Histoire du cimetière juif de Lamarche
par Gilles Grivel



Le cimetière juif de Lamarche
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Des juifs se sont établis à la fin du 18ème siècle à Lamarche. Ils ont été assez nombreux sous la monarchie de Juillet (40 en 1834 [1], 62 en 1845) pour organiser une vie communautaire, avec une synagogue et un chantre.

Une première tentative de création en 1848
Ensuite, en 1848, les juifs de Lamarche ont demandé à disposer d’un cimetière pour enterrer leurs morts. Le conseil municipal a appuyé leur demande auprès du préfet de Neufchâteau : "Ce jourd’hui, dix neuf septembre mil huit cents quarante huit,
Le conseil municipal de Lamarche […] a exposé
Que la commune s’était peuplée d’un grand nombre de juifs et que ces citoyens manquaient d’un cimetière pour enterrer leurs morts, qu’il étaient obligé de les faire transporter à Neufchâteau [2] (situé à une quarantaine de kilomètres), et chaque fois que ce mort appartenait à une famille indigente, les plus aisés étaient obligés de se cotiser pour subvenir non seulement aux frais d’inhumation, mais encore aux dépenses du transport qui devenaient fort onéreuses pour eux ; que d’un autre côté l’éloignement ne permettant pas aux juifs qui le désiraient de rendre aux décédés tous les devoirs que leurs qualités de coreligionnaires ou leurs rapports de parenté ou d’amitié leur faisaient un devoir de leur rendre.
Ces motifs appréciés par le conseil l’ont décidé à l’unanimité des membres présents à voter un emplacement pour un cimetière destiné aux juifs du lieu […] [3].
Le sous-préfet de Neufchâteau juge "cette dépense […] faiblement justifiée eu égard au faible nombre de juifs de cette commune". àétablir pour les juifs un lieu de sépulture dans une partie du cimetière communal [4], mais ce projet ne se concrétise pas.

La création du cimetière en 1860
En 1859, les familles juives reviennent à la charge. Le président de la communauté, Alexandre Fribourg, écrit au préfet : "Alexandre Fribourg, commissaire du Temple Israélite de Lamarche, au nom de la communauté, a l'honneur de vous exposer que depuis un temps immémorial ils transportent les corps de leurs coreligionnaires à Bourbonne-les-Bains, département de la Haute-Marne, qu'ils déposent dans un cimetière destiné à cet effet. (En fait, ce cimetière, situé à une quinzaine de kilomètres de Lamarche, n’existe que depuis 1829 [5]. Par votre circulaire en date du neuf août dernier, cette translation ne poura [sic] avoir lieu sans qu'au préalable on en obtienne de vous l'autorisation La distance de Lamarche à Epinal pour l'obtenir apporterait un retard aux inhumations.
Pourquoi, Monsieur le Préfet, le soussigné vient solliciter près de vous qu'il vous plaise ordonner à Monsieur le Maire de Lamarche de faire faire un cimetière pour leur communauté s'élevant à quatre vingt cinq, attendu que celui de la ville n'est pas assez spattieux [sic] pour en distraire une partie" [6].

Le conseil municipal appuie cette demande [7], et Le projet de création d’un cimetière israélite est approuvé par la préfecture [8]. Ce cimetière, qui est "situé sur un terrain communal, au lieu dit la Maladière, au nord de la ville, à plus de huit cent mètres de distance des dernières maisons", a "une surface de deux ares cinquante centiares" [9]. Son plan est dessiné par l’architecte Fourquin, de Saint-Ouen-les-Parey. Son coût total est de 1 115, 54 francs. La ville donne le terrain et verse 500 francs, la communauté israélite paie le reste de la somme, soit 615,54 francs [10], et s’engage à entretenir le cimetière "à ses frais à perpétuité" [11]. Les travaux, qui consistent essentiellement à construire le mur de clôture, sont adjugés à Antoine et Léopold Bercand, entrepreneurs de bâtiments, à Lamarche [12].

1883 : l’agrandissement du cimetière
En 1882, la communauté, dont le président est comme lors de la création du cimetière toujours Alexandre Fribourg, demande son agrandissement. Elle écrit à la municipalité : "De ce cimetière, dont la superficie était déjà restreinte lors de sa création, il ne reste plus aujourd’hui de place que pour huit, au maximum dix sépultures. Comme notre culte ne nous permet pas l’exhumation, il nous a paru urgent de chercher dès à présent, de concert avec votre conseil, une combinaison afin d’en assurer l’agrandissement". La communauté demande d’acheter "une parcelle de terrain communal située au bout du cimetière israélite et y attenant, soit environ 4 à 5 ares" [13]. Après le règlement du différend sur le prix de cette parcelle opposant la municipalité et la communauté, un arrêté préfectoral du 18 mai 1883 autorise la commune à vendre à la communauté israélite "une parcelle communale d’une contenance de cinq ares, estimé 100 francs, sous la réserve que cette parcelle ne pourra servir de lieu de sépulture que lorsqu’elle aura été entourée d’un mur de deux mètres de hauteur au moins, ou d’une haie vive" [14].

