TEMOIGNAGES
Extrait de la brochure Laure Weil, sa vie, son oeuvre, éditée en 1969

Esther ERC
Paris - au Home d'octobre 1928 à fin août 1939.

Bachelière fraiche émoulue, j'arrivai au Home, de ma Pologne natale les premiers jours de Novembre 1928.
La "charmante chambre où les tissus fleuris donnaient une note de gaieté ".
Auparavant, mon oncle qui habitait Strasbourg et qui m'avait fait admettre, m'avait parlé, dans ses lettres, du Home de Jeunes Filles et de sa Directrice, Laure Weil. Mais il m'avait été, bien entendu, impossible de me former une opinion sur ce que j'allais trouver à mon arrivée à Strasbourg. Aussi, ai-je été considérablement impressionnée en pénétrant dans ce splendide immeuble érigé en fonction des besoins d'un véritable Foyer de la jeune fille juive. J'admirais l'allure de la belle grille d'entrée, ainsi que les salons et le réfectoire du rez-de-chaussée, la salle d'étude et de récréation, et j'ai immédiatement compris que la personne ayant conçu l'idée de ce Foyer voyait grand et cherchait à donner non seulement le gîte et la nourriture, mais encore le confort et le bien-être dans une atmosphère de détente et d'élégance. Mon enthousiasme fut à son comble, lorsque je m'étais vu attribuer une charmante chambre de jeune fille où les tissus fleuris donnaient une note de gaieté et où tout était prévu pour satisfaire aux exigences de confort et d'intimité de la jeune fille appelée à l'occuper.

Après tant d'années révolues et tant de déchirements divers qui se sont succédé depuis, j'ai gardé cette première impression de la maison qui se montrait à la fois accueillante et grandiose, et qui fleurait encore la peinture fraiche.

Très bientôt je fis la connaissance de celle qui avait rendu possible la construction de ce Foyer - dans des conditions qu'il appartiendra à d'autres de relater -, de cette Laure Weil, dont on m'avait parlé et que, dans ma timidité, je redoutais de rencontrer.
Contrairement à ce que je craignais, ce n'était nullement la directrice stricte et sévère que j'imaginais, mais un être exquis de grande classe, une femme pleine de compréhension pour la jeunesse, d'une bonté et d'une affabilité extraordinaires, toujours prête à aider, toujours disponible à écouter les problèmes qu'on lui confiait, accessible à tout moment. Il émanait d'elle une sérénité et un rayonnement qui transformaient en réel plaisir et en vrai privilège chaque instant passé en sa présence. J'étais loin d'être la seule à lui vouer cette admiration et cet élan qui me portait vers elle; je me rendis bientôt compte qu'elle était vénérée par toutes celles qui l'approchaient.

Durant les années qui ont suivi, elle a été notre mère à nous toutes, rôle qu'elle n'a pas abandonné durant les sombres années d2 l'occupation en nous regroupant autour d'elle dans ce Périgord qui nous avait accueillies pendant la guerre.

A côté de Laure Weil, j'ai également bientôt appris à connaître Mademoiselle Fanny Schwab qui secondait admirablement notre directrice dans sa tâche épuisante. Organisatrice née, c'est avec une insigne compétence que Mademoiselle Schwab assurait la marche de la Maison à laquelle elle s'était consacrée avec une conscience et un dévouement inégalables, assurant un labeur souvent écrasant et quelquefois ingrat. Auprès d'elle, nous étions toujours certaines de trouver un conseil judicieux, la solution pratique d'un problème donné, un avis sûr, une aide sur laquelle nous pouvions toujours compter.

Personnellement, quant à moi, je dois à Mademoiselle Schwab une reconnaissance toute particulière. C'est elle qui, au début de mon séjour au Home, m'avait enseigné les premiers rudiments de français, langue que j'ignorais à mon arrivée à Strasbourg. Elle l'a fait avec la sévérité d'un professeur, c'est vrai, mais avec une efficacité et un sens pédagogique tels que je considère que c'est elle qui m'avait donné cette base solide sur laquelle j'ai pu asseoir mes études ultérieures. - Plus tard, lorsque, étrangère, apprenant deux langues en même temps, je me débattais dans des difficultés inextricables, c'est encore elle qui, dans sa compétence, a trouvé la solution et m'a apporté une aide des plus précieuses, aide qui s'était avérée essentielle et des plus efficaces dans la réussite finale de mes études.

