LA PRÉSENCE JUIVE AU LUXEMBOURG - 3


L'émancipation de la communauté israélite luxembourgeoise
et l'administration du culte dans la première
moitié du 19ème siècle (1801-1855)
Joseph Goedert

C'est la législation concordataire mise en place à partir de 1801 par le Premier Consul Bonaparte qui fixe les règles générales déterminant le statut du culte israélite, à l'instar de celles qui s'appliquent aux deux cultes chrétiens, catholique et protestant.

Cette législation elle-même fait suite à une série de manifestes, de décrets et d'arrêtés rendus dans les premières années de la Révolution française. A commencer par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen dont l'article 10 établit le principe de la tolérance religieuse (1).Adoptée par l'Assemblée constituante le 20 août 1789 et acceptée par le roi Louis XVI le 5 octobre suivant, cette déclaration sera complétée et mise en oeuvre par divers décrets dont celui du 24 septembre disant que les non-catholiques seront admissibles à tous les emplois civils et militaires.

Pourtant la mesure générale abolissant toutes les lois d'exception relatives aux juifs ne sera décrétée que le 27 septembre 1791. Ce jour-là, à l'Assemblée, un député de la noblesse, le Marquis de Mirabeau, intervient en faveur de l'émancipation entière :

"je crois que la liberté des cultes ne permet plus qu'aucune distinction soit mise entre les droits politiques des citoyens à raison de leur croyance"
; la motion présentée par ce député et chaudement appuyée par l'abbé Grégoire, est adoptée par l'Assemblée: les juifs français seront désormais citoyens à part entière.

Tout le monde connaît l'existence précaire et tragique de la population juive au moyen-âge et sous l'ancien régime. Accusés des pires méfaits, humiliés, écrasés de taxes qualifiées de "droits de protection ", tantôt massacrés, tantôt interdits de séjour, préférant l'exil à l'abjuration, ils sont les victimes du fanatisme religieux des foules et des froids calculs de princes à court d'argent. S'ils ont traversé tant de siècles de persécutions sans perdre leur identité culturelle et religieuse, ils le doivent à l'effervescence de leur foi et à la présence parmi eux de docteurs des Ecritures alliant l'intrépidité à de profondes convictions morales et religieuses (2)."

Ce sont donc les Constituants de 1789, imprégnés de l'esprit des Lumières, qui, les premiers, ont mis fin à la discrimination qui frappait les juifs et les ont fait sortir de leur isolement religieux, civil et économique. Avant 1789 l'Etat ne s'occupait ni de leur culte ni même des israélites comme habitants du pays. Comme dira le premier rabbin luxembourgeois Samuel Hirsch :

"Ils étaient regardés comme des étrangers qui, pour être tolérés, avaient à payer une taxe (Schutzgeld), mais qui dans toutes les matières civiles et ne concernant que juifs contre juifs se gouvernaient eux-mêmes non suivant les lois de l'Etat mais suivant leurs propres lois. Ces lois étaient les anciennes coutumes, contenues dans le Talmud et commentées par les rabbins des siècles écoulés."
Poursuivant son analyse, Hirsch décrit la position des rabbins à cette époque :
"Ils étaient moins pasteurs que jurisconsultes et juges d'un tribunal canonique dont la jurisprudence s'étendait sur tous les objets civils. (...) La langue du culte était l'hébreu, la seule que les israélites comprenaient, dans laquelle ils savaient lire. Toute la lecture, toute la littérature était religieuse. (.. .) Il y avait donc dans toutes les communes : 1. les rabbins, juges ou professeurs de religion; 2. les chantres qui à la synagogue avaient à réciter les prières publiques; 3. les instructeurs de la jeunesse qui la préparaient jusqu'à ce qu'elle fut apte à suivre les cours des rabbins. Un moyen formidable pour annuler toute opposition, c'était l'anathème, l'excommunication, c'est-à-dire l'exclusion de la communauté des fidèles et la privation des secouer religieux (exercée par exemple à Amsterdam contre le philosophe Spinoza)." (3)

Dans un discours consacré à la nouvelle situation religieuse en l'an 10 de la République le conseiller d'État Jean Portalis, chargé des affaires religieuses, s'exprime dans les termes suivants:

"En s'occupant de l'organisation des cultes, le gouvernement n'a point perdu de vue la religion juive. Elle doit participer, comme les autres, à la liberté décrétée par nos lois... Le gouvernement a cru devoir respecter l'éternité de ce peuple qui est parvenu jusqu'à nous à travers les révolutions et les débris des siècles et qui, pour tout ce qui concerne son sacerdoce et son culte, regarde pour un de ses plus grands privilèges de n'avoir d'autres règlements que ceux sous lesquels il a toujours vécu, de n'avoir que Dieu même pour législateur." (4)
Cet hommage appuyé rendu à la grandeur du culte israélite permet de se rendre compte du chemin parcouru en peu d'années dans l'affirmation des idées nouvelles.

