"Ni par la puissance, ni par la force,
mais par mon esprit"

Les deux textes ci-dessous constituent un commentaire du célèbre verset de Zacharie (ch.4 v.6) : "Ceci est la parole de l'Eternel à Zorobabel ; Ni par la puissance (armée) ni par la force, mais bien par mon esprit !". En effet, ce verset est lu à la synagogue lors du premier Shabath de Hanouka.
Bien qu'ils aient été écrits respectivement en 1960 et 1955 on constate que ces textes sont d'une brûlante actualité en ce temps de troubles et de remises en question. C'est pourquoi nous les reproduisons aujourd'hui en espérant qu'ils pourront aider les lecteurs à approfondir les significations de la fête de Hanouka dans le contexte de l'an 2002.

Le sabre et le livre
par Claude Hemmendinger

Extrait du Bulletin de nos Communautés, Vendredi 16 décembre 1960

Il n'est pas inutile, en ces temps de désarroi spirituel, de rappeler, dussions nous enfoncer des portes ouvertes et donner dans le poncif, quelques enseignements de Hanouka, Fête des Lumières.

A l'époque du Second Temple, Israël, faible et chancelant, tentait au milieu des tiraillements de se refaire une existence nationale. Au coeur d'une civilisation méditerranéenne matériellement prospère, il n'est pas interdit de penser que la préoccupation principale de la majorité des habitants de Juda était de participer à ce bien-être. Les échanges croissaient, les artisans vendaient leurs poteries ou leurs teintures, les paysans récoltaient le fruit de leur labeur, les prêtres participaient à l'opulence d'un Temple, dont il est dit que "qui ne l'a pas vu dans sa splendeur n'a rien vu de beau".

Défense des valeurs spirituelles
Le chandelier de Hanouka dans la synagogue de Mulhouse
Mulhouse
Bien des obstacles étaient mis à l'exercice d'une réelle autonomie juive par les autorités grecques. Cependant l'étendard de la révolte ne fut levé qu'au moment, où l'ennemi porta la main sur les valeurs spirituelles de la communauté. Ce n'était pas pour défendre des courants d'échanges, des débouchés, des situations acquises que le peuple se souleva derrière d'obscurs prêtres de village, les Hasmonéens, mais bien pour avoir le droit d'apprendre la Loi, d'observer le Shabath, de circoncire ses enfants. Ils se trouvaient dans une situation parfois tragique, car leurs élites, celles qui les conduisaient à l'époque du second Temple, les prêtres et les notables, tous sadducéens, s'alliaient à leurs ennemis grecs pour prôner les valeurs de la cité grecque, le stade, le culte de la beauté et des dieux. Ainsi se trouvait accomplie la suprême malédiction du Lévitique :
"Si vous ne m'écoutez point... ceux qui vous haïssent en vous-mêmes vous détruiront" (Lévitique ch.26, v.1 et 17) telle que nos sages l'ont interprétée.

La révolte brutale, alliant suivant l'adage de nos maîtres, "l'épée et le livre", devenait un devoir, une obligation religieuse. Elle conduisit à la victoire armée. Ce n'est cependant pas là l'image que la tradition a voulu nous donner de Hanouka. Cet épisode, nécessaire, est escamoté volontairement par la tradition qui met en relief, au contraire, le miracle de la fiole d'huile et nous prescrit en ce Shabath de lire, oh paradoxe, le verset de Zacharie
"Ni par les armées, ni par la force mais par mon esprit... "

Aucun problème n'est résolu par la force
Certes, il est un moment où la force doit être employée, Hanouka nous le prouve et les récits conservés en grec dans les livres des Hasmonéens sont là pour illustrer cet impératif. Mais aucun problème n'est résolu par elle, et son emploi doit être résolument abandonné lorsqu'elle a atteint le premier et légitime objet qu'elle poursuivait.

Un grand quotidien du soir analysant deux ouvrages récemment parus sur le grand élan que fut la Résistance et déplorant que le "culte de la force recrute de nouveaux prêtres" invoque l'aveu du plus grand homme de guerre des temps modernes, Napoléon: "Savez-vous ce que j'admire le plus au monde ? C'est l'impuissance de la force pour organiser quelque chose".