Ce n'est donc pas étonnant, qu'entourée de deux femmes admirables, dégagée de tout souci ménager, vivant dans un confort rare pour l'époque, dans une atmosphère de chaleur et d'amitié durant les onze années que j'y ai vécues, j'en étais arrivée à considérer le Home comme mon second foyer. Et lorsque, après la libération, j'appris la disparition de toute ma famille dans les camps de la mort en Pologne, c'est le Home qui, malgré l'éloignement, est resté pour moi le Foyer.
Aussi, c'est avec la plus grande ferveur que je forme le voeu de continuité et de réussite pour ce Home de Jeunes Filles Juives, devenu "Home Laure Weil". Puisse-t-il continuer à étre le havre des générations de jeunes filles et très, très longtemps perpétuer la mémoire de celle dont il représente l'oeuvre de sa vie.

Édith GENSBURGER née Scheftel
Lycée Agricole - Pavillon, 67- Obernai


Refaire un itinéraire à 34 ans d'intervalle, retrouver l'âme simple et naïve de l'adolescente que j'étais lorsque de 1929 à 1935 je vécus au Home, voilà ce que Mademoiselle Fanny Schwab m'a demandé pour sa brochure. Je m'y soumets volontiers car j'ai gardé intacte, dans ma vie d'adulte, l'empreinte bénéfique laissée par les êtres exceptionnels qui veillèrent sur ma jeune vie.

Comme beaucoup de mes compagnes d'alors, je vins de la campagne pour parfaire ma scolarité, ce que je ne pouvais trouver sur place. A l'époque n'existaient pas dans les cantons, comme aujourd'hui, les C.E.S, et lycées.

Quittant une maman aimante, exclusive, le premier dépaysement surmonté, la vie du Home s'est imposée à moi, merveilleuse. Côté matériel, tout était organisé pour une vie confortable. Nous étions parfaitement conscientes que nous devions ce bien-être à Mademoiselle Weil, mais aussi à son adjointe, Mademoiselle Schwab tout comme à Mademoiselle Jenny. Chacune d'elles avait un rôle bien distinct pour nous rendre notre séjour bénéfique.

Tour à tour, je fus parmi les "petites", les "moyennes", puis les "grandes". J'ai gardé de chaque étape un souvenir exaltant : la camaraderie, les découvertes intellectuelles, la recherche de la spiritualité.
Nos Directrices n'avaient pas seulement le souci de notre bien-être matériel mais, oh combien, celui de notre épanouissement moral. Elles ne négligeaient aucune occasion pour nous conseiller et nous orienter.

L'Oasis : la Section des E.I. au Home. Les sorties.

Que de bonnes soirées passées dans ce grand salon ! Lorsque nous étions "sages ", Mademoiselle Weil se mettait volontiers au piano et interprétait à merveille Chopin, Haendel ou Schumann ; souvent même elle chantait en s'accompagnant. Nous l'écoutions avec amour et respect.

Mademoiselle Schwab, le vendredi soir, nous entretenait de sujets variés : philosophiques ou littéraires. Je me souviens en particulier d'une causerie qu'elle nous fit sur la vie et l'oeuvre de Romain Rolland. Nous dévorions ensuite ses oeuvres et en particulier Jean-Christophe.

Avec Mademoiselle Jenny c'étaient les jeux et les excursions. Que de parties animées de feux de lettres où elle gagnait toujours ! Dans la cour elle partageait souvent nos folles parties de balle-au-camp.

Quelle effervescence régnait lorsque nous préparions les fêtes de Hanouka et de Pourim !
Il y avait le grand événement de la maison : LE BAL .. .

Ce qui a aussi marqué mes jeunes années, ce fut mon entrée dans la fraternelle section SCOUTE.
Mademoiselle Schwab, toujours soucieuse de nous permettre des ouvertures sur le monde, avait suscité la création d'une section d'Éclaireuses Israélites au Home. Nos cheftaines furent successivement : Cigale, Pivert et Moineau. Nous formions, les Éclaireuses d'alors, comme un "Etat dans l'État". On nous le reprochait un peu. On nous taquinait aussi lorsque nous étions prises en flagrant délit de transgression de notre loi. Cela faisait grincer certaines, mais nous trouvions toujours un conseil d'apaisement auprès de nos directrices et de la cheftaine.
Il est indéniable que ces années de scoutisme furent "formidables ". Nous apportions beaucoup de sérieux à notre engagement. Les réunions, les jeux, les sorties, les camps ont contribué à notre apprentissage de la vie. Plus d'une d'entre nous, durant la guerre, fut ainsi prête à servir.

