Shavouoth à l'aube de la deuxième guerre mondiale

Chabouot - שבועות
Des tonnerres, des éclairs et une nuée épaisse

On l'a déjà souvent dit: Chabouot est une fête délicieuse, charmante. Au cœur du printemps qui promet les roses, Chabouot rappelle le jour, où les israélites offraient jadis à Dieu les prémices de leurs moissons, rappelle la touchante idylle de Ruth.
Mais les temps que nous traversons sont-ils idylliques ?

Le célèbre conventionnel Bertrand Barère, dans son optimisme alerte de méridional, se servait du son éloquence abondante et son style pompeux pour
colorer d'un brillant vernis les mesures les plus révolutionnaires et les plus tragiques, ce qui le fit surnommer l' "Anacréon de la guillotine".
Mais Barère avait l'excuse d'être gascon.

Chez nous, c'est le contraire; même une fête printanière nous plonge dans la méditation, et malgré l'histoire de Ruth, Chabouot 5693 nous inspire des idées peu conformes à la poésie pastorale.
Au fond, Chabouot n'est pas cette fête délicieuse, charmante qu'en ont voulu faire nos poètes et les prédicateurs anacréontiques. Cette fête est le glorieux anniversaire de la promulgation du Décalogue. Ceux qui n'ont pas l'avantage de pouvoir lire en hébreu le texte biblique qui rend la scène grandiose de la montagne de Sinaï toute fumante, en auront peut-être une pâle impression en repassant la description que Goethe en a faite.

Du point de vue moral et religieux, c'est l'événement le plus important de l'histoire universelle.
Israël a eu la primeur du code d'humanité et de justice sociale qui fait l'admiration de tous les êtres pensants. Si nous avons la mission de répandre ces vertus dans le monde, nous avons sûrement le droit de juger que les peuples de cette terre sont bien indociles, Ils sont des élèves qui maltraitent leurs maîtres.

Tous nos journaux, nos conversations, nos pensées s'occupent des Juifs allemands, victimes d'une persécution aussi haineuse qu'injustifiée. On est  écœuré de cette barbarie qui macule une -page honteuse de l'histoire germanique.
Mais l'infortune qui frappe nos coreligionnaires allemands ne peut nous faire oublier la détresse du judaïsme dans les pays de l'Europe orientale, où des centaines de  mille et des millions de- Juifs sont livrés à une agonie lente et silencieuse. On croirait à l'heure qu'il est que tous nos-adversaires se sont conjurés pour nous envelopper, pour nous entourer comme des abeilles, comme un feu de broussailles. ainsi que le dit le psalmiste.
Chabouot nous fait sentir mieux qu'une autre fête la petitesse de nos adversaires.

La loi, dont nous fêtons l'anniversaire, nous défend de contrister ni de molester l'étranger (gher).
La législation biblique est pour l'étranger d'un accueil, d'une prévenance que ne connaît aucun autre code du monde. Celui qui offense un coreligionnaire, viole une loi. Celui qui offense un étranger en viole trois. Un grand talmudiste de Strasbourg nous a montré un passage de la Guemara Baba Metsia 59b, selon lequel la Bible recommande trente-six ou quarante-six fois l'étranger à notre attention particulière.
Voilà pourquoi les nations persécutent Israël et le mettent hors la loi.
Ainsi on récompense ceux qui, depuis plus de 3000 ans, renouvellent à la fête de Chabouot la proclamation d'une humanité et d'une justice supérieures.
(Interim)

Le pacte du Sinaï et le pacte de l'émancipation

Les trois fêtes appelées regalim, Pâque, Chabouoth et Souccoth, sont inégalement observées en Alsace. Les milieux libéraux qui constituent notre judaïsme "conservateur" attachent plus d'importance aux autres fêtes qu'à Chabouoth.
Les pains azymes et les branches du palmier qui aggravent l'austérité de Pâque  et de Souccoth ont contribué à faire mieux respecter ces deux fêtes que les jours de fête que nous apporte le mois de mai el qui nous rappellent l'idylle de Ruth et Booz, tableau du Poussin.

