LA MAPPA
Rabbin Daniel Gottlieb

Qu'est-ce qu'une mappa ? C'est une bande de tissu, de 12 à 20 cm de large et de 2 à 3 m de long qu'on enroule autour du Séfer Torah. Sa fonction est donc, au premier chef, purement utilitaire : il s'agit de maintenir les rouleaux de la Torah fermés en dehors du moment de la lecture de la Torah (T.P. Méguilah 1, 71 d ; T.P. Erubin 10, 26 b).

Mappa réalisée par madame Edith Kahn de Mulhouse - © M. Rothé

En Alsace, comme dans certaines Communautés d'Allemagne et d'Europe Centrale, on confectionne la mappa avec le lange qui a servi pendant la Brith-Mila. Parmi les raisons que l'on peut avancer pour justifier le choix de ce lange, on peut invoquer ce principe général selon lequel "maalîn bakodech..." : "il faut toujours s'élever en sainteté" ou élever les choses qui nous entourent dans l'ordre de la sainteté. Un objet peut être sanctifié par l'usage qu'on en a fait : il se charge d'un contenu, il devient porteur de souvenirs ou d'émotions ; et quand il s'agit d'émotions liées au judaïsme on dira de l'objet qu'il sera, sinon sanctifié du moins consacré. Ainsi, pour élever un objet à un degré de sainteté plus élevé on cherchera à l'affecter à une autre fonction liée elle aussi à la sainteté. Ainsi, le lange qui a servi pendant la circoncision n'avait-il qu'une fonction utilitaire ; mais si ce lange a été associé à la mitzva de la circoncision, on lui réserve un sort différent de tous les autres langes que l'enfant aura salis  : on en fera une mappa nécessaire au maintien du Séfer Torah.

On ne sait à quand remonte l'origine de cette tradition, mais on connaît des Mappoth de la moitié du l6ème siècle - c'est dire que l'usage en était déjà répandu à cette époque.

Sur cette bande de tissu apparaissent habituellement quelques indications personnelles précieuses : le nom de l'enfant et celui de son père, ainsi que la date de sa naissance. C'est ainsi que les mappoth ont eu pendant des siècles valeur de document d'état civil. C’est à ce titre, par exemple, que le 18 Messidor de l'an II (1794) un juif de Westhoffen réclama les mappoth qui avaient été enlevées 18 mois auparavant, sous la Terreur, par le Commissaire de district, en même temps que tous les ornements et meubles des édifices religieux ; ces mappoth furent restituées, "compte tenu de l'importance qu'elles ont pour les Israélites, puisqu'elles servent à constater l'âge de leurs enfants ainsi que leur légitimité".

Mappa contemporaine peinte par Laure Wolf

Le texte inscrit sur les mappoth n'a guère varié au cours des quatre derniers siècles, quelques bénédictions traditionnelles complètent les indications personnelles. Mais bien souvent la mappa est ornée de nombreux éléments décoratifs qui sont eux-mêmes très précieux notamment par les renseignements que ces illustrations nous apportent sur le cadre de vie des juifs à différentes époques : le vêtement, certaines coutumes, mais aussi les valeurs auxquelles les juifs étaient attachés. Ainsi, à partir du l9ème siècle, apparaît sur de très nombreuses mappoth alsaciennes le thème du patriotisme à partir de 1830 le niveau de vie des juifs d'Alsace s’est amélioré, et les juifs Alsaciens ont tenu à exprimer leur reconnaissance à la France en faisant preuve d'un patriotisme dont les manifestations peuvent paraître aujourd'hui empreintes d'une certaine forme de naïveté.

L’usage de la mappa enseigne qu’il faut célébrer à la synagogue les moments heureux, les anniversaires heureux, comme on célèbre également les anniversaires de deuil. Selon le tradition, il faut célébrer religieusement les anniversaires de joie plus que tous les autres. Cette célébration prend la forme d’un partage ou d’un don, comme le don de l’enfant qui offre la mappa à la synagogue.

Mappa contemporaine peinte par Laure Wolf

Le dernier message qu'apporte la mappa réside dans le soin qui a été porté à sa confection dessins et lettres, broderies, peintures. Il s'agit souvent d'une véritable oeuvre d'art. Il faut beaucoup d'abnégation pour créer une oeuvre d'art que pratiquement personne ne regardera ni ne verra c'est une oeuvre d'art conçue et réalisée uniquement pour la seule gloire de Dieu. Selon une règle générale, tout ce que l'on fait pour l'accomplissement d'une mitzva doit être fait avec empressement et enthousiasme, dans une recherche de beauté et d'esthétique, pour la sanctification du Nom de Dieu.

(D'après Saisons d'Alsace n° 55-56, 1975, p.119 à 130 ; et Revue des Etudes Juives, CXLIII, 1984, p. 113 à 134).

Traditions Judaisme alsacien
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