Etre juif à Sierentz au 19ème siècle
par Yves BISCH

Extrait de l'ANNUAIRE 1985 et 1986
de la Société d'Histoire de la HOCHKIRCH


La situation avant 1800

Evolution de la population

De trois en 1689, le nombre de familles juives de Sierentz passe à dix en 1716, puis quadruple en l'espace de 50 ans. A la veille de la Révolution, 43 familles représentent 217 habitants. On peut constater une évolution comparable de la population dans les communautés des autres villages du sud du département, dont les plus importantes furent Hégenheim, et Hagenthal-le-Bas.

  1689
familles
1716
familles
1766
familles
1784
familles
1784
population
Hégenheim 14 29 63 83 409
Hagenthal/Bas / / 41 67 356
Durmenach 1 9 43 73 340
Hagenthal/Haut 3 12 24 52 271
Blotzheim 4 21 34 47 225
Sierentz 3 10 41 43 217

Cet accroissement notable de la population juive du Sundgau, à partir de la deuxième moitié du 17e siècle est lié à plusieurs facteurs :

Le choix de leur implantation dans des villages comme ceux cités plus haut, alors que d'autres communes sont délaissées, découle du fait que les Juifs étaient à la merci du seigneur de la localité, qui pouvait les refuser, limiter leur nombre et les expulser, selon son bon vouloir.

Condition civile et fiscale avant 1784

A ce propos, les archives communales détiennent, datée du 28 janvier 1721 une plainte virulente des "bourgeois" de Sierentz au Conseil Souverain d'Alsace contre le Sieur de Waldner, qui "perçoit seul le droit d'habitation des Juifs demeurant au dit-lieu, quoique selon les droits de la Communauté la moitié leur appartienne".

Vie économique

D'une manière générale l'activité des Juifs est limitée par les corporations, qui excluent de leurs activités artisanales les non chrétiens. Ils ne peuvent devenir d'autre part ni ouvrier, ni paysan.
Ils occupent donc les seuls créneaux, qui leur restent, à savoir : le prêt d'argent et le commerce de denrées de première nécessité, du bétail et des instruments de travail.

Persécution révolutionnaire

Les grandes décisions royales de 1784, les lois sur leur émancipation de l'Assemblée Constituante en 1790 sont destinées à modifier du tout au tout les conditions futures de la vie des Juifs de nos villages.

Mais auparavant, ceux qu'on a qualifié de "génération sacrifiée" eurent à endurer les troubles agraires, qui éclatèrent en Alsace à la nouvelle de la Prise de la Bastille. Fin juillet 1789, les paysans du Sundgau mirent à sac des maisons jui ves à Durmenach, Hégenheim et Sierentz : "ils abimèrent leurs maisons et arrachèrent jusqu'aux planchers des chambres, enlevèrent leurs titres et leurs obligations qu'ils déchirèrent et brûlèrent, ils laissèrent couler dans les caves les meilleurs vins, qu'ils n'avaient pu boire, s'emparèrent de l'argent qui leur tombait sous la main et le partagèrent entre eux".

La persécution révolutionnaire ne visa pas seulement la religion judaïque, mais toujours est-il que des synagogues, dont celle de Sierentz, furent dépouillées puis fermées. Les relents de l'antisémitisme traditionnels affleurèrent rapidement et d'aucuns, tel Baudot, commissaire aux armées de Rhin et Moselle, préconisèrent même une "régénération guillotinière" à leur égard, fâcheuse anticipation du génocide.

Des droits nouveaux
Avec le bouleversement révolutionnaire, résumons ce qui est acquis à la fin du Directoire :

Ces virtualités vont dominer l'histoire des Juifs au 19e siècle.

Sierentz sur une carte postale ancienne
Extrait de Sierentz-Landser, un canton par ses cartes postales
(1898-1948)
; Claude et Paul-Bernard Munch

Vers une ère nouvelle
La communauté juive de Sierentz à l'aube du 19e siècle

Recensement

L'état nominatif des Juifs domiciliés dans la commune de Sierentz, dressé par le maire MEYER, le 17 juillet 1808, en exécution du décrêt impérial du 17 mars de la même année nous apporte quantité de renseignements

La communauté compte 256 membres : 47 couples mariés, 6 veuves, 80 garçons et 76 filles.(Le fait qu'aucun veuf n'y est signalé s'explique par le rapide remariage de ces derniers).

Patronymes

Plus d'un tiers se nomment DREYFUS, un autre tiers ULMANN (), dont les ancêtres provenaient d'Ulm dans le Wurtemberg. Curieusement ne sont cités que des ULMANN, alors que les registres d'Etat Civil font la distinction entre ULMANN et ULMO (ou ULLMO) ; de même la liste électorale de 1865 compte 14 ULMANN pour 1 seul ULMO, alors que sur celle de 1854 figurent 21 ULM0 et 1 ULMANN. Le reste est constitué par les AAR0N - ABRAHAM - LANG - LEVY - MARX - PICART - POLAC SALOMON - SAMUEL.

C'est seulement à l'occasion de ce recensement que les familles juives furent dotées de noms patronymiques stables. Jusque~là, on se contentait du nom hébraïque suivi du nom du père et souvent d'un surnom. Ainsi Heinrich DREIFUS, le marchand de bétail, qui décéda en 1812 à l'âge de 81 ans, était surnommé HEYMANN.
Jacob ULMO = JUDEL ; Simon ULMO = HEIZEL m Louis DREYFUS = WOELFLE ; Simon ULMANN = SCHMULE ; Jacques REIN = HIRSCHEL.

Professions

Outre le rabbin Copel ULMANN, le chantre Moyses SAMUEL, l'instituteur Salomon POLAC, le boulanger Aaron PICAR T, les bouchers Nathan DREYFUS et Jacob ULMANN, et l'aubergiste Isaac MARX nous trouvons

:
11 marchands d'étoffes comme : Gaspard AARON, Lazare DREYFUS, Isaac LEVY....
9 revendeurs et colporteurs comme : Abraham LEIB, Isaac ULMANN...
10 marchands de bétail comme : Abraham DREYFUS, Mayer LANG, Abraham ULMANN...
2 marchands de chevaux : Isaac LEVY, Moyses ULMANN
1 marchand de cuir : Nathan DREYFUS
1 marchand de quincaillerie : Baruch LANG
1 marchand de fer : Judel ULMANN
1 savonnier et "chandellier" : Liebmann DREYFUS
1 négociant et propriétaire :

Baruch ULMANN

1 marchand de détail : ?

Fer forgé avec inscription : "Casher" (Musée juif de Bâle).
C'est avec un fer rouge analogue que le boucher Marc Dreyfuss marquait la viande rituellement préparée pour la consommation.
Au total on délivre la patente, désormais obligatoire pour l'exercice de tout commerce, à toutes les 38 demandes de pères de famille, "étant donné qu'aucun ne s'était livré jusqu'à présent ni au trafic illicite, ni à l'usure".

Par contre, le conseil municipal se montre réticent à patenter la plupart des 17 jeunes juifs de 17 à 25 ans, domiciliés à Sierentz et qui "quittaient momentanément leurs parents pour se livrer à des spéculations mercantiles dans d'autres communes", estimant qu' "ils seraient plus utiles à l'Etat et à la Société en se livrant aux arts ou à l'Etat militaire".

Exception fut faite pour Abraham DREYFUS, 22 ans, Wolf LEVY, 28 ans, et Lehmann ULMANN, qui avaient à charge leur mère veuve.


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