LAURE WEIL
(1875-1952)
par le Docteur Joseph Weill
Extrait de la brochure Laure Weil, sa vie, son oeuvre, éditée en 1969

Jeunesse

L'image rayonnante, la personnalité riche et originale, le caractère tout de fraîcheur incorruptible et de douce et obstinée fermeté émergent, vivants et limpides, de l'atmosphère étouffante et étriquée, conformiste et mesquine qui tentait en vain, d'emprisonner la jeunesse de Laure Weil à l'égal des autres jeunes de son milieu et de son époque.
D'innombrables et hautes cloisons, presqu'infranchissables enserraient la fillette qu'elle était dans les années quatre-vingt-dix avec ses camarades de jeu. Des préventions imperméables et épaissies à travers les années s'étaient opposées à ses premières tentatives d'émancipation professionnelle féminine. On peut être frappé par le contraste saisissant que forment la suffisance des classes aisées de la bourgeoisie, leurs vues étroites en matière de pédagogie et d'obligations sociales avec leur large horizon économique qu'une vision réaliste élargissait au-delà des frontières et même des continents et avec l'importance sans cesse grandissante des investissements industriels de longs cours.

Certes, on ne lésinait pas, pour autant, quand il s'agissait de créer ou de moderniser les institutions charitables et les eeuvres pieuses, exigées par la tradition. Des homes pour orphelins, des écoles de formation artisanale particulièrement soutenues furent installés dans le but d'infirmer les reproches chroniquement adressés aux citoyens israélites repoussés à la suite des lois discriminatoires dans le maniement de l'argent et le trafic des marchandises. Des hospices et un hôpital virent le jour grâce à l'initiative et à la générosité de cette bourgeoisie.
Le réseau riche et complet d'assistance dont est dotée la communauté de Strasbourg date de cette époque.

Les jeunes filles appartenant aux couches israélites aisées acquirent dans des pensionnats le bagage dont elles auraient besoin et qui ferait d'elles des épouses modèles pouvant prétendre "à la considération et au train de vie correspondant à leur rang".
Les autres moins bien loties n'avaient qu'à travailler dans le commerce comme vendeuses, couturières, modistes, repasseuses ou se placer dans des familles ! Pour trouver un gagne-pain la plupart d'entre elles devaient venir, au moins la semaine durant, dans la grande ville délaissant leurs villages et leurs bourgs.
C'est depuis l'emprise de son milieu aisé que Laure Weil dut se frayer une voie à travers de nombreuses préventions et par dessus maints obstacles vers les couches déshéritées. Elle ne devait plus les quitter. Une fois pour toutes son grand coeur s'était tracé la voie d'une seule et définitive coulée.
Son esprit critique lucide avait affronté très tôt, alors qu'elle avait dix-huit ans à peine, les entraves qui de toute part alourdissaient l'épanouissement naturel de la jeune fille en l'aliénant.

Début d'une carrière sociale prodigieuse

Courageusement, avec son jeune enthousiasme, qui, cependant, ne la quitta même pas à un âge avancé, elle entreprit des démarches en vue de réaliser ses premiers objectifs tendant à réunir les travailleuses et leur offrir un toit. Ce fut un beau tollé.
Nous ne résistons pas à la tentation de citer la lettre que lui valut sa visite auprès de Monsieur le Conseiller de Commerce, Président de la Loge Unitas et autres Comités : "Il serait absurde, lui écrit ce personnage solennel, de vouloir fonder simplement une pension kaschère, susceptible en plus, de concurrencer de pauvres gens tirant leur maigre pitance des repas qu'ils servent à d'indigentes vendeuses. Je me vois obligé de refuser la moindre parcelle de responsabilité morale dans pareille entreprise."
Que répondit la jeune personne à cette rebuffade, à la levée de boucliers accueillant cette audace, au concert de véhémentes critiques devant cette démarche insolite tendant à rien moins qu'à émanciper de pauvres filles, trop souvent exploitées, et risquant de contaminer leur propre personnel de maison ? Nous ne le savons. Mais nous pouvons lire une circulaire recommandant chaleureusement l'initiative de Laure Weil, quelques mois seulement plus tard, et signée par le même Conseiller de Commerce !

