Esquisse de l'histoire, tantôt heurtée, tantôt apaisée des Juifs à Wintzenheim (suite et fin)
par Freddy Raphaël & Monique Ebstein


Quelques grandes figures

Parmi les personnalités marquantes du 19ème siècle originaires de la communauté de Wintzenheim, tels l'universitaire et écrivain Auguste Widal, son frère Henry Victor Widal médecin inspecteur général, et Florine Langweil-Ebstein experte en art d'Extrême-Orient, aucune n'est enterrée au cimetière juif du lieu.

Auguste Widal

Les études secondaires et supérieures permirent à de jeunes Juifs de la campagne, de milieu modeste, d'accéder à la culture savante et de jouer un rôle dans la vie littéraire française. Auguste Widal, né à Wintzenheim en 1822 et mort à Paris en 1875, fit une carrière d'enseignant, d'universitaire et d'écrivain. Après avoir fréquenté l'école primaire juive de son bourg natal, il rejoignit le collège de Colmar. Très bon élève, il poursuivit ses études à Paris au Lycée Charlemagne. Devenu professeur de lettres, il obtint son doctorat et enseigna successivement la littérature ancienne, puis les langues vivantes à l'Université d'Aix-en-Provence, de Poitiers, de Douai et de Besançon. Il termina sa carrière comme inspecteur général des langues vivantes.

Auguste Widal consacra sa thèse à l'étude du caractère "du misanthrope chez les écrivains anciens et modernes". Il publia différents travaux sur Tacite, Sénèque, Euripide, Homère et Juvénal. De 1857 à 1859 il fit paraître dans la Revue des Deux Mondes, des "lettres" consacrées aux mœurs des Juifs de la campagne alsacienne. En 1860 il les reprit pour en faire un volume, intitulé Scènes de la Vie Juive en Alsace, et publié sous le pseudonyme de Daniel Stauben (36).

Même si Auguste Widal témoigne d'un goût du pittoresque et de la vignette champêtre, il a réussi à évoquer sans mièvrerie, à partir de ses souvenirs d'enfance et de ses observations lors de ses retours au pays natal, un monde menacé par le " progrès" et le passage à la ville. Il sut, en témoin mais aussi en visionnaire, restituer "les travaux et les jours" de ses coreligionnaires, la plénitude sans ostentation de leur foi et de leurs pratiques, ainsi que la sociabilité villageoise.

Florine Ebstein

J.E. Blanche, Portrait de Madame Lanweil, huile sur toile, Musée d'Art moderne et contemporain de Strasbourg
photo : © N. Fussler, Musées de Strasbourg
Florine Ebstein naquit en 1861, à Wintzenheim, dans une famille juive assez pauvre. Fille d'Isaac Ebstein et de Babette Blum, elle était la sixième de sept enfants. Son père avait participé à la guerre de Crimée et lui avait insufflé son patriotisme généreux. Orpheline, à vingt ans elle alla vivre à Paris chez une cousine qui tenait une petite pâtisserie à la fois juive et alsacienne, rue Montholon, où elle rencontra Charles Langweil, de 25 ans son aîné. Il était autrichien de Bohême - aujourd'hui on dirait tchèque -, et appartenait à un milieu plus riche que le sien. Il possédait un magasin d'antiquités dont il s'occupait peu et mal. Ils se marièrent mais le couple se sépara par la suite. Lorsqu'il la quitta, la laissant seule avec deux enfants, elle reprit les affaires de son mari, bien qu'elle ne fût pas du tout préparée à fréquenter le monde des antiquaires et des collectionneurs. Son intelligence et son habileté lui permirent de payer en quelques années toutes les dettes contractées par son mari, et d'établir solidement la réputation de sa maison qui devint l'un des premiers centres artistiques parisiens de l'époque.

L'Exposition universelle de Paris de 1889 mit le Japon à la mode. Le magasin de Mme Langweil se spécialisa dans ce domaine. Un peu plus tard, son goût personnel lui fit préférer l'art chinois à l'art japonais. Sa maison prit de l'ampleur, mais la vie ne fut facile ni pour elle, ni pour ses enfants. Elle devait se rendre d'une vente à l'autre, en province ou à Londres, car elle comprit très vite l'importance du marché londonien et des collections américaines. Sa parfaite honnêteté fut sa force.

Quelques mois avant la première guerre mondiale, F. Langweil décida de se retirer des affaires. Elle souhaitait à présent effectuer un voyage en Chine. La guerre éclata et l'empêcha de réaliser ce projet. Dès le début de l'invasion, elle s'occupa de réfugiés belges. Elle en accueillit vingt-huit dans son château de Courcelles et les prit entièrement à sa charge. Puis, de 1915 à 1919, elle y installa une trentaine de militaires convalescents. L'idée de l'Alsace ne la quittait pas. En 1915, alors que l'envahisseur occupait toute une partie de la France, elle était persuadée de la victoire finale, et fonda l'œuvre de "La Renaissance des foyers en Alsace" qu'elle installa chez elle, rue de Varennes. Son but était de substituer aux banales aumônes l'assistance par le travail, demandant par exemple aux femmes évacuées d'Alsace de faire de la couture et du tricot. En 1916, toujours rue de Varennes, F. Langweil organisa au profit de l'œuvre une exposition qui fit grand bruit dans la presse. On put y admirer des peintures et des ouvres d'art anciennes de la Chine et du Japon. Elle s'impliqua, personnellement et sans compter, sous les formes les plus diverses, dans l'aide apportée à l'Alsace et aux Alsaciens. Elle envoya d'innombrables colis aux soldats alsaciens qui combattaient au front et, en 1918, après la fin du conflit, F. Langweil se rendit en Alsace avec un camion militaire que lui avait procuré Clémenceau. Elle le remplit de réserves accumulées chez elle pour les distribuer. Elle refit ce voyage chaque année avec des livres, des vêtements pour les enfants, et du chocolat pour tout le monde.

