REFLEXIONS SUR PESSAH

Edgard WEILL,  rabbin

LA JOIE D'EXISTER !...

Pessa'h 5762 (2002)

Moise La fête juive est originale. Pessa'h prend une singulière signification au gré de son environnement qui, d'année en année, lui assure une permanente actualité. Au Séder, nous nous accoudons pour proclamer haut et fort que nous sommes libres comme nos Pères quand, à pied sec, ils avaient franchi la Mer Rouge. En y réfléchissant bien, sommes-nous aussi libres que nous le prétendons ? J'estime que plus que jamais nous avons le devoir d'imiter nos Pères. Comment ? En prenant le chemin du Sinaï et en rompant les chaînes qui nous asservissent d'une main de fer et combien souvent, à notre insu. De cette façon, nous nous libérerons comme eux se sont libérés ! Cet élan d'enthousiasme renouvelé suffira-t-il pour effacer tous les esclavages que le monde présent nous fait subir ? Il est vrai que ce n'est pas une tâche facile.

Pour atteindre ce but, il faudra faire de Pessa'h un jalon sur le chemin de notre renaissance. C'est le moment de l'année juive où chacun de nous mesurera la route parcourue depuis le Pessa'h de l'année dernière et supputera la longueur du chemin qui reste à parcourir à partir du présent Pessa'h ! Comment saurions-nous corriger les dérives du monde actuel si, nous aussi, nous nous permettions d'être atteints des vices de notre temps ?

Le soir, durant le récit de la Haggadah, nous désignerons les symboles réunis sur le plat du Séder pour nous rappeler et rappeler à la face du monde que si D. nous a sauvés des mains meurtrières de nos persécuteurs, c'était pour lui servir de porte-drapeau sans cesse sur la brèche. Notre vocation est de vivre dangereusement. Notre devoir est de nous interroger si nous avons écarté de nos cœurs et de notre chemin le levain ; le levain qui, en s'enflant, étouffe si vite les meilleurs bonnes volontés. Plus que nous le pensons, le monde extérieur nous observe. Notre différence qui certes incommode, vise à faire progresser le monde vers un avenir plus souriant.

Il est naturellement difficile d'admettre que c'est là le rôle du Juif dans le monde. En l'assumant, nous prenons des risques ; notre histoire les illustre à foison. Il suffit de se rappeler les plaies d'Egypte. Après chacune d'elles, le cœur de Pharaon s'endurcit en même temps que naissent ses ressentiments à l'égard de nos ancêtres. Une attitude qui devient de plus en plus hostile. C'est au prix de cette haine grandissante que les prodiges de D. en faveur de nos pères se réalisent.

Aussi, dans notre histoire, ce qui est intéressant, ce n'est pas tant le passage de la Mer Rouge comme Cecil B. de Mille en raconte les péripéties dans son film Les Dix commandements ... C'est surtout le sens et la portée de cette libération qui en sont les authentiques révélations.. C'est la révélation de la force d'un peuple solidaire, fraternel, qui ne connaît plus ni maître, ni esclave. Il faut retrouver au cœur même de la vie ce qui, dans cette vie, lui donne le vrai sens ; celui qui conduit au choix des vraies valeurs. Il ne serait par exemple, pas recommandable d'imiter la femme de Loth, pétrifiée pour s'être retournée avec regrets sur Sodome. C'est à cette condition, que nous saurons à nouveau nous réjouir d'exister.


A PESSA’H, NOUS NOUS ACCOUDONS

Pessa'h 5761 (2001)

Mer rouge"Parle aux enfants d’Israël et dis leur qu’ils entrent dans la mer, pour combattre ses flots. La mer ne s’est pas écartée avant qu’ils ne s’y soient enfoncés jusqu’au nez »..

Pour bien nous rendre à l’évidence que nous sommes libérés des servitudes de l’Egypte et aussi de toutes les autres, on nous recommande de nous accouder pendant la cérémonie du Séder. Au moment où je rédige cet article, je me sentirais mal à l’aise dans cette position confortable, en énumérant tout ce que j’entends et tout ce que je lis. Inondation  : l’eau pénètre dans les habitations et rend la vie difficile aux occupants. De nombreux convoyeurs de fonds payent de leur vie la soif d’argent des truands cupides et sans scrupule. Des gendarmes tombent sous les balles de trafiquants de drogue. Des enfants sont victimes de violeurs.

En présence d’une telle avalanche de mauvaises nouvelles décourageantes, le verset que j’ai cité plus haut nous fournit une lueur d’espoir. Ce serait, en effet, une grande erreur de s’imaginer que nos ancêtres sortis d’Egypte se sont précipités dans les flots de la Mer Rouge. Ils ont comme nous aujourd’hui, peur du lendemain. Certains regrettent de se trouver devant une telle alternative. On dit même que les moins courageux n’excluent pas le suicide, voire la noyade. D’aucuns envisagent allègrement le retour en Egypte, avec le secret espoir de parlementer et d’obtenir quelques concessions de la part du Pharaon. Pour que le miracle se produise, pour que D. accorde sa protection, il faut que nous, comme eux autrefois, nous fassions preuve de confiance ! Ils doivent s’enfoncer dans l’eau jusqu’au nez…C’est seulement alors, que D. intervient. La liberté n’apparaît plus comme un don du ciel. C’est un inestimable bien qui est soit à reconquérir, soit à défendre.

