Les premières impressions musicales des musiciens
Autobiographie
par Hector Sabo


Les premières impressions sonores des musiciens qui sont devenus les "rock stars" ou "pop stars" de notre époque ont été, très probablement, celles laissées par des chansons d'Elvis Presley (Tupelo, Mississippi, 1935 - Memphis, Tennessee, 1977), à partir des années 50', ou des Beatles (Liverpool, Angleterre, 1960-1970) ou encore des Rolling Stones (Londres, 1962), dans les années 60' ; citons également celles de Madonna, née Louise Ciccone (Bay City/Michigan, 1958) ou celles de Michael Jackson (Gary/Indiana, 1958 - Los Angeles, 2009) pour les décennies suivantes.

Si je ne suis pas devenu une "star" de la musique, je suis néanmoins un musicien de culture "classique", qui a progressivement développé sa pratique à l'âge adulte dans le domaine de la musique hébraïque (ou "juive", diraient certains). Et ceci en raison, sans doute, de mes premières impressions sonores "fortes" héritées du chant synagogal entendu depuis tout petit de la bouche de mon père, fils de cantor de synagogue, puis de son père - mon grand-père tchèque David Sabo.

Né en 1960 à Buenos Aires, mais ayant vécu entre 1963 et fin 1965 à Haïfa, en Israël, mes premiers souvenirs musicaux datent en effet de cette époque-là. De retour en Argentine avec mes parents, mon père avait réintégré le chœur de l'une des grandes synagogues de la capitale, où il chantait déjà avant de partir vivre quelques années en Israël. Il m'emmenait ainsi, de temps à autre, pour y écouter les offices. Je me rappelle être resté assis tranquillement dans un coin, à regarder le chef de chœur diriger, le chœur chanter et le ‘hazan mener les offices liturgiques par son chant puissant et émouvant, accompagné par le chœur.

C'est ainsi que, lors des offices des grandes fêtes juives, j'ai eu quelques-unes des premières impressions musicales fortes de ma vie. Je devais avoir alors entre sept et huit ans. C'est depuis le 19ème siècle que l'on voit apparaître des chœurs et des ‘hazanim formés dans la tradition de l'art lyrique. A l'instar de beaucoup de jeunes gens fréquentant ou qui ont fréquenté les synagogues, j'ai été surpris et touché par l'harmonie qui se dégageait de cet ensemble de chanteurs. On lit souvent dans les biographies de grands compositeurs d'origine juive, que leurs premières impressions musicales ont eu lieu à la synagogue et que, d'une manière ou d'une autre, cela les aurait marqués pour la vie. Ce fut le cas pour des musiciens tels que Jacques, né Jakob Offenbach (Cologne, 1819 - Paris, 1880), Gustav Mahler (Kaliste, Bohème, 1860 - Vienne, 1911), Kurt Weill (Dessau, 1900 - New York, 1950), Georges Gershwin, né Jacob Gershowitz (New York, 1898 - Los Angeles, 1937) ou encore Leonard, né Louis Bernstein (Lawrence, Massachusetts, 1918 - New York, 1990), qui racontent à un moment de leur vie leurs impressions d'enfance, parfois positives, parfois négatives, mais dans tous les cas, marquantes .

Et ce fut mon cas également. A l'âge de neuf ans, j'ai pu intégrer ce chœur où je suis resté pendant cinq ans, jusqu'à la mue. C'est à la même époque que j'ai commencé à étudier le piano. Et en dehors de mes impressions musicales précédant celles de la synagogue, que ce soit à la maison ou en dehors de mon foyer familial, ma rencontre avec des musiques "fortes", m'ayant marqué pour la vie, ont été déterminantes pour le choix de mon métier de musicien.

Après la fin de mes études secondaires (d'orientation commerciale), toute mon énergie s'est focalisée sur l'étude exclusive de la musique classique, seule qui comptait vraiment à l'époque de ma jeunesse pour en faire un métier. J'avais souvent des propositions de travail pour jouer ou diriger dans les synagogues de la ville, mais je les jugeais secondaires, les seuls qui comptaient vraiment pour moi étaient les concerts de musique classique.

