Les communautés juives de la Regio
aux XVIe et XVIIe siècle
Par Denis INGOLD et Günter BOLL
Extrait de HEGENHEIM ET ENVIRONS - Bulletin n°6, 2002
BULLETIN DU CERCLE D'HISTOIRE DE HEGENHEIM BUSCHWILLER


Le cadre géographique de la "Regio"

Bague portant un chandelier à sept branches, découverte sur le site gallo-romain de Augst.

Le terme de "Regio" est de création récente et désigne une entité économique regroupant le Nord-Ouest de la Suisse (entre le Jura et le Rhin), le Sud du département du Haut-Rhin, ancien "grenier à blé" de la Confédération helvétique, et le Sud du pays de Bade. Ce terme semble donc anachronique dans le titre que nous avons choisi pour notre étude sur les communautés juives établies aux portes de Bâle, mais il correspond à une réalité historique fort ancienne. C'est en effet, en gros dans cet espace géographique que se situaient les possessions temporelles du prince- évêque de Bâle, dont l'autorité spirituelle s'exerçait par ailleurs sur toute la Haute-Alsace jusqu'à la Révolution.

A l'époque gallo-romaine déjà, la "Regio" coïncidait avec le territoire des Rauraques, tribu gauloise qui a donné son nom à la colonie romaine d'Augusta Raurica, près d'Augst, à quelques kilomètres de Bâle. Tout récemment, on a découvert sur le site gallo-romain d'Augst, une petite bague portant un chandelier à sept branches, indice d'une présence juive dès le 3ème ou le 4ème siècle dans la "Regio basiliensis". A Bâle même, centre historique et économique de la "Regio", la présence d'une communauté juive est attestée dès 1213. Cette communauté fut anéantie en 1349 et une seconde communauté, en grande partie d'origine alsacienne, s'est dissoute d'elle-même en 1397 pour éviter le même sort. Dans les deux cas, les Juifs bâlois étaient accusés d'avoir empoisonné des puits.

Des Juifs sous la protection temporelle de l'évêque de Bâle dés 1542.

D'après Johann Caspar Ulrich, auteur d'une histoire des Juifs en Suisse, publiée à Bâle en 1768, c'est en 1543 que les Juifs auraient perdu le droit de s'établir à Bâle, "paradis suisse" où ils avaient joui, jusque-là de la faveur de résider et de commercer. En réalité, à l'exception de quelques rares individus, dont des médecins, Bâle n'avait plus reçu de Juifs depuis la dissolution de la seconde communauté médiévale en 1397. Non seulement les Bâlois ne toléraient pas la présence permanente de Juifs sur leur propre territoire, mais encore ils s'opposaient fermement à tout établissement de famille juive dans leur voisinage immédiat. Périodiquement, Bâle interdisait même à ses bourgeois de commercer avec les Juifs des environs, comme en 1557 avec ceux de Blotzheim et de Weil-am-Rhein et en 1569 avec ceux de Hésingue et d'Allschwil.

En 1543, les Bâlois écrivirent au prince-abbé de Murbach pour exiger l'expulsion de Juifs établis à Hésingue, village alsacien situé aux portes de Bâle et tenu en fief par un frère de l'abbé. En 1567/68, les Bâlois reprochaient à l'évêque de Bâle d'avoir autorisé un Juif à s'établir à Allschwil, autre village situé aux portes de leur ville. L'évêque Melchior de Lichtenfels ne revint pas sur sa décision, malgré l'insistance des Bâlois.

Dans son bailliage de Schliengen, dans l'actuel pays de Bade, son prédécesseur Philippe de Gundelsheim avait permis dès 1542 aux frères Liebmann et Abraham d'élire domicile à Schliengen même et d'y résider pendant dix ans. Ils venaient de Sulzburg, où leur père Ysayas habitait dès 1540. En 1545, le margrave de Bade-Durlach leur concéda le droit de retourner à Sulzburg au cas où ils ne voudraient plus rester à Schliengen. En 1559, Abraham était mort et son frère Liebmann était retourné à Sulzburg, d'après un rapport concernant un meurtre d'enfant. Une rumeur avait couru précédemment selon laquelle un vagabond ou mendiant de passage avait vendu un enfant aux Juifs de la région de Schliengen. En 1559, un certain Schweblin relança cette rumeur en racontant partout que ses deux valets avaient découvert une tête et des ossements d'enfant dans du fumier qu'il avait acheté à la veuve d'Abraham. Liebmann intervint auprès du bailli épiscopal de Birseck pour faire taire cette rumeur et éviter ainsi un pogrome, mais il s'y prit si maladroitement qu'il fut lui-même soupçonné de complicité de crime. Nous ignorons comment cette affaire se termina. La famille d'Abraham réussit apparemment à se disculper, puisqu'en 1571 Joseph, fils de feu Abraham de Schliengen, fut autorisé à s'établir dans le bourg où avait habité son père ...