Un petit conte ‘Hassidique exprime d’une manière très réaliste une pensée analogue. Rabbi Salomon dit :  "si tu veux tirer un homme de la vase et de la boue, ne crois pas que tu peux rester là où tu es et te contenter de lui tendre, d’en haut, une main secourable. Tu dois descendre et te plonger tout entier dans la boue. Arrivé là, saisis-le avec des mains fortes et ramène-le à la lumière, lui et toi-même".

Laissons à Cronin le soin de conclure : "le salut de cette planète profondément troublée, ne réside ni dans le luxe, ni dans les amusements, ni dans cette aisance matérielle qui anémie le corps et amollit l’âme, mais bien dans le cœur et dans la volonté de chacun de nous. L’homme doué de la faculté de tisser son destin dans le sens du bien ou du mal, a dompté les bêtes sauvages, maîtrisé les éléments, conquis l’océan et l’air, mais il ne connaîtra l’authentique liberté et le vrai bonheur que dans la mesure où il se sera dompté lui-même".


UN RECIT INEDIT…

Pessa'h 5760 (2000)

Je vous entends, cher lecteur : «dans chaque article, il nous raconte la même chose». Il faut reconnaître que l’inédit est une denrée rare. Celle-ci est d’autant plus recherchée que, cerner la signification de la fête de Pâque avec toujours plus de précision, représente un inestimable progrès. Un progrès autant apprécié de l’auteur de l’article, que de ses lecteurs attentifs.

Pourquoi dans cet article, n’aborderais-je pas la signification de Pâque à travers la richesse de la langue hébraïque ?  Non sans noter que cette richesse n’est nullement évidente ? Le prétendre serait une affirmation injustifiée. En effet, une langue peut-elle être riche quand son vocabulaire et sa grammaire se construisent exclusivement sur des racines trilitères ? Sa singularité et sa richesse viennent souvent de la multiplicité des significations se rapportant au même mot. Prenons un exemple dans le Talmud. ‘Hamor  peut aussi bien désigner un âne qu’un fût. « Dans ces conditions, comment reconnaître la vraie signification ?». A l’élève qui a posé cette question, le maître répond : «quand le ‘Hamor est dans l’écurie c’est un âne, placé dans la cave il devient tout naturellement un tonneau».

Ce même raisonnement est applicable à la fête de Pâque. Pour y parvenir, je vais pour commencer tenter de décrire un objet ancien. Nos aïeux se sont  servis d’une bourse pour y mettre leur monnaie. C’est un sac qui s’ouvre en tirant sur ses bords supérieurs et qui se referme en tirant avec les deux mains sur une cordelière coulissante. La bourse fermée, les plis serrés autour du goulot du sac,  évoque l’image de l’angoisse étreignant le cœur ; le cœur étranglé par  la peur du lendemain. L‘autre, l’ouverture béante, suggère l’agréable impression d’être au large, d’être libre, de pouvoir jouir de toutes ses facultés.

Seder

YEITZAR c’est être à l’étroit. TSORAR veut dire en hébreu : harceler, tourmenter. En Egypte sous la houlette des Pharaons, les Enfants d’Israël sont à l’étroit. Ils seront au large, quand Dieu les en fera sortir.

MITZRAIM est le mot hébraïque de l’Egypte. C’est peut-être un hasard que ce mot semble construit sur la racine trilitère signifiant être à l’étroit. Ne faut-il pas reconnaître que le hasard n’est sans doute pas fortuit ? fortuit au point qu’un cartésien souhaiterait l’affirmer pour le confort de sa pensée !

N’appliquer ce commentaire sémantique qu’à l’événement historique serait réduire singulièrement sa portée. Chaque année au printemps, Dieu vient mettre en nos mains une clé pour sortir de Mitzraïm. Les tranquillisants que nous avalons prouvent à quel point nous sommes souvent écrasés par nos nerfs. Cette sortie mieux que ces pilules, nous mettrait au large, nous permettrait de respirer plus librement. Aussi, Pessa’h nous indique une marche à suivre, un Séder, un ordre à respecter, du levain à écarter de nos appartements et aussi de notre cœur, rappelant le geste d’autrefois des cordelières ouvrant les bourses à monnaie. C’est pour cela que nous lisons dans la Haggadah : « dans tous les siècles, chacun de nous a le devoir de se considérer comme s’il était sorti lui-même de l’Egypte …»

C’est de cette obligation toujours renouvelée que surgit une vérité universelle : l’inaliénable principe, reconnu aujourd’hui par tout le monde, de la liberté humaine. 


Les "quatre fils" de la Hagada gravés sur une coupe de Pâque en argent.


Sage

Le Sage


Mechant

Le Méchant


naif

Le Naïf


Ne sait pas

Celui qui ne sait pas poser de questions

UN PROBLEME D’EDUCATION…

Pessa'h 5759 (1999)

“ Et afin que tu racontes à ton fils, à ton petit-fils, ce que j’ai fait aux Egyptiens, les merveilles que j’ai opérées contre eux... ” (Exode ch.10 v.2).