Sous l'Empire la législation relative à l'état civil des juifs - appliquée dans l'ancien pays de Luxembourg depuis qu'en 1795 il est devenu le département des Forêts - est complétée par diverses mesures. Un décret du 20 juillet 1808 et un arrêté du préfet des Forêts y relatif du 19 septembre suivant impose l'adoption de noms de famille et de prénoms fixes, consécutivement à la laïcisation de l'état civil. L'exécution de cette mesure ne va pas sans difficultés. Les chefs de famille sont invités à se faire inscrire dans des registres, à y indiquer leurs noms et prénoms, ceux de leurs épouses et de leurs enfants; ils doivent signer en caractères français, non en écriture hébraïque. Or ceux qui opposent leur signature en hébreu n'ont sans doute pas l'usage de l'écriture dans une langue moderne. Aussi le préfet les engage-t-il à apprendre et à faire apprendre à leurs enfants la langue française, la langue du pays

"dont le gouvernement les a fait participer à tous les avantages dont jouissent les autres habitants de l'Empire."
L'administration centrale à Paris a encore remarqué, au dire du préfet, que tel prénom, donné à un enfant, ne paraît pas être autorisé par les lois existantes; enfin certains juifs n'ont pas signé
"pour avoir eu mal à la main", ce qui pourrait signifier qu'ils ont refusé de signer. (Lettre du 18 juillet 1810) (5).
Le préfet Jourdan adresse ces remarques à un notable de la communauté israélite à Luxembourg, Pinhas Godchaux, "commissaire" de la synagogue consistoriale à établir. Godchaux répond le 17 août que ses coreligionnaires qui ont signé en hébreu sont dans l'impossibilité d'écrire en français; il leur a communiqué la lettre du préfet,
"ils m'ont promis qu'ils feraient tous les efforts pour remplir les intentions du gouvernement. Quant à leurs enfants, ils apprennent depuis plusieurs années à lire et écrire en français."(6)

Certes, les juifs se voient reconnaître l'égalité des droits et un décret impérial du 17 mars 1808 met en exécution un règlement délibéré dans une assemblée .générale de notables et de rabbins à Paris et définissant le statut nouveau du judaïsme émancipé. Mais de nombreuses inconnues demeurent: quelle voie l'émancipation suivra-t-elle sous les régimes qui se succèdent à partir du début du siècle? Les demandes des autorités juives, quelque justifiées qu'elles soient, seront-elles suffisamment prises en considération ? La parité avec les cultes chrétiens sera-t-elle réellement atteinte ? Et, en toile de fond, le concordat et son "annexe", les articles organiques qui soumettent les cultes à un contrôle ombrageux du pouvoir politique, serviront-ils les intérêts de la population juive en toute occasion ? La route sera jalonnée d'incertitudes qui risquent de dégénérer en malentendus.

Nous venons de citer Pinhas Godchaux (Godechaux), né à Thionville en 1771. Il a fréquenté la ville de Luxembourg bien avant la réunion du ci-devant duché à la France, pour y exercer son art de graveur. Le 14 juillet 1806 le maire de Luxembourg écrit au préfet Lacoste :

"C'est par sa bonne conduite et par sa probité qu'il s'est concilié l'estime générale des habitants et qui, depuis qu'il s'y est établie, ne s'est jamais démentie."
C'est aussi pour cette raison qu'il a obtenu l'emploi officiel d'"essayeur" près du bureau de garantie de la matière d'or et d'argent (7).

"Les Godchaux, créateurs de la manufacture de draps de "Schleifmühle", dirigent la communauté de père en fils jusqu'à Emile Godchaux, bourgmestre de Hamm, décédé àTheresienstadt en 1942." (8)

C'est à propos de la personne de Pinhas Godchaux que le projet d'établir une synagogue à Luxembourg est mentionné pour la première fois, en application ou règlement général du culte israélite, établi par l'Empereur le 10 décembre 1806 et mis en exécution par décret du 17 mars 1808. Ce règlement prévoit la création - en dehors d'un consistoire central siégeant à Paris - d'une synagogue et d'un consistoire dans chaque département renfermant deux mille fidèles israélites. Le consistoire doit comprendre un grand rabbin et trois membres laiques à nommer par une assemblée de vingt-cinq notables et à agréer par l'Empereur, sur la proposition du ministre des cultes. Les notables eux-mêmes sont désignés par le ministre de l'Intérieur.