Des Juifs domiciliés à Beurnevésin et à Porrentruy (Jura)

Il y avait aussi des Juifs dans la partie francophone des possessions de l'évêque de Bâle, en Ajoie, dans l'actuel canton du Jura, anciennement Jura bernois. Rappelons que depuis 1528, l'évêque résidait lui- même à Porrentruy, son ancien lieu de résidence ayant passé à la Réforme. En 1565, un certain Salomon fut autorisé à résider à "Brunschweyler" qui n'était pas un hameau disparu du comté de Ferrette, comme le Dr Achilles Nordmann l'a cru, mais la dénomination allemande de Beurnevésin, village suisse proche de Pfetterhouse. Lors du passage dévastateur de la cavalerie protestante du comte palatin en 1567/68, Salomon de Beurnevésin se réfugia à Ferrette, où le bailli Sébastien de Landenberg le prit sous sa protection avec d'autres Juifs des environs. Il trouva ensuite refuge à Schliengen, où il exerça son métier de médecin, métier déjà exercé par son père, Hirtz. Le bailli de Ferrette, qui avait été au service de l'évêque de Bâle précédemment, intervint auprès de ce dernier en 1569 pour que son ancien administré puisse rester à Schliengen, où il gagnait mieux sa vie qu'à Beurnevésin. Il y avait alors deux autres Juifs à Schliengen, Isaac et Oswald, qui d'après un document ultérieur, étaient sous la protection de l'évêque depuis le milieu du siècle.

Un autre Juif, nommé Marx, habitait à Beurnevésin en 1567. Lorsque les mercenaires recrutés par le comte palatin traversèrent les terres de l'évêque de Bâle pour se rendre au secours des huguenots français, il avait mis ses biens meubles en sûreté à Pfetterhouse, bourg alsacien le plus proche de Beurnevésin. En 1568, on retrouva son corps au fond du puits de sa maison de Beurnevésin. Avait- il été assassiné par les mercenaires ou s'était-il suicidé ? Cette dernière hypothèse fut rejetée par l'évêque Melchior de Lichtenfels, qui, loin de confisquer sa succession, intervint pour que sa "petite maison" soit restituée à sa veuve. Celle-ci avait adressé une supplique à l'évêque pour qu'il autorise un de ses proches "cousins" à venir habiter chez elle à Beurnevésin comme soutien de famille : elle était enceinte et avait déjà quatre jeunes enfants à sa charge. L'évêque autorisa ledit "cousin" à habiter chez la veuve mais uniquement à titre d'hôte ("Gastweis"). La famille ne devait pas habiter à Beurnevésin depuis longtemps, puisque dans sa requête, la veuve, qui portait le prénom yiddish de "Fiell" ou "Fÿelin" (Violette en français), se plaignit de ne pas parler le patois roman parlé en Ajoie : "Darzu so konden wir alle kain welsch"...

A Porrentruy même, où résidait le prince-évêque, un certain Hirtz habitait dès le règne de l'évêque Philippe de Gundelsheim (1527-1553), lequel l'avait exempté du droit de protection apparemment parce qu'il était médecin. Il s'agissait donc sans doute du père de Salomon de Beurnevésin. En 1566, ce Hirtz sollicita l'autorisation de s'établir à Istein de l'autre côté du Rhin, en raison de son grand âge et de sa pauvreté. Apparemment, lui et les siens avaient fait de mauvaises expériences au chef-lieu de l'évêché de Bâle. Effectivement, à la même époque, en 1566, les communes de Beurnevésin et de Charmoille adressèrent des requêtes à l'évêque, leur seigneur, pour se plaindre des Juifs, qui accaparaient les denrées en les achetant au prix fort, et qui faisaient des dégâts dans les cultures et sur les friches avec le bétail dont ils faisaient le commerce. On leur reprochait aussi de vaquer à leurs affaires les dimanches et jours fériés, au grand scandale des chrétiens, et d'avoir laissé brûler une de leurs maisons plutôt que de violer leur Sabath. Certaines nuits, ils incommodaient leur voisinage en dansant et en jouant de la musique... En 1576, Hirtz habitait à Schliengen comme son fils Salomon : ce dernier était domicilié à Schliengen depuis huit ans ; son père était sous la protection de l'évêque de Bâle depuis une vingtaine d'années.

