LA PRÉSENCE JUIVE
AU
LUXEMBOURG

du Moyen Age au 20ème siècle

Actes du colloque, organisé par le B'nai B'rith Luxembourg
en novembre 1998


Table des matières

Dr. Thierry Grosbois from Artur Leonardo Kurkowiak on Vimeo.

Conférence du Dr. Thierry Grosbois :
Le gouvernement luxembourgeois en exil
face à la persécution et l’extermination des Juifs 1939-1945

Introduction
Laurent Moyse
L'ancienne synagogue de Luxembourg profanée et détruite par les nazis entre 1941 et 1943
carte postale ancielle - coll. M et A. Rothé

Dans la nuit du 9 au 10 novembre 1938, les citoyens juifs qui résidaient dans l'Allemagne voisine vécurent une nuit d'horreur, que l'histoire retiendra sous le nom de « Reichskristallnacht ». Ce fut le point de départ d'un scénario de violence prémédité depuis 1933, qui aboutit quelques années plus tard à une véritable catastrophe pour les Juifs européens - la Shoah - et qui toucha également ceux vivant au Luxembourg. Au bout du compte, un tiers des Juifs présents au Luxembourg, à la veille de l'invasion allemande, périrent dans des conditions atroces, ce qui provoqua l'arrêt de la croissance d'une communauté qui n'avait acquis son autonomie que cent ans auparavant.

D'où ce premier constat : les événements politiques à l'extérieur de nos frontières ont eu une influence prépondérante sur le sort des Juifs du Grand-Duché, notamment au 20ème siècle avec la disparition physique d'une grande partie de sa population. Il n'est donc pas étonnant que, compte tenu de la taille de notre pays, les facteurs externes aient joué un rôle capital dans l'évolution de la communauté.

Mais la situation géographique est également un facteur à ne pas négliger pour comprendre l'évolution de la communauté juive luxembourgeoise. Le Grand-Duché est en effet situé entre deux pays qui ont joué un rôle primordial dans l'histoire juive européenne. Les premiers Juifs s'établissant en Europe au moment de la période romaine s'installèrent principalement en Rhénanie, où leur présence fut continue jusqu'au 20ème siècle. Bien avant la Révolution française, l'Allemagne compta des communautés renommées, notamment dans la région rhénane avec Worms, Spire et Mayence. De même, la France voisine abrita des communautés anciennes et prestigieuses dans la région, plus précisément à Metz et à Troyes. Plus près de nous, les villes de Trêves, Thionville et Arlon comptèrent une présence juive parfois importante.

Comme le montre Pierre-André Meyer dans son excellent ouvrage sur la communauté juive de Metz au XVIIIe siècle, les Juifs d'avant la Révolution connurent une expansion démographique importante, bien que confinés dans les espaces réduits que constituaient les ghettos. L'exemple messin montre d'ailleurs l'emprise capitale de la religion sur le mode de vie de cette minorité, vivant dans une population à forte influence cléricale.

Les juifs qui s'établirent au Luxembourg après la Révolution française vinrent en premier lieu du nord-est de la France (la Moselle notamment) et de la proche Allemagne. Il faut dire que l'Alsace et la Lorraine représentaient encore 79% des Juifs de France en 1808.

Si le siècle des Lumières fut en quelque sorte le point de départ d'un long mouvement de libération et d'intégration des Juifs dans les sociétés occidentales, il n'empêche que l'hostilité à leur égard resta constante. A l'antijudaïsme à base religieuse, remontant dans le temps, succéda un antisémitisme à connotation socio-économique, qui trouvera plus tard également son relais politique, particulièrement dans les milieux d'extrême-droite.

Fort heureusement, le Luxembourg ne connut pas, en tant que nation indépendante, les déferlements de haine qui caractérisèrent certains de nos pays voisins – la France avec l'affaire Dreyfus au tournant du siècle dernier ou l'Allemagne avec la prise de pouvoir hitlérienne. Même si l'antisémitisme se répandit dans certains milieux, le contact des autochtones avec les Israélites du Luxembourg fut davantage empreint de méfiance que de véritable haine.

L'origine sociale des Juifs résidant au Luxembourg au début du 19ème siècle fut généralement fort modeste et rejoignit le mode de vie rural des autochtones, qui ne bénéficiait pas encore du plein essor de l'industrie sidérurgique. Le commerce resta le domaine de prédilection de nombre de concitoyens juifs, cantonnés – il est vrai – pendant des siècles dans ce secteur.

Peu de personnalités juives ont dès lors émergé dans la société luxembourgeoise. On cite volontiers le prix Nobel de physique de 1808, Gabriel Lippmann, né à Bonnevoie de parents français, mais dont la durée de résidence sur le sol natal ne dépassa pas trois ans. Certains juifs réussirent tout de même à percer dans leur domaine d'activité, tel Guido Oppenheim, peintre fort apprécié pour ses paysages pittoresques. Plus rares furent ceux qui tentèrent une carrière politique. Lorsque ce fut le cas, ils s'engagèrent généralement sur un plan communal. Seul Marcel Cahen, premier échevin de la Ville de Luxembourg et adjoint du bourgmestre Gaston Diderich, fut également élu député au parlement.

Bien entendu, l'industrie et le commerce constituèrent des secteurs où les Juifs du Luxembourg ont davantage marqué leur empreinte. La famille Godchaux, propriétaire de la draperie de Schleifmuhl, en est un exemple. Le commerce de bétail fut également un secteur où l'on retrouvait une très importante présence juive.

