ETUDES SUR POURIM

par Samy Klein

Ces textes sont extraits de la brochure POURIM, textes pour servir à la préparation de la fête, publiée par les Eclaireurs Israélites de France en 1946 sous la direction du grand rabbin Schilli, alors aumônier général des E.I.F. à la suite de Sammy Klein qui avait été fusillé en juillet 1944. On notera dans ces Etudes rédigées pendant la guerre, des accents évoquant la situation à laquelle était confronté leur auteur.

QUELQUES NOTES SUR LES PRIERES DE POURIM

Le passage le plus condensé qui résume en quelques phrases toute l'origine de la fête est sans doute le fameux « Al Hanissim », que nous intercalons dans « la bénédiction des dix-huit » et la prière après le repas. La place qui a été choisie dans ces deux prières est celle où l'hommage pour tous les bienfaits et la reconnaissance profonde que nous devons à Dieu se trouvent exprimés d'une manière très précise. Elle est plus courte pour Pourim que pour Hanoukah, car, comme le dit un commentaire spirituel, son sujet est également court. Il s'agit de l'extermination de tous les Juifs, qui n'a pas besoin de beaucoup de commentaires. Certains voient dans l'adjectif « le méchant », qui n'a été donné qu'au seul Aman, une distinction faite intentionnellement entre lui et la masse de la population persane. Question délicate entre toutes, qui nous mène tout droit à une discussion d'une brûlante actualité qui est loin d'être achevée.

Le sujet de la lecture de la Thora est l'attaque d'Amalec (Exode 17:8-16) dont, d'après la tradition, Aman était un descendant direct. La raison paraît cependant être différente. Lorsque Dieu demande à Moïse de conserver le souvenir de la défaite d'Amalec et de ne pas laisser vivre quiconque est issu de cette tribu inhumaine, le texte de la Thora ajoute : « Car la main de Dieu eest levée sur son trône, guerre contre Amalec de génération en génération ». Le mot « trône » en hébreu est littéralement rendu par : Quissé. Le terme employé ici est : queïs. Donc forme incomplète du mot originel. La tradition l'interprète : tant que la guerre contre Amalec dure, le trône de Dieu est incomplet, inachevé, les principes de Justice et de violence sont incompatibles, pas de compromis entre la justice divine dont celle des hommes doit s'inspirer, et le principe de la domination par les armes. Pourim, dans notre histoire, est un pas en avant vers l'accomplissement et l'achèvement du principe divin.

"Les servantes d'Esther et ses eunuques vinrent lui annoncer cela, et la reine fut très effrayée" (Est. 4:4) - extrait de La Bible illustrée par Gustave Doré
La prière la plus caractéristique de nos jours de joie, le fameux « Hallel », ne figure pas dans la liturgie de de Pourim. La raison semble être que, contrairement aux trois fêtes de pèlerinage et à Hanoukah, Pourim n’a pas atteint cette intensité spirituelle qui confère un caractère bien spécifique aux autres fêtes. Nous nous sommes battus pour notre vie, nos mains se sont mouillées de sang, et comme ce n'est pas David qui a pu bâtir la maison pure de Dieu, mais seulement son fils Salomon, de même Pourim qui nous trouve encore en pleine période de défense et d'attaque, ne peut pas atteindre le calme et l'élévation indispensable pour chanter la gloire de l'Eternel. N'oublions pas que Hanoukah ne se situe dans l'histoire qu'après seulement l'achèvement de la vraie libération, et que nous y sentons nettement le tournant qui a conduit de la phase bouleversée et violente de la guerre vers la construction et la sanctification de la paix.


EN ETUDIANT LA MEGUILLA

Il faut lire ce qui suit avec un Livre d'Esther à portée de la main.

APERCU

La "Meguilla" ou Livre d'Esther se trouve dans la troisième partie de la Bible, les Hagiographes. Elle constitue le 34ème des 39 livres contenus dans l'Ancien testament, en est donc une des parties les plus récentes (ce qui n'est pas étonnant puisque Esther vivait au début du 5ème siècle avant l'ère chrétienne).

La «Meguilla d'Esther» est la dernière des cinq Meguilloth. On appelle « Meguilla» (pluriel Meguilloth) un rouleau, ancêtre du livre, sur lequel étaient notés des hauts faits, des enseignements, des prophéties, etc. Les quatre autres Meguilloth sont : Le Cantique des Cantiques, le Livre de Ruth, les Lamentations de Jérémie, l'Ecclésiaste .