Dans le monde actuel l’éducation des enfants peut rarement être citée en exemple. Certes, les solutions préconisées pour l’améliorer ne manquent pas et sont sans doute bonnes. Cependant, étant mal ou pas du tout appliquées, elles sont ou inexistantes ou inefficaces. On impute à la vie économique la responsabilité de cette situation. Le chômage avec son cortège d’inconvénients, tout autant que l’emploi et les loisirs sollicitent la totalité du temps des parents. De la sorte l’enfant est livré à lui-même, et succombe parfois aux mauvaises influences d’un entourage malsain. Le travail scolaire sera le premier à en pâtir, tel et si bien que l’avenir de l’enfant est souvent sérieusement compromis. Cette situation prenant de d’ampleur, il n’est pas hasardeux d’affirmer que la vie sociale est en péril et la sécurité de chacun de plus en plus menacée. Les sociologues les plus avertis cherchent vainement le remède pour éviter cette dangereuse dérive.

Pour toutes ces raisons le judaïsme s’est de tout temps penché sur ce problème et réserve pour cette raison à la vie de la famille une place prioritaire. Cet aspect est surtout et une fois de plus mis en évidence à l’occasion de la fête de Pâque. Les deux premiers soirs, à table où se déroule la cérémonie du Seder, la Hagada, le livre lu au cours de cette soirée, parle de quatre différents enfants. On assiste à une véritable leçon de pédagogie. Le maître de cérémonie, généralement le père doit en premier lieu tenir compte du degré d’intelligence de chacun de ses enfants, l’un peut être sage, l’autre naïf ou encore incapable de formuler correctement une question. Ce qui est le plus surprenant dans l’énumération de ces différentes catégories, c’est de n’avoir pas oublié de mentionner le Rochoh, le méchant. On réserve même à celui-ci une place de choix. Sa question est significative : “ que représente pour vous ce rite ? ”

Son portrait :

Pour lui, sa naissance a été un accident regrettable. Pour lui, le rite de Pâque est inexistant. Comme s’il avait honte de son origine, il ne veut rien avoir de commun avec les siens. Leur croyance est pour lui un domaine étranger. Il ne se sent à l’aise qu’en marge de la communauté des siens. Un tel profil semble d’emblée exclure tout dialogue. Pour nous, quoiqu’il pense, quoiqu’il fasse, quoiqu’il entreprenne, il reste irrévocablement ce qu’il est. Une telle appartenance ne s’efface pas d’un coup de gomme. Ici, une parenthèse entièrement hors du sujet s’impose. Cette formule si constructive est devenue pendant la dernière guerre une formule sinistre, notre arrêt de mort. Hitler s’en est servi dans ce but. Il est la clé de la solution finale. André Frossard la résume en une sinistre précision dans son Crime contre l’Humanité  : "le Juif ne pouvait cesser d’être juif...son tort étant d’exister, son sort était sans issue, la seule pièce de son dossier était son acte de naissance."

Revenons à notre jeune désemparé. Comme aux autres, et sans doute plus qu’aux autres, nous lui devons toute notre sollicitude, toute notre affection. Nous devons nous dire, que s’il est, ce qu’il est, il le doit à notre éducation manquée ; manquée par excès de zèle ou par négligence. Les motifs ne manquent pas. Les interdits imposés sous la menace de sévices divins, dont les effets négatifs ne sont plus à démontrer sont aussi néfastes que les railleries exprimées par fanfaronnade, par ignorance ou pour donner l’apparence d’être ce qu’on n’est pas. Tous, nous avons notre part de responsabilité ; une lourde responsabilité, aux conséquences imprévisibles et parfois désastreuses. Pâque sur la route de notre vie nous met en présence parmi toutes nos obligations, de ce devoir prioritaire : mettre nos enfants à l’abri de tels dérapages. Certains, finissent par se reconnaître dans leur identité ou alors restent des Juifs au plus profond de leur être, mais allergiques à l’obéissance aux rites religieux et à la vie communautaire. Les uns comme les autres, ont souvent fini par rendre d’éminents services à la collectivité juive.

Autrefois les peuples comme les Grecs et les Romains, inscrivaient les événements de leur histoire dans la pierre, quelque part dans l’espace terrestre où les intempéries les érodent au point de les faire disparaître progressivement. Le Seder, ce rite familial qui est célébré tous les ans à la même époque, s’inscrit dans le temps. Il ne succombe pas à l’érosion des intempéries. Sa pérennité est tributaire de la transmission fidèle d’âge en âge du patrimoine de nos Pères. Cette fidélité se perpétue depuis la Sortie d’Egypte. C’est ici qu’intervient l’importance de l’éducation des enfants et du même coup l’étude se trouve propulsée au premier rang de nos devoirs. On comprend ainsi beaucoup mieux pourquoi cette leçon de pédagogie occupe une place si importante dans la Hagada.

Edgard WEILL, rabbin de Mulhouse          

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