Menora de Hanouka et Menora du Temple
Rabbin Claude LEDERER
Extrait de Echos-Unir


le plan du Tabernacle (Mishkan)
Nous sommes habitués à voir dans 'Hanouka le miracle des lumières lié à la révolte des Hasmonéens à l'époque des Grecs.

Ce miracle est lié à un objet spécifique, la Menora, le chandelier, qui tient une place particulière aussi bien dans le sanctuaire du désert que dans le Beith Hamikdash à Jérusalem. Il nous a semblé intéressant de nous interroger sur la nature et sur la fonction de cet objet.

Pendant les huit jours de la fête, nous lisons chaque jour dans le Séfer Torah le récit de la "'hanoukath hamizbéa'h", de l'inauguration de l'autel des sacrifices dans le désert. C'est ainsi que dans le livre de Bamidbar/Nombres au chapitre 7 v.1 et 2, la Torah nous dit : "Le jour où Moshé eut achevé de dresser le Tabernacle, de l'oindre et de le consacrer... les princes d'Israël... firent des sacrifices, c'étaient les chefs des tribus...".

Nous voilà renvoyés, dans le cadre même de la célébration de 'Hanouka, à un événement qui s'est passé longtemps avant les Grecs. Suivent alors les noms des douze chefs de tribus qui, à tour de rôle, vont amener, chacun son sacrifice. Curieusement, Aaron, chef de la tribu de Lévi, Aaron le grand prêtre, ne figure pas parmi ces personnalités. Or nous savons que c'est pratiquement toujours aux prêtres, aux cohanim, qu'est dévolue cette fonction.

Le chapitre suivant commence ainsi : "Hashem parla à Moïse en ces termes: Parle à Aaron et dis-lui: Quand tu disposeras les lampes, c'est vis-à-vis de la face de la Menora que les lampes doivent projeter leur lumière" (Nombres 8:1-4).

Et Rachi de commenter à partir du Midrash Tan'houma : "Pourquoi le chapitre concernant le candélabre vient-il après celui des princes des tribus ? Parce qu'Aaron, constatant les offrandes inaugurales faites par les chefs, fut attristé de ne pas avoir été associé à eux, ni lui ni sa tribu. Mais le Saint béni soit-il lui dit: Ta part est plus grande que la leur: car c'est toi qui allumeras et arrangeras les lampes (du chandelier)".

Pour compléter l'information, Citons sur le même verset le commentaire de Ramban (Nahamanide) : "Tu n'as pas lieu d'être triste; il y a un autre 'Hanouka où l'on allumera les lumières. Je réaliserai alors des miracles par l'intermédiaire de tes descendants (les cohanim). Il s'agit du 'Hanouka des Hasmonéens".

Pourquoi cette "éviction"? Parmi les explications avancées : les sacrifices offerts devaient effacer la faute du veau d'or. Pour d'autres, l'allumage et l'entretien de la Menora sont plus importants que les sacrifices. Enfin, dernière explication, même lorsqu'il n'y aura plus de Temple, on allumera toujours les lumières en souvenir des cohanim de même que ceux-ci continueront à bénir le peuple.

La Menora du temple

Dans le livre de Chemoth/Exode au chap. 25 v. 31 à 40, la Torah ordonne la fabrication de la Menora : "Tu feras un chandelier d'or pur, celui-ci sera fait d'une seule pièce ... six branches sortiront de ses côtés, trois d'un côté et trois de l'autre... Ses lampes seront au nombre de sept, on les disposera et on en dirigera la lumière du côté de sa face... Regarde et exécute selon le plan qui t'a été montré sur la montagne".

La Menora sera placée en dehors du Saint des Saints, dans la salle nommée Heikhal, où se trouveront également la table des douze matsoth ainsi que l'autel des parfums.

