HELLIMER en Moselle (suite et fin)

Après ces exemples plus ou moins graves, venons-en à deux affaires qui ont valu la prison et de fortes amendes aux juifs mis en cause.

4. Affaires criminelles

En 1756/1757 éclate l'affaire "Jacob CAIN de Pontpierre, terre d'Empire, et Joseph SALOMON de Hellimer partie Lorraine (ducale), accusés d'usure dans plus de quarante villages" ; trois liasses de dépositions et témoignages de laboureurs, artisans, et autres, tous créanciers endettés ; la défense de Jacob et Joseph consiste à dire qu'il s'agit d'une cabale montée contre les juifs de façon générale, et contre eux en particulier car ces gens aimeraient tout simplement voir leurs dettes annulées. Ces témoins sont pour l'essentiel des analphabètes qui se seraient fait monter la tête par quelques meneurs…. Les interrogatoires ont lieu au tribunal de Sarreguemines. Voici des extraits choisis de celui de Joseph SALOMON, que nous pourrions intituler : "l'ascension d'un colporteur orphelin" ; nous avons mis les réponses bout à bout, en restant au plus près du texte initial.
L'accusé est âgé de trente-cinq ans ; il est né à Dehlingen, seigneurie de Diemeringen, rhingraviat de Daun ; son père était marchand de chevaux et s'appelait Salomon JOSEPH, sa mère Sara MOÏSE. Lorsqu'il eut l'âge de trois ans, son père mourut ; deux ans après, sa mère se remaria avec Anchel LEVY de Hellimer où elle s'établit avec ses enfants au nombre de trois, et depuis ce temps l'accusé a toujours demeuré à Hellimer. D'abord il a trafiqué en merceries avec une balle, et en peaux ; sa boutique s'est augmentée, et lorsqu'il s'est marié, il avait une charrette pour conduire ses marchandises. Il s'est marié à l'âge de vingt-deux ans ; en premières noces, il a épousé Dail MOÏSE, fille de Moïse CAIN, juif à Diffembach ; il eut de ce mariage cinquante louis comptant et quelques petits meubles. Lorsqu'il s'est marié, il avait, lui, la valeur de deux cents louis d'or tant en argent qu'en marchandises. Il n'a rien hérité de son père car sa mère conserva le tout ; il peut y avoir quinze ans que sa mère est morte, et il en a hérité cinq à six cents livres qui font partie des deux cents louis d'or qu'il avait lorsqu'il s'est marié. C'est la troisième année que sa femme est morte ; vers Noël dernier, il y a eu un an qu'il s'est remarié avec Chatel MOÏSE, sœur de sa première femme. Depuis qu'il est établi, il a continué à commercer en mercerie et draperies en gros, en bétail et chevaux et autres bestiaux, en peaux et en cuirs. Du mariage avec sa seconde femme, il a eu cent louis d'or, tant en argent qu'en billets, et de l'argenterie pour cent livres. Quand il a convolé en secondes noces, sa fortune était de dix-huit à vingt mille livres. Actuellement sa fortune consiste en environ vingt-quatre mille livres. Il prête aussi de l'argent, dont il tire 5%, pas plus.
En 1728, une procédure extraordinaire est instruite à la requête du procureur de Sa Majesté contre : Joseph LEVY, Jacob LEVY, Isaac ELIAS, Salomon ISAAC, Marcus POLAC, Michel ALTE (non juif), Abraham LEVY, Moyse ALEXANDRE, Salomon ISRAËL, Anschel LEVY et Joseph DAVID, tous accusés de vols, notamment dans des églises. Nous avons rangé ces différents passages de dépositions par type d'intérêt ; comme précédemment, les réponses sont mises bout à bout, en restant au plus près du texte initial :
Un rabbin de village : Marcus POLAC