Des réfugiés alsaciens parmi les protégés de l'évêque de Bâle (1573-74)

Un an après la mort de l'évêque Melchior de Lichtenfels (1575), on procéda à un dénombrement des foyers fiscaux juifs dans le bailliage de Birseck. En 1576, 23 chefs de famille dont une veuve, Bluemlin, bénéficiaient de la protection de l'évêque dans ses possessions germanophones. La plupart (17 chefs de famille sur 23) habitaient sur la rive droite du Rhin dans la seigneurie de Schliengen, Schliengen même, Steinenstadt, Mauchen, Altingen, Huttingen et Istein. A Schliengen même, on comptait 7 ménages, alors que sur la rive gauche du Rhin, dans l'actuel canton de Bâle-Campagne, il n'y avait que 6 ménages, à Allschwil, Rôschenz et Zwingen.

Certains de ces chefs de familles recensés en 1576 avaient été chassés d'Alsace en 1573-74 par l'archiduc Ferdinand II d'Autriche, seigneur du pays. Ainsi, Benedict qui habitait à Istein depuis 1574, avait été recommandé à l'évêque par le grand-bailli de Belfort Jean-Ulric de Stadion, ancien bailli d'Altkirch. Il était le fils du "vieux Haim" d'Issenheim près de Soultz. Ulmann de Merxheim, originaire de la même seigneurie alsacienne que Benedict, habitait lui aussi de l'autre côté du Rhin, à Schliengen en Brisgau, entre 1576 et 1578. Enfin à Zwingen, sur la rive gauche du Rhin, résidait depuis 1573 Leuw, originaire de Liebenswiller dans le Sundgau. Lors de son admission (le 14 octobre 1573), ce dernier s'était engagé à ne pas se livrer à l'"usure", c'est-à-dire au prêt à intérêts, mais à ne faire que le commerce des "chevaux, draps, cuirs et harengs". Michel et son fils Mathis, domiciliés à Röschenz dans la seigneurie de Zwingen, étaient sans doute des réfu

giés d'Alsace eux aussi, puisque l'évêque Melchior de Lichtenfels les avait pris sous sa protection en 1574, suite à "l'intercession de quelques membres éminents de la noblesse". En 1577, Mathis n'habitait plus à Röschenz, mais à Metzerlen dans le canton de Soleure, où nous retrouverons des Juifs au 17ème siècle. En 1581, l'Alsacien Leuw avait quitté Zwingen pour Arlesheim dans le haut-bailliage de Birseck. Cette année-là, des instructions adressées au bailli de Zwingen par l'évêque, mentionnent pour la première fois l'existence d'un cimetière juif à Zwingen : à la requête de Leuw d'Arlesheim, l'évêque interdit à son subalterne de faire le moindre obstacle à l'usage qu'avaient les Juifs de ce cimetière, dont nous ignorons la date exacte de fondation.

Le "Judenacker" à Zwingen

Un Juif privilégié le médecin Joseph d'Allschwil

Le Juif dont la ville de Bâle souhaitait le départ d'Allschwil en 1567-68 était un médecin du nom de Joseph, qui devait rester dans son village d'adoption jusqu'à sa mort en 1610.
Protégé par les évêques Melchior de Lichtenfels et Jacques Christophe Blarer de Wartensee, il vit son permis de séjour prolongé de 5 ans en 1574. En 1590, il est exempté des 12 florins de droits de protection qu'il payait jusque-là à l'évêque et en 1596 on le récompense des loyaux services rendus à l'évêque et à son entourage en lui accordant un droit de séjour à vie à Allschwil, ainsi qu'à son épouse et à ses enfants. Il avait le droit d'acheter et de vendre librement ses médicaments dans les terres de l'évêque de Bâle.