Moïse a eu du mal à concevoir la réalisation de la Menora, et la Guemara de Mena'hoth p. 29a de dire: "Moïse eut du mal à réaliser trois choses jusqu'à ce que D. les lui montre du doigt". Parmi ces trois choses figure la Menora. Rachi ajoute à propos de l'expression: "la Menora sera faite d'une pièce": elle se fera d'elle-même car Moïse éprouvait des difficultés. Alors le Saint béni soit-il a dit: Jette le bloc d'or dans le feu et il se fera de lui-même".

La Menora relève du monde de l'unité, elle doit être "d'une seule pièce", alors que l'univers est celui de l'ordre de la multiplicité. La spécificité de cet objet ne relève pas de l'ordre naturel des choses. Aussi D. a-t-il dû la "montrer du doigt", "elle s'est réalisée d'elle-même". Autant d'indications de sa nature particulière.

Ces particularités proviennent de ce dont elle est le support, c'est-à-dire de la lumière. Non pas la lumière naturelle et physique, mais celle qui permet de rendre les choses évidentes (ex-video). La Menora a comme fonction d'être le relais de la lumière qui se trouve dans le Saint des Saints à l'intérieur de l'arche sainte, celle des Tables du Témoignage.

Les Tables du Témoignage


la Menorah du Temple de Jérusalem
reconstitution contemporaine
La lumière, première étape de l'organisation de la création, surgit par la parole divine. Grâce à elle l'univers tout entier était mis en évidence, elle en constitue la sagesse. Cependant, mettre entre les mains des hommes une telle force est chose trop dangereuse quand elle n'est pas utilisée à bon escient. Aussi, "voyant" les dérives de l'humanité, le créateur la retire et la met sous le boisseau. Il la cache, n'en donnant qu'une approche partielle, réservant la clarté aux justes à venir

Cette lumière originelle va se trouver inscrite dans la Torah dont le texte à la fois la cache et la fait apparaître. Les paroles de la Torah sont le voile dissimulant la clarté à dévoiler. La Torah est ce visible/ invisible entre D. et Israël dont D. s'est servi pour créer le monde.

C'est devant l'arche, au-dessus de laquelle se trouvent deux anges dont le regard est tourné à la fois l'un vers l'autre et vers le texte, que Moïse vient entendre la parole. Lumière invisible, cachée dans "l'arche de témoignage", témoignage de la présence divine. C'est d'ailleurs dans ce but que le sanctuaire fut construit : "Ils me feront une demeure et j'habiterai parmi eux".

La lumière enfouie dans les mots de la Torah relève de la lumière originelle. Elle reste néanmoins cachée aux yeux du peuple, dans le Saint des Saints. Seul Moïse pouvait y accéder, et par la suite, le grand prêtre, le jour de Kipour seulement.

Les lumières de la Menora vont servir de relais visible de la lumière invisible. Avec cette particularité que le candélabre est un support qui relève de l'ordre du divin, alors que la lumière doit être mise en place par le grand-prêtre. Elle sert de lieu de jonction entre l'homme et D..

La lumière et l'embryon

Cette lumière originelle, cachée eux yeux de l'humain et que celui-ci doit faire apparaître, se trouve décrite sous une autre forme dans la Guemara de Nida 30b : "Dans le sein maternel où se trouve l'embryon, à sa tête, brûle une lumière. Grâce à elle, l'embryon voit le monde d'un bout à l'autre. Rien ne lui reste caché et toutes les paroles de la Torah lui sont dévoilées. Mais en venant au monde, vient un ange qui le frappe sur la bouche (au lieu de la parole) et il oublie tout."

Ce texte, qui nous renvoie à l'apparition de l'enfant, exprime une idée proche de celle dont nous avons parlé plus haut. La clarté des origines ne résiste pas à l'épreuve de l'entrée dans le monde, car l'humain est un être limité. De plus, la mise en évidence de la clarté va désormais dépendre de l'exercice de la responsabilité humaine.

A quoi sert alors cette lumière puisque le petit de l'homme l'oublie en venant au monde ? La lumière originelle, même lorsqu'elle disparaît, laisse une trace grâce à laquelle il trouvera des forces pour la faire réémerger par ses propres moyens.