Marcus POLAC, est teinturier demeurant à Hellimer, âgé de soixante-cinq ans environ ; il est originaire de Pologne. Il réside à Hellimer depuis quatorze ans ; il teint des toiles pour faire des rideaux et des couvertes de lit, il fait des matelas ; sa femme fait la cuisine et nourrit les juifs passants qu’il loge. Ce sont des colporteurs, autrement porteurs de ballots, qui vont à Francfort acheter des indiennes, des mousselines et autres petites merceries ; ceux qui vont à Mirecourt acheter des dentelles logent ordinairement chez lui et y déposent leurs marchandises.
Il y a cinq familles juives à Hellimer et trois à Diffembach. Il connaît le vieux Yolle d’Ebring car il vient toutes les années à leur nouvel an en leur synagogue à Hellimer. Interrogé sur Anchel LEVY de Hellimer, il répond qu’il a une fille de dix-huit ou dix-neuf ans, et trois garçons : l’aîné, qui réside encore chez lui, a vingt-quatre ans et porte vendre des petites marchandises par les villages, le second sert au Palatinat et le dernier a environ douze ans. Un joueur de violon réside en face du dit LEVY, et quand il y a des porteurs de ballots chez lui les jours de shabbat, il font jouer pour peu de choses cet homme de son violon.
Des juifs étrangers étaient logés chez Marcus POLAC l’année passée pendant la fête des tabernacles ; il y avait deux porteurs de ballots, l’un appelé Geronimus et l’autre un jeune homme du Palatinat dont il ne sait le nom, et aussi un vieux juif appelé Abraham de Lemberg en Pologne, qui est un pauvre juif qui voyage et qu’on est obligé de nourrir par étape.
On l’appelle "Rabi" et il en fait les fonctions à Hellimer ; les juifs du lieu lui donnent seulement quatre écus par an. C’est pour sa satisfaction qu’il lit, parce qu’il aime la lecture.
A-t-il souvent logé des juifs voleurs ? Il répond qu’il veut qu’on lui coupe la tête s’il en a logé sciemment, et que ça n’est pas marqué sur leur front s’ils sont des voleurs ; qu’il a logé les porteurs de ballots du pays, qu’il connaît, et que les inconnus, il les a envoyés chez le maire pour montrer leur certificat ou passeport.

Un système d’entraide : la boîte pour les pauvres

Moyse ALEXANDRE a trente-quatre ans, demeure à Hellimer Diffembach, il tient une boucherie.
Il déclare à propos des pauvres juifs qu’il est obligé de nourrir et pourvoir par étape que dans tous les lieux où il y a plusieurs juifs, ils font quantité de billets, le fort portant le faible, les mettent tous dans une boîte, laquelle boîte est déposée à tour de rôle chez un juif (de la communauté) , et dans laquelle les pauvres juifs vont tirer leur billet ; ils n’ont qu’une boîte pour Hellimer et Diffembach.

Portraits, descriptions physiques ; la langue parlée

Jacob LEVY a vingt-et-un ans, réside chez son père Elias de Gosselming, commerçant en chevaux et bestiaux, et tient une espèce de boucherie en automne et en hiver. Il déclare que Jacob DAVID de Fénétrange n’avait pas encore trente ans quand il l’a connu il y a quatre ou cinq ans. Il n’est pas des plus gros, mais il est grand, a une barbe noire pas bien grande ; il n’était pas rasé à la manière judaïque car il n’était pas encore marié. Il est le fils du vieux marchand de fer de Fénétrange. Le dit Jacob DAVID a un frère plus âgé et un autre qui a treize ou quatorze ans ; l’aîné n’est pas si grand que Jacob, mais il a la barbe noire comme lui. Il s’appelle Joseph.

Elias LEVY, originaire d’Alsace, demeurant à présent à Gosselming, seigneurie de Sarreck, âgé d’environ cinquante-quatre ans, commerçant en chevaux et autres bestiaux, tenant une espèce de boucherie. Il déclare qu’il était quelquefois associé avec Guetschel LEVY de Fénétrange pendant un an, puis ils rompaient leur société, et ensuite s’associaient de nouveau ; il y a près de six ans qu’ils n’ont plus de société ensemble. Guetschel LEVY a de trente-deux à trente-quatre ans, la barbe et les cheveux noirs, il est d’une taille d’environ cinq pieds ; c’est un fort honnête homme et un bon commerçant, le visage un peu effilé, portant ordinairement un habit brun clair et quelquefois un autre plus jaunâtre. Il a un frère âgé d’environ vingt-quatre ans, déjà marié, depuis environ un an, qui se nomme Zacharie. Celui-ci a aussi la barbe et les cheveux noirs, mais en a beaucoup moins que son frère ; il est moins grand, plus ramassé, et a le visage plus rempli.
Elias a répondu aux questions en allemand jusqu’ici, car il ne parle pas le français ; il sait seulement demander son chemin, du pain, dire le prix des chevaux qu’il veut vendre et combien il vend la viande, et dire que les chevaux qu’il vend tirent bien. Il a demeuré à Hellering il y a encore huit ans ; il n’a pas l’accent alsacien car il a servi quatre à cinq ans à Haguenau, puis s’est marié à Heckling près de Landau ; il a perdu l’accent alsacien là-bas et a parlé le bon allemand.