Dans le mémoire du rabbin Hirsch que nous avons cité plus haut, les fonctions de ces consistoires sont décrites comme suit: 1. ils veilleront à ce que les rabbins ne puissent donner aucune instruction qui ne soit conforme à la Loi; 2. ils maintiendront l'ordre dans l'intérieur des synagogues, régleront la perception et l'emploi des sommes destinées aux frais du culte et veilleront à ce que, sous prétexte de religion, il ne se forme, sans une autorisation expresse, aucune assemblée de prière dissidente; 3. ils encourageront par tous les moyens possibles les israélites de la circonscription consistoriale à l'exercice de professions utiles; 4. ils donneront chaque année connaissance du nombre des conscrits israélites de la circonscription.

Le 29 mars 1808 le ministre des Cultes à Paris met le préfet des Forêts au courant du décret impérial et l'invite à lui transmettre des renseignements sur tous les israélites du département en y comprenant la liste des rabbins et des 25 notables "les plus imposés et les plus recommandables". La réponse est nécessairement laconique: il n'y a que la ville de Luxembourg où se trouvent les juifs qui y sont au nombre de 75 de tout âge. Ils n'y possèdent pas de propriétés foncières.

"Au reste ces juifs depuis leur établissement dans cette ville se sont toujours bien comportés et n'ont jamais donné lieu à une plainte." (9)

A proprement parler, la législation impériale n'est pas applicable au département des Forêts qui ne satisfait pas aux conditions prescrites, puisque le nombre des israélites y est inférieur à 2.000 et qu'il semble difficile d'y réunir 25 notables (10).

"La synagogue de Luxembourg, une fois constituée, ne sera donc que synagogue de fait et se verra agrégée au consistoire de Trèves qui nomme Pinhas Godchaux "surveillant".
Ce consistoire d'ailleurs, au dire du rabbin Hirsch,
"ne s'occupait des israélites luxembourgeois que quand il fallait encaisser leurs cotisations pour le salaire du grand rabbin." (11)

La situation précaire de la communauté à Luxembourg au point de vue spirituel, le caractère impératif de la législation napoléonienne, les méthodes inquisitoriales de l'administration qui risquent de porter atteinte au caractère sacré de leur religion provoquent l'inquiétude de bien des juifs. Le climat s'assombrit encore à la suite de mesures censurant leur activité économique. L'octroi de patentes commerciales en effet est subordonné à la présentation de certificats faisant connaître le négoce qu'ils veulent exercer et constatant qu'ils ne se sont livrés ni à l'usure ni à un trafic illicite. Le 10 juin 1806 le ministre de l'Intérieur, Champagny, mande au préfet que l'Empereur prescrit cette enquête pour parvenir à abolir

"les ressources honteuses auxquelles beaucoup de juifs se sont livrés."
Le décret en question, daté du 30 mai 1806, conçu en termes très durs, prétend vouloir
"ranimer parmi ceux qui professent la religion juive les sentiments de morale civile qui malheureusement ont été amortis chez un trop grand nombre d'entre eux, par l'état d'abaissement dans lequel ils ont longtemps langui."
Cette patente spéciale s'ajoute à celle dont tous les contribuables qui veulent exercer un commerce doivent se munir. (12)

Il y a donc discrimination. Elle s'exprime clairement dans des lettres adressées par le préfet aux sous-préfets de Bitbourg et de Neufchâteau, en décembre 1810;

"vous n'ignorez pas que les juifs sont soumis à une législation particulière."
L'émancipation, certes, n'est pas mise en cause, mais tout se passe comme si l'administration napoléonienne tenait les juifs en suspicion et entendait rouvrir le dossier ancien des redevances annuelles que jadis ils versaient au prince territorial. Si Napoléon avait voulu faire la lumière sur les implications de citoyens français dans des affaires douteuses il aurait trouvé bien des financiers véreux dans les rangs des hauts dignitaires et de la nouvelle noblesse militaire de l'Empire.

Dans la lettre aux préfets le ministre de l'Intérieur précise la nature des documents qui doivent accompagner les pétitions tendant à obtenir les autorisations nécessaires: 1. le relevé du nombre d'hommes que les juifs ont fournis à la conscription année par année. 2. le nombre de ceux qui excercent des métiers, exploitent des propriétés agricoles, dirigent les manufactures en ne comprenant pas dans cette liste le brocantage et le prêt sur gage; 3. le nombre d'enfants qui fréquentent les écoles publiques; 4. le nombre de ceux qui excercent des fonctions publiques. Il s'y ajoute la "preuve négative" devant être établie principalement par des renseignements recueillis auprès des tribunaux sur le nombre de jugements rendus soit en matière civile soit en police correctionnelle. Enfin il serait utile de faire aux bureaux des hypothèques le relevé des créances établies par les juifs sur la propriété rurale. Méthodes inquisitoriales d'autant plus malvenues que les recherches restent toutes à l'honneur des requérants.