Ce Joseph jouissait d'une excellente réputation comme guérisseur non seulement dans les terres de l'évêché, mais encore à Bâle même, comme l'atteste le célèbre médecin bâlois Félix Platter, qui écrit dans son autobiographie qu'avant que lui- même n'exerce, "on a fait longtemps appel aux services du Juif d'Allschwil". Un extrait des "Ratsprotokolle" bâlois daté du 23 juillet 1589 confirme l'implantation bâloise de "Maître Joseph" (comme l'appelle l'évêque dans sa concession de 1590) : "Le Juif d'Allschwil pratique la médecine comme s'il était docteur chez nous. Maître Heinrich est tenu de lui interdire l'entrée dans cette ville".

En 1588, on permit à Joseph de recueillir son gendre chez lui à la seule condition que ce dernier ne pratique lui aussi que la médecine et ne se livre pas à l'"usure" (c'est-à-dire au prêt d'argent).

L'exercice de la médecine n'enrichit pas le médecin d'Allschwil, puisqu'à sa mort, en 1610, il était criblé de dettes. On reprocha alors à son gendre Doderis d'avoir soustrait des obligations et de l'argenterie à sa succession, au détriment des créanciers. On écrivit au comte de Salm, sous la protection duquel le gendre de Joseph habitait à Soultzmatt en Alsace, pour demander sa comparution à Birseck, par-devant une commission nommée par l'évêque...

Il semble que Joseph ait logé dans sa maison d'Allschwil non seulement sa famille et ses domestiques, comme le prévoyait sa lettre de protection (Satzbrief), mais encore à l'occasion, des Juifs étrangers, notamment des correcteurs de publications en hébreu éditées à Bâle, ville où les Juifs étaient interdits de séjour.
Ainsi, dans la préface d'une réédition du Sepher Ha-aruch de Rabbi Nathan ben Jechiel, imprimée par Georg Waldkirch de Bâle en 1599, on nous signale que le correcteur juif avait séjourné chez le célèbre médecin Joseph d'Allschwil, dont le domicile était "à un trait d'arbalète" de Bâle, son lieu de travail. Un Raphaël ben David Blum de Sulzburg, qui se trouvait à Allschwil en février 1575, selon des notes figurant dans un dossier en hébreu conservé à la Bibliothèque Universitaire de Bâle, devait être l'hôte du médecin Joseph lui aussi. Il était peut-être en apprentissage auprès du célèbre médecin, puisque le dossier dont il s'agit, contient des prescriptions en matière d'urologie, de médicaments et de pronostics. Enfin à la fin d'une édition du Livre de Samuel qui parut chez Waldkirch en 1612, il est question d'un "Mordechai fils de Naphtali de Porrentruy en France (sic), alors domicilié à Allschwil près de Bâle". Ce correcteur était peut-être logé par la veuve de Joseph, décédé deux ans auparavant. Etait-il apparenté à ce dernier ? Ce n'est pas impossible, puisque le père de ce correcteur était Naphtali alias Hirtz ou Hirsch de Porrentruy, médecin et père de médecin(s).

Le gendre de Joseph, Doderis ou Dodorus, s'établit à Soultz en Alsace, où il exerça le métier de médecin jusqu'à sa mort en 1652. Quant au seul fils connu de Joseph, Itzig ou Isaac, il se fait baptiser à Porrentruy le 13 juillet 1610. Ses parrains furent l'évêque Guillaume Rinck-Baldenstein et le noble Melchior de Hagenbach, en l'honneur desquels le néophyte prit le nom de Melchior Wilhelm Gottlob. En 1623, il était toujours en vie, puisqu'il se fit délivrer un certificat de conversion... D'autres conversions contemporaines attestent de la détérioration de la situation des Juifs à cette époque-là : en 1620, un Juif polonais, "prêtre et rabbin depuis plus de douze ans", se fit baptiser sous le nom de François Christophe, selon les archives de l'évêché...

Expulsion des Juifs sur la rive droite du Rhin (1581)

Dès 1577, à la demande des sujets badois de l'évêché, l'évêque Jacques Christophe Blarer de Wartensee (1575-1608) avait décidé d'expulser les Juifs des villages qu'il possédait sur la rive droite du Rhin, mais cette expulsion ne fut effective qu'en 1581, quand lesdits Juifs eurent obtenu le remboursement de leurs créances. Celles- ci s'élevaient à 10.000 livres réparties entre 20 créanciers.

En 1579, il ne restait que 5 familles juives dans le "Bas-Bailliage de Birseck" (seigneurie de Schliengen), qui en avait compté une vingtaine trois ans auparavant. En 1580, Isaac, l'un des deux derniers Juifs de Schliengen, qui habitait au chef- lieu du bailliage depuis une trentaine d'années, fut accusé de recel d'objets du culte volés et condamné à 300 livres d'amende après des aveux forcés qui lui avaient évité la torture.

