L'antisémitisme sous le masque de la zoophilie
Extrait de l'Univers Israélite 91ème année - N°25, 13 mars 1936 (19 adar 5696)


On sait qu'une députée à la Diète de Pologne, Mme Prystor, femme du président du Sénat, a déposé une proposition de loi tendant à interdire la chehita, c'est-a-dire à priver de viande les 3 millions de juifs polonais.
Cette proposition a été adoptée la semaine dernière par la Commission d'administration de la Diète, malgré la protestation du député juif qui y siégeait. Elle doit venir prochainement devant la Diète en séance plénière.
Cette menace imminente a provoqué une intense agitation chez les Juifs de Pologne et même à l'étranger. Il semble que le but inavoué de cette mesure est d'évincer les Juifs du commerce du bétail et de la boucherie. Naturellement, cet antisémitisme économique se dissimule sous le masque de la sentimentalité et les mêmes Polonais qui ont laissé froidement. matraquer les étudiants juifs et bombarder les boutiques juives se sont pris d'un zèle immodéré pour leurs frères inférieurs, les animaux de boucherie.
Malheureusement, la chehita avait déjà trouvé des adversaires dans d'autres pays que la Pologne. Les amis des animaux, induits en erreur par des apparences fallacieuses par une propagande de mauvaise foi, ont. prétendu que le mode d'abatage, qui est pratiqué de temps immémorial par les Israélites aussi bien que par les Musulmans comme une prescription religieuse, était contraire à l' "humanité" et à l'hygiène. Les plus grands. physiologistes de notre temps se sont élevés contre cette erreur au nom de la science.
Il y a., quelques années, une campagne contre la chehita ayant été faite dans les pays scandinaves, M. le grand-rabbin Israël Lévi avait demandé à M. le professeur G. Barrier, ancien président de l'Académie de Médecine, .de se prononcer sur la question. Nous sommes en mesure de reproduire cette consultation, inédite en France. Ajoutons seulement que le professeur Barrier a repris son exposé dans une communication à l'Académie vétérinaire et que tous ses confrères lui ont donné raison. La cause est entendue pour les amis des animaux qui ne sent pas les ennemis des Juifs.

Au sujet de l'abatage rituel
G. BARRIER,
Ancien Président de l'Académie de Médecine et du Conseil d'hygiène et de salubrité de la Seine, du Conseil des épizooties.

Connu encore sous le nom de jugulation, l'abatage rituel a d'irréductibles partisans (les israélites) et des détracteurs non moins obstinés (les émotifs, les amis des bêtes, les antisémites). Laissez-moi vous dire tout de suite que la grande masse de la population ne s'en préoccupe nullement. Les hygiénistes l'acceptent sans résistance en France ; mais en Suisse, le gouvernement fédéral l'a absolument interdit en 1882, ce qui incite les Juifs à s'approvisionner hors de chez eux, dans les pays où ils ne sont pas tracassés à cet égard.

On reproche à l'abatage rituel la pertes de temps occasionnée par sa préparation, la lenteur de la mise il mort, le spectacle impressionnant des mouvements réactionnels des membres, des mâchoires, de la .langue, les convulsions agoniques finales. Une sentimentalité respectable, mais ignorante, protesté contre son apparente cruauté ; elle serait d'ailleurs tout aussi émue en présence des manifestations de réflexibilité que provoque le boucher, après la perforation du crâne au moyen du merlin anglais, quand il introduit par l'orifice un long jonc flexible pour aller profondément, jusque dans le canal rachidien, détruire lei substance de la ruelle épinière ; ou encore, après l'ouverture des vaisseaux trachéliens, par les mouvements de flexion et d'extension qu'il opère sur le membre antérieur superficiel pour rendre la saignée plus abondante.

Les opérations d'abatage, quelles qu'elles soient, doivent être soustraites à la vue du public, car elles sont de nature à être interprétées dans un sens anthropomorphique absolument erroné, en ce qu'il prête aux animaux un psychisme analogue au nôtre, oubliant les différences formidables qui existent entre la structure intime de l'écorce cérébrale humaine et animale et ses manifestations fonctionnelles.

