CHARMES
Gilles GRIVEL
Professeur d'histoire au lycée Jean-Lurçat de Bruyères, président de l'association Daniel-Osiris pour la sauvegarde de l'ancienne synagogue de Bruyères


Naissance de la communauté juive de Charmes au 18ème siècle


Fragment d’une plaque de marbre se trouvant autrefois dans la synagogue de Charmes et sur laquelle étaient inscrits le début de chacun des Dix commandements. Bruyères, Musée Henri Mathieu.

Certes, la présence juive dans la vallée du Rhin est attestée dès le 4ème siècle, mais en 1477, les juifs sont expulsés du duché de Lorraine.
En 1559, avec le traité de Cateau-Cambrésis, Metz devient française. Le roi autorise les juifs à s’établir dans la ville. ils lui sont utiles pour se procurer des chevaux, du fourrage, accorder des prêts. ils peuvent, au cours du 17ème siècle, s’installer dans les autres villes de garnison de la Lorraine du nord et au 18ème siècle dans la Lorraine ducale, en particulier à Nancy et à Lunéville.

Dans la seconde moitié du 18ème siècle, des marchands juifs venus d’Alsace ou du nord de la Lorraine viennent faire du commerce dans l’actuel département des Vosges. Ce sont principalement des marchands de bétail qui peuvent prêter de l’argent à leurs clients. Ainsi, un acte notarié du 10 mai 1779, nous apprend qu’un certain "Israël, juif de Molsic [Mutzig]", prête à "Nicolas le Clerc et Philippe Gustin, tous deux laboureurs à la Voisne, proche le dit Charmes", 275 livres.

D’après le recensement de 18085, trois familles juives sont établies à Charmes à la veille de la Révolution. Elles étaient originaires de l’actuel département de la Moselle :
- celle de Michel Lazard, né à Hellimer, vers 1758, dans l’est de la Moselle, décédé à Charmes en 1838, qui s'est sans doute installé vers 1780,
- celle de Samuel Salomon (vers 1755-1847), arrivée en 1788,
- celle de Michel Mayer, établie en 1789.
les familles juives résidant dans ce qui allait devenir l’actuel département des Vosges étaient alors au nombre de huit.

La Révolution française entraîne l’émancipation des juifs qui deviennent, le 27 septembre 1791, citoyens français. Les juifs d’Alsace et du nord de la Lorraine peuvent désormais habiter là où ils veulent et exercer n’importe quelle profession.
- entre 1789 et 1800, 24 familles juives s’établissent dans les Vosges,
- entre 1800 et 1808, elles sont 47.
- En 1808, les familles juives sont au nombre de 79, dispersées dans quinze communes. Elles représentent une population de 374 personnes.

La communauté de Charmes sous l’Empire

Lors du recensement de 1808, la commune de Charmes est celle des Vosges qui compte le plus de juifs. ils sont en effet 68, répartis en 12 familles, alors qu’ils ne sont que 19 à Épinal. La situation économique de ces familles est difficile dans l’ensemble. Quatre des chefs de famille sont colporteurs, trois marchands de bestiaux, deux courtiers, un sans profession, un boucher, qui très probablement fournit aux familles de la viande cachère, et un maître d’école, Joseph Cerf Ulmann (1780 - Charmes, 1843) qui, on peut le supposer, assure aussi les offices religieux.
Le maître d’école Joseph Cerf reçoit 300 francs "de ses coreligionnaires" (le salaire journalier étant à l’époque d’environ 2 francs par jour).

D’après le recensement, trois juifs n’ont quasiment pas de revenus : Salomon Oury, "sans profession", Salomon David, le boucher, dont "l’industrie est presque nulle", et Mayer Michel, un marchand de bestiaux, dont "l’industrie est [aussi] presque nulle" et qui est "soutenu par son frère Lazard Michel".


