LE HOME ISRAELITE DE JEUNES FILLES
par Fanny SCHWAB
Extrait de la brochure Laure Weil, sa vie, son oeuvre, éditée en 1969

Sa fondation

Le Home Israélite de Jeunes Filles fut fondé en 1908 par Laure Weil aidée par les membres du Comité de Bienfaisance "LES ABEILLES", dont elle était la Présidente. Les "ABEILLE" étaient une organisation de jeunes filles qui consacrèrent leur temps à des activités sociales. D'ailleurs, la première dénomination du Home fut "BIENENSTIFT", fondation des Abeilles, car depuis 1871 et jusqu'au 11 novembre 1918 l'Alsace ayant été une province allemande, la langue usuelle était l'allemand.

Comment Laure Weil a-t-elle eu l'idée d'une initiative toute nouvelle pour l'époque?
Toute jeune, elle s'occupait de jeunes filles isolées, et par elles, mise en contact avec les difficultés de la vie qu'elle avait ignorées - car elle avait grandi dans une famille aisée - elle était impressionnée par les conditions pénibles dans lesquelles travaillaient à ce moment dans les magasins et bureaux, des jeunes filles désireuses ou le plus souvent obligées, de gagner leur vie. Elles venaient en ville tôt le matin des villages du département, rejoignant tard le soir leur foyer, ou se trouvaient isolées dans une chambre louée, aux prises avec les difficultés matérielles de la vie et exposées à de réels dangers d'ordre moral. Révoltée par l'existence d'esclave que menaient celles qui n'avaient d'autres ressources que de servir comme domestiques dans les familles, elle souhaitait offrir aux unes un foyer familial améliorant ainsi leur existence, aux autres la possibilité d'une promotion. De 1905 à 1908, elle avait à lutter contre les idées étroites des uns, l'égoïsme et l'esprit de caste des autres, juste ceux qu'elle devait solliciter pour obtenir l'argent nécessaire à la réalisation de son projet. Grâce à son don de persuasion, son charme et ses démarches innombrables elle réussit à gagner de nombreux amis favorables à son projet et à réunir les sommes nécessaires à la création d'un Home pour jeunes filles qu'elle ouvrit le 12 janvier 1908 en recevant 8 adolescentes au premier étage d'un vieil immeuble patriarcal situé au fond de la cour-jardin du 7, rue du Bouclier.

Pour satisfaire les nouvelles demandes d'admission, l'adjonction d'un autre étage fut nécessaire fin décembre de la même année et en 1910 tout l'immeuble dut être occupé pour permettre d'y installer 40 lits. Laure Weil ayant accepté quelques jeunes élèves, jetait déjà les bases de la future section des "Cadettes".
Ie Home, 7, rue du Bouclier.
Ce qui distinguait dès sa création le Home, c'était son caractère social-philanthropique. Priorité fut donnée - et ce principe a toujours été maintenu - aux orphelines et aux jeunes filles sans moyens, alors qu'à cette époque il n'existait ni bourse ni contribution à leur intention de la part de l'Administration.

Le Home de 1919 à 1928
En 1914 la première guerre mondiale éclatait. Laure Weil risquant l'internement à cause de ses sentiments français bien connus, dut quitter Strasbourg et de ce fait, fermer le Home.

L'armistice conclu, Laure Weil revint dans sa ville natale redevenue française. Toute son oeuvre dut être reconstituée. Marthe Cohn, ancienne "Abeill", l'amie de Laure Weil, avait pu soustraire au séquestre allemand une grande partie du mobilier en le cachant chez des connaissances ce qui facilitait le rééquipement du Home. Il rouvrit ses portes dès le 1er octobre 1919.

Les lits furent pris d'assaut d'autant plus vite que nous avions organisé un cours accéléré de français fonctionnant jusqu'en 1925 pour aider les jeunes alsaciennes désireuses de travailler ou de faire un apprentissage et ne sachant que l'allemand, à acquérir au plus vite la connaissance de la langue française.

Je dis nous, car Laure Weil avait trouvé deux aides, dont l'une, ma soeur, assurait, jusqu'à son mariage avec le Dr Joseph Weill en avril 1928, les fonctions d'économe bien difficiles puisque nous étions toujours à court d'argent ; l'autre, moi, qui ai eu l'insigne honneur de devenir la collaboratrice de Laure Weil et de la rester jusqu'à la fin de sa vie.

