crainte, ils furent tués et massacrés. Les oreilles de celui qui entendra ces choses frémiront, car qui a déjà entendu une telle chose ? Renseignez-vous et regardez autour de vous : a-t-on déjà connu une telle profusion de sacrifices depuis Adam l'ancien ? A-t-on déjà entendu une chose telle que mille cent offrandes en un seul jour, chacune d'entre elles équivalant au sacrifice de Yits'hak, le fils d'Abraham ?

Parce que Yits'hak était prêt à se laisser sacrifier sur le Mont Moria, le monde trembla, tel qu'il est dit (Isaïe 33 :7) : "Voilà les braves guerriers qui se lamentent dans les rues ; (les anges de la paix pleurent amèrement)" et (Jérémie 4 :28) : "les cieux, là-haut sont ténébreux". Et nous avons vu ce que ces martyres ont fait ! Pour quelle raison les cieux là-haut ne sont-ils pas devenus ténébreux et les étoiles n'ont-elles pas retenu leur éclat ? Pour quelle raison la lune et le soleil ne se sont-ils pas obscurcis là-haut lorsqu'en un seul jour - le troisième jour du mois de Sivan, un mardi - 1100 âmes furent tuées et sacrifiées, parmi elles, celles de nombreux nourrissons et enfants qui n'avaient commis aucune transgression et qui n'avaient pas péché, de nombreuses pauvres et innocentes âmes ?

Vas-Tu - Ô Seigneur - continuer à rester serein ? C'est en Ton Nom que ces âmes sans nombre furent tuées. Venge rapidement le sang de Tes serviteurs qui a coulé ; venge-le de nos jours et sous nos yeux. Amen (Chroniques de Shlomo bar Shimchon).

II. Ra'hel et ses enfants

Il nous faut raconter et relater les actions les plus incroyables que ces hommes pieux ont accomplies en ce jour (27 mai 1096)... Qui a déjà vu une telle chose ? Qui a déjà entendu un tel acte réalisé par cette femme vertueuse et pieuse, la jeune Ra'hel, fille de Rabbi Yits'hak ben Acher (4) et épouse de Rabbi Yehouda ? Elle dit à ses compagnons d'infortune : "J'ai quatre enfants. Ne les épargnez pas, de peur que l'ennemi vienne, les prenne vivants et les fasse grandir dans son mensonge. Par eux, aussi, sanctifiez le nom du Saint, D-ieu." A sa requête, quelqu'un vint et se saisit d'un couteau pour tuer son fils. Cependant, lorsque la mère de l'enfant vit le couteau, une complainte stridente et amère sortit de sa bouche : "Où se trouve Ta miséricorde, Ô D-ieu ?" Son âme remplie d'amertume, elle s'exclama : "Ne tuez pas Yits'hak en présence de son frère Aaron ; en voyant la mort de son frère, Aaron pourrait s'enfuir."

Alors, la personne prit le jeune Yits'hak qui était très jeune et très beau, et le tua tandis que sa mère étendait ses manches afin de recevoir le sang dans son vêtement, plutôt que dans un bassin. Lorsque le jeune Aaron vit que son frère Yits'hak était mort, il cria, encore et encore : "Mère, mère, ne m'égorge pas", avant d'aller chercher refuge sous un coffre. Elle avait également deux filles qui vivaient encore avec elle - Bella et Matrona, de splendides jeunes filles - les enfants de son mari, Rabbi Yehouda. Ses filles prirent elles-mêmes le couteau et l'aiguisèrent pour qu'il ne soit pas entaillé. Ensuite, la femme mit leur gorge à nu et les sacrifia à Hashem D-ieu Tsevaoth qui nous a ordonné de ne pas changer Sa religion pure, mais d'être parfait avec Lui, tel qu'il est écrit (Deutéronome 18 :13) : "Reste entier avec l'Éternel, ton D-ieu."

Lorsque cette femme pieuse en eut fini de sacrifier ses trois enfants à leur Créateur, elle éleva la voix et appela : "Aaron, où es-tu ? Toi non plus, je ne t'épargnerai pas et je n'aurai pour toi aucune pitié." Elle le fit alors sortir de sa cachette en le tirant par les pieds et elle le sacrifia devant D-ieu le haut et exalté. Elle disposa le corps de ses enfants auprès d'elle - deux de chaque côté, en les couvrant de son vêtement, elle s'allongea et agonisa. Lorsque l'ennemi entra dans la pièce, il la trouva assise et gémissante. "Montre-nous l'argent que tu caché sous tes vêtements", crièrent-ils. Mais lorsqu'ils virent ses enfants sacrifiés, ils la frappèrent et la tuèrent - sur ses enfants - et son esprit s'envola et son âme trouva enfin la paix. C'est à elle qu'on applique le verset biblique (Osée 10 :14) : "Les mères furent écrasées avec leurs enfants."...