A titre de curiosité nous reproduisons les informations fournies par le procureur impérial près le tribunal de première instance de l'arrondissement de Luxembourg. On compte environ quinze ménages juifs dans la ville, "ils y existent paisiblement et sans aucuns reproches". Les uns sont marchands publics, les autres font le commerce de bestiaux, un d'entre eux revêt une fonction publique et exerce en outre le métier de graveur (P. Godchaux). Dans les registres du greffe civil on trouve très peu de contestations par ou contre les juifs et pas une seule dans laquelle un d'entre eux ait été inculpé d'un commerce usuraire. Il y a aussi plusieurs familles juives dans l'arrondissement de Luxembourg, mais il est rare d'en voir figurer devant le tribunal civil; en tout cas les jugements rendus prouvent qu'ils ont soutenu des droits légitimes. Les registres de la police correctionnelle ne contiennent pas non plus de condamnations contre des juifs. En conclusion le procureur constate que

"la surveillance de la police ne rencontre aucun sujet de plainte particulière contre eux, ce qui est un témoignage constant de leur moralité." (13)

La correspondance administrative qui se poursuit à la suite du décret sur la patente nous fournit d'autres renseignements sur l'état de la communauté juive.
Le préfet Jourdan au ministre de l'Intérieur, 27 août 1808 :
le nombre des juifs de tout âge et de tout sexe s'élève à 79 dont 78 sont établis à Luxembourg, un seul à Grevenmacher. Ils composent dix-sept familles. Ils n'ont fourni jusqu'à présent aucun homme à la conscription ; ceux à qui le sort est échu ont fourni des remplaçants chrétiens. Les enfants ne fréquentent pas les écoles publiques, "vraisemblablement parce qu'on y pratique le christianisme". Pinhas Godchaux est le seul qui exerce une fonction publique. Un nommé Lévy donne des leçons de géographie et d'histoire dans des maisons particulières, il est qualifié d'instituteur par la municipalité. Les juifs résidant à Luxembourg sont presque tous originaires de Thionville et de Metz et ne sont attachés à leur nouvelle résidence que depuis l'entrée des Français.

Le préfet Jourdan s'attache à dissiper les appréhensions du ministre qui continue à exprimer des doutes sur la condition des juifs du département des Forêts. Le 10 août 1810 il certifie à nouveau que la conduite des pétitionnaires est irréprochable. La dépêche contient un passage qui a été biffé avant l'expédition :

"Je ne puis en conséquence que solliciter à leur endroit la faveur qu'ils réclament. Ce bienfait sera un motif de plus pour eux de se rendre de plus en plus dignes de la bienveillance d'un gouvernement éclairé et juste qui a arraché ces religionnaires à l'ignominie et aux persécutions auxquelles l'intolérance et la haine religieuse les avait trop longtemps livrés ". (14)

Tout au long de la correspondance officielle on cherche en vain une allusion aux actes de violence qui ont frappé les juifs au cours des siècles passés, sauf en ce seul passage de la dépêche Jourdan, et encore a-t-il été écarté ! Pourquoi ce haut fonctionnaire éprouve-t-il le besoin de garder le silence? A-t-il pensé qu'il allait trop loin et qu'il n'était pas de son devoir de rappeler à l'autorité supérieure des faits que celle-ci évite de mentionner ? Moralité de l'histoire : peut-on tout dire en politique ?

L'affaire des patentes abusives continue à occuper les esprits jusqu'au déclin de l'Empire. Le 21 janvier 1813 encore, le conseil municipal de la ville de Luxembourg est convoqué pour émettre un avis sur des demandes de juifs tendant à être pourvus de patentes pour l'année 1813 (15). Les demandes sont présentées par Godchaux qui se dit "chef de la synagogue" et porte les signatures suivantes que nous citons dans l'ordre qu'elles occupent dans la requête et en respectant l'orthographe: Lazare Abraham, Sichel Hayem, Lyon Jacob, Salomon Perle, Bonn Salomon, Cahen Abraham, Israël Ruben, tous colporteurs, Godchaux Lyon, marchand, Lazare Isaac et Gompel Scholem, aubergistes, Gompel Abraham, revendeur, Cahen Abraham Joseph, boucher. Tous ont obtenu des certificats de probité de la part du consistoire de Trèves, signés par le grand rabbin Samuel Marx; le conseil municipal certifie à son tour qu'ils ont toujours tenu une conduite irréprochables. (16)

La chute de Napoléon et l'installation dans le Département des Forêts d'une administration provisoire des puissances alliées (Autriche, Prusse, Russie) sous la présidence du commissaire Schmitz-Grollenburg ne change rien au statut religieux des israélites luxembourgeois. Le 25 janvier 1815 les membres du consistoire de Trèves en informent les nouvelles autorités :

"Die Luxemburger Israeliten fahren fort, in religiàsen Angelegenheiten ihre Zuflucht zum hiesigen Gross-Rabbiner zu nehmen und alles bestcztigt uns in der Meinung, dass die ehemals bestandenen kirchlichen Angelegenheiten keine Vrcinderung untergangen haben."

