A propos de 'Hanouka
L'ÉLÉPHANT DANS LA TRADITION JUIVE
Cet article n'a été signé que par des initiales, mais les auteurs en sont certainement
le Rabbin Daniel Gottlieb et le Rabbin Alexis Blum
Extrait du TRAIT D'UNION, bulletin de la synagogue Ohel Abraham (Montevideo) à Paris ) 1961


Un Congrès International de Zoologie qui avait pour thème "l'Eléphant", a réuni à Genève d'éminents spécialistes.
Chacun présenta le fruit de ses recherches et de ses efforts.
Ainsi, le délégué américain a pu traiter : "Comment produire des éléphants plus grands et plus forts",
l'Anglais a parlé de "La chasse à l'éléphant",
tandis que le Français avait étudié "La vie amoureuse de l'éléphant".
Le Russe a exposé "La vie communautaire de l'éléphant"
et l'Allemand a présenté une "Bibliographie sommaire pour l'étude de l'éléphant".
Le Juif avait étudié "L'éléphant et la question juive".

De nombreux conférenciers juifs ont déjà fait précéder leurs discours par quelque variante de l'histoire que je viens de citer ; en général, cela constitue une introduction à une étude qui n'a pas le moindre rapport avec le judaïsme. A mon humble avis, le mythe qui veut que les éléphants n'aient aucun lien avec la question juive, a rencontré trop facilement une crédule attention. Car on sait maintenant que les éléphants ont joué un rôle décisif dans certains épisodes de notre histoire. Les rabbins du Talmud ont d'ailleurs enseigné qu'à la vue d'un éléphant, d'un singe on d'une guenon à longue queue, il faut louer "Celui qui a créé d'étranges créatures" (1).

Il est curieux qu'en dépit de ce qu'on va lire, on ne trouve aucune mention de l'éléphant lui-même dans la Bible canonique. Il n'empêche qu'un couple de ces pachydermes fut introduit dans l'Arche de Noé et un commentateur (2) va jusqu'à préciser leur nourritures : sarments et feuilles de vigne. D'après certains textes talmudiques (Shabath 128a, Menahoth 69a et Yerouchalmi Shabath XVIII 16c) (3), ainsi que d'après les conclusions de Maimonide (4), l'éléphant se nourrirait aussi d'osier qu'il avalerait sans mâcher.

On ignore la date exacte des premiers contacts entre les hébreux et nos pachydermes. On sait cependant que cet animal est connu dans le Sud de l'Egypte et sur les bords du Tigre et de l'Euphrate, grâce à des texte qui décrivent Toutmès III (1501-1497 av.) comme le tueur de 120 éléphants à Niy. D'autre part, on sait que son prédécesseur reçut, en gage de vassalité d'une province de Syrie septentrionale, un éléphant qui dut pour arriver à son destinataire, traverser Canaan. Il semble, à la suite de fouilles qui ont mis à jour, dans la région du Temple de Beth-Shean des objets cultuels hittites représentant des éléphants, qu'il y ait eu un véritable culte de l'Eléphant. Abraham brisa peut-être les idoles de son père représentant des éléphants, car on n'en a retrouvé aucune intacte datant de cette époque...

La mort d'Eleazar Maccabée - gravure de Gustave Doré
Il convient aussi de dire que le corps de notre patriarche Jacob fut ramené en Canaan sous une couche d'ivoire (5). Mais en vérité, ce n'est que bien plus tard que l'ivoire jouera un rôle important dans les affaires d'Israël : le commerce de l'ivoire se développera considérablement dès l'établissement de la monarchie : le roi Achab eut un palais d'ivoire et un texte cunéiforme assyrien (701 av.) nous apprend que le tribut d'Ezéchias à Sennachérib comprenait des peaux et des défenses d'éléphants.

Les textes bibliques les plus importants pour notre sujet - et qui traitent les importations de Salomon - désignent l'éléphant par un mot qui n'est pas le PIL moderne (en assyrien : pilu). Le mot CHENHABBIM (6) aui signifie "ivoire" a été décomposé en CHEN HABBIM, dents d'éléphants : CHEN étant connu (voir Rachi sur Psaume 45:9), qui en donne la traduction française), on rattache HABBIM au sanscrit IBHIDANTA : éléphant (7).