Danger de la vulgarisation des idées
La tradition d'Israël a conservé le souvenir, dans les prochains jours, d'un autre
événement de cette époque si dense et si féconde pour l'histoire humaine. Il s'agit du dix Tévet, date anniversaire de la traduction de la Bible de l'hébreu en grec, traduction dite des Septante, sous les Ptolémées d'Égypte. Fêtée d'abord comme un événement heureux qui devait enrichir le patrimoine humain par l'entrée, si l'on peut dire, du message divin dans le domaine public, la tradition devait conférer à cet anniversaire un caractère austère. La fête devenait un deuil et un jour de jeûne. Pourquoi ? Il semble que la vulgarisation des idées les plus simples, les plus évidentes du message, dont Israël est porteur, avec son contexte, avec la si riche illustration qu'en donnent les passages historiques, ait été une méprise. Elle donnait l'occasion aux faux docteurs, aux petits scribes, aux forgerons de bonne conscience d'interpréter et d'ergoter. Les impératifs les plus clairs donnés par le Seigneur à travers l'histoire de Ses rapports avec la sainte nation à toute la caravane humaine allaient pouvoir être si bien habillés par tous les faux guides qui allaient se lever pour orienter ses destinées que leur énoncé tout simple, leur exigence de justice, de liberté, d'égalité allaient faire scandale. Il devenait possible à tous, dans toutes les langues de l'humanité et avec les ressources du diabolique et sublime entendement humain, de - comme le disait récemment dans une formule si saisissante l'ingénieur général Kahn - se construire la morale de ses intérêts qui n'est pas loin de la bonne conscience de ses crimes.

Voilà encore des vérités toutes simples et banales, encore des portes ouvertes qu'il était bon d'enfoncer pour la Fête des Lumières.

Table des matières

"Non par le glaive, mais par l'Esprit"
Rabbin Charles Friedemann

Extrait du Bulletin de nos Communautés, Vendredi 9 décembre 1955

La bénédiction formulée par Dieu à Abraham, peu après la scène du sacrifice d'Isaac, est répétée presque littéralement par Laban à l'adresse de sa soeur Rébecca : "Ta postérité héritera la porte de ses ennemis" dit Dieu. "Ta postérité héritera la porte de ceux qui la haïssent" dit Laban. Promesse scandaleuse ? ! Le verbe Yaroch, hériter, est assez fort pour nous indiquer clairement que, ce que Dieu promet à la descendance d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, c'est bien la domination, la possession, au sens même du mot, des peuples qui viendraient à nous témoigner leur hostilité. Nous supprimerions, du droit que nous détenons de par notre simple qualité de descendants des patriarches, l'indépendance, l'autonomie d'autres nations? Car Isaïe dit bien (54:4) "Ta postérité héritera des        nations". Et cette menace s'adresserait non seulement à l'encontre de nos ennemis qui ont, par des actes positifs, démontré leurs intentions hostiles à notre égard, mais encore à l'encontre de ceux qui n'ont fait qu'exprimer leurs sentiments, et Laban le précise bien "de ceux qui nous haïssent" !

Le chandelier de Hanouka dans l'oratoire du Merkaz à Strasbourg
Mercaz
Et quoi de plus naturel dans un monde où règne le principe de la vengeance privée, dans un monde où l'offensé fait du criminel ce que bon lui semble.

A l'image de D.ieu
Cette fois-ci pourtant, l'interprétation littérale nous amène presqu'à l'antipode de la doctrine juive, car ce n'est pas affaire du judaïsme de répondre par la haine à ceux qui nous haïssent. Point n'est besoin d'attendre la venue du Christianisme pour apprendre que l'on doit aimer son prochain comme soi-même et aspirer à la charité internationale, dont l'absence se fait à l'heure actuelle si cruellement sentir. La Bible, qui pose comme fondements de sa doctrine éthique, que tous les hommes ont été créés à l'image de Dieu, et qu'ils doivent tous tendre vers un certain degré de sainteté, ne pouvait tolérer un amour du prochain à sens unique.

Oui, si tous les hommes ont un droit à l'amour de Dieu, tous aussi doivent avoir un droit à l'amour des hommes et il n'y a pas lieu d'en priver même ceux qui nous haïssent. Evidemment, nous ne prêchons pas à l'encontre de la nature psychologique de l'homme, qu'il faille tendre la joue gauche à celui qui nous a déjà frappé sur la joue droite, mais ce que nous exigeons, c'est un peu de générosité même envers nos ennemis. C'est dans le Traité de Shabath que nous pouvons lire une maxime qui est bien authentiquement juive: "Ceux qui peuvent entendre la malédiction et ne pas maudire, de ceux-là il est dit : ils sont comme le soleil qui apparaît dans sa splendeur".