1909 : une profanation
Un "acte de vandalisme [est] commis au cimetière israélite dans la nuit du 20 au 21 mars" [1909]. Son "mur d’enceinte" est démoli "sur une longueur de plusieurs mètres". Le coût de la réparation des dégâts se monte à 100 francs [15]. Cet acte est à mettre en relation avec la vague d’antisémitisme, que l’arrondissement de Neufchâteau connaît lors de la campagne électorale précédant la législative partielle des 28 mars et 4 avril 1909. Les antisémites se déchaînent, en effet, contre la candidature du maire radical de Lamarche, Camille Picard (1872-1941), d’origine juive. Ce dernier est battu à ces élections, mais il l’emporte aux élections générales de 1910 [16].

Un cimetière dont le mur a besoin d’être réparé
Lamarche ne compte plus actuellement de familles juives, mais des descendants des familles juives du bourg continuent à être inhumés dans le cimetière. Une partie du mur entourant le cimetière étant en mauvais état, il est nécessaire de le réparer. Un projet est en cours pour réaliser cette réparation.

La famille BOBLIN
Francis Relion et Gilles Grivel


La pierre tombale avec des inscriptions hébraïques qui se trouve
dans la propriété de Claude Boblin

Une pierre avec des inscriptions hébraïques a été trouvée dans la propriété de Claude Boblin (né en 1950), qui était maçon et tailleur de pierres. Sa famille a exercé cette  profession, de père en fils, depuis la fin du 18ème siècle, soit sept générations. Elle était établie d’abord à Romain-aux-Bois, un village voisin de Lamarche, puis à partir de la deuxième moitié du 19ème siècle à Lamarche. Les Boblin réalisaient des pierres tombales. Cela doit expliquer la présence de cette pierre tombale avec les inscriptions hébraïques.

Les BOBLIN, une famille de maçons depuis la fin du 18ème siècle
  1. Le premier membre de la famille ayant exercé la profession de maçon est Augustin Boblin (né en 1762 à Romain-aux-Bois, près de Lamarche - 2 février 1807). Il était le fils de Claude Boblin (né à Tollaincourt - décédé en novembre 1795).
  2. Claude Boblin (Romain-aux-Bois, près de Lamarche, 25 novembre 1786 - Romain-aux-Bois, 17 avril 1859), fils d’Augustin.
  3. Augustin Boblin (Romain-aux-Bois, près de Lamarche, 5 novembre 1817 - Lamarche, 25 juillet 1876), fils de Claude.
  4. Jean-François Boblin (Lamarche, 14 juillet 1851 - 19 octobre 1909), fils d’Augustin.
  5. Charles Boblin (Lamarche, 9 mars 1877 - Lamarche, 26 février 1947), fils de Jean-François.
  6. Henri Boblin (Lamarche, 4 octobre 1920 - Neufchâteau, 18 juillet 2000), fils de Charles.
  7. Claude Boblin (né en 1950), fils d’Henri.
Jean-François et Charles Boblin, des conseillers municipaux favorables à Camille Picard
Jean-François Boblin (1851-1909) a été élu conseiller municipal en 1908, sur la liste radicale de Camille Picard. Il est décédé en cours de mandat.
Son fils, Charles (1877-1947) lui a succédé au conseil municipal. Il a été élu conseiller en 1912, réélu en 1919, 1925, 1929 et 1935, toujours sur la liste radicale de Camille Picard.
Source : Archives départementales des Vosges, 3 M 854, liste des conseillers municipaux.


Notes :

  1. Sur l’histoire des familles juives de Lamarche, voir Gilles Grivel, "Les familles juives de Lamarche", in Aux marches de la Lorraine Lamarche et Martigny-les-Bains, Actes des 19e journées d’études vosgiennes du 12 au 14 octobre 2017, Epinal, Fédération des sociétés savantes des Vosges, Association pour le développement du pays aux trois provinces, 2018, p. 239-262.
  2. Le cimetière de Neufchâteau aurait été acquis par la communauté juive vers 1846, d’après l’inventaire réalisé au moment de la séparation des Eglises et de l’Etat (Arch. dép.Vosges, 8 V 60, inventaire des biens dépendants du consistoire israélite d’Epinal, 26 février 1906).
  3. Archives municipales Lamarche, M 2. 2 : extrait des registres de délibération du conseil municipal de Lamarche, 19 septembre 1848.
  4. Idem : lettre du sous-préfet de Neufchâteau au maire de Lamarche, 12 octobre 1848.
  5. Schumann Henry, Mémoire des communautés juives de Champagne-Ardenne, 2005, Bar-le-Duc, p.33.
  6. Archives municipales Lamarche, M 2. 2, lettre d'Alexandre Fribourg au préfet, 21 septembre 1859.
  7. Idem, extrait des délibérations du conseil municipal de Lamarche, 6 février 1860.
  8. Idem, arrêté préfectoral, 17 août 1860.
  9. Idem, extrait des délibérations du conseil municipal de Lamarche, 6 février 1860.
  10. Idem, soumission des chefs de la communauté israélite de Lamarche […] pour l’établissement d’un cimetière, 15 juillet 1860.
  11. Idem, lettre de la communauté à la municipalité, 30 septembre 1882.
  12. Idem, cahier des charges, 7 septembre 1860.
  13. Idem, lettre de la communauté à la municipalité, 30 septembre 1882.
  14. Idem, arrêté préfectoral, 18 mai 1883.
  15. Idem, demande de secours du conseil municipal au préfet, 1909.
  16. Sur Camille Picard, voir Gilles Grivel, "Camille Picard, un israélite en politique sous la Troisième République", Archives juives. Revue d’histoire des Juifs de France, n° 53/2, 2e semestre 2020, p. 30-48.


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