Mélanie Isidor et ses fils, Émile à gauche et Félix
au centre. Coll. Marcel Durkheim.
Michel Lazard, "aubergiste", fait partie des rares juifs fortunés. il est, avec les deux frères May de Neufchâteau, un des trois représentants des juifs des Vosges à l’assemblée des 111 notables israélites convoqués de juillet 1806 à avril 1807 par Napoléon.
C’est aussi un notable dans la ville de Charmes. En 1822, il est nommé conseiller municipal, fonction dont il démissionne vers 1830. Son fils Daniel-Michel Lazard (né en 1804) est élu en 1831 pour un premier mandat de trois ans, qui sera suivi de deux autres mandats.
Sa fille Rosalie (1789-1825) a épousé vers 1803 Joseph Marx, qui adopte comme nom de famille en 1806 Isidor. C’est un marchand de chevaux, originaire de Lixheim, dont l'un des neveux, Lazare Isidor, sera grand rabbin de France.
Après la mort de sa première femme, qui lui a donné onze enfants, Joseph Marx Isidor se met en ménage avec sa belle-sœur Clairette Lazard (1802-1875). il était de coutume dans les familles juives qu’à la mort de sa femme, le veuf prenne pour épouse, si cela était possible, la sœur de la défunte ; on pensait qu’elle traiterait mieux les enfants du premier lit qu’une étrangère. Mais à cette époque, le mariage entre beaux-frères et belles-sœurs était interdit par l’article 162 du Code civil. C’est seulement en 1832 que ce type de mariage est devenu possible avec une dispense. Par conséquent Marx Isidor et Clairette Lazard n' ont pu se marier qu'en 1833, et ils ont légitimé les trois filles qui étaient déjà nées de leur union. ils auront encore trois autres enfants.

Au total, Joseph Marx Isidor a eu 17 enfants, dont deux seulement sont morts en bas âge. une de ses filles, Julie (1813-1889), a épousé en 1830 un boucher de Toul, Moïse Abraham Aaron (1807-1882). Elle est l’arrière-grand-mère du philosophe et sociologue Raymond Aron (1905-1983). Une autre fille, Mélanie (1820-1901), épouse en 1837 le rabbin d’Épinal, Moïse Durkheim . Elle est la mère du sociologue Emile Durkheim .

L’épanouissement de la communauté

Le nombre des juifs dans les Vosges croît tout au long du 19ème siècle grâce à une forte croissance naturelle et au maintien d’une immigration venue d’Alsace et du nord de la Lorraine.
La communauté de Charmes continue à croître jusque vers 1850. Elle compte 68 fidèles en 1808, 120 en 1834 (elle est la deuxième plus importante communauté après celle de Remiremont), 124 en 1850. Cette année-là, elle représente environ 5 % de la population totale de la commune.

Dès leur arrivée à la fin du 18ème siècle, les familles juives disposent d’une synagogue. Située rue du Four, elle a été construite par un particulier, très probablement Michel Lazard. Pour son utilisation, la communauté, dont les revenus s’élèvent à 400 francs, verse un loyer annuel de 265 francs en 1838. Les revenus de la communauté proviennent de la location des places à la synagogue et de la vente des honneurs, c’est-à-dire des sommes versées par les fidèles qui veulent lire un passage de la Torah lors du service religieux.

Le ministre officiant est toujours Cerf Ulmann. C’est aussi lui qui enseigne à l’école juive. D’après l’enquête de 1834, cette école est fréquentée par 21 enfants (10 garçons et 11 filles), soit un peu moins de la moitié des enfants juifs de la commune. Son enseignement n’est estimé qu’"assez bien" par l’inspecteur, alors que celui des trois autres écoles est jugé "bien" ou "très bien sur tout".

À partir de 1834 et jusqu’en 1845, Marx Schneider (1813, Wissembourg - 1903, Saint-Mandé) est le ministre officiant. Lorsqu’il est en fonction à Charmes, sa femme lui donne cinq enfants. il exercera ensuite son ministère à Thionville de 1845 à 1870, puis à Paris.