La guerre avait fait faire à l'émancipation de la jeune fille non seulement un pas, mais un saut en avant. A présent elle ne venait pas seulement en ville pour travailler, mais aussi pour fréquenter les écoles secondaires et commerciales et dans une proportion encore très minime, les facultés. Malgré l'élargissement de l'institution par la location d'appartements contigus qui pouvait alors accepter 60 pensionnaires à partir de 1920, la maison s'avéra trop exigüe pour satisfaire aux demandes toujours plus nombreuses. De surcroît, la vétusté et l'inconfort du vieux bâtiment devenant de plus en plus gênants, la nécessité de disposer d'un nouveau foyer, répondant aux besoins modernes, s'imposa. Dans l'impossibilité de trouver un immeuble approprié à louer ou à acheter, nous décidâmes, Laure Weil et moi, en 1925, de lancer le projet de la construction d'un immeuble.

Le nouveau Home, 11 rue Sellénick

Le bureau de Laure Weil
Laure Weil se révéla une propagandiste enthousiaste et extraordinaire. Elle obtint de la municipalité le terrain 11, rue Sellénick à un prix modique, (le Home fut le premier immeuble à être construit sur ce terrain vague) et en septembre 1926, la première pierre fut posée alors que nous n'avions encore pas un centime pour couvrir les frais de cette vaste entreprise.

Laure Weil sut gagner à son projet deux Alsaciens établis l'un à New York, M. Léonard WEIL, natif de Hatten, l'autre dans l'Illinois, M. Alphonse METS, originaire d'Ingwiller, qui réunirent, sous l'égide de la Société Israélite Française de New York, dont Monsieur Charles PICARD fut le président, d'importantes sommes pour la construction du Home.
Grâce à l'appui du comte Jean De LEUSSE de Reichshoffen, nous obtînmes une subvention du Pari Mutuel et Laure Weil se fit elle-même l'avocate de la cause en parcourant les villes et les localités de la région ainsi que Paris, frappant à toutes les portes. Son éloquence gaie et persuasive, sa simplicité souriante, ses yeux merveilleux et son énergie inépuisable forcèrent l'admiration de tous et les dons affluèrent.

L'édification de l'immeuble du Home dura deux ans, sous la direction talentueuse de feu Monsieur Lucien CROMBACK, architecte du Gouvernement, membre du Conseil d'Administration du Home, devenu par la suite son vice-président, aidé par l'architecte feu Monsieur Emile Wolff. L'inauguration eut lieu en septembre 1928.

Le Home de 1928 à 1939

L'institution, conçue avec les idées larges de Laure Weil et réalisée avec les capacités remarquables des architectes, pourvue du confort moderne, contenait 106 lits répartis dans des dortoirs pour les cadettes et dans des chambres à 2 et 1 lits, pour les grandes filles, des salons pour les loisirs, des salles d'étude, des parloirs et une grande cour pour les ébats juvéniles des pensionnaires.

Les vastes locaux nous permirent de faire fonctionner aisément et rationnellement l'une à côté de l'autre, la section des cadettes, comprenant les élèves et les apprenties de 10 à 18 ans, avec l'organisation et le règlement d'une maison d'enfants à caractère social et d'autre part, le foyer pour les jeunes filles à partir de 18 ans, travailleuses, élèves et quelques rares étudiantes des facultés.

Home Laure Weil ; 11 rue Sellénick Strasbourg
Malgré les dimensions beaucoup plus importantes que celles de l'ancien Home, Laure Weil grâce à son sens psychologique, sa bonté, le rayonnement de sa personnalité et la chaleur de son contact humain, sut maintenir l'atmosphère familiale et faire du Home le foyer chaud que les résidentes apprécient tant. Le nombre tellement plus élevé des pensionnaires rendit la tâche difficile. Mais Laure Weil avait le don de dépister les timides qui souffraient de la solitude et qui cherchaient un appui moral, celles qui n'avaient pas osé avouer leur dénuement en arrivant. Sa préoccupation constante était d'aider, de faciliter la vie aux jeunes, de leur procurer des emplois mieux payés ou convenant plus à leurs aptitudes et de les défendre, même parfois contre leurs propres parents. Elle fut une mère pour toutes, indulgente, compréhensive, généreuse.

Le Home durant la guerre

La deuxième guerre mondiale nous chassa de Strasbourg le 1 septembre 1939 et le Home fut fermé. L'ayant cyniquement choisi comme siège, la sinistre Gestapo transforma de fond en comble l'intérieur de la maison où bureaux, salles de tortures et cellules prirent la place des pièces paisibles et aimables où retentirent autrefois les rires gais et les chants des jeunes filles. Nous retrouvâmes l'immeuble en 1945, mutilé et méconnaissable, vidé de son installation et amputé de ses services techniques.