Lorsque le père constata la mort de ses quatre merveilleux et adorables enfants, il se mit à pousser des cris, à pleurer et à gémir. Il empoigna une épée et l'enfonça dans son ventre pour en faire sortir ses entrailles. Il baigna alors dans son sang et dans celui de ceux qui étaient en train de mourir dans d'innombrables convulsions. L'ennemi tua tous ceux qui restaient encore dans la pièce et leur enleva leurs vêtements ; (Lamentations 1 :11) "Vois, ô Éternel, et regarde comme je suis devenu misérable." Les croisés commencèrent ensuite à exprimer des remerciements au nom du "pendu" car ils avaient fait ce qu'ils voulaient de tous ceux qui se trouvaient dans la pièce de l'évêque afin qu'aucune âme n'en échappe. (Les croisés tinrent un service de remerciement dans le palais de l'archevêque, à l'endroit où le massacre avait eu lieu) (Chroniques de Shlomo bar Shimchon).

III. Un "juste parmi les nations" en 1096 à Spire !

Le huitième jour du mois de Iyar 1096, un Shabath, les décisions de justice commencèrent à nous atteindre. Les vagabonds et les habitants de la ville de Spire complotèrent d'abord contre les hommes saints, les sages du Tout-Puissant et projetèrent de les capturer tous ensemble, lorsqu'ils seraient dans la synagogue. Avertis de ce projet funeste, les sages se levèrent le matin du Shabath, prièrent rapidement et quittèrent la synagogue. Lorsque l'ennemi réalisa que son plan avait été déjoué, il se vengea contre les juifs et massacra onze d'entre eux. Ce fut le début de la persécution qui confirma la prophétie du verset : "Commencez par Mon sanctuaire". Lorsque l'évêque John (Jean) apprit ce qui s'était passé, il vint avec une grande armée et aida de bon cœur la communauté juive. L'évêque - un juste parmi les nations - captura quelques-uns des vagabonds et leur coupa les mains. L'Omniprésent l'avait utilisé comme moyen pour nous aider et venir à notre secours.

Rabbi Moché (5) le parnass (le représentant de la communauté), fils de Teqoutiel ne resta pas indifférent. Il mit sa vie en danger pour venir en aide à ses compatriotes juifs. Grâce à son action, tous ceux qui avaient été convertis de force et qui s'étaient réfugiés dans le domaine du Roi Henry (6) purent revenir chez eux. Grâce à l'aide du Roi Henry et de l'évêque John, le reste de la communauté de Spire put trouver refuge dans les villes fortifiées du roi. Hashem avait eu de la compassion pour eux et l'évêque put cacher les juifs jusqu'au jour où les ennemis de Hashem disparurent. (Chronique anonyme de Mayence)

Une prière liée à ces événements est attribuée à Rachi (1040-1105) qui vécut à Troyes ainsi qu'à Mayence et à Worms, la voici :

Ô D-ieu, examine ce sujet, car on les a poussés vers l'horreur, les nourrissons et les enfants qui ont été massacrés. Ils ont dédié leur vie et T'ont été présentés comme sacrifice sur l'autel de D-ieu. D-ieu Tsevaoth, s'il te plaît, reviens et venge-Toi de Essav (Esaü) car il s'est moqué de moi en disant qu'il n'existe rien de plus désespéré que moi car D-ieu m'a oublié. Ils ont refusé de croire en un autre D-ieu car son service n'a aucune valeur. Plutôt, ils se sont accrochés à leur Créateur et pour Lui, ils se sont armés avec force.

Notes :

  1. *D'après un cours rédigé par Rabbi Leibe Landsman pour la "Yechiva Pirkhé Chochanim".
  2. Il s'agit du Comte Emich de Flonheim (près de Mayence), le chef tristement célèbre de cette "croisade populaire" qui fut si meurtrière.
  3. L'évêque tenta effectivement de protéger les juifs en les hébergeant dans son palais qui malheureusement sera pris d'assaut par les "troupes" d'Emich de Flonheim.
  4. Il avait étudié sous l'égide de Rachi à Troyes et ouvrit une Yechivah à Spire.

  5. Grand talmudiste descendant d'une lignée célèbre de rabbins, son père était Rabbi Jekutiel ben Moses (1070) et son grand père Rabbi Moses ben Kalonymus 1020).
  6. Henry IV, Empereur du Saint Empire Romain Germanique de 1056 à 1105.

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