Un voeu pieux ?
Les textes législatifs de nos Saintes Ecritures, des textes qui sont autant d'impératifs, sont légion qui ordonnent à l'israélite de se faire violence à lui-même et de témoigner de l'affection, du respect à la personne et aux biens de son ennemi. Ne dis pas, nous enseigne Salomon "ce qu'il m'a fait je lui ferai, je me vengerai de l'homme selon ses propres actes" mais faisons nôtres les paroles du psalmiste (Ps 7:5-6): "Si j'ai dépouillé celui qui m'opprimait sans cause, que l'ennemi me poursuive et m'atteigne, qu'il foule à terre ma vie".
Ne voilà-t-il pas qui est clair et net ! Pourtant, il se trouvera toujours, et parmi les autres peuples et parmi nous-mêmes, des mauvaises langues qui rétorqueront : toutes ces lois, tous ces conseils sont peut-être très édifiants, mais ils ne furent jamais suivis, jamais respectés ! Décidément, nos bonnes intentions ne convaincront peut-être pas "ceux qui nous haïssent, ceux dont nous hériterons les portes". Invoquons alors le témoignage de l'histoire ! Le premier livre des Rois nous rapporte les propos de prisonniers de guerre syriens : "Nous avons entendu que les rois d'Israël sont des rois bienveillants et généreux; permettez-nous de nous adresser à votre roi - il nous fera grâce". Et qui avait si bonne presse dans le Moyen-Orient antique? Achab, l'un des rois les plus fourbes qu'Israël ait connus.

Guerre facultative et guerre impérative
Cependant, bien que le Talmud dise "Que l'homme soit plutôt parmi ceux qui sont persécutés, que parmi ceux qui persécutent" - nous ne pouvons pas nier qu'Israël au temps de sa splendeur ait entrepris des guerres, et des guerres glorieuses ! Mais pour nous, une guerre ne se justifie pas par l'utilité qu'elle procure à l'assaillant. Nous ne la considérons pas comme Platon, conforme à l'ordre des choses, naturelle et même nécessaire. Nous ne suivons pas Aristote qui la compare à la chasse, un mode d'acquisition légal des biens d'autrui. Nous connaissons bien la Mil'hémeth harechout (guerre facultative) et la Mil'hémeth mitsva (obligatoire), mais notre législation nous enserre dans des règles tellement limitatives que la défense du territoire national a dû en être compromise plus d'une fois. L'histoire le confirme: des rois aussi puissants que David et Salomon ont eu fort à faire pour se protéger des attaques de petites peuplades agressives voisines et pour les mettre à la raison. Nous ne nions pas que, par décret divin, sept nations cananéennes nominalement énumérées et qui avaient atteint le summum de la dépravation et de la perversité devaient disparaître de la surface de la terre.

Les idolâtres eux aussi peuvent être des Justes
Mais nulle part, par ailleurs, il est question de guerre de destruction contre des peuples idolâtres. Aucune haine contre eux! Nous leur reconnaissons de grands mérites et le Midrash Rabba nous met en garde contre le trop grand mépris que nous pourrions afficher à leur égard : "La justice n'est pas affaire d'héritage, elle n'est pas limitée par des antécédents familiaux - les idolâtres eux aussi peuvent être des Justes".

Alors ? Où trouver encore une place à l'agressivité et à l'expansionnisme juifs si chers à nos détracteurs ? A la lumière de ces considérations, force nous est bien de les situer simplement et uniquement sur le plan spirituel. Oui "nous hériterons la porte de nos ennemis" lorsque notre enseignement, notre doctrine, notre Torah battra en brèche la porte qui sépare encore les autres peuples du Dieu Unique. Alors l'étranger ne pourra plus nous haïr, il ne pourra plus s'écrier : "Dieu m'a séparé de son peuple" car nous aurons été : "un facteur d'union des nations, la lumière des peuples" (Isaïe 42:6).


hanouka Judaisme alsacien Traditions
© A. S .I . J . A .