La mesure d'expulsion prise par l'évêque de Bâle ne s'appliquait apparemment qu'aux localités situées sur la rive droite du Rhin, où aucun Juif ne fut plus toléré après 1580. En revanche, sur la rive gauche, dans l'actuel canton de Bâle-Campagne, les Juifs furent encore tolérés pendant plus d'un siècle. Outre le médecin Joseph, domicilié à Allschwil jusqu'en 1610 avec sa famille, on relève la présence d'un Schalem et d'un Isaac à Arlesheim en 1589. La Bibliothèque Universitaire de Bâle possède une copie d'une Ketouba datée du 3 Sivan 5351 (3 juin 1591) provenant d'Aesch, non loin d'Arlesheim. Cette copie est sans doute de la main du professeur hébraïsant Johann Buxtorf de Bâle, qui fut condamné à une lourde amende en 1619 pour avoir assisté son gendre à la circoncision d'un fils d'Abraham ben Elieser Braunschweig. Ce dernier avait été autorisé à séjourner à Bâle même jusqu'à la publication de la Biblia Rabbinica à laquelle il collaborait comme correcteur.

Le 8 décembre 1602, l'évêque de Bâle autorisa un certain Salomon à s'établir à Aesch, preuve que les évêques continuaient à prendre des Juifs sous leur protection après 1580. Dans les années 1620 à 1630, les comptes de péages alsaciens mentionnent plusieurs Juifs de la région de Bâle qui vaquaient à leurs affaires en Alsace : ainsi en 1627 un Meyer de Schdnenbuch acquitta le péage à Cernay et l'année suivante, Natann et Lasserus d'Allschwil...

Pendant la guerre de Trente Ans, en 1636, le Juif Lewel de Hésingue, qui s'était réfugié à Metzerlen (canton de Soleure) à l'arrivée des Suédois, puis à Dornach (même canton), se vit refuser le droit de s'établir à Aesch ; l'année suivante, "Me Isaac" et ses deux cousins essuyèrent eux aussi un refus lorsqu'ils voulurent se réfugier à Duggingen tout près d'Aesch...

La communauté juive de Hésingue (première moitié du 17ème siècle)

Lewel venait de Hésingue en Alsace, où ses grands- parents avaient déjà résidé selon la requête qu'il présenta à l'évêque de Bâle en 1636. Les protocoles de la chancellerie de Murbach, abbaye à laquelle appartenait le village, attestent de l'existence d'une petite communauté juive dans ce bourg aux portes de Bâle au commencement de la guerre de Trente Ans. En 1620, Murbach refusa à Lazare de Hésingue l'autorisation de s'établir à Uffholtz, autre village de la principauté où il y avait alors une communauté juive. En 1623, la commune de Hésingue réclama l'expulsion d'un nouveau Juif qui venait d'arriver et la dissolution de la communauté juive déjà établie. Le bailli du village reçut l'ordre de chasser le nouveau-venu et de convoquer les autres à la chancellerie de Guebwiller pour y justifier de leurs "concessions" ou titres de séjour.

La même année, Gumpert de Hésingue sollicita l'autorisation d'héberger pendant un an son gendre originaire de "Grumbach" dans l'évêché de Spire : il ne fut autorisé à lui donner asile que pendant six semaines. Toujours en 1623, Hirtzel de Hésingue était accusé de livrer des marcs à la Monnaie de Bâle, donc sans doute de spéculer sur la monnaie. L'année précédente, le 28 octobre 1622, ce même "Hirsch, actuellement domicilié à Hésingue", reconnaissait avoir passé un accord avec la Monnaie de Bâle au sujet du mode de remboursement d'une dette de 480 florins. Hirtzel et Gumprecht de Hésingue étaient également vétérinaires à l'occasion : en 1621, Bâle interdit à ses bourgeois de faire appel à eux pour soigner leurs chevaux malades, sans en avoir demandé la permission au préalable. Gumprecht habitait Hésingue dès 1615 : cette année-là, il avait un différend avec Mathis Kann de Berrwiller près de Soultz. Auparavant, il avait peut-être habité à Soultz, où un "Gumpel Medicus" paya son droit de protection à l'évêque de Strasbourg en 1612. En tout cas, il était sans doute apparenté au médecin Dodorus de Soultz auquel il servit de caution en 1619. Rappelons que ce Dodorus n'était autre que le gendre du médecin Joseph d'Allschwil...

