LA PENTECOTE JUIVE…
Rabbin Edgard WEILL

Ma'hzor (Rituel) de Shavouoth

A partir du deuxième soir de Pâque ( Sortie d’Egypte), nous commençons à compter les jours qui nous séparent de la fête de Pentecôte, rappelant la promulgation de la loi sur le mont Sinaï. Cette supputation est édifiante à double titre. Elle met d’abord en évidence le rythme effréné du temps, sa relativité, notre fugacité et notre fragilité. Ensuite, elle traduit notre impatience, notre empressement à recevoir des mains de Dieu le mode d’emploi de la liberté acquise en nous délivrant de l’esclavage égyptien. Bref, comment appliquer cette liberté pour qu’elle corresponde au but qui lui est assigné ? une discipline librement consentie. Sans frontière, la liberté devient anarchie et ne respecte plus celle du voisin.

Au Paradis, la désobéissance d’Adam et d’Eve brouille devant le premier couple de la terre, le chemin de la vie. A partir de cet instant, un épais brouillard ne permet plus aux hommes de distinguer clairement le bien du mal. Ce sont les pulsions qui bouchent la clarté originelle. C’est alors, que Dieu balise le chemin qui conduira son peuple au Sinaï. Les remarquables lois du Sinaï sont appelées à remettre de l’ordre dans la conscience troublée par la première faute.

Entendons-nous bien. Cette loi ne confère à Israël aucune supériorité. L’élection correspond uniquement à des devoirs. Notre singularité poursuit une seule ambition : échapper de la sorte aux erreurs de notre temps pour pouvoir transmettre de générations en générations, l’amour de Dieu et l’amour de l’homme. Projeter l’Eden et sa vie idéale, à la fin des temps.

Résumons-nous. A Pâque, Dieu a accompli des miracles pour nous libérer de l’esclavage. Maintenant, il appartient à chacun d’entre nous de faire en sorte pour ne plus y retomber. Notre destinée spirituelle et la vie de l’au-delà qui la couronne, ne nous sont pas accordées gratuitement. Ce sera le fruit de nos efforts. L’indépendance que Dieu nous a accordée en nous créant à son image, nous donnant la faculté de le rencontrer, nous permet de les accomplir.

Cette rencontre paraît appartenir au domaine de l’utopie. Pur esprit, il échappe à nos sens. Sans commencement ni fin, il nous empêche de le situer dans le temps. Pour contourner ces deux difficultés, Dieu nous donne la terre. C’est sur terre qu’il nous a donné l’ordre de parachever son œuvre, en faisant de sa volonté la nôtre.

La Bible nous offre des exemples illustres. Noé est le seul juste parmi ses contemporains corrompus. Abraham qui naît dans un environnement idolâtre, devient le père des croyants. Job triomphe de tous les pièges qui lui sont tendus. Nombreux sont les passages bibliques qui font ressortir combien l'homme est capable de se déterminer lui-même. Il suffit de rappeler un passage bien connu du Deutéronome où D. s’adresse aux Enfants d’Israël et leur dit : “ Voici, je place devant toi la vie et la mort, la bénédiction et la malédiction. Choisis la vie, en aimant l’Et. ton D., en écoutant sa voix, en t’attachant à lui de toutes tes forces”.

Après la promulgation de la loi, Moïse fait état auprès de D. de l’empressement de son peuple prêt à les observer. L’attitude de D. en présence de cet enthousiasme est surprenant : « qui pourrait faire en sorte que le peuple demeure toujours dans ces mêmes dispositions ? » Ici, ce n’est plus la formule traditionnelle : l’homme propose et D. dispose. C’est l’inverse : D. propose et c’est l’homme qui dispose. Pour nous, c'est cela la GRACE que le créateur nous a donnée : “ l’homme est aimé, car il a été créé à l’image de l’Eternel ”.


UNE PERMANENTE ACTUALITE…..

Shavouoth est la fête de la promulgation de la loi sur le Mont Sinaï, la célébration du mariage de D. avec son peuple. Les splendeurs de l’été font chaque année participer la nature à cette allégresse, comme si celle-ci voulait donner un nouvel essor à l’amour de D. et d’Israël. En outre, chaque page de la Bible offre un verset à la gloire de ce lien privilégié : "Ses voies sont des voies pleines de délices, et tous ses sentiers aboutissent au bonheur" (Proverbes 3:17).

Moïse - Gustave Doré
Cet amour ne répond naturellement pas toujours à cette image idyllique. Il nous arrive de ne pas nous sentir à l’aise en la céleste compagnie. Nous voudrions être un couple plus étroitement lié, plus fidèle à l’alliance contractée au Sinaï. Après chaque brouille, trouver plus facilement le chemin de la réconciliation. D’aucuns imputent cette difficulté, aux options hasardeuses adoptées par nos pères. Ainsi en 1789, ils s’imaginaient que pour devenir de bons citoyens, il suffisait d’enfermer à double tour la religion entre les quatre murs froids des synagogues... En somme, ils se sont forgés une nouvelle religion pour se permettre de ne plus être religieux et de ne plus en faire un mode de vie.

On ne pense pas d’emblée à tout ce que la révélation du Sinaï nous a apporté et continue à nous apporter à chaque époque. C’est un événement révolutionnaire. Une révolution aux dimensions universelles qui a créé un obstacle inédit : la parole. Quand D. selon le Midrash (le commentaire allégorique), a proposé le Décalogue aux autres peuples, ceux-ci ont répondu par une fin de non recevoir. Ils ne pouvaient pas se faire à l’idée qu’une parole vienne troubler leur routine. C’était nouveau pour eux : "tu ne tueras pas….tu ne commettras pas d’adultère…". La prise en compte quotidienne de ces nombreuses mises en garde, suppose une discipline librement consentie. Seule, cette discipline est apte à assurer un équilibre moral individuel et social. Un équilibre dont nous sentons aujourd’hui plus que jamais combien son absence conduit le monde à la dérive. Que deviendraient par exemple les étonnantes découvertes de la science, de la médecine, si celles-ci n’étaient livrées sans garde-fou, qu’à la curiosité et la fantaisie des chercheurs ?

Au Sinaï, la nature entière a gardé le silence….Elle semble encore aujourd’hui nous inviter à en faire autant. Face à n’importe quel difficile problème, il nous appartient de définir et s’il y a lieu de réviser, à la faveur de ce silence, notre position en fonction de ces paroles éternelles entendues au Sinaï . "Le jour même les Enfants .d’Israël arrivèrent au désert du Sinaï…." Dans ce verset : "LE JOUR MEME" met intentionnellement l’accent sur une date imprécise pour souligner cette permanence de l’actualité du Sinaï…

Nos Sages racontent que Moïse est né le 7 Adar, et que le 6 Sivane date de Shavouoth, sa mère a confié son berceau au Nil pour le sauver. Allégorie attestant elle aussi que seule la Torah peut assurer notre salut. Celle-ci disent les Sages du Talmud, ne commence que par la deuxième lettre de l’alphabet, la première ayant été réservée aux Dix commandements. La véritable création n’a commencé qu’au Sinaï. Il est le début de la dernière récolte. Israël en représente les prémices, offerts en sacrifice pour que l’humanité tout entière puisse être rassasiée et sauvée. La libération de l’esclavage égyptien a été un don que D. a accordé collectivement aux Enfants d’Israël, alors que la révélation au mont Sinaï a été et reste une conquête à remporter sans cesse par chacun de nous.


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