Une Meguila de l'époque révolutionnaire (suite)

Assuérus et Vashti :
C'est, nous l'avons dit, la toute première illustration de notre meguila (voir la reproduction dans Histoire des Juifs en France, pl. XXI, face à la page 288).
Le portrait d'Assuérus - sous les traits de Louis XVI - est accompagné d'un texte judéo-allemand en cursive :
Ich Ahashwerosh geboren aus geringen Stand
bin ein König geworden über ein grosses Land
.
Moi, Assuérus, né de petite condition
je suis devenu roi d'un grand pays.
Celui à gauche, de Vashti/Marie-Antoinette, a pour légende :
Vashti mei persianiche Princessin hat die juden...
…Mädchen bös verursacht
Darum wird die Todt auf Ihr gebüracht..
Vashti, ma princesse persane,
a guidé vers le mal les filles d'Israël,
c'est pourquoi elle mérite la mort.
Le Midrash considère Assuérus comme un usurpateur, Vashti étant la petite fille de Nabuchodonosor et l'héritière légitime du trône. Toujours selon le Midrash, Vashti aurait fait répondre à Assuérus qui lui enjoignait à montrer sa nudité aux princes assemblés : "Lorsque tu étais maître des écuries du roi mon père, tu avais l'habitude de lui amener des courtisanes pour son plaisir, maintenant tu veux en user de même avec moi". Le Midrash nous explique donc l'expression : "né de petite condition".
Vashti présidait le festin des femmes comme Assuérus celui des hommes. Nos maîtres jugent sévèrement Vashti qui donna aux femmes le mauvais exemple, les incitant au luxe et à la débauche, entraînant dans la même corruption les filles juives. Et le Midrash d'affirmer : "Quatre femmes se sont couvertes de péchés, Jézabel et Athalie chez les Juifs, Sémiramis et Vashti parmi les nations" (Midrash Esther 89 b). Un autre Midrash raconte que Vashti prenait plaisir à faire travailler ses jeunes esclaves juives le samedi, et, pour ajouter à leur confusion et les humilier davantage, elle exigeait qu'elles fussent dévêtues. C'est pourquoi Vashti fut humiliée un samedi.

Vashti sous la guillotine :
Le deuxième dessin (v. ici-même pl. face à la page 192) montre Assuérus qui ayant à son côté l'eunuque Harbona, chef des gardes, assiste à l'exécution capitale de la reine Vashti. On aperçoit la reine couchée sur l'échafaud la tête tranchée par la guillotine, tête que Haman tient dans sa main. Les "dernières paroles" de Vashti sont données en cursive :
So närriche König, die Schande welches man mir tut
wird kommen über dir und dein Blut.
Roi insensé, l'outrage qui m'est fait
rejaillira sur toi et ta descendance.
Roi insensé : aussi bien le Targum que le Midrash utilisent souvent le mot "fou" à propos d'Assuérus. "Dites à votre Roi, qui est aussi fou que vous..." répond Vashti aux eunuques qui lui demandent de se montrer aux princes. Quant à l'exécution capitale, on ne la trouve pas dans le rouleau d'Esther. Mais le Midrash met ces mots dans la bouche d'Assuérus : "Si tu ne m'obéis pas, et si tu ne te présentes pas devant moi et les princes, je te ferai tuer, et ravirai ta beauté."

Epilogue et fête de Purim :
Dans son dernier dessin, notre manuscrit montre l'intérieur d'une synagogue, au moment où le hazan, l'officiant, va monter sur la bima, l'estrade, pour lire la meguila. La bima est monumentale, et on y monte par un escalier à cinq marches : un enseignement précieux sur les synagogues de la fin du 18ème siècle en Alsace. La bima, comme au moyen âge, était encore le centre d'intérêt de la synagogue, avant d'être peu à peu réduite à un pupitre placé devant l'aron ha-qodesh. Un immense lustre à deux étages domine la bima. La meguila est ouverte sur le pupitre. Là notre dessinateur a commis une erreur, en la représentant avec deux montants comme un sefer Torah : la meguila a toujours été enroulée sur un seul bois. Cette fois, ce n'est pas un personnage figurant sur le dessin qui prend la parole, mais le scribe lui-même qui dit (en cursive et en judéo-allemand) :
Ihr mein juden brüder halt Mordechai sein Gebot
und denkt an das grosse Wunder das Gott uns gegeben hot
das ihr am Purim frölich seit
und nie vergessen an die arme Leit.

Vous mes frères juifs, observez le commandement de Mardochée,
et rappelez-vous le grand miracle que Dieu a accompli
Soyez joyeux à Purim
et n'oubliez jamais les pauvres gens.

 

 

 

 

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