En 1625, parmi les Juifs murbachois qui souscrivirent à une obligation forcée pour soutenir l'effort de guerre de l'Empire, il y avait Hirtz, Lew, Isaac et Moses de Hésingue. D'après un témoignage ultérieur, les Juifs avaient le droit de célébrer publiquement leur culte à Hésingue comme dans les deux autres communes murbachoises qui abritaient des Juifs avant la guerre des Suédois. Pendant cette guerre, des Juifs de Hésingue s'étaient réfugiés à Metzerlen dans le canton de Soleure : en 1633, ils furent expulsés parce qu'ils avaient tué et sans doute consommé un agneau pendant le carême chrétien. Parmi eux il y avait sous doute Lewel, qui s'établit à Dornach après son expulsion de Metzerlen... Après la guerre de Trente Ans, la communauté juive de Hésingue ne se reconstitua pas, mais une nouvelle communauté se forma à Hégenheim, village voisin.

Les derniers Juifs du bailliage de Birseck jusqu'à leur expulsion en 1694

D'après une enquête démographique faite dans le diocèse de Bâle après la guerre de Trente Ans., de "nombreux Juifs" habitaient à Arlesheim dans la bailliage de Birseck en 1656. En 1659, l'un d'eux, Isaac Schwob d'Arlesheim réclama son dû à un habitant de Hégenheim auquel il avait vendu un cheval. En 1664, Salomon d'Arlesheim, en raison de son âge, sollicita la permission d'héberger son gendre.

Cette communauté d'Arlesheim fut sans doute dissoute lorsque le chapitre cathédral de Bâle fut transféré dans cette localité en 1678. Après la guerre de Hollande, seules trois communes du haut- bailliage de Birseck étaient encore habitées par des Juifs : Oberwil, Schönenbuch et surtout Allschwil. Le registre de circoncision (Mohelbuch) du rabbin itinérant Simon Blum cite entre 1672 et 1686 : Abraham, Joseph, Jacob ha-Lévi, Mosché, frère de David de Hégenheim, Isaïe, Seligman, Mosché et son père Raphaël, tous domiciliés à Allschwil, ainsi que Salman d'Oberwil.

Le plus ancien registre judiciaire de la seigneurie de Hégenheim nous fournit les noms de famille que portaient certains de ces Juifs de la campagne bâloise : Lazare Halbronn d'Allschwil (1664), dont la femme avait été mariée en premières noces avec un Brunschwig, Salomon Räss du même lieu (1688), Jäcklé Runstatt de Schönenbuch (1691), Moïse Nordemer d'Allschwil (1694), dont le frère David habitait à Hégenheim dès 1683... En 1693, Berlé "Deidesum" d'Allschwil acquit le droit de sépulture au cimetière de Hégenheim. On constate que ces patronymes se rapportent tous aux lieux d'origine des familles qui les portaient : Heilbronn sur le Neckar, Rees sur le Rhin, Deidesheim en Rhénanie-Palatinat, Runstedt et Braunschweig dans le Nord de l'Allemagne, Northeim au Hanovre ou Nordheim sur le Main en Moyenne Franconie, etc.. Cette origine géographique était parfois lointaine : le patronyme Brunschwig qui fait sa réapparition dans le Sundgau à la fin du XVIIe siècle, est attesté dès la première moitié du siècle à Uffholtz et Bergholtz...

En 1694, il y avait 23 ménages juifs à Allschwil, 3 ou 4 à Oberwil et 2 à Schönenbuch. Les Juifs d'Allschwil avaient acheté des maisons et construit des écuries pour leur commerce de chevaux. Ce commerce était une de leurs principales activités. En 1690, le bailli bâlois de Mönchenstein se plaignit de ce que Joseph de Hégenheim et le valet de Judel d'Allschwil, avaient contourné un péage bâlois avec "plus de 40 chevaux". En 1697, l'Intendant d'Alsace écrivait : "Il ne faut point songer à retirer le commerce des chevaux des mains des Juifs, qui le font très avantageusement pour le Roy, quoiqu'il soit vrai qu'en les prenant en Suisse, ils font sortir beaucoup d'argent....".