Schmitz-Grollenburg n'y voit pas de difficulté non plus et invite le receveur du cercle de Luxembourg (Kreiseinnehmer) à rappeler les dispositions existantes en matière de cotisations.

Cependant l'administration néerlandaise qui succède au régime provisoire dès 1814 et déploie une activité intense dans tous les domaines tient à abroger une partie de la réglementation française au sujet des juifs. Un arrêté du Prince Souverain (titre que porte Guillaume d'Orange-Nassau avant de prendre en mars 1815 celui de Roi des Pays-Bas) du 26 février 1814 institue une commission centrale consultative à Amsterdam dont les membres sont nommés par le Souverain sur la proposition du ministre qui a dans ses attributions les cultes israélite et réformé.

La nouvelle organisation est étendue aux provinces méridionales du Royaume par un arrêté du 13 août 1816, publié tardivement le 31 décembre 1821 (Journal officiel du Royaume des Pays-Bas, t. 16, année 1821, N° 27) (17). Cet arrêté prévoit en même temps l'établissement de grands rabbins dans les communautés israélites des provinces méridionales, qui seront choisis par les notables de tout le ressort rabbinal. Conformément à cet arrêté

"la synagogue de Luxembourg est reconnue comme synagogue paroissiale pour tous les israélites demeurant dans la province de Luxembourg" (18).
En plus une disposition ministérielle du 23 août 1816 rattache les israélites des provinces de Limbourg et de Liège et ceux du G.-D. de Luxembourg à la synagogue centrale de Maastricht.

Citons encore dans le grand nombre de dispositions nouvelles un arrêté du 10 mai 1820 concernant la capacité des communautés israélites pour acquérir et bâtir des immeubles et un arrêté du 20 juin 1820 relatif aux personnes chargées de la circoncision religieuse : nul ne sera admis à faire cette opération à moins qu'il n'ait atteint l'âge de vingt ans et subi un examen ; il sera donc nommé pour un ou plusieurs ressorts de synagogues une commission de surveillance qui comprendre, outre un syndic comme président, trois personnes chargées de circoncisions et un médecin.
Un autre arrêté du 20 avril 1821 porte que les rabbins ne peuvent se dispenser de bénir le mariage des filles enceintes ; un autre du 21 décembre règle les frais des bénédictions ecclésiastiques (19).
Enfin le règlement général du 20 septembre 1821 refond le décret impérial du 17 mars 1808 et établit divers points très stricts sur l'organisation du culte. L'article 5 dit explicitement que tous les israélites sans exception, mariés ou non mariés, qui s'établissent dans la paroisse synagogale sont obligés de se soumettre aux ordonnances arrêtées en faveur de la paroisse dont ils ressortissent ainsi que de contribuer aux frais du culte et de l'administration. L'article II porte que chaque synagogue sera administrée par deux administrateurs appelés manhegim dont l'un remplit les fonctions du président et l'autre celles du trésorier. Dans des cas extraordinaires ils peuvent se faire assister par un ancien notable.

Article 31: les membres des consistoires sont à nommer par la commission supérieure pour les affaires israélites sur des listes comprenant pour chaque vacance trois candidats dont deux à présenter par l'administration de la synagogue départementale et un à désigner par les membres du consistoire intéressé (20).
Article 41: ceux qui négligent de payer les contributions, après avoir été avertis, seront traduits en justice par l'administrateur chargé de la recette.
D'autres articles précisent la manière dont sera dressé le budget des dépenses et dont les contributions seront réparties sur l'ensemble des fidèles.