Parcours, migration, activité : de la Bohême à la Lorraine.

Lazare MOYSE, environ trente-six ans, demeure à Spicheren ; il est marchand d’indiennes, mousselines et autres petites marchandises. Il est né à Bosselberg en Bohême.
Avant Spicheren, il résidait au village de Birrstadt, appartenant au baron de Schellard, chanoine de Mayence, à deux lieues de Guelheim sur le Donnersberg (le Mont Tonnerre, en Rhénanie). Le dit village était environné de villages appartenant à S.A. l’Electeur Palatin, où il n’est pas permis à des juifs colporteurs d’aller porter et vendre leurs marchandises de maison en maison mais seulement de les vendre à des marchands résidant au Palatinat ; les péages étant d’ailleurs fort gros, il ne faisait pas son compte, ce qui l’a obligé à venir s’établir en Lorraine où les péages ne sont pas si considérables et où il est permis de porter et vendre de village en village et de maison en maison des marchandises.
Ayant porté depuis quatre ou cinq ans des marchandises au Comte de Stralheim et à sa dame, et ceux-ci en étant contents, le Comte a souhaité qu’il s’établisse dans son Comté de Forbach, et lui en a fait donner la permission le 13 mai 1727 par le sieur Kling leur receveur. Il a aussi présenté un passeport du 26 août présente année signé du Comte pour aller à la foire de Francfort. Il était déjà allé en mars dernier à la foire de Francfort avec Wolff de Créhange, Haim de Freyming et Barich qui demeure tantôt à Créhange tantôt au Pontdepierre. (aujourd’hui Pontpierre en Moselle).

V. Une reconstitution généalogique : la famille POLAC.


Nos travaux de dépouillement ne sont pas encore terminés ; ils constitueront la matière d’un livre à paraître dans quelques mois sur la communauté de Hellimer-Diffembach au 18ème siècle, livre qui comprendra également une reconstitution généalogique de toutes les familles ayant résidé dans ce village.
Nous proposons ci-dessous un tableau construit avec les éléments dont nous disposons à ce jour, et qui est encore susceptible d’être complété et amélioré. Marcus se dit en 1728 âgé de 65 ans environ ; la grande différence d’âge qui le sépare de ses deux fils s’explique peut-être par un précédent mariage ou par une légère surévaluation de son âge. Nous avons d’autre part noté la présence à Metz dès 1681 d’un Baruch POLAC dont les enfants sont de la génération de Marcus, c’est-à-dire nés vers 1665/1670 : Marcus est-il le fils de ce Baruch ? dans ce cas, serait-il né en Pologne, venu enfant à Metz où il aurait vécu jusque vers 1700 avant de s’établir à Hellimer vers 1710 … ?

Baruch, en Pologne

Marcus POLAC
°vers 1663 en Pologne, d. 1746/1747 à Hellimer
x Beile LANDFRIED ( ?) d. après 1732



Joseph
°v. 1705, d. 1761/1762
actes 1738 à 1761
x Fromet BONOM d. avant 1765
Jachil, dit Daniel
°vers 1710, d. 1762/1764
actes 1743 à 1762
x Esther DAVID d. après 1764


Isaac
°vers 1740
d.1780/1792
x : Layé LEVY
Sara
°1740/1745
d. …
x 1) Samuel ELIAS
x 2) 04.11.1780
Oury SALOMON
Esther
°vers 1755
d. …
x 25.02.1779
Alexandre MOÏSE
Sara
°vers 1738
d. …
x 1) 03.06.1753
Aron de Morhange
x 2) Lazard MENDEL
Guilsienne
°1740/1745
d. …
x 20.06.1763
Manuel SCHWAUB
Kailché
°vers 1746
d.05.05.1806
x Kauffmann LEVY
Baruch
°1746/1748
d.01.05.1831
x 1773
Sara Aron MOÏSE


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