Avec le Livre d'Esther ce sont cinq ouvrages qui se distinguent notamment des autres parties de la Bible (la Thora exceptée) par ce qu'ils étaient lus souvent, au cours de l'année : le Cantique à Pessa'h, Ruth à Chabouoth, les Lamentations le 9 Ab, l'Ecclésiaste pendant Souccoth et la Meguilla d'Esther deux fois à Pourim : une fois la veille au soir, une seconde fois le matin de la fête. Le Livre d'Esther étant, par son contenu, très populaire, on l'appelle la Meguilla tout court. Et on le lit, avec amour, sur un air qui est presque une mélopée.

PLAN

La Meguilla contient de brusques alternatives de joie et de tristesses, reflétant ainsi, condensées en une courte époque, toutes les fluctuations de l'histoire d'Israël.

On peut distinguer cinq parties dans la Meguilla :

I. Politique conjugale du roi Assuérus (chapitres I et II).

  1. Le roi enivré se fâche contre la reine Vachti, la répudie et décide de la remplacer par celle des jeunes filles de Suse qui lui plaira le plus (I et II, l à 4).
  2. La cousine du Juif Mardochée (et non sa nièce comme on le dit d'habitude, cf. à ce sujet : Esther 2:7), la jeune Hadassa, appelée Esther en persan, est enlevée de la maison de son cousin et tuteur et amenée à la cour du roi pour concourir (II, 5 à 9).
  3. Esther plaît au roi et devient reine, sans cependant révéler qu'elle est juive, son cousin lui ayant demandé de taire ses origines. Mardochée, qui veillait au grain, dénonce deux soldats qui complotaient contre le roi. Les délinquants sont pendus et le fait enregistré dans les Annales du royaume (II, 10 à 23).

II. Grandeur et projets d'Aman. (chapitre III).

  1. Aman devient grand dignitaire de la cour et exige que l'on se prosterne sur son passage. Mardochée se refuse à le faire pour raisons religieuses. Il est dénoncé à Aman (III, l à 5).
  2. Sachant que Mardochée est Juif, Aman tire au sort le jour (le 13 Adar) qui doit être, dans tout le royaume, le jour d'extermination des Juifs. Moyennant dix mille sicles d'argent, il obtient cette faveur du roi (III, 6 à 15).

III. Deuil d'Israël et intervention d'Esther (chapitres IV et V).

  1. Ne voulant pas risquer sa couronne, Esther commence par refuser d'intervenir. Mais Mardochée lui ayant montré son devoir, elle fixe un jeûne de trois jours et se décide à aller trouver le roi (IV).
  2. Esther, timide, demande simplement à Assuérus de venir à un dîner avec Aman. Puis au dîner elle les invite une nouvelle fois, sans oser parler (V, l à 8).
  3. Aman qui se rengorge de ces faveurs prépare une potence pour Mardochée (V, 9 à 14).

"Et Haman prit le vêtement et le cheval, il revêtit Mardochée, il le promena à cheval à travers la ville" (Est. 6:11) - extrait de La Bible illustrée par Gustave Doré
IV. La délivrance (chapitres VI, VIl, VIII).

  1. Le roi ne pouvant dormir se fait lire les Annales. Il y trouve écrit que Mardochée l'avait sauvé d'un complot et il apprend alors que pour toute récompense on le persécute (VI, l à 3).
  2. Au même moment apparaît Aman, venant demander au roi l'autorisation de pendre Mardochée (VI, 4 et 5).
  3. Suit le superbe quiproquo où Aman, se croyant toujours favori, désigne au roi un certain nombre d'honneurs qu'il se destine à lui-même et qu'Assuérus lui demande de décerner à Mardochée (VI, 6 à 14).
  4. Venu au second banquet d'Esther, Aman se voit accusé par la reine d'en vouloir à sa vie puisqu'elle est juive. Surpris par le roi dans une position équivoque, Aman va être chassé par Assuérus. Les choses se gâtent tout à fait pour Aman quand on annonce au roi que celui-ci a préparé chez lui une potence de cinquante coudées de haut : le roi ordonne qu'on l'y pende, ce qui est fait (VIl).
  5. Mardochée est mis à la place d'Aman et les Juifs font à leurs adversaires ce que ces derniers avaient projeté contre eux (VIII).

V. Fixation de la fête de Pourim (chapitres IX et X).
Dans toutes les provinces on commémore cet heureux évènement par une fête, chaque année en Adar.