Le règlement général de 1821 sera toujours cité dans la suite comme étant la base de la nouvelle législation. Il semble cependant que, dans l'immédiat, ni la commission consultative d'Amsterdam ni la synagogue centrale de Maastricht ne se soient sérieusement occupées des affaires luxembourgeoises. Ainsi un arrêté royal du 10 mai 1817 concernant l'organisation des écoles dans les communautés. israélites des Pays-Bas n'est pas exécuté : on faisait maître d'école le premier étranger venu sans qu'il eût besoin de produire un certificat de capacité. Les prescriptions du règlement relatives au budget ne seront pas observées non plus ; les autorités de Maastricht n'ayant jamais demandé un compte on se croyait dispensé d'en établir ou d'en conserver les pièces justificatives. Maastricht se contentait de recevoir annuellement quelques centaines de francs pour les frais généraux, "le reste pouvant aller comme il plut à Dieu !" (21)

Si de telles constatations ruinent un peu les espoirs de ceux qui souhaitent l'établissement de relations sereines, il faut cependant reconnaître que les juifs rencontrent plus d'estime dans les cercles officiels néerlandais que sous l'Empereur Napoléon, sans doute parce que dans l'ancienne république des Provinces-Unies, terre d'accueil pour de nombreux réfugiés, entre autres pour les fidèles chassés d'Espagne en 1492, le judaïsme a joué un rôle social et culturel éminent et a connu, longtemps avant la Révolution française, les prémices de l'émancipation.

Quand en 1817 la commission supérieure pour les affaires israélites à La Haye est dissoute, le délégué de cette commission en fait part au gouverneur du Grand-Duché en lui recommandant les intérêts de la communauté luxembourgeoise, à laquelle il exprime sa considération respectueuse. Dans sa réponse Willmar affirme qu'il saisira toutes les occasions où il pourra être utile à ceux qui se trouvent confiés à son administration (22). Cet échange de bons sentiments (dans des pièces officielles!) tranche avec la froideur qui a caractérisé les relations sous le régime français.

Les marques réciproques d'estime en font foi également. Une instruction du 3 octobre 1816 détermine le jour où sera dite la prière pour le Roi. De même la synagogue est invitée à s'associer aux prières publiques dites pour l'heureuse délivrance de la princesse d'Orange. Un arrêté du 9 juin 1817 définit la formule du serment des juifs. Inutile de dire que les patentes discriminatoires introduites sous le régime napoléonien sont abolies.

Au moment où le Grand-Duché se trouve intégré aux Pays-Bas par la volonté du Roi Guillaume la question se pose de savoir si la communauté de Luxembourg qui est du ressort de la synagogue de Maastricht continuera à dépendre du consistoire de Trèves. Godchaux, "chef de la synagogue ", n'y voit pas d'inconvénient, contrairement au Gouverneur Willmar qui fait part de son sentiment au commissaire général chargé du département des cultes non-catholiques, résidant à La Haye : le pays de Trèves étant soumis à un autre gouvernement il ne paraît pas équitable que les israélites luxembourgeois continuent à reconnaître une autorité spirituelle établie hors du royaume et cela d'autant moins qu'un rabbin pourrait être nommé pour le Grand-Duché (23) .

Faisant suite à une demande du commissaire général désirant des renseignements sur les cultes non catholiques dans le Grand-Duché, Willmar établit un relevé des familles juives habitant l'arrondissement de Luxembourg (avec la ville), Arlon, Ettelbruck, Grevenmacher et Wasserbillig et le fait suivre des observations suivantes : les juifs du Grand-Duché ont jusqu'ici dépendu du consistoire de Trèves; ils n'ont pas de synagogue, il existe seulement un oratoire dans la ville où ils se réunissent pour l'exercice de leur culte depuis l'année 1798. Lippmann y remplit les fonctions de chantre et perçoit en cette qualité un traitement annuel de 400 francs qui lui est payé par ses coreligionnaires (23) .

Ce premier relevé ne satisfait pas le gouverneur qui en fait établir un autre en 1818, plus complet et plus véridique (25), qui énumère les familles par arrondissements et fait suivre les noms d'indications que nous reproduisons en respectant également l'orthographe des noms cités.

1. Familles habitant l'arrondissement de Luxembourg, Ville de Luxembourg:
La liste est certifiée le 14 mars 1818 à Luxembourg par le sous-intendant royal.

II. Familles habitant l'arrondissement de Diekirch:

La liste est certifiée par le sous-intendant Simons, le 16 février 1818.