Le mardi 27 janvier, accompagné de M. Chrétien, Directeur des Services Sanitaires de la Seine, j'ai voulu chronométrer et noter les péripéties d'un abatage rituel israélite, au moins tel est pratiqué aux abattoirs de la Villette.

Le premier bœuf a été amené en notre présence dans le hall d'abatage. Sa tête a été fixée solidement, aussi bas que possible, à un anneau scellé dans le sol dallé. L'un des membres antérieurs, au moyen d'une longe passée dans un anneau scellé haut dans un mur voisin, a été fortement tendu en arrière et maintenu soulevé en cette attitude, jusqu'à ce que l'animal arrive à se coucher de lui-même sur le côté. L'aide placé à la tête le fit alors reposer sur la région frontale ; en cette position, la région. trachélienne est en état d'extension, bien apparente et accessible au sacrificateur. Celui-ci s'approche, tenant en sa main droite un long couteau parfaitement affilé ; il mouille de sa salive l'un de ses ongles qu'il passe sur toute la longueur du tranchant ; puis, de sa main gauche, il tire en arrière la peau de la gorge en même temps que l'aide la tire en avant pour la bien fendre, et d'un seul coup, tranche profondément la gorge de l'animal, sectionnant la trachée, les jugulaires, les carotides, l'œsophage, les nerfs et. les muscles trachéliens jusqu'aux vertèbres cervicales, mais sans atteindre celles-ci. Un flot de sang jaillit.

Dans les abattoirs allemandes, le sacrificateur, après la section gutturale, place une pince ad hoc sur le bout central de l'œsophage pour empêcher la régurgitation et la souillure de la surface de section et du sang. A la Villette, cette précaution n'est même pas prise.

Ce sujet était un bœuf nivernais ; la vue du sang, son odeur, les beuglements de ses pareils, les cris des garçons amenant ou assommant d'autres victimes, le va et vient désordonné de toute cette ambiance bruyante, l'ont laissé indifférent et impassible. En 5 m. 50 sec. tout a été fini pour lui.

Le deuxième bœuf a été sacrifié de même ; il paraissait moins indolent. Une minute après qu'il eut la gorge tranchée, apparurent de grands baillements inspiratoires, caractérisés par l'écartement des mâchoires et la prostration de la langue, simultanément avec des secousses et des convulsions dans les membres. A la troisième minute, les baillements inspiratoires se trouvaient limités à une forte rétractions des commissures labiles ; la langue était devenue pendante et inerte, l'hémorragie continuait, moins abondante. A la quatrième minute, apparition des convulsions agoniques finales. A la cinquième et dernière minute, disparition du réflexe cornéen et de tous autres mouvements. La mort était complète.

Tous les mouvements, qu'on observe sur l'animal jugulé sont de nature réflexe et l'on ne peut soutenir qu'il témoignait d'aucune façon des manifestations conscientes, encore moins d'un psychisme quelconque. Les expériences de décapitation que nous avons faites, Hayem et moi, à l'aide d'un dispositif instrumental précis, m'autorisent à l'affirmer. Une abondante et mortelle hémorragie place l'écorce cérébrale, les noyaux opto-striés, le cervelet, l'isthme... dans de telles conditions d'insuffisance circulatoire que la vie consciente est abolie et que seule subsiste, pendant peu de temps, une vie réflexe qui va en s'affaiblissant progressivement jusqu'à une prompte disparition.

La jugulation assure incontestablement mieux une effusion sanguine plus complète que les autres procédés d'abatage, parce que les quatre principaux vaisseaux du cou (les deux jugulaires et les deux carotides primitives) sont transversalement sectionnés, tandis que dans l'abatage ordinaire des grands animaux, la saignée n'est qu'unilatérale et que le boucher, pour obtenir un écoulement sanguin plus abondant, est obligé de mouvoir lui-même le membre du même côté. Dans l'abatage israélite, les contractions musculaires réflexes sont actives et importantes, les mouvements d'essoufflement (qui mettent en jeu les intercostaux et le diaphragme) activent aussi l'hémorragie et dégorgent mieux l'appareil sanguin des viscères que ne le fait une saignée sur un sujet immobilisé par l'assommement ou par le pistolet spécial.