Le 8 juillet 1694, l'évêque de Bâle, Guillaume-Jacques RinckBaldenstein (1693-1705), expulsa les derniers juifs de ses terres. La plupart s'établirent à Hégenheim, commune limitrophe d'Allschwil. Ils laissaient derrière eux le cimetière désaffecté de Zwingen, agrandi pour la dernière fois en 1668. Une seule stèle de ce cimetière a pu être retrouvée : celle de "Dame Serlen bat R(abbi) Joseph", épouse du "Sieur ychay bar Yitz'hak Ephrayim", décédé en 1641, alors que la guerre de Trente Ans faisait rage.

La communauté et le cimetière de Hégenheim au 17ème siècle

Après la guerre de Trente Ans et le rattachement du Sundgau à la France (1648) une nouvelle communauté juive se forma à Hégenheim. Dès 1659, Jäglé Schwob de Dornach (canton de Soleure) possédait une maison dans la commune. Entre 1660 et 1670, les Juifs suivants habitaient à Hégenheim, d'après le registre de police déjà cité : Isaac Schwob, encore domicilié à Arlesheim en 1659, Bernhard Schnettiger, originaire de Schnaittach au Nord de Nuremberg, Raphaël Brunschwig, dont la mère, remariée, habitait toujours à Allschwil en 1660, Jacob (Schwob ou Nordemer ?) et Judel Dreyfus, dont le nom est attesté dès la première moitié du 17ème siècle en Alsace et se rapporte à la ville de Troyes en Champagne... En 1676, Judel Dreyfus de Hégenheim se plaignit aux autorités bâloises d'avoir été maltraité dans leur ville. Quatre ans auparavant, en 1.672, le rabbin Simon Blum avait circoncis Jacob, fils de Baruch "le cohen" de Hégenheim sur les genoux de Jekel du même lieu.

L'année suivante, le 9 janvier 1673, Hannibal de Baerenfels, seigneur de Hégenheim, vendit à la communauté juive (Judenschaft) naissante du lieu, un champ situé "du côté du moulin extérieur", à charge pour les acquéreurs d'y établir leur cimetière et de lui payer un droit à chaque enterrement. Le premier à être enterré dans ce nouveau cimetière fut un certain Jacob, fils de Nathan Lévy, décédé l'année même de la fondation. En 1692, des délégués d'Allschwil, de Blotzheim et de Hégenheim se réunirent pour fixer les statuts de l'administration du cimetière. On nomma quatre administrateurs (Gaboim), deux de Hégenheim, un d'Allschwil et un de Blotzheim. La séance était présidée par un rabbin itinérant, R. El'hanan Salman Elsass, qui habitait encore à Brisach en 1681, puis à Thann, et qui signera un acte de vente au profit du cimetière de Jungholtz en 1716. En 1695, ce sera le rabbin provincial par intérim, R. Arié Juda Loeb Teonim, domicilié à Brisach, qui se déplacera à Hégenheim à l'occasion d'une séance de l'administration du cimetière. Ce cimetière servait de lieu de sépulture aux Juifs d'une quinzaine de communes en 1692 : Allschwil avait alors la communauté juive la plus importante avec 24 chefs de famille qui avaient droit de sépulture à Hégenheim. Comme nous l'avons vu, cette communauté sera dissoute deux ans plus tard.

Les trois communautés les plus importantes du Sundgau étaient Hagenthal (le Bas) avec 13 chefs de famille, suivie de celle de Hégenheim (12 chefs de famille) et celle de Blotzheim (10 chefs de famille). Les dix autres communes citées dans le registre du cimetière comptaient entre 1 et 6 chefs de famille qui avaient acquis le droit de sépulture. Parmi elles, il y avait Dornach dans le canton suisse de Soleure, dont la communauté sera dissoute en 1736. Dès 1679, un Baruch, domicilié à Dornach, avait acquis le droit de sépulture à Hégenheim, acquisition qui fut confirmée ultérieurement par des témoins.

Le premier gardien du cimetière, nommé en 1692, s'appelait Elie ben Zadok Dreyfus (il signe "Driwusch" en Hébreu). En 1690, ce Dreyfus avait envoyé une lettre au professeur Buxtorf de Bâle afin d'obtenir le prêt jusqu'à la fête du Nouvel An et du Yom Kippur, d'un rituel pour jours de fête et son commentaire : cette lettre est exposée au Musée Juif de Bâle. En 1740, le fils de cet Elie, Zadock Dreyfus, était préposé de la communauté juive de Hégenheim et sa maison abritait la synagogue. Le contrat de mariage de son fils Joseph stipulait en effet que "tant que la synagogue sera située dans cette maison, Joseph n'aura aucune part sur les pièces où se trouve la synagogue, sauf les deux places dont il dispose". Il est possible que la même maison ait déjà servi de synagogue à la fin du 17ème siècle et qu'Elie Dreyfus en ait été le premier ministre officiant, d'où le livre de prières emprunté aux Bâlois en 1690.