C'est dans la période des Maccabées que se situe le premier contact direct entre lés Juifs et les éléphants eux-mêmes. Comme l'atteste le Zoulath du deuxième Shabath de 'Hanouka, l'éléphant était devenu un instrument militaire important. Son entrée en Judée est une conséquence indirecte de la législation anti-juive d'Antiochus Epiphane, mais malgré l'armée dont il disposait, "les myriades de fantassins, les milliers de cavaliers et quatre-vingts éléphants" (8), Lysias, gouverneur de Syrie est défait par les Hasmonéens (167 av.). En 163, Antochius Eupator, décide d'étouffer personnellement la révolte avec une armée comprenant 32 éléphants dressés au combat et excités par des raisins (9) (dont on sait déjà combien ils sont appréciés des éléphants). Au début, les Judéens furent terrifiés par les bêtes ennemies ; il fallut que Juda Maccabée montrât, "aux cris de Victoire au Dieu de Juda" qu'on pouvait leur résister (10) grâce à la protection divine... et une technique osée. On sait que son frère Eléazar fut hélas victime de son courage, écrasé par l'éléphant qu'il transperçait de son glaive glorieux (11).

La présence de cet animal en Judée paraît avoir considérablement impressionné les Juifs ; en effet, il suffira pour s'en convaincre, de savoir que Simon Maccabée fit frapper: une pièce de monnaie représentant un éléphant entouré de l'inscription "Rédemption de Sion".

* * *

Le Talmud est riche en textes qui révèlent quelle place l'éléphant occupe dans la conscience juive. Il est certes, un des plus grands animaux de la création (PIL dérive, selon certains, de NEPILIM : géants) et il est ainsi devenu le prototype de ce qui est grand (12). Et pourtant, si gros qu'il soit, cet animal n'en est pas moins terrifié, selon le Talmud, par les petits moucherons qui lui font de douloureuses piqûres à l'extrémité de sa trompe (13)...

On sait l'importance attachée aux rêves à l'époque du Talmud... Il convient ici de souligner la profondeur de la psychologie des Rabbins du Talmud : on ne rêve, disent-ils, que de choses qui sont du domaine de la réalité ou pour le moins, du domaine du possible. Ainsi,
"on n'a jamais vu personne rêver d'un palmier en or ou d'un éléphant traversant le chas d'une aiguille (14)". D'ailleurs, vouloir faire passer de force un éléphant (ou un chameau) par le trou d'une aiguille, équivaut à ce que le jargon familier appelle "couper les cheveux en quatre", c'est le reproche adressé aux élèves de l'Académie de Poumpédita (15).
Ne quittons pas les rêves sans rappeler que "tous les animaux qui apparaissent dans les rêves constituent de bons présages, sauf le singe et l'éléphant harnaché" (16).

La halakha (jurisprudence religieuse) elle-même n'échappe pas à l'invasion des pachydermes. Ray Yossef se demande en effet, s'il est possible de soulever un éléphant [pendant le Shabath], puisque c'est là une manière habituelle d'acquisition... (17).
Et selon un passage célèbre. du Traité Soukah, un éléphant peut servir de mur à une Souka, mais - précise ce texte - uniquement dans la mesure où il est totalement immobilisé (18).

Ainsi, même si dans la description qu'ils en font, les Rabbins de Talmud ne font pas toujours preuve d'une exactitude scientifique rigoureuse (19), l'éléphant - nous l'avons vu - fait l'objet de préoccupations fréquentes dans la littérature juive.
Et c'est donc être mal informé que de qualifier de mythe les relations éléphanto-juives.

D. G. — A. B.
N o t e s :
  1. Berakhoth 58b.
  2. Matnath Kehouna sur Genèse Rabba, in fine
  3. traduction Schwab vol. 3. p. 774.
  4. Maïmonide, Michné Torah, Kelim I,7.
  5. Targoum Yonathan sur Gen. 50:1.
  6. I Rois 10:22 et II Chroniques 9: 21.
  7. Selon Rachi sur les Chroniques, CHENHAV pourrait désigner aussi bien l'ivoire que l'éléphant lui-même, tandis que selon Rachi sur les Rois ce mot ne désignerait que l'ivoire.
  8. II Maccabées 11:3-4.
  9. I Maccabées 6:28-34.
 
  1. II Maccabées 13:15.
  2. I Maccabées 6:46.
  3. Maïmonide, Michné Torah, introduction au traité Zeraïm.
  4. Shabath 77b.
  5. Berakhoth 55b.
  6. B, Metz. 38 b. ‑
  7. Berakhoth 56b.
  8. Kiddouchîn 25b.
  9. Soukah 23a.
  10. Berakhoth 8a et Kilayim 8:6.
Bibliographie :
  • Zoologie des Talmud, Levyson, Worms.
  • The Jewish Encyclopedia
 
  • Otzar Israël (vol. 8) - Berlin
  • The Elephant and the Jews, I.Abramon, Londres.


Judaisme alsacien
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