C'est cette obstination souriante, cette volonté incorruptible mais toujours aimable, cette douce et inébranlable persévérance qui concrétiseront peu à peu l'idéal conçu par Laure Weil. Dès 1900, à l'âge de 25 ans, elle créa la société de bienfaisance "les Abeilles" qui réunit les jeunes filles de la bourgeoisie en les faisant participer à un ouvroir dans lequel elles confectionnèrent de leurs propres mains un trousseau complet pour chaque enfant indigent de la Communauté israélite.
A partir de cette position insignifiante elle introduit une activité sociale prodigieuse. Par ses méthodes hardies, par l'esprit, la générosité, le dévouement inconditionnel qu'elle insuffle à l'oeuvre et à son équipe elle fait époque. Elle doit continuer à s'attaquer aux préjugés mesquins qui aujourd'hui encore n'ont pas tous disparu, mais on commence à reconnaître son autorité. Elle organise un réseau de réalisations en faveur de la jeunesse, entreprend la surveillance systématique d'enfants isolés et abandonnés. Elle s'occupe à leur faire apprendre un métier, elle les place, toutes, à la fin de leur apprentissage, les surveille, les protège et les suit. Conduire la moindre action, chaque initiative jusqu'à son aboutissement et son épanouissement est l'un des secrets de sa réussite.

Amour et action

L'amour, d'une pureté de diamant, d'une douceur maternelle, qu'elle dépense sans compter, l'amour qui désarme et qui ranime, fait naître ses décisions. Il imprègne tous ses gestes. La flamme de son regard accompagne chaque tentative. Un sourire rayonnant récompense chaque effort désintéressé. En avance sur son temps - et jamais la vision pionnière ne la quittera - non contente d'assurer une base matérielle solide à ses protégées, cette Providence des faibles et des pauvres, des timides et des malchanceux apporte un soin vigilant à la formation culturelle. Elle institue des soirées régulières où elle chante et joue du piano pour et avec elles ; elle multiplie les occasions d'une saine distraction ; elle s'efforce constamment - la constance constituant une de ses vertus éminentes - de perfectionner les connaissances générales aussi bien que la formation technique de "ses filles".

Championne passionnée de la pensée et du rayonnement français aussi bien sous les Allemands qu'avec les Français son grand souci est d'enseigner un français correct à ses protégées qui se rassemblent autour d'elle, toujours plus nombreuses et enthousiastes. Tant et si bien qu'en 1908 elle ressent la nécessité de fonder le "Home Israélite de Jeunes Filles". A travers les tempêtes, contre vent et marée, elle conduit, aidée par un état-major dont le choix confirme ses qualités de Chef, sa fondation d'une main sûre durant quarante années.

Naissance du Home


De huit, la première année, le nombre des pensionnaires croît avec une rapidité telle qu'elles sont quarante dès l'année suivante
Dans cette maison modeste, mais "sa" maison, les qualités de l'âme et du coeur de Laure Weil s'épanouissent dans la joie et dans la gloire d'un authentique amour. Toutes celles qui ont passé par le Home portent l'empreinte définitive de leur séjour dans ce véritable foyer. Malgré le nombre de pensionnaires sans cesse en augmentation, conquérant peu à peu toutes les ailes de la maison de la rue du Bouclier, aucun règlement écrit n'en détermine ni n'en limite la vie intérieure. On n'anime pas la vie, aimait-elle à dire, à coup d'ukases. Le sentiment de responsabilité doit naître spontanément, même si ce n'est que progressivement, de la prise de conscience d'une atmosphère de nécessaire et féconde solidarité. Par la confiance qu'elle investit, jour par jour, en chacune des pensionnaires, leur confiance vint à elle.