Ces deux hauts fonctionnaires ajoutent que tous ceux qui figurent dans leurs listes jouissent d'une bonne réputation. Ces listes sont-elles pour autant plus exactes et plus fiables que les précédentes ? Une observation faite par Simons permet d'en douter :

"Ces familles sont les seules qu'on ait pu découvrir jusqu'à présent dans cet arrondissement. Si dans la suite on en trouve d'autres on aura soin de porter leurs noms dans un supplément." (26)

En janvier 1817 une lettre du préfet de la Moselle aux États provinciaux, "du duché (sic) de Luxembourg" sème le doute dans les rangs des israélites luxembourgeois. Plusieurs d'entre eux, anciens membres de la communauté de Metz avant 1814, encourent le reproche de n'avoir plus acquitté leur quote-part des dettes de leur ancienne synagogue. Godchaux qui est nommément désigné n'éprouve pas de peine à constater que depuis 18 ans qu'il est domicilié à Luxembourg il ne fait plus partie de la communauté de Metz et que les dettes contractées par cette ville ne le concernent pas. Le Gouverneur Willmar en avertit le préfet de la Moselle le 26 juin 1817. (27)

On ne sache pas qu'à cette époque les relations entre la population juive et les habitants de la ville aient donné lieu à des plaintes sérieuses. Un seul incident survenu le jour de Pâques 1821 suscite une certaine émotion. Ce jour-là l'instituteur israélite Raphaël Picard, invité par un jeune collègue catholique, se rend avec ce dernier à l'église Saint-Pierre (la cathédrale actuelle) pour y assister aux solennités de la fête. Un bedeau l'ayant aperçu lui intime l'ordre de se retirer. Désireux de ne pas provoquer de scandale, Picard sort, mais, dit le procès-verbal dressé à ce propos ;

"hors de l'église il fut poursuivi par les désoeuvrés et les gamins qui l'invectivèrent, le menacèrent et lui jetèrent des pierres."

Deux notables de la communauté portent plainte devant le président des États provinciaux qui en réfère à la municipalité. Le commissaire de police Mullendorff rejette toute responsabilité, faisant valoir que d'après les articles organiques du culte catholique la police interne des églises est confiée aux évêques et aux curés et que les bedeaux sont institués pour en assurer l'observation. D'ailleurs, pour-suit le commissaire recourant à des finasseries, Picard n'a pas été "éconduit", mais "conduit à la porte". On aurait exagéré les faits, ce qui explique pourquoi le président Godchaux n'a pas apposé sa signature à la plainte. Le vicaire général de Neunheuser, tout en déplorant l'incident, déclare à son tour que le bedeau n'a fait que son devoir et a voulu prévenir un trouble que "les garçons et des personnes de la basse classe" n'auraient pas manqué de provoquer à l'intérieur de l'église.

Le sous-intendant de l'arrondissement de Luxembourg pense lui aussi que les faits ont été exagérés par les plaignants et que la sûreté des juifs n'a jamais été compromise; sous ce rapport les craintes manifestées "reposent sur des chimères". La police des églises appartient effectivement, selon la législation concordataire, aux curés; c'est à eux à indiquer les places que chacun doit occuper.

"Si ce droit, d'après une décision ministérielle, leur appartient à l'égard des fonctionnaires publics appelés à assister aux cérémonies, à plus forte raison il ne peut être disputé vis-à-vis de tous ceux qui visitent l'église." (28)

L'argumentation du sous-intendant, quoique basée sur la loi, n'en reste pas moins spécieuse, parce qu'elle passe à côté du véritable aspect de la chose: il ne s'agit pas d'un simple arrangement de chaises pour des officiels de haut rang assistant en tenue d'apparat à un office solennel. Aussi le collège échevinal de la ville accueille-t-il avec plus d'émotion l'incident et adresse-t-il un blâme au commissaire de police :

"l'administration de la ville ne peut regarder cette affaire avec indifférence. Une partie des habitants de cette ville croient leur sûreté compromise... Nous espérons que vous donnerez aux agents sous vos ordres des instructions pour qu'ils veillent à ce que tous les faits contraires au repos des juifs soient sur le champ constatés et poursuivis selon la rigueur des règlements." (29)
Donc finalement la communauté sort confortée de cet incident: aux yeux de la municipalité qui est l'autorité tutelle les juifs ne sont pas exclus et ne vivent pas en marge de la société. Le temps du repli est terminé.

Les articles organiques dont on vient de parler et qui prétendent régler les affaires des cultes ne permettent pas d'avancer rapidement sur les deux questions de fond qui occupent les esprits: la construction d'une synagogue et l'organisation d'un consistoire autonome. L'autorisation d'aménager un temple dans la rue du Petit Séminaire, dans l'ancien refuge des religieuses de l'abbaye de Differdange, vendu comme bien national et acquis en 1821 par la communauté juive est accordée, mais rien n'indique l'octroi d'un subside qui avait été sollicité à la même occasion. Les États provinciaux approuvent toutefois une délibération du conseil communal de la ville accordant à la communauté israélite, à titre d'aide, le résultat de la vente de huit coupes d'arbres. (30)

C'est par des contributions personnelles et la vente des places dans cette première synagogue qu'on se propose de collecter les fonds nécessaires prévus par le devis estimatif des travaux de construction s'élevant au total à la somme (énorme à l'époque) de 2.929 florins 76 cents. Encore "par suite des constructions intérieures que la convenance et la solennité du culte rendaient nécessaires ", les coûts prévus ont-ils été largement dépassés, atteignant le chiffre de 4.514 florins 48 cents. La somme portée au devis initial a été soldée jusqu'à concurrence de 2.682 florins 28 cents ; il est donc à pourvoir encore au payement de 1.832 florins 20 cents.

