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KKL
UNE PAGE D'HISTOIRE
par Norbert Schwab
Extrait de Echos-Unir décembre 2002-janvier 2003 No 198


PlaqueLes relations Alsace et le sionisme sont anciennes et intenses mais fort mal connues. La disparition des archives communautaires durant la seconde guerre mondiale, l'absence d'ouvrage de référence sur la question, et la disparition de la plupart des grands témoins rendent difficile le récit des prémisses de cette relation.

En recherchant des informations sur les origines du KKL en Alsace je suis tombé sur une boîte remplie de photographies datant vraisemblablement des années 50. Parmi celles-ci une photographie a priori anodine d'une stèle érigée dans l'une des forêts plantées par le KKL en Israël dans ces années-là. Mais à y regarder de plus près cette stèle s'avère éminemment précieuse.

C'est en effet celle de la "Forêt des sionistes d'Alsace". Elle comporte toute une série de noms, plus ou moins connus, d'hommes et de femmes qui au début du siècle ont oeuvré au profit de la terre d'Israël.

Raphaël Weiler
C'est le nom de Raphaël Weiler que l'on trouve gravé en premier sur cette stèle. Dans l'oratoire du Centre Communautaire qui porte son nom, on peut lire le récit de sa trop courte vie. Né à Sarrebruck en 1924 il gagnera la France avec ses parents pour fuir le nazisme. Évadé de France occupée il participa à l'aventure de la 2e DB avant de reprendre des études après la victoire. Jeune diplômé, il répond à l'appel de l'Etat d'Israël naissant où il espère pouvoir mettre en oeuvre ses connaissances d'ingénieur hydraulicien mais avant cela c'est son expérience militaire qui est requise. Nommé lieutenant de la jeune armée juive il participe aux combats pour la libération de Beer Sheva où, gravement blessé, il décède à l'âge de 24 ans.

Bien d'autres noms suivent celui du jeune héros. Malheureusement le temps a effacé une grande partie de notre mémoire collective et trop souvent ces noms n'évoquent plus grand chose. En me replongeant dans d'anciens numéros de l'Almanach du KKL, j'ai pu retrouver les biographies de quelques-unes des personnalités dont le nom est gravé sur cette stèle. Ainsi Moïse Derczanski, Edgar Weill ou encore Myrtil Bloch.

Moïse Derczanski n'aurait pas aimé que l'on parlât de lui. Il se sentait foncièrement un homme du rang et ne se trouvait bien que dans la méditation solitaire.
A son arrivée à Strasbourg, au début de l'autre après-guerre, c'était déjà un vieux militant des luttes politiques et sociales. Il avait été de l'autodéfense juive de 1905 et avait su être parmi les rares en Europe à parier sur un état juif socialiste au lieu de voler au secours de la révolution russe triomphante; il apporta sa contribution à l'oeuvre de réadaptation professionnelle et culturelle des jeunes juifs "déportés du travail". A Essen, à Lunéville, à Strasbourg, regrouper les travailleurs juifs et les pousser à se cultiver fut l'essentiel de son activité.

II était natif de Vilna, la Jérusalem de Lituanie, creuset d'où jaillirent tous les mouvements qui renouvelèrent la face du judaïsme. Cette atmosphère de progrès intellectuel et moral permit à la conscience nationale juive de ne jamais tomber dans le travers réactionnaire. Une sensibilité nouvelle se forgeait, par la poésie, le théâtre, le roman, la chanson populaire.

Le "Beau", était l'horizon de ces hommes et de ces femmes; l'esthétique, voire l'étiquette, leur impératif catégorique. Amener le monde dans les quatre coudées de la rue juive, aérer, libérer intérieurement le Juif de deux millénaires d'exil, le rendre disponible au bonheur, idée encore plus neuve aux yeux des Juifs qu'à ceux de Saint-Just, car ces humiliés avaient soif de beauté et de dignité.