A 19 ans, j'ai quitté un ensemble instrumental dont je faisais partie depuis l'âge de 14 ans pour intégrer comme pianiste répétiteur une troupe d'opéra de chambre, créée par mon professeur de direction d'orchestre de l'époque : l'ensemble "Opéra Buenos Aires". Après quelques années d'activité ininterrompue, mon ancien professeur a été nommé à la tête d'un nouvel orchestre professionnel créé par une fondation culturelle attachée à une banque. Il m'a tout naturellement proposé de le rejoindre en tant que régisseur et bibliothécaire afin de l'aider à organiser le démarrage du nouvel orchestre. Une fois constitué, l'ensemble a débuté son activité artistique et une autre personne a été engagée pour ce premier travail ; je suis alors devenu claveciniste et pianiste permanent de l'orchestre. D'autres engagements ponctuels se sont succédés pour jouer dans d'autres orchestres, faire des remplacements et accompagner des instrumentistes et des chanteurs professionnels lors d'auditions et concerts.

Lorsque j'ai complété mes études musicales, en 1985, après sept ans passés à l'Université de La Plata, à 70 km de Buenos Aires, j'ai tout de suite entrepris les démarches nécessaires pour décrocher une bourse d'études pour la France.

Lors de mes deux dernières années avant l'obtention du diplôme, j'ai été engagé comme assistant du cours de direction d'orchestre. Mon travail en tant qu'organiste et chef de chœur dans une synagogue, activité que j'ai exercée pendant dix ans, complétait mes activités professionnelles, ainsi que des cours privés à quelques élèves d'orgue. Mais ces deux activités n'avaient pas vocation à être pérennes.

Après deux ans de préparatifs, jeune marié, je suis parti avec mon épouse pour la France, en principe pour neuf mois, afin de profiter de la bourse d'études que j'avais réussi à obtenir auprès de l'Ambassade de France en Argentine. Un premier prolongement de mon séjour initial de douze mois supplémentaires m'a permis de rester en France, et de participer durant cinq semaines à un stage d'été à Vienne, en Autriche, destiné à de jeunes chefs d'orchestre.

Dès mon arrivée en France, j'ai été mis en relation avec des responsables musicaux du Consistoire israélite de Paris par une de mes professeures du Conservatoire où je poursuivais mes études. En plus de me proposer du travail ponctuel - en jouant ou en dirigeant des mariages dans les synagogues - ils m'ont recommandé à Strasbourg, auprès de responsables communautaires alors en quête d'un chef de chœur pour la synagogue. J'ai finalement été engagé pour diriger le chœur lors des grandes fêtes au mois de septembre, juste après mon retour du stage en Autriche.

Ma deuxième année à Paris en tant que boursier du Gouvernement français m'a permis de compléter mes études au Conservatoire de Rueil-Malmaison, où j'ai obtenu le premier prix en direction d'orchestre. J'en avais aussi profité pour suivre les cours d'analyse musicale et d'orgue, instrument que j'avais étudié en Argentine, parallèlement au piano et au clavecin. Plus tard, j'ai également suivi des cours et des cursus spéciaux en chant choral et polyphonie, pour parachever ma formation.

Mes cours de Direction au conservatoire ayant touché à leur fin à l'issue de ma deuxième année en France, j'ai été engagé à Strasbourg en tant que chef de chœur permanent à la Grande Synagogue. J'ai ainsi passé ma troisième année à alterner activités musicales diverses dans la capitale et voyages hebdomadaires à Strasbourg pour travailler avec le chœur de la synagogue.

Mon passé m'avait ainsi rattrapé, et mon activité de musicien classique alternait de nouveau avec celle de la musique synagogale que j'avais fréquentée depuis mon enfance. Des concerts de musique classique et de musique juive alternaient sans conflits dans mon activité quotidienne, sans que je puisse pour autant envisager de quitter réellement Paris pour Strasbourg, n'ayant pas de revenus complémentaires suffisants. C'est alors que j'ai eu l'opportunité de postuler comme Coordonnateur technique et artistique à l'Orchestre Philharmonique. Grâce à mes expériences en Argentine et à Paris et mes diplômes des deux pays, j'ai été pris et ai enfin pu m'établir de façon permanente à Strasbourg, menant toujours en parallèle mes deux activités, à la synagogue et à l'orchestre.