REMARQUES GENERALES

La Meguilla est d'une sobriété exquise ; aux moments les plus passionnants, un enchaînement de deux ou trois versets seulement, sans liaison aucune, donne la note dramatique. Comme dans la Thora, la simplicité est voulue, les redites volontaires. C'est ainsi qu'au chapitre 4, quand Mardochée demande à sa jeune cousine d'intervenir auprès d'Assuérus pour ses frères, les répliques sont saisissantes. La musique de ce passage, d'une monotonie expressive, souligne encore le tragique de la situation. En effet, dans toute la Bible, le pathétique est marqué par un excès de simplicité (cf. à ce sujet : Genèse 3:9-16 ; 4:8 ; 38:19-24 ; Nombres 12:13 ; Ruth l:5-6 etc.). Même remarque pour le passage qui voit la disgrâce d'Aman (VII, 5 à 10).

S'il s'agissait d'un livre moderne, on dirait de la Meguilla qu'elle est admirablement bien composée : pas un mot de trop et chaque détail vient à sa place. Ainsi, à la fin du chapitre 5, Aman prépare la potence et se vante de ses succès auprès des siens ; nous n'en comprenons que mieux, au chapitre 6 , l'ironie de la situation d'Aman, et au chapitre 7 , sa subite dégringolade.

La Meguilla est le seul livre de la Bible qui ne mentionne pas une seule fois le nom divin (pas plus Elohim qu'Adonaï),car c'est un livre populaire. La fois où l'on sent que la mention de Dieu a été soigneusement évitée, c'est au chapitre 4, verset 14, quand Mardochée reproche véhémentement à Esther son inaction. Il lui dit alors : «...Et si toi tu restes inactive en une époque comme la nôtre, sache que n'importe comment le salut nous viendra d'ailleurs (makôm a'her).»

La Meguilla, enfin, illustre admirablement le proverbe: « Tel est pris qui croyait prendre ». En supprimant le premier r du dernier mot on arrive même à faire un assez piètre calembour, tout à fait dans la note de Pourim.

ENSEIGNEMENTS

Sous le roi Assuérus, les Juifs persans vivaient heureux et libres, insouciants et sûrs de leur avenir. Et soudain, par la fantaisie d'un dignitaire qui veut assouvir une vengeance «personnelle», ils se trouvent persécutés. On avait déjà vu la rnême chose en Egypte dix siècles plus tôt (cf. Exode l:7-11). Et on le reverra souvent dans l'histoire...

Mais à Suse la délivrance est venue avec la même rapidité que l'épreuve : entre le moment où Aman propose ses projets au roi et celui où Assuérus fait pendre son conseiller, onze mois seulement s'écoulent, d'où la joie délirante que revêt la fête de Pourim.

Que penser de l'attitude d'Esther ? Elle est juive et a trouvé une situation de tout repos à la cour, mais refuse tout d'abord de faire aucune démarche pour ses coreligionnaires. Heureusement son cousin et tuteur vient énergiquement la rappeler à l'ordre en lui disant (ch.IV, v. 13 et 14) : Ne t'imagine surtout pas que la maison du roi t'offre un abri sûr, qui te différencie des autres Juifs. «Car si tu restes inactive, à une pareille époque, le salut viendra aux Juifs d'ailleurs ; quant à toi et à ta famille, vous disparaîtrez quand même.» Ces fortes paroles ont immédiatement leur effet.

On sait que sur l'ordre de Mardochée, Esther n'avait divulgué à personne de la cour ses origines juives. A-t-elle bien fait ? En l'occurence, oui, puisque cela va lui permettre d'user auprès d'Assuérus d'un effet de surprise qui contribue beaucoup à lui donner gain de cause. Mais ce n'est pas du tout une attitude à généraliser.

C'est avec une caution de dix mille sicles d'argent (fortune considérable à l'époque) qu'Aman obtient du roi l'autorisation de persécuter les Juifs. Cet exemple n'est pas le seul dans l'histoire juive.

Une dernière leçon : quand Mardochée eut découvert le complot contre Assuérus (II, 21-23), il le signala à Esther. Celle-ci le fit savoir au roi en spécifiant que c'était Mardochée qui l'avait découvert. C'est à ce détail qu'est dû le retour de fortune (ch. VI). En effet, si la reine n'avait pas rapporté le fait au nom de Mardochée, ce dernier serait resté un inconnu pour Assuérus qui ne l'aurait pas fait honorer comme il le méritait. C'est pourquoi le Talmud nous dit : "Il faut toujours rapporter ce qu'on sait en citant celui qui vous l'a appris."

Ne pas s'approprier les idées d'autrui, pour éviter des malentendus, voilà certes une leçon inattendue de la Meguilla .


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