Au cours de mon travail durant les années de guerre, j'ai eu bien souvent l'occasion de rencontrer Mademoiselle Weil et Mademoiselle Schwab. Nous avions les mêmes problèmes à résoudre. J'ai alors apprécié profondément l'amitié qui me liait à elles.

Après la guerre, mariée, mère de famille, j'ai toujours réservé une place de choix à l'amitié de celles qui ont su me donner un exemple exaltant d'altruisme.

 

Ruthy BENISTI née Gelberger
Sde Elyaou (Israël)- au Home de novembre 1946 à août 1955

Je naquis en 1936 dans une famille juive de Vienne, jadis capitale de la valse, que mes parents fuirent pour éviter les risques de l'invasion des hordes hitlériennes.
La guerre me surprit en 1939 à Strasbourg d'où nous fûmes évacués sur la Dordogne.
Les caprices de ma jeune existence auraient pu me conduire dans un de ces nombreux endroits minutieusement préparés pour mes semblables, un de ces camps où tous les cousins de mon âge périrent. Mon père, précautionneux me confia à une famille chrétienne en Dordogne où Ruthy se muait en Lucienne Berger.

Ainsi l'occupation de la Zone Sud de la France passait pour moi sans incident et en 1946, j'abandonnai la vie clandestine, mon faux nom, mes fausses cartes, ma soi-disant grand'mère et ma marraine de guerre.
Si j'ai échappé aux griffes des loups, ceux-là avaient tout de même détruit mon nid et au retour à Strasbourg en 1946, malgré mon jeune âge et ma petite taille, le Home Israélite de Jeunes Filles m'accueillit.

Ruthi et ses camarades dansant un ballet.
Aujourd'hui avec le recul des années, il m'est plus facile d'analyser ce que cette maison dans laquelle je vécus neuf ans, fut pour moi. Quand j'arrivai au Home, j'étais comme une détenue libérée qui doit reprendre contact avec la luminosité du soleil, l'air pur, la vie régulière. J'avais eu auparavant l'impression de marcher avec un écriteau qu'on voit de loin "Juif d'Autriche" (synonyme alors pour moi de fille de voleur ou complice de meurtre). Fini le sentiment d'être un être à part, une enfant différente des autres. Je redevins Ruth Gelberger ; je relevais la tête au milieu des autres filles qui se portaient très bien tout en étant mes coreligionnaires.

La vie régulière, la nourriture adaptée à ma frêle constitution me fortifièrent et l'affection et la sollicitude qui m'entouraient dans cette maison, où régnait une atmosphère familiale, firent naître en moi un solide sentiment d'assurance et de sécurité.

Le Home se chargea de tous mes besoins matériels et il fut décidé de me faire poursuivre mes études secondaires. Bien adaptée, je m'installai au bord du lac de la vie afin d'observer les performances des nageurs, mes semblables, traînant à leur cheville le boulet inégal de leur passé.
Un des avantages qui particularisent le Home, était la dispersion des pensionnaires dans tous les établissements où l'on peut s'instruire, ou acquérir une profession et j'eus beaucoup à apprendre des autres.

Chaque soir, la maison bourdonnait, telle une ruche après la collecte du nectar. Je remarquais également les différences de classes sociales, de fortune, le degré de religiosité ou d'identité juive de mes camarades et de mes amis en général, qui allaient d'un extrême à l'autre.
Arriva alors l'âge de la révolte. Nous fîmes les quatre cents coups. Le Home me donna conscience de la force que dégage la vraie camaraderie. Grosses blagues suivies de punitions collectives ; complicité unanime pour protéger une gaffeuse...