Aussi le conseil de la synagogue envisage-t-il de contracter un emprunt. Les observations sur les moyens que la synagogue doit justifier aux yeux du Gouvernement afin de parvenir à l'amortissement de l'emprunt font état des difficultés qu'elle a éprouvées dans le recouvrement de sommes vainement réclamées à divers débiteurs qui ont transféré ailleurs leur domicile et dont le retour est incertain. Ils sont tous à peu près établis en dehors de la ville et ne sont pas solvables; il n'y a donc pas moyen d'agir contre eux selon le voeu des règlements. En vue d'obtenir l'autorisation nécessaire le conseil a adressé à l'administration urbaine le budget pour l'exercice de 1834 ; il en résulte que le prix de location des places au temple a été augmenté et que ce revenu deviendra dans les années à venir la plus précieuse ressource pour l'amortissement de l'emprunt (31). La Ville admet ces considérations et appuie les demandes d'autorisation. La commission de gouvernement du Grand-Duché, présidée par le général Goedecke est du même avis tout en rappelant - par acquit de conscience- les rapports ayant existé précédemment entre Luxembourg et la commission supérieure du culte israélite à La Haye. Si ces rapports continuaient à exister la commission de La Haye serait encore dans le cas d'émettre un avis sur la requête. Mais cette pratique a été abandonnée depuis des années par le conseil de la synagogue de Luxembourg; aucun de ses budgets et comptes n'a été soumis à la commission néerlandaise. La séparation administrative avec le royaume des Pays-Bas, décrétée par le Roi, ne semble pas être étrangère à ce changement d'habitudes. Aussi le général Goedecke ne s'arrête-t-il pas longtemps à ses scrupules et estime-t il à son tour qu'il y a lieu d'autoriser la demande d'emprunt, remboursable d'année en année par un huitième ou un dixième du capital et hypothéqué par le bâti-ment du temple (32).

L'attitude de Goedecke montre que les relations entre le pouvoir et les israélites luxembourgeois se posent en termes nouveaux, sur ce point comme sur d'autres. Selon l'article 31 du règlement général du 20 septembre 1821 les membres du consistoire sont à nommer par la commission centrale pour les affaires des trois candidats dont deux à présenter par l'administration de la synagogue principale (celle de Maastricht) et un à désigner par les membres du consistoire intéressé. En 1838, alors que la séparation définitive des administrations des Pays-Bas et du Grand-Duché est en voie d'exécution, la commission de gouvernement à Luxembourg s'adresse au référendaire pour les affaires luxembourgeoises à La Haye, le conseiller intime (Geheimrat) Stifft, dans les termes suivants :

"Comme les propositions qui devaient être faites par l'administration de la synagogue principale ne pouvaient plus avoir lieu, attendu que toutes relations ont cessé avec cette administration, il nous a semblé que l'article 31 du règlement de 1821 ne devait plus trouver d'application et nous avons cru qu'il serait suppléé le plus avantageusement par des propositions émanées d'une administration municipale qui doit avoir les données les plus précises sur le caractère et les capacités de ses administrés."
Le 28 janvier 1838 la commission de gouvernement reçoit de Stifft la réponse suivante transmettant les ordres du Roi :
"Le Roi Grand-Duc désire qu'avant la nomination vous vous assuriez du consentement de la communauté israélite et qu'à l'époque du renouvellement de l'administration à nommer vous suiviez exactement les dispositions du règlement du 20 septembre 1821, avec la seule exception qu'au lieu de l'administration de la synagogue de Maastricht la communauté israélite de Luxembourg soit invitée à faire des propositions, l'administration municipale de Luxembourg ne pouvant remplacer la première dans les affaires purement israélitiques."
Le terme decommunautés ne peut signifier que sa représentation légale qui n'est autre que le consistoire.

En 1838 l'administration de la synagogue comprend P. Godchaux, président, Israël Souvaine, trésorier, et Lippmann, notable. Tous ont été choisis par l'administration urbaine parmi les israélites qui jouissent au plus haut degré de la confiance publique et en particulier de celle de leurs coreligionnaires et ont été nommés par la commission de gouvernement.

 


Page
précédente
Page
suivante
© A . S . I . J . A .