1913 : Laure Weil devant le Home rue du Bouclier avec les membres de son comité et les pensionnaires

La foi dans l'Homme

Ici se révéla un trait fondamental de sa nature : les inévitables déceptions auxquelles elle interdit de déboucher sur une désillusion, jamais n'ébranlèrent le moins du monde sa foi dans l'homme, dans le fond de bonté que possède en lui chaque être de toute condition, de toute origine. Cette foi robuste et entraînante, sans laquelle toute religiosité devient creuse, toute piété routinière, tout mouvement vers une rencontre réelle artificielle menacée d'aliénation, Laure Weil la fit surgir tout naturellement des profondes sources intarissables de son être généreux. Elle la révéla dans son sourire, la fit naître dans son clair regard, la semait dans ses dialogues, la confessait dans son action, l'enrichit à chacun de ses passages. Ni l'incompréhension envieuse ni la jalousie médisante ne l'atteignaient.

C'est par cet amour vécu inventant tous les jours des expressions nouvelles, des modèles originaux de réalisation que cette grande Dame, ambassadrice extraordinaire de l'amour pratique, limitée par aucune barrière que tante Laure, comme l'appelait la moitié de l'Alsace, est entrée de son vivant dans la légende.

De viris illustribus

Les résidentes du Home de la rue du Bouclier en excursion
Cette lumineuse figure mérite de survivre. Nous avons plus que jamais besoin de son exemple de vie, hors pair. Nous devons savoir aussi qu'elle illustre aussi bien la communauté que la cité. Nous n'entendons nullement nous laisser entraîner dans une laudation futile qui constituerait rien moins qu'une trahison envers sa personnalité véridique et son caractère trempé, hors série.
Dans tous les domaines de l'action sociale sa recherche permanente de l'humain, son intuition de la misère et de l'infortune cachée remplaçait chez elle les diplômes et dépassait la science reconnue sur les parchemins. Son instinct sûr et vibrant, sa sympathie innée lui permirent d'imaginer, pour chaque détresse, des solutions originales sans cesse renouvelées.

Elle approchait toutes les misères. Elle manifestait une particulière bienveillance aux petites gens qui poussés par une dure nécessité ou l'infortune, ou par légèreté avaient commis des indélicatesses, ignoré les règles strictes dans la conduite de leurs affaires devenues difficiles. Une mise au ban un peu hâtive de la part de la "bonne" société finissait de pousser vers la misère et le désespoir ces faibles et ces légers. Ils risquaient de déchoir et d'entraîner dans la déchéance leurs familles à partir de leur échec rendu public.
Alors la "bonne âme" se mit en mouvement. A force de plaidoyers convaincants, par l'analyse impitoyable de la responsabilité réelle dans le destin des faillis et l'appel à la solidarité professionnelle, elle réussit dans la plupart des cas à couvrir les déficits, à rembourser les dettes, à remettre à flot les affaires chancelantes.
Puis elle morigénait les fautifs, secouait les timides, pour leur infuser, l'instant après, une confiance nouvelle en eux-mêmes. Elle dirigeait leurs premiers pas, surveillait aussi bien leurs méthodes que leur effort et leur permit de recommencer leur existence, d'aborder avec un courage nouveau la lutte quotidienne, une première fois, les fois suivantes ; qu'importait à cette grande âme.

Il faut l'avoir vue et entendue au cours des réunions et des conférences où le plus souvent elle était la seule représentante féminine s'attaquer aux personnalités les plus puissantes, jouissant de la plus grande autorité, less repousser dans leurs derniers retranchements, leur reprochant leur égoïsme, leur mesquinerie, leur hypocrisie. Alors pointant son index vers l'adversaire du moment, le fixant de son regard ardent elle formula son jugement posément, mais sans réplique : "Je n'admets pas...". Elle n'admit ni la philanthropie dilettante et mesquine, ni l'incompréhension provocante des possédants essayant d'économiser sur le dos des faibles, ni surtout l'intolérable mentalité des dames patronnesses, pas plus que les prétentions vaniteuses des paternalistes voulant imposer en échange de leur aumône une espèce de liberté surveillée à leurs protégés et des manifestations ininterrompues de gratitude débordante.