Après de longues années durant lesquelles l'instruction et la culture acquises, le contact avec mes professeurs et maîtres, m'avaient permis de mûrir et de choisir ma route, l'expérience du monde moderne, à travers le Home, me conduisait au sionisme religieux et militant et je décidais de partir en Israël pour aller au Kiboutz.
Je partis du Home par une triste journée pluvieuse, mais sûre de moi et pourvue d'un bagage moral certain. Je partis pour construire un bâtiment neuf dans un monde nouveau sur une terre rénovée dont 2000 ans auparavant j'avais été chassée. C'est du Home Laure Weil que je garde mes souvenirs les plus riches car le Home, ma maison, avait une âme due à l'abnégation qui avait marqué sa fondation et à l'esprit de la direction.

Aujourd'hui, vivant toujours au Kibboutz, mariée et mère de 4 enfants, je comprends le prix des valeurs que Mademoiselle Schwab, qui fut ma directrice et ma maman, m'a transmises et qui m'ont permis de reconnaître l'idéal de ma vie qu'elle m'a aidé à réaliser.

Génia BENEZRA
ayant séjourné au Home durant 3 ans


Je suis née le 26 août 1940 à Minsk-Mazowiecki (près de Varsovie) où sur une population de 20.000 habitants, il y avait 7.000 juifs. Mon père, Moïse Tyrangel, venait de Koluschi (près de Lods) et ma mère, Rachel Tyrangel née Korman, habitait Minsk. En octobre 1942, alors que tous les juifs de Minsk ont été déportés à Treblinka, quelques-uns sont restés au camp de travail. Ma mère a pu cacher ses deux filles et rester illégalement dans ce camp. Les vérifications fréquentes faites par les Allemands l'ont forcée à chercher un refuge pour ses enfants. Elle a pu trouver une famille catholique Jaszcrul, qui s'est chargée de me garder pendant un certain temps. Ma soeur a été confiée à une autre famille. Malheureusement, on n'a pu la retrouver après la guerre.

Mon père est parti au ghetto de Varsovie, car il faisait partie d'un groupe de résistants qui s'est formé à l'intérieur de ce ghetto.

En novembre 1942, les Allemands ont mis le feu à la maison dans laquelle se trouvaient les juifs qui faisaient partie du camp de travail. Ainsi, ma mère a brûlé vive dans cette maison. Ensuite, mon père a perdu sa vie dans le ghetto de Varsovie. Les époux Jaszcrul ont décidé de me garder, malgré la menace de mort qui pesait sur eux. En effet, ils ont été dénoncés pour avoir gardé un enfant juif et ont fait de la prison comme punition.

Grâce aux amis, ils ont pu présenter un faux certificat de baptême pour moi et des papiers qui leur ont permis d'être libérés par les Allemands. Mais ils ont dû quitter Minsk-Mazowiecki, de peur d'être de nouveau incarcérés. Ils ont vécu cachés à la campagne avec moi.

Après la libération, un oncle qui a été en URSS pendant la guerre, voulut me chercher. Mes parents adoptifs n'ont pas consenti à se séparer de moi, car ils considéraient que mon oncle, célibataire et à l'époque sans ressources, n'aurait pu m'élever. Mon oncle m'a transmis l'adresse de ma seule famille survivant en France, à Metz. J'ai correspondu avec elle et en 1961, j'ai obtenu les titres de voyage pour les rejoindre.

Désireuse de faire mes études, j'ai été dirigée par les autorités religieuses de Metz vers le Home Laure Weil, où j'ai trouvé un accueil chaleureux, un foyer familial et des camarades qui sont devenues mes amies. J'y ai vécu pendant trois ans. Entretemps, j'ai fait venir de Pologne mon père adoptif, veuf depuis quelques années, et lorsque je lui avais trouvé un petit logement et du travail, je me suis installée auprès de lui. Plus tard, je me suis mariée et habitant le Canada, je suis maintenant l'heureuse maman de deux mignonnes petites filles.

Je pense avec reconnaissance au Home Laure Weil qui fut pour moi, comme pour tant d'autres, un foyer accueillant et où la direction m'a facilité l'adaptation à ma vie d'étudiante, dans un pays et une ville, dont je ne connaissais ni la langue, ni les coutumes. Je saisis avec joie cette occasion pour remercier de tout coeur tous ceux qui m'ont aidée à réaliser le but de mes jeunes années : faire mienne une profession qui me permet de subvenir à mes besoins.


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