Une communauté qui décline en s’embourgeoisant


Évolution de la population juive à Charmes, entre 1808 et 1910.
Source : Arch. dép. Vosges, 7 V 38..
La communauté de Charmes atteint son apogée en 1852. Elle compte alors 124 fidèles. Elle décline dans les années qui suivent puisqu’elle ne comptera plus que 86 membres en 1860. Cet effectif se maintiendra jusqu’au début des années 1890 (1873 :87 fidèles ; 1892: 86).

Ce déclin ne se retrouve pas dans les autres communautés juives vosgiennes. Au contraire, la plupart d’entre elles voit le nombre de leur fidèles s’accroître jusqu’à la fin du 19ème siècle.

Comme l’ensemble des juifs français, ceux de Charmes connaissent une ascension sociale remarquable dans la seconde moitié du 19ème siècle. Les familles juives habitent essentiellement au centre de la ville. Elles gardent comme activité professionnelle très prédominante le commerce, mais plus aucun juif n’est colporteur. trois sont "marchands de chiffons", deux "voyageurs", un "courtier", un "négociant", un "agent d’affaires", un "marchand de chevaux", un "quincailler", une "chapelière".

Alexandre Blum est notaire. il a prêté serment le 3 décembre 1880 et exerce à Charmes jusque vers 1898. un autre juif a exercé une profession libérale à Charmes quelques années auparavant. il s’agit de Mathieu Weil, le petit-fils de Lazare Isidor, qui a été médecin dans les années 1880.

Signe de cette aisance nouvelle des familles juives de Charmes, 9 des 21 familles emploient des domestiques. Julie Blum, "rentière", en emploie deux, et Alfred Lévy, "quincailler", trois. Cinq des douze domestiques sont allemands, en fait très certainement alsaciens, signe des liens étroits gardés par les juifs de Charmes avec leur province d’origine.

L’ascension sociale est une des raisons principales des départs de Charmes. Les jeunes partent Charmes pour des villes plus grandes comme Épinal, Nancy ou Paris, où ils trouvent de meilleures opportunités professionnelles.

Les juifs sont bien intégrés dans la ville. L’un d’entre eux fait généralement partie du conseil municipal. Ainsi, de 1878 à 1896, Jules Isidor (né en 1838), le fils d’Isaac Marx Isidor (né en 1805), le petit-fils de Joseph Marx Isidor, est conseiller municipal. Un autre Isidor avait été conseiller sous le Second Empire. Cependant, une certaine hostilité demeure à leur égard. Le commissaire de police de Charmes rapporte que les juifs "inspirent généralement de la défiance".

Restauration de la synagogue

A la fin des années 1850,la synagogue est en mauvais état. Dans une lettre adressée au préfet, en novembre 185931, les responsables de la communauté exposent ainsi la situation : "les membres de la commission israélite de la synagogue de Charmes ont l’honneur de vous exposer que leur temple menaçant ruine, ils se sont adressés à M. Comandy [?], architecte et entrepreneur à Charmes, pour visiter le lieu et s’assurer s’il n’y a pas danger à laisser le bâtiment dans l’état où il se trouve.
Celui-ci après avoir examiné en détail la maçonnerie, la charpente et la toiture, a jugé nécessaire et même urgent les travaux qui sont à faire pour consolider et embellir le bâtiment. d’après l’estimation de la dépense que nous avons l’honneur de vous soumettre, les frais de réfection se montent à une somme de 6568,40 francs. La communauté israélite de Charmes se trouvant à peu près sans ressources et ne pouvant qu’avec beaucoup de difficultés disposer d’une somme de 4000 francs, nous venons vous supplier, M. Le préfet, de bien vouloir nous recommander au ministre des Cultes pour compléter la somme de 6568,40 francs, c’est-à-dire accorder une somme de 2500 francs."

