CHOVOUOTH
LÉGENDE BIBLIQUE
Grande Soeur (Simone LEVY-HIRSCHLER)
Extrait de l'Amandier fleuri, avril mai 1950, Librairie Durlacher

Simone Lévy avait dix-neuf ans lorsque René Hirschler fut nommé rabbin de Mulhouse. Et c’est ainsi qu’il rencontra celle qui allait devenir sa disciple, sa secrétaire, sa collaboratrice, son animatrice, sa fiancée, sa femme. Avec elle il crée en 1931 Kadimah, "Bulletin bimensuel pour les communautés israélites de Mulhouse et du Haut-Rhin". Petite feuille au début, Kadimah devint rapidement une des meilleures revues juives de langue française. A la fin de chaque numéro on trouvait une note de charme, un article écrit à l’intention des enfants et que les grandes personnes lisaient avec ravissement, un conte signé : "Grande Sœur". Et "Grande Sœur" c’était Mademoiselle Lévy qui allait devenir Madame Hirschler. Arrêtée avec son mari à Marseille le 22 décembre 1943, elle est morte à Auschwitz aux environs du 12 avril 1944.


Dans le désert aride, le Mont Sinaï se dresse, sombre et mystérieux, et sa cime, baignée de lumière, demeure invisible aux yeux du peuple d'Israël rassemblé là pour entendre la Parole de Dieu. Tous, ils sont accourus, les enfants d'Israël les vieillards épuisés par leur dure captivité en Egypte, et qui pourtant s'obstinent à suivre de leurs pas chancelants la marche errante de leurs fils ; les hommes robustes qui soutiennent leurs femmes tremblantes ; les enfants craintifs qui se cramponnent aux vêtements de leurs parents. Et en avant de ce peuple qu'il conduit : Moïse.

Tous, ils savent qu'une heure unique va sonner, celle qui leur fera entendre la voix de leur Dieu, celle où sa bouche leur dictera leur Loi, cette Loi que les autres peuples ont repoussée, se sentant incapables de lui obéir.
Mais Dieu connaît le coeur et l'esprit de ses enfants et il leurdit :
"Peuple d'Israël, c'est toi que j'ai élu entre tous les peuple pour recevoir mes commandements. Mais quels garants me donneras-tu en échange de ma Loi ? Quelle preuve aurai-je que toujours tu la conserveras précieusement et que fidèlement tu l'observeras ?".

Les enfants d'Israël se consultent, puis ils répondent :
"O Eternel Tout-Puissant, veux-tu de nous comme garants de la Loi ?".
Mais la face de Dieu se voile :
"Peuple oublieux et présomptueux ! Comment pourrai-je avoir assez de confiance en toi pour te donner ma Loi ? Tant que tu es malheureux, tu gémis, et tu pleures, et tu m'implores. Mais dès que je t'ai tiré de ta misère, tu attribues à ta seule valeur ce changement de fortune et tu oublies mes bienfaits. Non, je ne saurais accepter tes garanties".

Une seconde fois, le peuple d'Israël cherche, et, adressant de nouveau le parole à son Dieu :
" O Seigneur, nous te proposons nos patriarches, Abraham, Isaac et Jacob. Acceptes-tu ces garants de ta Sainte Loi ?".
Mais Dieu détourne sa face de ses enfants et il leur dit :
"Peuple léger et inconstant ! il se peut que tu n'essaies pas toujours de suivre leur exemple et que bientôt tu ne leur accordes pas plus de valeur qu'à de vagues ombres qui se perdent dans le passé...".

Alors le peuple d'Israël prend peur. Dieu n'a eu foi ni dans le Présent, ni dans le Passé. Croira-t-il en l'Avenir ?
Et tremblant, il élève sa prière vers I'Eternel :
" Dieu de bonté et d'amour ! Il ne nous reste plus rien à t'offrir en garantie, plus rien que nos enfants et les enfants de nos enfants. Accepteras-tu ces gages ?".
Alors Dieu tourne sa face vers ses enfants, et il leur est favorable, et il dit :
" En tes enfants, et en les enfants de tes enfants j'aurai foi, ô mon peuple. Pour eux j'ai créé ma Loi, par eux elle vivra. Puissent-ils de génération en génération se la transmettre et l'accomplir. Pour eux, vous avez promis ; pour vous ils devront tenir".