La réouverture

En dépit de toutes les difficultés dont la moindre n'était pas mon immobilité durant six mois pour cause de maladie, le Home fut ouvert dès novembre 1946 par Madame Paul KAHN, à l'époque Mademoiselle Adrienne KAUFFMANN, assistante sociale, aidée par Madame Mimi SCHMIDT.
La mise en marche d'une maison absolument vidée de son contenu fut difficile. Nous fîmes fonctionner l'institution aussi bien que possible tout en poursuivant les importants travaux de remise en état et de réinstallation qui durèrent plus de deux ans.

Une aide considérable nous fut prodiguée

Nous fûmes aidés non seulement par l'Administration, mais par de nombreux amis, tous des Alsaciens vivant à l'étranger. De Buenos-Aires, Monsieur Paul GUTHMANN, originaire de Brumath, ayant organisé une collecte avec l'aide de ses amis, nous envoya du linge de lit et de maison ainsi que des couvertures.
A Rio deJaneiro, ce fut une ancienne pensionnaire décédée depuis, Sara WOLFF, d'Ingwiller, qui fit appel à la Croix-Rouge brésilienne pour nous faire parvenir du café, du riz et du linge de maison.
La Société Israélite Française de New York, sous la présidence successive de Monsieur Emmanuel MEYER de Woerth-sur-Sauer, Monsieur Paul LEVY de Hochfelden et Monsieur René LOEB de Strasbourg, ne se contentait pas de nous envoyer de Suisse du lait condensé, du fromage et du chocolat, mais continuait durant quelques années à nous prodiguer son aide.
Grâce aux incessantes interventions de Monsieur le Rabbin LANGER de Paris vivant à New York, le War Relief également nous fit parvenir périodiquement des subventions.
Un Strasbourgeois vivant en Suisse depuis la guerre, Monsieur Paul GERSCHEL, fit appel à la Fédération des Communautés Israélites Suisses, qui organisèrent une collecte, afin de nous fournir les machines culinaires électriques introuvables en France à ce moment.
Ceux qui se souviennent des années de disette dans tous les domaines qui suivirent la fin des hostilités, se rendent compte de l'importance de ces secours et notre reconnaissance pour cette aide précieuse est inaltérable.

Le fonctionnement du Home après la guerre

Des résidentes devant le Home
Lors de sa réouverture, le Home reprit son ancienne structure : moitié Maison d'Enfants à caractère social pour filles de 10 à 17 ans avec toute la réglementation exigée par cette catégorie d'âge, et le Foyer qui reprit également son fonctionnement, recevant comme par le passé travailleuses, élèves et étudiantes. Je tiens à exprimer notre profonde reconnaissance à Messieurs les Directeurs de la Direction Départementale et Régionale de l'Action Sanitaire et Sociale, auprès desquels nous avons toujours trouvé un appui et une compréhension efficaces pour tous nos problèmes, à Messieurs le Président et les Directeurs de la Caisse d'Allocations Familiales pour leur aide agissante et à Messieurs le Président et le Directeur de la Sauvegarde de l'Enfance et de l'Adolescence pour leur concours éclairé dans nos activités.

Au fil des années la Claim's Conférence nous accorda des subventions substantielles pour nous permettre de perfectionner l'équipement.
Laure Weil réintégra le Home, malheureusement affectée d'une maladie qui ne lui permit plus de reprendre ses activités. Elle nous fut ravie par la mort en 1952.

Léonard Weil était décédé en 1947, mais nous eûmes la joie de recevoir au Home maintes fois, lors de leurs voyages annuels en France, Madame et Monsieur Alphonse Mets qui continuèrent à nous faire bénéficier de leur généreuse et bienveillante amitié.

Subissant les répercussions des événements politiques, le Home remplit pleinement sa mission sociale et humanitaire. Alors qu'après la première guerre mondiale, le Home rue du Bouclier fut hospitalier aux jeunes filles envoyées en France par leurs familles d'Ukraine, de Pologne, de Lithuanie, victimes des pogromes, de 1933 à 1939 nous reçumes en masse les jeunes réfugiées allemandes, enfants, jeunes filles et dames fuyant les persécutions hitlériennes. Lors de la réouverture de l'institution en 1945, nombreuses étaient les enfants, souvent très jeunes, de parents déportés, qui trouvèrent un foyer dans notre maison. En 1956 nous ouvrîmes nos portes aux jeunes venant d'Egypte, puis ce furent celles envoyées en France par leurs parents habitant le Maroc, craignant des troubles antisémites lors de la mort du
roi Mohammed V. Et ce fut l'exode d'Algérie, en 1962. Nous accueillîmes dans notre foyer non seulement les adolescentes mais aussi les mères avec les bébés et les très jeunes enfants jusqu'à ce que la Préfecture ait pu les installer dans des logements. Notre section des Cadettes fut saturée durant deux ans du fait de cet afflux de compatriotes de l'Afrique du Nord. Finalement les parents trouvèrent des appartements et des emplois et leurs enfants purent rejoindre le foyer familial.