En 1923, dès sa venue à Strasbourg, deux institutions virent le jour grâce à lui: l'Office de placement des Ouvriers Juifs et la Société culturelle des Ouvriers Juifs, dont le siège fut 18, rue de l'Ail. La première surgit du besoin de l'immigrant, qui ne voulait devoir son pain qu'à son travail. La seconde devait servir de foyer d'accueil et, en même temps, de centre culturel. Les résultats péniblement acquis, au prix d'un effort inlassable, furent défigurés et déviés par la démagogie. Presque seul, il tint bon, mais fut débordé par la marée de l'influence communiste. En 1932, en 1936, secondé par son fidèle compagnon Strykowski, aidé par Post et par Schulkes, il reconstruisit des sections de son mouvement, toujours avec la même foi juvénile. Il sut associer Maître Paul Seligmann aux destinées de la "Ligue des amis de la Palestine ouvrière". Le Poale-Sion fit appel au Mizrahi et les deux vieux adversaires, le Rav Runès et Derczanski confièrent à Madame D. Katz et à M. Schulkes le soin de fonder la colonie de Bourbach-le-Haut qui connut un plein succès deux années durant, succès né du besoin qu'ils avaient su comprendre.

Sur le plan purement sioniste, Moïse Derczanski fut le vice-président de l'Office Palestinien de l'Est de la France, dont le président fut Maître Léopold Metzger et le secrétaire 0. Wallach-Schwartz. Cet organisme, véritable consulat d'Israël, avant la lettre, assurait la tâche ardue de répartir les certificats d'immigration, d'organiser et d'entretenir les hakhsharoth (fermes-écoles) d'Altwies et d'Ingenheim.

1939. La guerre. Trop âgé pour faire un volontaire, Moïse Derczanski va travailler dans les Ateliers de la S.N.C.F. à Saintes.
En 1940, en zone libre avec sa famille, il reprend contact avec les organes directeurs du sionisme et du judaïsme repliés à Lyon. Le 23 février 1943, il fut arrêté une première fois; il échappa à la déportation, grâce à son camarade S. Szejner, et put s'évader de son groupe de travailleurs étrangers. Réfugié en zone italienne, il fut le président de la commission de gestion financière du centre de Saint-Gervaisle-Fayet où, pendant plus de six mois, neuf cents personnes trouvèrent le gîte et le couvert et jouirent de la paix. La capitulation des Italiens en septembre 1943 le plaça à la tête d'un train de trois cents Juifs qui aboutit à Rome. II fut l'agent de liaison avec le monde extérieur via le Vatican. Dénoncé et arrêté le 19 mai 1944 avec plusieurs de ses camarades, il resta au camp le même homme serviable et dévoué. II disparut le 30 décembre 1944 au commando Hailfingen, camp de Natzwiller.

A deux reprises la mort le rencontra, une première fois pour le frôler, une seconde pour le saisir: une cour martiale l'avait déjà condamné à mort pour activités socialistes, mais il fut gracié; l'arbitraire nazi le fit disparaître pour ses activités juives.

Moïse Derczanski fut le modèle du militant qui sait toujours être à la hauteur de sa tâche en raison de sa fidélité à son parti. Ce parti, qui est encore celui de Ben Zvi, de Berl Locher, de Ben Gourion, de Marc Jarblum, était son université, sa famille, sa foi. La vertu rédemptrice du travail, la renaissance de son peuple sur sa terre, la cité fraternelle et harmonieuse furent son credo comme celui de milliers d'autres, soldats inconnus d'une cause glorieuse qui exige de nous, aujourd'hui comme hier, les mêmes sacrifices.
(Texte signé AD dans l'Almanach 1958).

Edgar Weill
Parmi les jeunes étudiants juifs venus, au début du siècle, des communautés traditionalistes de la campagne d'Alsace, il s'en est trouvé un qui mérite que l'on se souvienne de lui avec une affection particulière: c'est Edgar Weill qui accéda plus tard au barreau de Strasbourg.
Il joua un rôle prépondérant dans l'histoire du mouvement sioniste de notre cité. Comme tout Juif il s'est trouvé devant le dilemme de s'assimiler ou de marquer son attachement au judaïsme. Ce choix lui fut d'autant plus facile qu'au début de ses études, il se trouva entouré de militants qui devinrent les leaders du mouvement sioniste et les pionniers du jeune État d'Israël, comme Curt Blumenfeld, Félix Rosenblum et Nahum Goldmann.

A leur contact s'est formée et cristallisée l'âme ardente d'Edgar Weill et, lorsqu'il revint en Alsace à la fin de ses études, il rendit les services que le mouvement sioniste et le judaïsme étaient en droit de lui demander. II est donc devenu rapidement un des premiers organisateurs du Keren Hayessod et le comité directeur régional le comptait parmi les siens. II était un habitué des congrès sioniste et son enthousiasme l'engagea à participer, en 1911, au fameux pèlerinage en Palestine qui n'était pas un voyage d'agrément comme on en conçoit de nos jours.