Aussitôt, la montagne s'embrase. Des nuées de fumée descendent sur le cime, percées de larges traînées de lumière. Des éclairs sillonnent les cieux. Le tonnerre éclate de toutes parts. La nature, elle aussi, attend la Parole de Dieu, qui retentit déjà dans les cieux des cieux. Et la voix s'approche, frappe les oreilles des hommes.
"Je suis I'Eternel, ton Dieu "
Leurs oreilles, leurs yeux cherchent. D'abord épouvantés d'entendre cette parole qui n'a rien d'humain, ils veulent savoir d'où elle vient, ils veulent se précipiter aux pieds de Celui qui parle. Et la voix, insensible au trouble qui envahit leur âme, continue :
"... Qui t'ai fait sortir du pays d'Egypte, d'une maison d'esclavage".
"Tu n'auras pas d'autre Dieu que Moi...". Mais où est-il, Celui qui ne veut pas l'infidélité ?
Le vent souffle et emporte les échos de la voix qui parle et il semble aux hommes que la voix vient du Sud et ils courent tous vers le Sud.

Soudain, la voix, toujours égale, paraît se retourner... :
"Tu n'invoqueras pas le nom du Seigneur, ton Dieu, à l'appui du mensonge...".
Les mots, cette fois, accourent du Nord :
"Souviens-toi du jour du Sabbat pour le sanctifier...".

Et les Hébreux courent vers le Nord, pendant que la voix, déjà, semble venir de l'Est, - toujours la même :
"Honore ton père et ta mère pour que tes jours se prolongent longtemps sur la terre...".

Et le peuple d'Israël va vers l'Est, puis vers l'Ouest, sans qu'il puisse jamais trouver l'Etre qui parle et à qui il a promis obéissance. Il voudrait enfin le connaître, Celui à qui il a donné ses enfants pour garants !
Du Ciel, les paroles tombent maintenant :
"Tu ne tueras pas !
Tu ne commettras pas de vol..."

Ah ! Il est là-haut, plus haut que la montagne, Celui qui donne sa Loi à la terre : les yeux se lèvent, les bras se tendent vers les cieux. Mais qu'est-ce donc maintenant ? La terre se fend, et du centre de la terre, !a voix maintenant jaillit :
"Tu ne porteras pas de faux témoignage !
Tu ne convoiteras pas...".

Un moment, le silence s'étend sur la nature entière. Les Hébreux ne savent plus... Dieu qui parlait, où est-il ? Au Sud, au Nord, à l'Est, à l'Ouest, au Ciel, au sein de la terre ?
Et ils sont là, immobiles, serrés, innombrables, mais unis, pour la première fois et pour toujours. Et de l'horizon, un bruit parvient à leurs oreilles, faible d'abord, se renforçant de minute en minute. - Ce sont les mots sortis de la bouche divine, qui, ayant fait le tour de la terre, reviennent de tous côtés, encerclant le monde dans une multitude de couronnes.

Et les Hébreux comprennent alors...
Vous aussi, chers petits amis, vous avez compris. Les Hébreux étaient nos pères. Ils nous ont donnés, nous, les enfants de leurs enfants, comme garants de la Loi. Eux, ils sont morts. Mais s'ils ne peuvent plus nous rappeler leur serment, il y a le Ciel et la Terre, il y a le monde de tous les côtés qui ont participé à la révélation de Dieu. Dieu a parlé à travers eux, ils furent les instruments de sa voix, ils en sont maintenant toujours les témoins. C'est pourquoi notre devoir est d'accomplir les paroles de la Loi qui fut donnée par Dieu sur le Mont Sinaï, pour nous et pour toujours.
C'est cela, chers petits amis, que nous rappelle Chovouôth.

GRANDE SOEUR.      


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