Ce premier projet n’aboutit pas. un second projet est élaboré en 1863. La communauté sollicite alors l’aide de la municipalité. Le maire présente à la suite de cette demande ce rapport au conseil municipal du 13 mai 1863 : "Temple israélite
Il me reste à vous soumettre une question dont vous puiserez la solution dans les sentiments d’équité, de justice distributive et de bienveillance générale qui vous animent.
La population juive de Charmes s’élève au chiffre de 70 individus.
Le temple à l’usage de son culte est dans un état de ruine, de dégradation, qui commande une immédiate réparation.
Le budget de la communauté ne comporte qu’un actif disponible de 185 francs.
Le devis des travaux indispensables s’élève à 8000 francs. Pour couvrir cette dépense relativement considérable, la communauté devra faire un appel personnel à chacun de ses membres dont, vous le savez, [si] quelques individualités sont dans une situation aisée, il n’en est pas de même de la masse de sa population.
il m’a donc paru, MM., que la caisse municipale devait venir en aide à une œuvre de cette matière. Ce n’est pas en ce moment où la ville fait à l’église catholique des travaux qui s’élèvent à 50 000 francs qu’elle voudrait refuser une modeste subvention à ceux de ses habitants qui appartiennent à un culte dissident, tous ont droit à une égale protection, à jouir de la possibilité de s’exercer, tous intéressent généralement la conscience, répondent à un besoin de haute utilité morale et religieuse et enfin la fortune communale doit profiter également à tous les membres de la communauté.
D’après ces considérations, je vous proposerais d’inscrire au budget de 1864 une subvention de 2000 francs applicable à la restauration du temple israélite. […]"
Le maire a été assez habile pour désamorcer toute critique éventuelle et "à la suite de ce rapport, le conseil municipal donne un assentiment unanime aux 2000 francs proposés".

Finalement, il est décidé de détruire la synagogue et de la reconstruire.
Ses cinq propriétaires, à savoir Daniel Lazard (né en 1804), fils de Michel Lazard, Joseph Schill, dit Jull, et trois fils de Joseph Marx Isidor, Isaac (né en 1805), Lazare (1807-1893) et Goudchaux (1810-1879), font don au consistoire de Nancy du terrain sur lequel elle se trouve, et dont la valeur est de 1000 francs. Cette donation s’effectue en juillet 1864. Un an et demi plus tard, le consistoire achète pour la somme de 1800 francs la maison voisine à Alfred Marchal et à son épouse, pour y loger le ministre officiant.

L'architecte de la ville de Charmes, Réveillez, dessine un plan de la nouvelle synagogue dont la réalisation se monte à 18 000 francs, la destruction de l’ancien édifice coûtant 500 francs. La commune de Charmes accorde, comme elle l’avait promis, une subvention de 2000 francs et l’État un secours de 3000 francs.

La construction de la nouvelle synagogue est achevée en 1866. L’inventaire réalisé en 1906 lors de la séparation de l’État et des Églises en donne une description assez précise : "La synagogue comprend 8 bancs dont quatre à droite et quatre à gauche à 4 places chacun, quatre appliques à cinq branches, un lustre de milieu à quinze bougies, un autre petit lustre de six bougies,
au milieu du temple, une enceinte d’une longueur de 3 m environ, d’une largeur de 2 m, entourée d’une grille haute de 1 m 50 environ, cette enceinte renfermant le tabernacle et un banc […] ; un fourneau en fonte, trois petits bancs ; une tribune pour dames pouvant contenir 30 personnes environ, sur cette tribune, deux bancs ; un porte-flambeau ; une pendule.
Le bâtiment a une longueur de 15 mètres environ et une largeur de 10 mètres […]."

D’après une lettre adressée par le président de la communauté de Charmes au ministre des Cultes en 1876, la synagogue est fréquentée "les jours de fêtes" par les "israélites de Mirecourt et de Vézelise, qui, n’ayant pas d’édifices religieux, viennent à Charmes pour assister aux offices. La population se réunissant alors au temple peut comprendre 160 à 175 personnes".