Après le retour de l'Alsace à la France; il prend sa place parmi les responsables de la Communauté de Strasbourg dont il devient un des administrateurs en même temps que Myrtil Bloch, son compagnon de lutte. II redonne vie au groupement sioniste de Strasbourg et en assume la présidence effective pendant plusieurs années.

A cette époque, le cadre régional du K.K.L. est créé. II doit à Edgar Weill un appui appréciable tant pour son travail de propagande que pour son organisation matérielle. Edgar Weill attirait chez lui tous ceux qui étaient susceptibles de se dévouer à cette cause et abritait dans son étude les bureaux de la jeune organisation; il est resté membre du Comité local jusqu'à la guerre. II a fondé l'Union Régionale des Sionistes de l'Est de la France, mais son tempérament énergique a malheureusement été brisé trop tôt par la maladie, et dès 1933 il dut cesser tout travail actif, mais ses successeurs et amis n'ont jamais frappé en vain à sa porte pour prendre conseil et réconfort.

Les sionistes de Strasbourg l'ont honoré en l'inscrivant au livre d'or du K.K.L. Ce geste émouvant devait l'attacher plus encore à l'idéal auquel il continuait à offrir le peu de force qui lui restait. Tous ceux qui l'approchèrent en gardent un souvenir ému et se rappellent avec mélancolie le charme de sa personne, sa gaieté naturelle, son affabilité et sa compréhension.

Au début des hostilités il se réfugia en Algérie; il y est décédé le 21 juin 1940. Comme Moïse, mutatis mutandis, il a vu Israël en marche, mais il ne lui a pas été donné de voir la réalisation du rêve de sa vie.
(Texte de G. Salomon dans l'Almanach 1956)

Myrtil Bloch
Originaire de Wintzenheim. près de Colmar, Myrtil Bloch était professeur de mathématiques au Lycée Kléber St-Jean à Strasbourg.
II était un ancien étudiant sioniste, d'une belle culture juive et très averti de toutes les choses sionistes. Membre actif de l'organisation locale, il avait pris part aux congrès divers et, à l'époque où Théodore Herzl avait recommandé "la conquête des Gemeindestuben" il avait accepté la charge d'administrateur de la Communauté de Strasbourg.

Cet homme cultivé et intelligent était doué d'un bel humour qui faisait de lui le plus charmant des compagnons; c'était, d'ailleurs, un ami très fidèle. Il avait conservé une remarquable modestie dans toutes ses activités et était apprécié pour son esprit d'initiative et son efficience. Sa solidité morale qui se reflétait dans sa personne physique et la constance de ses sentiments sont bien connus par tous ceux qui l'ont approché. Rien d'étonnant que l'Organisation Sioniste régionale l'ait élu comme trésorier et conservé à ce poste de confiance pendant de longues années.

Mais c'est comme président de la commission du K. K.L. de Strasbourg qu'il a donné toute la mesure de son talent d'organisateur. Sous son impulsion de nombreuses collectes de fonds furent menées à bien et c'est dans les années d'avant-guerre, sous sa présidence, que Strasbourg a connu ses plus belles réunions de jeunes travailleurs pour le KKL, du "Gdoud KKL", et l'extension de l'activité dans tout le département.

II était admirablement aidé par sa femme, Andrée Bloch, qui avait pris le plus vif intérêt aux choses d'Israël; membre actif du groupe féminin Ghalëi, elle en assurait l'administration financière.

L'évacuation de Strasbourg a amené la famille Bloch à Bordeaux, où Myrtil Bloch fut appelé à enseigner au Lycée Longchamp. C'est là que lui parvint la nouvelle de la déportation de Georges Bloch, son fils aîné, stagiaire dans une ferme près de Nevers. Lorsque les circonstances l'ont amené à quitter Bordeaux, Myrtil Bloch se réfugia avec sa femme à Moissac. Un sort implacable l'atteignit dans cette ville. Lui-même et sa femme furent pris par la Gestapo, emprisonnés et déportés.

De Drancy, il adressa à ses deux enfants survivants une lettre qui est un vrai testament spirituel, et qui traduit bien l'inébranlable sérénité d'âme de cet homme qui a été un vrai père de famille, et un fidèle constructeur pour Israël.
(Texte d'Andrée Salomon dans l'Almanach 1953)


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