Nicolas Poussin : L'été ou Ruth et Booz (1660-64) - Musée du Louvre
En réalité. Chabouoth est ou devrait être la fête la plus représentative, la véritable fête du judaïsme. C'est la fête de la législation sinaïtique. Que nos contemporains l'observent plus ou moins consciencieusement, Chabouoth et Matane Torah (le don de la Torah) ont déterminé le rôle d'Israël.
La caravane juive qui quitte la Babylonie suivant le rescrit de Cyrus donné en 538 de sa résidence d'été d'Ecbatane ne parvenait pas pendant deux générations à s'organiser dans un Etat policé. Les riches opprimaient les pauvres qui étaient obligés de leur abandonner leurs terres. L'iniquité et la méchanceté faisaient rage. Les prêtres manquaient à leur devoir de guides et perdaient le respect de la population. Le Sabbat n'était pas observé. Les offrandes apportées au temple par les fidèles étaient de qualité inférieure. Une élite de pieux se demandait avec mélancolie, s'il y avait quelque avantage de servir le Dieu-Un.
Les coreligionnaires restés en Babylonie étaient affligés d'apprendre la situation malheureuse de la nouvelle communauté. Une mission chargée d'examiner les affaires de Judée devait se rendre à Jérusalem. A la tête de cette expédition fut Ezra, un prêtre versé dans la Torah, un scribe, un sopher, ce qui veut dire docteur de la Loi. Lorsqu'il partit de Babylone en 458, quatre-vingts ans après le départ de Chechbassar, le roi Artaxerxès ne lui avait pas seulement donné des dons magnifiques pour le temple du Dieu-Un, mais il avait aussi confié à Ezra l'autorisation de désigner des magistrats et des fonctionnaires avec plein pouvoir de juridiction conformément à la Torah de Moïse.
Nous attribuons cette attitude du Grand roi au prestige opéré par la révélation du Sinaï.

Au vingtième siècle, nous avons vu les chefs du plus puissant empire du globe poursuivre une politique favorable aux tendances de ceux qui veulent reconstruire Erets Israël. Le deux novembre 1917, Lord Rothschild reçut d'Arthur Balfour, secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères de la Grande-Bretagne, la lettre suivante: "Le gouvernement de Sa Majesté envisage avec faveur la création en Palestine d'un foyer national pour le peuple juif et fera de son mieux peur faciliter la réalisation de ce but"
Le rayonnement de la Bible, l'action du Décalogue sur la pensée et la moralité des hommes ont certainement beaucoup contribué à acquérir au mouvement sioniste la bienveillance et l'intérêt ses Anglais, amis de l'Ecriture sainte.
.Nous avons eu les sympathies des peuples civilisés, parce que nous sommes le peuple du Livre. La Loi est devenue, comme il est écrit dans le Pentateuque, notre sagesse et notre intelligence aux yeux des peuples ; car lorsqu'ils ont pris connaissance de toute notre législation, ils ont dit: "Elle ne peut être que sage et intelligente, cette grande nation" (Deutéronome 4:61).

Est-ce qu'ils ne le disent plus, parce que nous n'observons plus les prescriptions de la Bible?
Ce qui est certain c'est qu'en nous défendant contre les calomnies et les injures des propagandistes de la haine antijuive, nous n'invoquons pas notre pacte sinaïtique, nous ne leur disons pas qu'ils offensent le peuple qui a conclu une alliance avec Dieu dans le but de devenir un royaume de prêtres, une nation sainte. Le Sinaï, la révélation, la fête de Chabouoth, c'est la vocation d'Israël au service de Dieu, cette vocation qui nous a procuré l'influence morale dans le monde, notre position particulière et exceptionnelle au milieu des nations, notre rôle historique et notre pathos : mais nous n'en profitons pas, nous n'en parlons pas. Est-ce que les autres ne nous croiraient pas, ou n'avons-nous plus la force de rappeler ce pacte?
Que répondons-nous en réalité à nos insulteurs ? Vous nous avez accordé l'égalité civique. Vous nous avez dit dans votre pacte que si nous devenons pareils à vous, nous serons considérés comme semblables à vous. Après que nous ayons tout abandonné pour devenir comme vous, vous nous trouvez tout de même différents de vous. En nous attaquant, vous oubliez que nous avons fait des efforts surhumains, que nous avons tout fait pour ne plus être juifs. Votre esprit est mal tourné, votre œil est mal fait, sans cela vous verriez que nous vous ressemblons si bien que nous réalisons mieux que vous vos théories de liberté. Nous sommes obligés de vous révéler le sens de la liberté. Mais si vous nous faites la guerre, nous vous rappelons que vous rompez le pacte.

Mais bien que la fidélité et l'infidélité aux pactes soit le sujet de notre histoire et de celle des autres, on peut se demander, pourquoi nos adversaires ne respectent pas davantage ceux qui sont malgré tout les héritiers de la législation sinaïtique.
L. D.

 

 


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