La Zedakah

Elle était imprégnée de l'antique tradition juive reconnaissant à tout infortuné l'imprescriptible droit sacré d'en appeler aux favorisés. Leur quête était un dû. Ceux que leur situation autorisa à répondre à cette demande jouissaient du privilège de rétablir une inégalité et de redresser le sens et les besoins de justice et d'équité sociales. C'est la définition de la "Zedakah" qu'elle defendit pied à pied avec un mélange d'énergie décidée et de tendre bonté jusqu'à son dernier souffle.

La création du nouveau home

Laure Weil fêtée dans son salon lors de son 60ème anniversaire
Le Home Laure Weil est né de cette confiance rayonnante, de cet humanisme réaliste, de cette recherche permanente de l'homme en tout chacun, de cet amour direct qui furent siens.
Dans toute l'attention du terme il fut le fruit de ses mains. Ce furent son charme, la chaleur de ses convictions, sa foi entraînante qui érigèrent la vaste et claire maison. Elle est devenue son monument.

Sans l'appui d'aucun organisme, ni privé, ni officiel, elle ramasse les fonds. Ses donateurs deviennent ses amis, ses amis dans tous les coins du pays et hors du pays jusqu'aux Etats-Unis deviennent les supporters ardents de son projet.
Ainsi réussit-elle à construire sa propre maison selon ses conceptions à elle, aidée dans l'exécution par le talent et le dévouement des architectes feu Lucien Cromback, ancien Président du Consistoire et membre du Conseil d'Administration du Home, et feu Emile Wolff.

Le symbole de la ruche d'abeilles, reproduit en fer forgé sur la frondaison de l'entrée principale, fut mérité pleinement.
La multitude d'existences, formées, orientées, dirigées, mûries, selon le goût et les aptitudes de chacune, est impressionnante. Ce foyer porté au bout des bras et alimenté par Laure Weil et ses collaboratrices intimes devint un centre spirituel d'émulation, un refuge pour l'angoisse de la détresse, la maison familiale de chaque infortune. Il devint naturel de s'adresser au Home aussi bien en cas d'un malheur, d'une grave déception, de malchance ravageant un foyer que lors de catastrophes collectives. Chaque individualité fut abordée comme un monde particulier et le monde déséquilibré de chacun attaqué avec un cœur neuf. La routine, le formalisme, l'impatience, le parti pris et les préjugés étaient bannis avec rigueur. Le contact avec les milliers de pensionnaires était resté franc, direct, chaleureux, vivant.

L'activité au service de chacune dont la personnalité, la famille, le milieu, les facultés et les lacunes, les possibilités et les illusions étaient enregistrés avec précision dans la tête et le ceeur de la Directrice était prodigieuse. Par son intuition sûre, les trésors de son coeur inventif, la pureté illuminant son beau visage, le regard ardent de ses yeux noirs. perspicaces et voilant l'instant après la sévérité motivée, elle devinait et consolait, condamnait et absolvait à la fois dans le feu réchauffant de sa bonté.

Mais Laure Weil ne fut jamais prisonnière de son admirable création. Elle savait et sentit que des pierres, l'habitation entière se figeraient et géleraient pour peu que l'âme qui l'animait se refroidît.
Son bureau devint un quartier général d'action sociale. Tôt elle initiait celles des "filles" capables de s'intéresser à ses activités.