La coordination technique et artistique, que je gérais plutôt bien, n'était, hélas, pas compatible avec mon activité de musicien, que je continuais à mener partiellement à Paris avec un ensemble choral que j'avais créé vers la fin de mon séjour là-bas. L'ensemble parisien, initialement composé de choristes amateurs et de quelques solistes, s'est professionnalisé, avec uniquement des chanteurs solistes. Après une brève carrière, le succès a fini par s'estomper. Ma disponibilité était, certes, limitée, et les conflits de disponibilité de dates n'ont pas tardé à se manifester.

Mon contrat d'un an d'essai avec l'orchestre ne fut pas prolongé, ce qui s'avéra au final positif puisque paradoxalement, l'orchestre limitait sérieusement mon développement en tant que musicien. A partir du moment où j'ai quitté mon poste au Philharmonique, mes activités musicales se sont multipliées, à ma grande joie. Et au bout de quelques mois de recherche, j'ai enfin trouvé un poste à plein temps d'enseignant en Formation musicale à l'école municipale de musique de Haguenau, près de Strasbourg.

Ma réinsertion professionnelle s'est ainsi faite et j'ai pu développer, de manière très satisfaisante, une belle évolution de carrière dans l'enseignement artistique, tout en poursuivant une activité riche en concerts. Après quatorze ans de cours de Formation musicale à plein temps dans deux grandes écoles de musique près de Strasbourg - Haguenau puis Obernai - j'ai été engagé sur un poste titulaire au Conservatoire de Strasbourg, où j'enseigne depuis 2007.

La transition entre mes deux activités m'a également permis de m'inscrire à l'université, en faisant valider mon diplôme argentin. Entamer des études en musicologie m'a ouvert de nouveaux horizons. Les deux années d'études et la soutenance de deux travaux de recherche m'ont amené à compléter la première année de doctorat en musique et musicologie, avec l'obtention d'un DEA. Et c'est tout naturellement le champ de la musique hébraïque et celui des relations entre la musique occidentale et la culture hébraïque que j'ai choisi d'explorer.

La suite, c'est une succession ininterrompue d'activités diverses : concerts, conférences sur la musique juive et la culture musicale, direction musicale et projets de toute sorte, incluant de petits opéras et des spectacles de tango pour lesquels j'ai écrit des arrangements et été pianiste pour l'ensemble Simplemente Tango. Des concerts en France et en Europe (Belgique et Pologne) et une présentation mémorable au Théâtre des Champs Elysées pour le Festival international de Tango de Paris, ont marqué ce parcours original et inattendu, avec en plus l'enregistrement de deux CD.

Puis, ce fut la création de plusieurs ensembles vocaux, dont Les Polyphonies Hébraïques de Strasbourg en 1996, le Quatuor Vocal Hébraïca en 2006, le Chœur Juif de France (à Paris) en 2007, l'Ensemble Vocal Hébraïca en 2013 et la troupe La truite lyrique en 2018, qui a présenté une longue série de spectacles sous le titre Mozart, La Truite et Rabbi Jacob, jusqu'en 2020.

Enfin, est paru en 2020 mon premier ouvrage Voix hébraïques. Un voyage dans la musique juive d'Occident. Cette publication m'a ouvert bien des portes, notamment un engagement pour composer la musique du film La maison sublime, produit pour France 3 Normandie. Ce documentaire d'une durée de 52 minutes raconte la découverte des vestiges d'un ancien bâtiment juif - synagogue, maison d'études, centre communautaire… - retrouvés dans le sous-sol du Palais de Justice de la ville de Rouen.

Plusieurs autres livres ont été écrits depuis et attendent de trouver un éditeur...


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