Le premier préposé connu de la communauté juive de Hégenheim fut David ben Boruch Nordemer, alias "Nordemann", cité comme tel en 1708. Il dirigeait sans doute la communauté dès l'époque de la fondation du cimetière, puisqu'il en était l'un des premiers administrateurs. En 1691, il porta plainte au nom de la communauté contre un jeune qui avait déposé un chien crevé dans la cabane en branchage (Lauberhütte) de son coreligionnaire Joseph pendant la fête juive de Soukoth. La victime de cette plaisanterie de mauvais goût s'appelait Joseph alias "Jesil ben Jehuda" Bloch. Sans doute originaire d'Allschwil, où un Joseph était encore domicilié en 1673, il habitait à Hégenheim dès 1683, date de naissance de son fils Moïse dit Koschel, circoncis par le rabbin itinérant Simon Blum. En 1692, il fut nommé administrateur du cimetière de Hégenheim lui aussi.

Joseph avait un frère à Allschwil : Isafe ou Schaylé, Bloch, qui fit circoncire un fils, Elie, en 1683. Le parrain de l'enfant était Wolf de Marckolsheim, autre membre de la famille Bloch dont on retrouve la descendance à Biesheim au 18ème siècle. Après son expulsion d'Allschwil, Schaylé s'établit à Hégenheim. En 1692, David Nordemer avait un valet du nom de Gumpel, qui était un Bloch lui aussi : en 1699, ce Gumpel alors domicilié à Buschwiller, commune voisine de Hégenheim, avait un litige avec un bourgeois d'Aesch, qui s'était plaint de lui auprès de son seigneur, l'évêque de Bêle...

Rappelons que le prénom Joseph, traditionnel dans la famille Bloch de Hégenheim, était déjà porté par le médecin d'Allschwil au 16èmz siècle et par le père de "Dame Serlen" enterrée au cimetière de Zwingen en 1641. Le mari de cette dernière s'appelait Yichay (Isaïe) et avait pour ascendant un Ephraïm ou Gumpel, deux autres noms attestés dans la famille Bloch. Cette famille devait donc être l'une des plus anciennes de la "Regio", bien que son nom trahisse une origine polonaise (Bloch serait une déformation du polonais "Wloch", forme slavisée de l'ancien allemand "Walch", Français, Latin, ici "Juif français"). Citons encore "David ben Boruch" Gintzburger, un des neuf signataires des statuts de 1692. Comme tous les porteurs de ce nom, il devait descendre d'un membre de la communauté juive de Ginsburg près d'Ulm en Allemagne. Son petit-fils Moïse David sera le premier rabbin communal de 1772 à sa mort en 1824.

Quant au plus célèbre des rabbins natifs de Hégenheim, Moïse Nordmann (1809-1884), il devait exercer les fonctions rabbiniques non seulement dans son bourg natal, à partir de 1834, mais encore à Bâle, Berne, La Chaux-de-Fonds et Avenches. Belle revanche pour ce descendant de Hirtz Nordemer, expulsé d'Allschwil en 1694 ! En 1868, il inaugura la grande synagogue de Bâle, ville qui avait fait arrêter son ancêtre Jàcklé en 1718, ce qui avait provoqué un incident diplomatique avec la France. Nordmann contribua pour une large part à 1' "émancipation" de ses coreligionnaires de Suisse, dont beaucoup étaient d'origine alsacienne.

Citons enfin pour terminer un de ses cousins bâlois, le Dr Achilles Nordmann, auteur d'une monographie sur le cimetière de Hégenheim et d'une étude sur celui de Zwingen et sur les communautés juives de la "Regio". Son fils Robert Nordmann a fait don au Musée d'Art et d'Histoire du Judaïsme à Paris, d'une collection de Mappoth provenant de Hégenheim et Buschwiller, dont la plus ancienne daterait de 1569.

Source principale :
Archives de l'ancien Evêché de Bâle à Porrentruy.


synagogues Judaisme alsacien Accueil
© A . S . I . J . A .