En 1876, il est nécessaire d’effectuer des travaux dans la maison contiguë à la synagogue "qui sert de logement à l’officiant et contient une salle d’école pour l’instruction religieuse des enfants de la communauté". Elle "tombe en ruine et le ministre officiant ne peut plus l’habiter". Le montant des travaux qui sont réalisés sous la direction de l’architecte Gérardin s’élève au total à 4605 francs. La communauté paie 2700 francs. Elle a trouvé 500 francs en puisant dans ses économies et a recueilli 2000 francs grâce à une souscription. L’État a accordé une subvention de 1900 francs. "le conseil municipal [a] témoign[é] de son bon vouloir pour la communauté israélite mais il [a] regret[té] que l’état des finances de la ville […] ne permette pas, quand à présent, d’accorder la moindre subvention".

Nathan (?) Berr est le président de la communauté dans les années 1870, ; dans les années 1880, un Lévy ; au début des années 1890, un Isidor.
Le ministre officiant dans les années 1860 est Léopold Lévy. En 1871, c’est un Dreyfus qui assure les offices ; de 1873 à 1879, un Singer. D’après un extrait du budget de la communauté, joint à la demande de subvention pour les travaux à effectuer dans la maison contiguë à la synagogue, il toucherait un traitement annuel de 1150 francs. Il assure les fonctions de "ministre officiant", c’est-à-dire qu’il célèbre les offices, mais il "est en même temps professeur d’hébreu et chargé de l’instruction religieuse".
La communauté emploie aussi un bedeau, dont le traitement est de 200 francs. Elle dépense 320 francs pour "l’éclairage, l’entretien de l’édifice et les frais généraux".

Le montant total des dépenses est de 1670 francs, alors que le montant total des recettes n’est que de 1020 francs (1040 francs proviennent des "cotisations" et des "locations de places" à la synagogue, 180 francs des "dons des étrangers"). Le budget de la communauté connaît donc un déficit de 450 francs.

Singer a pour successeur Léopold Meyer (né en 1859 à Brumath), qui a quitté l’Alsace alors allemande en 1876. il reste en fonction jusqu’en 1898. il ne demande sa réintégration dans la nationalité française qu’en 1887, mais il a cependant pu obtenir un secours de l’État, de 1882 à 1895 pour compléter le traitement de 1100 francs que lui versait la communauté. L’État, en effet, subventionnait depuis 1831 le culte israélite mais il ne rémunérait pas tous les ministres officiants.

Disparition de la communauté


Une facture de la maison Blum frères. Coll. Daniel Manessier.

La communauté, qui comptait 92 membres en 1892, n’en compte plus que 55 en 1910. Ce déclin concerne aussi les autres communautés juives vosgiennes, Épinal faisant seule exception. Il est lié à l’ascension sociale des juifs, qui partent s’établir à Épinal, Nancy, Paris et, après la première guerre mondiale, à Strasbourg.

Par exemple la famille Blum, originaire de Quatzenheim , qui s’établit à Charmes dans les années 1870 et y joue un rôle important. Elle est composée de la mère Julie (1824-1911), veuve, et de ses trois fils : Bernard Blum (né en 1852), Gustave Blum (1854-1917), marchands de "fers, fontes, aciers, quincaillerie et métaux" et banquiers, et d’Alexandre Blum (1855-1930), notaire à Charmes entre 1880 et 1892.

Le fils de Bernard, Paul Alexandre (Charmes, 1878 - Strasbourg, 1933), devient docteur en médecine. il enseigne à la faculté de médecine de Strasbourg, à partir de 1922, la thérapeutique et puis en 1933, l’hydrologie. Son cousin Charles (Charmes, 1885 - New York, 1944), le fils du notaire Alexandre Blum, fait Polytechnique. il vivait déjà à Paris avec ses parents lorsqu’en 1904 il entre dans cette grande école. il s’associe aux frères Latil pour concevoir des véhicules tout-terrain.