A l'intérieur même de la communauté juive luxembourgeoise, le caractère composite de la population provenait de l'origine géographique variée de ses membres, issus des divers mouvements d'immigration. L'accélération de ce courant migratoire, renforçant la communauté juive du Luxembourg, accentua les différences, qui se transformèrent plus d'une fois en différends. Des éléments aussi importants et aussi divers que le rituel religieux, l'attitude face au sionisme ou la relation avec le monde environnant provoquèrent maints débats et nombre de controverses.

A l'instar d'un judaïsme français ou allemand, peut-on parler d'un judaïsme proprement luxembourgeois ? Y répondre n'est pas évident. Il est vrai que l'identité nationale luxembourgeoise ne s'est progressivement développée qu'à partir de la fin du siècle dernier, du fait de la rivalité des puissances voisines, et que son affirmation ne s'est véritablement concrétisée qu'au cours des cinquante dernières années. Dans ce contexte, il est évident que les Juifs luxembourgeois se sont forgés une identité sociale calquée sur ce carrefour culturel et linguistique qu'était, depuis le début, le Grand-Duché.

D'un point de vue religieux, la personnalité du premier grand-rabbin Samuel Hirsch a incontestablement façonné la vie juive à Luxembourg, imprégné qu'il était par un libéralisme appuyé tel que l'Allemagne en avait produit au cours des 18ème et 19ème siècles. La succession de rabbins originaires des régions germanophone puis francophone traduit ainsi ce mélange social et culturel typique qui caractérise aujourd'hui encore la société luxembourgeoise dans son ensemble.

Les événements extérieurs ont certes eu une influence considérable sur l'histoire de la communauté juive luxembourgeoise. Néanmoins, ceci vaut également pour l'histoire générale du Grand-Duché. Or, à l'exception des ouvrages de l'ancien grand-rabbin Charles Lehrmann sur l'histoire de la communauté et de Paul Cerf sur la période de la seconde guerre mondiale, les études sur la situation des Juifs au Luxembourg ont été plutôt rares. Les raisons du peu d'intérêt suscité par l'histoire des Juifs du Luxembourg sont multiples.

Tout d'abord, une présence juive durable au Luxembourg ne date que de la période napoléonienne, donc de 200 ans environ. L'interdiction antérieure aux Juifs de résider dans nos contrées relève de facteurs tant religieux que socio-économiques. En ce sens, la Révolution française et les événements qui en découlèrent ont eu une portée significative sur la présence juive au Luxembourg.

Ensuite, l'intérêt porté aux minorités du Luxembourg est plutôt récent et dû essentiellement au fait que le pays est devenu au 20ème siècle une terre d'immigration. La plupart de ces minorités sont issues de pays ayant des racines catholiques et l'intérêt s'est dès lors concentré sur l'aspect national. C'est le cas, par exemple, de l'immigration d'origine italienne ou portugaise.

Une autre raison que l'on peut invoquer est le nombre proportionnellement faible de Juifs enracinés au cours de l'Histoire dans le pays. Au début du 19ème siècle, quelque quize familles y résidèrent. Si le nombre augmenta rapidement, il resta infime en proportion ; en 1828, on compta 335 Juifs sur le territoire, soit 1% de la population totale. Ce nombre atteignit son apogée à la veille de la seconde guerre mondiale, avec près de 3700 individus. Parmi eux, beaucoup étaient fraîchement arrivés au Luxembourg, ayant franchi les frontières de l'Est en tant que réfugiés. La perte d'un tiers de sa population juive durant la Shoah réduisit le nombre à un niveau bien plus modeste, plus ou moins constant en nombre absolu depuis la fin de la guerre, mais en diminution croissante en termes relatifs, du fait de l'augmentation de la population globale.

Enfin, s'ajoute le fait que des études portant sur l'histoire des populations juives en Europe sont de nature encore relativement récente. La précarité de la communauté juive luxembourgeoise, implantée dans le tourbillon géostratégique d'un État en devenir au 19ème siècle et prise dans les bouleversements politico-économiques du 20ème siècle, ne facilite - de ce point de vue - guère les recherches.

Bien que la communauté juive soit souvent perçue de l'extérieur comme un bloc monolithique, façonné uniquement par son côté religieux, un gros travail reste à faire pour restituer une histoire aussi complète que possible de la communauté, non seulement à travers sa vie religieuse, mais aussi par son côté social, économique, politique voire associatif.

Si le colloque, organisé par le B'nai B'rith en novembre 1998, a eu pour but principal d'explorer des zones encore méconnues de l'histoire des Juifs du Luxembourg, il devrait également servir – du moins faut-il l'espérer – à une prise de conscience croissante du rôle de cette minorité au sein de l'histoire nationale : son rôle au sein de la société bien entendu, mais aussi celui de mise en valeur d'un patrimoine culturel et spirituel plutôt négligé par une communauté qui – pendant longtemps – n'a guère pu s'appuyer sur des élites intellectuelles. La mise en valeur de ce patrimoine devrait ainsi être l'une des tâches impératives pour entretenir cette histoire encore jeune, mais riche d'enseignements, de la communauté juive luxembourgeoise.

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Le site de la Communauté Israélite de Luxembourg
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