Les activités spirituelles et les loisirs

L'allumage des bougies de Hanouka
Sans que le Home soit une maison de stricte observance, les principes religieux y ont toujours été appliqués tant au point de vue alimentaire que sur le plan général. Les anciennes pensionnaires se souviennent avec émotion des repas shabatiques des vendredis soirs suivis de veillées tantôt culturelles, tantôt distrayantes et personne n'a oublié les merveilleux Séder présidés par le Dr Joseph WEILL, faisant bénéficier l'assistance des fruits de sa culture juive, profonde et vaste.

L'organisation des loisirs était une de nos préoccupations principales. Les fêtes de Hanouka et de Pourim nous donnaient l'occasion de monter des représentations théâtrales avec danses et déclamations. Les samedis soirs eurent lieu des cours de bricolage, le dimanche des auditions de disques durant la mauvaise saison, et en été, des excursions en groupes. Il y eut aussi les corvées : aider à essuyer la vaisselle, écosser les petits pois, le lavage du linge personnel à partir de 13 ans.

La mutation

Cependant, en dehors des jeunes venues au Home pour les raisons indiquées, au cours des années, la structure des groupes et l'origine des résidentes subissaient une évolution sensible. L'extermination dans les camps nazis des nombreuses familles juives qui avant la guerre avaient habité les villages et les petites villes de notre région, avait tragiquement réduit le nombre des jeunes filles en mesure de venir en ville. D'autre part, la création des lycées dans les chefs-lieux de cantons et le ramassage des élèves des villages environnants organisé par l'Education Nationale, permettaient depuis quelques années aux élèves de rester dans leurs familles jusqu'au baccalauréat. De ce fait, le maintien de la section pour enfants ne se justifiait plus.

A partir de 1964 se fit sentir une poussée vers la ville de jeunes filles de 17 à 18 ans, ayant terminé les études secondaires ou techniques, désireuses de réaliser leur formation professionnelle ou de poursuivre des études universitaires.

Une chambre du foyer modernisée
Reconnaissant le besoin d'une adaptation à la situation nouvelle créée par l'évolution des conditions de vie et cédant à une douce, mais constante pression des présidents du Consistoire, le Dr Joseph WEILL et de la Communauté Israélite, Maître René WEIL, le Comité du Home Laure Weil décida au printemps 1963 de scinder l'oeuvre en deux parties et supprimant la section des Cadettes, de consentir à l'installation d'un Restaurant Universitaire dans les salles du rez-de-chaussée. Cette innovation se justifie car le Restaurant distribue quotidiennement des centaines de repas. Dans les étages est maintenu le foyer féminin qui accueille des jeunes filles âgées de 18 ans et plus : travailleuses, élèves et étudiantes.

L'optique du Foyer

Le Home Israélite de Jeunes Filles, dénommé en 1953 Home Laure Weil, n'a jamais été un simple foyer. En dehors de son double caractère, il se distinguait par une tendance éducative et sociale accusée, avec priorité pour les admissions des orphelines, demi-orphelines et cas sociaux.

Aujourd'hui encore, il n'est pas un foyer comme les autres : son caractère particulier lui impose une orientation différenciée puisqu'il accepte en raison de son caractère confessionnel avec les travailleuses aussi des étudiantes.

Nos efforts ont toujours tendu à diriger le Foyer selon les principes et dans l'esprit de Laure Weil, créant un climat chaud et familial et assistant les résidentes qui en avaient besoin, de notre sollicitude agissante, de nos conseils et de notre aide et je m'en voudrais de ne pas citer la collaboration dévouée, durant des années de Mesdames Jenny Klein, Ermance Salomon, Yvonne Buhot et Renée Weil.
J'ai été secondée aussi dans ma tâche par les membres de mon Comité dont chacun selon sa qualification professionnelle ou sociale et humaine m'a fait bénéficier de son concours efficace et éclairé.

Je souhaite que ce home continue à répondre au but pour lequel il a été créé tout en s'adaptant à l'évolution constante des temps, sans oublier qu'en dépit de leur soif d'indépendance, les jeunes auront toujours besoin d'un Foyer où trouver un conseil judicieux, de la compréhension et un peu d'affection lorsque des ennuis, des complications ou des déceptions les assaillent.

  F. SCHWAB
Directrice honoraire
Présidente du Home Laure Weil     


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