La population juive en France s’accroît à la fin du 19ème siècle et au début du 20ème siècle avec l’arrivée d’immigrants venus de l’Empire russe où ils sont victimes de pogroms. Il semble qu'une seule une famille juive russe se soit installée à Charmes. il s’agit de la famille Holstein, originaire de Lituanie, qui arrive dans les années 1890. Le père Salomon (né en 1856) a un commerce de tissus. Son fils Bernard (Kaunas, 1890 - Auschwitz, 1943) devient chirurgien-dentiste. une fois ses études terminées, il ouvre un cabinet dans la commune.

La communauté entre les deux guerres

Après la première guerre mondiale, la famille Blum quitte aussi Charmes pour Nancy. La famille Holstein, c’est-à-dire le père Salomon, la mère Anna et le fils Bernard, chirurgien-dentiste, sont encore dans la ville au recensement de 1921, mais plus à celui de 1926. Le fils s’établit à Rouen.
il y est arrêté le 15 janvier 1943 avec sa femme et sa fille Denise (née en 1927). tous les trois sont déportés à Auschwitz. Seule sa fille survivra. Elle a témoigné de son expérience dramatique dans deux ouvrages.

Dans les années 1930, il ne semble rester à Charmes que deux familles juives, les Dreyfus et les Lévy. Henry Dreyfus est un marchand de bestiaux, né en 1876 à Rosières-aux-Salines en Meurthe-et-Moselle. il vit avec sa femme, Fernande Lévy, née en 1885 à Imling en Moselle ; ils n’ont pas d’enfant.

La famille Lévy est établie à Charmes depuis longtemps. Le premier à s'y établir est Léopold Lévy, né en 1823 à Odratzheim . Il s’était marié en 1856 à Charmes avec Célestine Meyer (née en 1831 à Charmes). Le couple possédait une quincaillerie. Leur fils Alfred Lévy (Charmes, 1860 - Charmes, 1920), qui a repris le commerce familial, a épousé Louise Aaron (1864-1922), la fille d’Albert Aaron (1838-1916), la petite-fille du boucher de Toul, Moïse Abraham Aaron, et de Julie Isidor.
le fils d’Alfred, Robert Lévy (né en 1886 à Charmes), a transféré en 1926 la quincaillerie de la Grande Rue, l’actuelle rue Maurice-Barrès, à la rue du Four. Il a aménagé dans ce nouvel emplacement un magasin très moderne.

La seconde guerre mondiale

En septembre 1939, c’est la guerre. Les Alsaciens-Mosellans habitant à proximité de la frontière allemande, en particulier les Strasbourgeois, doivent quitter leur domicile sur l’ordre des autorités militaires par crainte d’une attaque ennemie. Parmi eux se trouvent un assez grand nombre de juifs. Ces réfugiés sont dirigés vers le centre et le sud-ouest de la France, mais certains s’établissent dans les Vosges. il ne semble pas que Charmes en ait reçu beaucoup, à la différence d’autres communes vosgiennes, comme Gérardmer, Bruyères ou Rambervillers, qui ont vu leur population juive s’accroître fortement.

En mai-juin 1940, la France est envahie par l’armée allemande. La population civile fuit devant l’envahisseur. Le marchand de bestiaux Henri Dreyfus, qui fait partie de cet exode, trouve la mort à Champlitte en Haute-Saône, tué par un obus.

Après l'armistice du 22 juin 1940 et l'instauration de l’État français du maréchal Pétain, des mesures antisémites sont adoptées en octobre 1940 avec le "statut des Juifs", qui obligent ceux-ci à se faire recenser, les excluent de la plupart des professions et les privent de leurs biens.