Du point de vue de la salubrité et de la conservation de la viande, cet avantage a sa valeur ; en tout cas, il ne gêne nullement les opérations du contrôle sanitaire. Aussi est-il excessif de l'interdire dans les abattoirs publics lorsque les pratiques rituelles le réclament. On jugule d'ordinaire les moutons, parfois les veaux, après l'assommement ou le pistolet spécial, et fréquemment les porcs à la ferme, quand un charcutier ne se sent pas assez sûr du coup de masse qu'il doit préalablement appliquer pour les immobiliser et les empêcher de pousser des cris assourdissants pendant qu'on les contient. L'assommement est souvent incomplet ; quand il faut répéter le coup de masse, une ou deux fois, sur un animal qui est d'instinct porté à se soustraire à ce coup, ce procédé est, à juste titre, révoltant, parfois dangereux. Il en est de même de l'abatage avec le merlin français ou anglais (par perforation du crâne). L'usage du pistolet spécial qui envoie, sans risque pour l'entourage, une tige pénétrante dans le cerveau, mais de parcours limité, est évidemment préférable ; mais les gerçons abateurs ont la triste coquetterie de leur habileté et ne veulent pas se servir du pistolet.

On ne voit pas pourquoi on interdirait la jugulation du bœuf et pas celle des autres animaux. Si respectables que soient les sentiments de pitié envers les animaux, ne vaudrait-il pas mieux les voir s'appliquer à des pratiques ou des actes brutaux dont les bêtes ont une peur trop légitime et qui leur infligent des souffrances physiques et psychiques (crainte, émotion, peur, fuite...) qu'on ne saurait nier. Par son instantanéité et par l'hémorragie considérable et immédiate qu'elle produit, elle ne provoque, au moment même où elle pourrait être le point de départ des mouvements de défense volontaires, aucune réaction permettant de penser que le patient se rend compte du péril qu'il court ; après cet instant, ce qui se passe, et qui impressionne les personnes non averties, est du domaine de la vie inconsciente et réflexe.

C'est de la science romancée que de supposer le contraire, par l'attribution à l'animal qui se débat en des convulsions auxquelles sa propre volonté est absolument étrangère, de sensations et de sentiments qui affolent certaines personnes particulièrement sensibles. C'est commettre une grosse erreur anthropomorphique. Les animaux ne manifestent rien au spectacle de la mort, ils n'éprouvent aucune épouvante de voir leurs congénères se débattre dans l'agonie ou de contempler leurs cadavres ; les odeurs qu'ils perçoivent à l'abattoir, au moment où ils y pénètrent, les laissent indifférents. Le jour de notre visite à l'abattoir des porcs (à la Villette), nous avons observé des animaux qui demeuraient insensibles aux cris de ceux que le tueur avait manqués et qu'il poursuivait masse en l'air ; les vivants restants continuaient à chercher du groin les excréments au voisinage des cadavres pour s'en repaître ; ils n'avaient d'aucune façon l'air de victimes dans l'appréhension du sort qui les attendait.

Il ne faut donc pas se laisser aller à une sensiblerie qui ne repose que sur des hypothèses, d'ailleurs invraisemblables, et réclamer, contre la jugulation, des mesures que rien ne justifie, même du côté sentimental de la question, et qui ne s'inspireraient pas de l'unique souci d'une bonne préparation des viandes alimentaires.

Les sociétés protectrices des animaux ont assez à faire de se cantonner dans le domaine de l'exploitation abusive et des cruautés dont souffrent si souvent nos frères inférieurs, plutôt que de s'immiscer dans le domaine si ardu de l'inconscient, qu'il n'est vraiment pas de leur compétence d'interpréter sainement, c'est-à-dire scientifiquement.


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