Le miracle dans le temple


Monnaie de l'époque des Maccabées,
représentant la Menorah du Temple
Le miracle de 'Hanouka, c'est celui d'une fiole d'huile qui n'aurait dû durer qu'un jour et qui tiendra huit jours. Il y a plus dans le réel que ce que nous y mettons, l'être humain parvient, par ses actes, à dépasser le réel.

Or un événement du même genre se produisait quotidiennement dans le Temple. La sidra de Beha'alotekha (Nombres chap. 8) commence ainsi :"Parle à Aaron et dis-lui : quand tu feras monter les lumières, c'est vis-à-vis de la face du candélabre que les sept lampes doivent projeter la lumière". Les six lumières brûlaient en direction de la lampe centrale et celle-ci dirigeait sa flamme vers l'arche dans le Saint des Saints.

Mais elle en était séparée par le paro'heth (la tenture). Et, dit le texte de Tetsavé (Exode 27: 20 -21) :"Tu ordonneras aux enfants d'Israël de prendre pour toi une huile pure d'olives pilées pour la lumière, afin d'alimenter les lampes en permanence. C'est dans la Tente d'assignation, en dehors du rideau du Témoignage, qu'Aaron et ses fils les disposeront, du soir au matin devant D."

La Guemara Shabath 22 b s'interroge sur l'expression "à l'extérieur de la tenture du témoignage" et dit: "D. a-t-il besoin de lumière? N'est-ce pas grâce à sa lumière que, pendant quarante ans, les hébreux ont marché dans le désert ? En réalité c'est un témoignage aux yeux des hommes que la présence divine réside en Israël. Qu'est-ce qui constitue ce témoignage ? C'est la lumière occidentale (la lumière du milieu orientée vers le Saint des Saints). En effet c'est à partir d'elle qu'on allumait et par elle qu'on terminait l'allumage".

La lumière occidentale, le "ner ma'aravi" avait encore une autre particularité. Alors qu'on mettait dans les sept lampes la même quantité d'huile, les six qui se trouvaient de part et d'autre de la lumière centrale ne brûlaient que du soir au matin. La septième, celle du milieu, continuait de brûler jusqu'au soir. C'est d'ailleurs en souvenir de cette lumière constamment allumée que, dans toutes nos synagogues, brûle, un "ner tamid", une lumière éternelle, qui ne s'éteint jamais.

Le "ner ma'aravi" du Temple était donc, avec les six autres, allumé et entretenu par les cohanim (les prêtres). Sa durée exceptionnelle nous rappelle le miracle de 'Hanouka, les deux réalisés par les cohanim, en vue de témoigner de la résidence ou plutôt de la présence permanente de la She'hina (la Présence divine) au milieu du peuple juif.

Voir et ne pas voir : la lampe et la lumière

La présence n'est pas nécessairement visible, elle peut être ressentie, ou perçue en filigrane. Ainsi des barres qui tenaient l'arche et dont on entrevoyait les bouts à travers la tenture de séparation. Cela ne nous rappelle-t-il pas le toit de branchages de la souka qui doit laisser "entrevoir" les étoiles?

Le rapport à la transcendance ne saurait être direct car elle est de l'ordre de la clarté absolue qui ne laisse aucune place à l'humain car il ne saurait la supporter.

Ce qui est quand même curieux, c'est la différence d'orientation des lampes du Temple et de celles de 'Hanouka. Les premières sont orientées vers la source, vers l'arche sainte cachée derrière le Paro'heth. Elle "éclairait celui qui éclaire le monde".
Au contraire, les lampes de 'Hanouka doivent être orientées vers l'extérieur chargées de publier la permanence de la Présence. Nous ne possédons plus de Temple, et la maison, à bien des égards, s'est vue décerner ce titre. C'est donc à partir d'elle que doit se faire cet éclairage.

Rabbin Claude LEDERER


Judaisme alsacien
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