Les propriétés appartenant aux juifs de Charmes sont confisquées. C’est le cas des biens des familles Dreyfus et Lévy. C’est le cas à Rugney, commune proche de Charmes, de la ferme de Xugney. Elle avait été achetée le 27 avril 1940 par une société possédée par deux marchands de chevaux juifs d’Épinal, André Netter et Pierre Picard.

À partir de 1942, les Juifs sont arrêtés et déportés à Auschwitz, où ils sont assassinés.
Robert Lévy est déporté à Auschwitz par le convoi n° 06 au départ de Pithiviers le 17 juillet 1942.
L'épouse d’Henry Dreyfus , Fernande Lévy, est arrêtée à son domicile à Charmes en mars 1944. Elle est internée le 15 mars 1944 à Écrouves, près de Toul, transférée à Drancy le 30 mars 1944, et, de là, déportée le 13 avril 1944 à Auschwitz par le convoi n°71, où elle est gazée.

Après la guerre, la veuve de Robert Lévy et son fils (né en 1939), qui ont survécu, récupèrent leurs biens, mais ne reviennent pas à Charmes. En revanche, la sœur de Robert Lévy, Gabrielle (1889-1976), qui était partie dans les années 1920 et dont le mari était mort en déportation, y retourne pour ouvrir un magasin. Sa disparition marque la fin définitive de la présence des familles juives à Charmes, une présence qui remontait à la fin du 18ème siècle.

A la fin de la guerre 1939-1945, le 5 septembre 1944, la ville de Charmes est incendiée volontairement par l'ennemi en retraite ; 150 habitants sont déportés en Allemagne, dans les camps de la mort. Cent d'entre eux ne reviendront pas (parmi lesquels le maire Henri Breton, âgé de 76 ans ).

Conclusion

La communauté juive de Charmes présente des traits communs avec les autres communautés juives du département des Vosges. Elle est formée d’immigrés venus de Moselle et d’Alsace. Elle s’épanouit au cours du 19ème siècle.

À son apogée, elle compte plus d’une centaine de fidèles. Elle possède une synagogue et salarie un ministre officiant. Ses membres exercent leur activité professionnelle dans le secteur commercial. Au départ, ils sont majoritairement des colporteurs. Ensuite, ils s’enrichissent et deviennent des commerçants à demeure, actifs particulièrement dans le commerce des bestiaux et des produits textiles. ils réussissent à se faire accepter par la population, malgré l’existence d’un antisémitisme, qui devient virulent durant l’affaire Dreyfus .

Une preuve de cette intégration est leur entrée au conseil municipal. À la fin du 19ème siècle, leur ascension sociale se poursuit avec l’accès de leurs enfants aux professions libérales (médecin ou notaire). Cette ascension est la cause de leur départ vers de plus grandes villes où les opportunités
professionnelles sont plus grandes. Les communautés juives disparaissent des petites villes vosgiennes dans la première moitié du 20ème siècle.

La communauté de Charmes présente l’originalité d’avoir été, jusque sous la monarchie de Juillet, la plus importante du département et d’avoir connu un déclin plus précoce que les autres, dès le Second Empire.

Aujourd’hui, il ne reste quasiment aucune trace de la présence d’une communauté juive à Charmes. Cependant, celle-ci a joué un rôle actif au cours du 19ème siècle. C’est d’une famille juive de cette ville qu’est ainsi issue Mélanie Isidor (1820-1901), la mère du sociologue Émile Durkheim , dont le nom vient d’être donné au centre hospitalier d’Épinal.

Nous voudrions remercier Mme Françoise Job, docteur en histoire, M. Philippe Landau, conservateur des archives du consistoire israélite de France, M. Jean-Camille Bloch, président de la Société d’histoire des israélites d’Alsace et de Lorraine, M. Daniel Manessier, ancien adjoint au maire de Charmes, et M. Alexandre Laumond, pour leur aide précieuse.


Synagogue
précédente
Synagogue
suivante
synagogues Judaisme alsacien Accueil
© A . S . I . J . A .