Cinq ans après la fin de la première guerre mondiale, en 1923, son ami Jean-Jacques Waltz, mieux connu sous le pseudonyme de Hansi, vint la voir. Il lui suggéra une initiative qui favoriserait le développement de la langue française en Alsace. F. Langweil adopta le projet avec enthousiasme et, soutenue par Hansi, elle parvint à obtenir le concours du Président de la République, M. Millerand, celui de Raymond Poincaré alors président du Conseil, ainsi que celui du ministre de l'Instruction publique. Une œuvre à caractère national fut ainsi créée, ayant à sa tête un comité actif très restreint dont Mme Langweil prit la présidence. Hansi faisait partie de l'équipe qui l'entourait, et apporta sa contribution en exécutant gracieusement deux aquarelles : l'une pour illustrer le diplôme distribué aux lauréats, et l'autre pour orner le reçu destiné aux donateurs. Le Comité obtint suffisamment de souscriptions et de dons afin que, dès cette année 1923, des livres soient envoyés aux écoles d'Alsace où les premières distributions furent organisées. Par la suite chaque année, les 13 et 14 juillet, la distribution avait lieu dans quatre communes d'Alsace, deux dans le Bas-Rhin et deux dans le Haut-Rhin. F. Langweil en assurait à elle seule l'organisation. C'était un travail considérable auquel elle se donnait sans compter. Elle veillait à tout personnellement, notamment au choix des livres destinés à la distribution des prix. Chaque année, des centaines de petits écoliers lui écrivaient des lettres pour la remercier. En 1935, F. Langweil se vit décerner la rosette d'officier de la Légion d'Honneur. La dernière distribution d'avant-guerre eut lieu en 1939.

Après la guerre, F. Langweil put enfin revenir dans l'Alsace libérée, et la distribution du Prix de Français reprit le 17 juillet 1945. Elle présida personnellement les distributions du Prix de Français jusqu'en 1947. Cette année-là, vu son grand âge, elle avait 88 ans, elle cessa son activité. Cependant, jusqu'à sa mort, elle suivit les distributions de loin, s'y intéressant toujours et recevant avec joie les lettres des jeunes lauréats.

En 1958, elle mourut chez elle, à Paris, âgée de 97 ans. Elle avait gardé toute sa lucidité.
Le long parcours de sa vie est une belle histoire : l'étonnante réussite d'une jeune juive alsacienne de Wintzenheim qui ne renia jamais ses origines, ni son pays, ni ses concitoyens, qui voulut utiliser à leur profit la richesse que lui avaient valu son goût, son intelligence, son honnêteté et son intrépidité au travail.


Complément à l’article de Freddy Raphaël & Monique Ebstein
par Francis WEILL

Une grande famille de la communauté de Wintzenheim, fut celle de Moïse HIRTZ qui formait la Famille n° 1 du "Dénombrement de 1784"  concernant la section de Wintzenheim dépendant du château de Hohenlandsberg. Sa famille est indiquée sous le nom de "Hirtz MOYSES", que certains dénommeront Nephtali Moyses . En 1808, en fonction du Décret de Bayonne, il prend officiellement le nom de Jacques HIRTZ. Il était l’époux de Judel LEVY (1743-1829)et lors de son mariage il hérite de son père la fortune de 18.000 Livres Tournois.

Jacques HIRTZ (1733-1819) apparaît sur le rôle d’imposition (1814) comme le juif le plus imposé du Haut-Rhin, avec un montant de 2700.- Francs, alors que le suivant – JAVAL - ne paie que 700.- Francs. Au moment de la Révolution, lors de la vente des biens nationaux, il fit l’acquisition du château de Wintzenheim que ses nombreux enfants revendront par la suite. Sa propriété deviendra la Mairie actuelle de la ville, le cimetière catholique et l’église du village. Au 18ème siècle il se fera attribuer la charge d’huissier royal de Dannemarie, par une décision du Conseil Souverain d’Alsace.

Au 19ème siècle plusieurs de ses petits-enfants deviendront médecins. Le plus connu est Mathieu HIRTZ (1809-1878) qui fut professeur de médecine d’abord à Strasbourg et, ayant opté pour la France en 1872, il est nommé professeur à Nancy. Il devient membre de l’académie de médecine. Lors de ses obsèques, à Versailles, l’académie lui fait ériger un tombeau majestueux, avec son buste sculpté dans la pierre. Il fut l’inventeur de la cryothérapie. Les autres HIRTZ médecins sont : Abraham (1813-1849), Aron (1802-1842), Edgar médecin hospitalier (1849-1916). Un autre deviendra Ingénieur des Mines.

Par ses petites-filles il est l’ancêtre des deux frères WIDAL : Auguste-Charles (1822-1875), connu surtout sous le nom de Daniel STAUBEN et Henry-Victor qui fut médecin militaire en Algérie. Celui-ci était le père du Professeur de médecine Fernand WIDAL (né à Dellys, en Algérie) dont un hôpital parisien porte le nom et spécialisé en maladies tropicales. Par Rosine HIRTZ il est l’ancêtre du grand rabbin de France ISIDORE.

'Au 20ème siècle :  Robert SALMON, fut le fondateur du mouvement de Résistance "Défense de la France", du journal clandestin de même nom, et fondateur du parti politique UDSR (Union Démocratique des Socialistes de la Résistance) qui fut le parti d'origine de François Mitterrand. Il fut aussi le fondateur du quotidien France Soir.


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