Du home partirent les initiatives hardies, les décisions constructives rapides, les interventions immédiates nécessaires. Aucune bureaucratie ne risquait de ralentir ou de saboter même la rapidité d'exécution.
Sans avoir besoin de réfléchir, tout le monde savait que pour tout besoin le Home était ouvert avec ses lits, sa cuisine, son vestiaire, mais dans une mesure plus importante encore les conseils, les appuis, les démarches de Laure Weil. Aussi est-ce dans les moments de péril dont la chaîne ne devait plus se casser, durant les nombreuses et sombres années que l'oeuvre, unique dans son genre, devait révéler la haute qualité des principes d'ordre moral et éthique inculqués à ses élèves-amies inlassablement mis en pratique, avec une humeur égale, une gentillesse, une souplesse, une faculté d'adaptation, portant la marque de l'incomparable maître.

C'est au Home qu'affluèrent les enfants et les jeunes filles sauvés de la persécution hitlérienne.
C'est au Home que les vagues houleuses de la "Nuit de Cristal" sanglante, d'une cruauté insoupçonnée encore aujourd'hui, déversaient nombre de ses petites victimes tremblantes, hébétées, pâles, défaites, traumatisées. Bientôt la flamme de l'âtre les dégela et puis les réchauffa.
Durant les journées angoissantes d'août 1939 les plus mûres des pensionnaires informées des perspectives tragiques qui bouleversaient l'humanité, résolurent de mettre leurs efforts aux services des populations bientôt expulsées de leurs demeures, de leur existence ordonnée, des assises de leur vie ayant paru solides à toute épreuve.

La guerre et ses prodromes

Puis ce fut l'étrange et hostile silence. Fini les rires innocents et joyeux. La vie trépidante, les conversations animées, la joie de vivre désertaient la maison. Les ténèbres l'enveloppaient pour de longues et sombres années.
Cependant que Laure Weil emporta sur le chemin de son exil la chaleur de son coeur et son amour ne se tarit point.
A Périgueux l'attiraient le désarroi et le dénuement des habitants de la ville de Strasbourg et plus tard de ceux des marches de l'Est dispersés dans les départements de la Haute-Vienne et de la Charente, mais aussi dans le Jura. Son art des relations, sa science du contact, sa faculté d'adaptation aérés par son ceeur impulsif permirent de créer le centre d'une action considérable solidement charpentée, soigneusement réfléchie culminant dans les "OEuvres d'Aide Sociale Israélite aux populations évacuées d'Alsace et de Lorraine". D'une efficience remarquable elles couvrirent bientôt de leur réseau d'assistance la France non occupée toute entière.

Laure Weil devint le soutien et le conseiller de milliers de réfugiés et d'évacués. L'histoire de cette action mérite d'être fixée un jour, par le détail.
Il ne s'agissait finalement de rien de moins que de la reconstitution de tout l'appareil des institutions à but social de la grande communauté juive d'Alsace, adaptées à l'état de dispersion des familles et aux conséquences de la défaite.
Cette activité fut doublée d'une autre toute aussi précieuse et efficace, clandestine celle-là, destinée à sauver des rafles le plus de victimes possible désignées de longue main, et notamment des enfants, en collaboration avec les circuits de l'O.S.E..

Le travail dangereux, mais efficace, fut maintenu jusqu'à l'extrême limite des possibilités se rétrécissant chaque jour, au-delà du 4 avril 1944, date fatidique où la Gestapo arrêta les collaborateurs et collaboratrices présents au bureau de la rue Thiers. Fanny Wolff d'Ingwiller, Florette Feissel de Mulhouse et Madame Haas-Ledermann de Strasbourg, périrent dans les camps d'extermination tandis que nous eûmes la joie d'en voir revenir Madame Germaine Marx et Maître René Weil, l'actuel Président de la Communauté de Strasbourg, déportés en ce jour fatal. Fanny Schwab ne dut son salut qu'à un heureux hasard. Laure Weil avait été mise en sécurité, au préalable, et par ses soins cachée dans un couvent. Janine Bloch, l'actuelle Madame René Weil à Strasbourg, fut arrêtée par la suite par les Allemands et sauvée par la Préfecture de la Dordogne qui la retenait en prison pour transport de fausses cartes d'identité, jusqu'à la Libération.

L'équipe médicale volante grâce au concours des Docteurs Henri Nerson, Gaston Revel, aujourd'hui Président du Consistoire du Bas-Rhin et Elie Weill, cessa très tard son action bienfaisante auprès de la population repliée d'Alsace et de Lorraine sans distinction. Création unique dans toute l'Europe occupée, sa mise en place avec les moyens de l'American Joint Distribution Committee était dans une large part l'expression d'une confiance admirable en Laure Weil de la part de cette agence internationale d'entr'aide juive qui n'a pas d'égale dans le monde.

Le retour

Laure Weil dans le rôle d'une
grand-maman
Puis vint, avec la fin du cauchemar, le retour, "un retour étrange dans une patrie étrange" comme avait chanté le poète Rainer-Maria Rilke.
La santé ruinée, le ceeur meurtri, mais l'âme toujours altière, Laure Weil réintégra sa maison, triste à voir. Elle portait dans son corps les plaies que la barbarie nazie avait frappées à ce véritable Temple d'Amour. Des taches de sang maculaient les murs et sols des cachots aménagés dans les caves et dans les étages. Les dispositions intérieures étaient bouleversées, toutes les installations volées. Nu était ce beau palais de la jeunesse, et endeuillé.

C'est sur Fanny Schwab que la toujours Grande Dame, mais affaiblie et vieillie s'appuyait pour que la maison fut reconstruite. Dans un temps record le Home était réparé, préparé pour accueillir à nouveau les jeunes filles qui avaient un besoin urgent d'un toit et d'un abri.
Malgré de grandes souffrances qui ne la quittèrent presque plus, de jour et de nuit, des années durant elle ne cessa de s'intéresser, de conseiller, de ranimer et de rendre à la vieille maison reconstruite l'âme ancienne.

Rétrospective

Ce que soixante-deux ans plus tôt elle s'était proposé - consacrer sa vie entière, toutes ses énergies, les ressources sans réserve de son grand coeur à ceux sur qui l'infortune s'était abattue, que le destin avait traités avec vigueur, que la malchance poursuivait, qui étaient laissés sans défense et sans moyens, à la veuve et à l'orphelin - elle l'avait réalisé abondamment. Sa joie n'était pas ternie, sa confiance guère ébranlée ni son amour aliéné. Les forces de son être triomphaient de l'adversité des hommes et de l'implacable sévérité de l'Histoire qui vainement avait tenté lors des deux guerres, de 14 et de 39, d'entraver sa voie.

Laure Weil a servi avec une fidélité ponctuelle, une humilité sans faille, une confiance jamais démentie, une lucidité qu'aucune passion n'aveuglait.
Non contente de se dépouiller de sa fortune personnelle en faveur des déshérités, elle a offert sa vie à des milliers et des milliers, venus se mettre sous sa protection ou en appelant à elle du plus profond de leur détresse, sans jamais rechigner à qui que ce soit. Une vie riche, une vie haute en couleur, pleine de ressources, ramenant à jour avec une prodigalité admirable les trésors les plus rares et les plus étincelants que la Providence lui avait confiés.

Quand la mort est venue lui imprimer le baiser libérateur Laure Weil avait fini de se donner elle-même tout entière.
Son souvenir ne doit pas s'éteindre. La Communauté Israélite se doit de maintenir vivante son image lors même que tous ceux qui ont eu le privilège de la connaître et qui ont bénéficié de sa grâce ne seront plus.
L'oublier, négliger son enseignement, renoncer délibérément au lustre que sa mémoire bénie confère à la Communauté, ce serait ruiner une des plus grandes de ses gloires authentiques.

Docteur Joseph WEILL        


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