L'Ecole privée israélite de Sierentz
par Yves BISCH
Extrait de l'ANNUAIRE 1985 et 1986 de la Société d'Histoire de la HOCHKIRCH

Ecole privée israélite
L'instruction primaire et l'enseignement religieux sont donnés à l'école communautaire, située dans la Weschgasse près de la synagogue, dont l'organisation incombe plus aux familles qu'à la communauté. Il s'agit d'une salle de classe bien trop exigüe (7 m x 4,28 m x 2,20 m) pour les 30 à 40 élèves qu'elle accueille.

Au début du siècle, Salomon BOLACK, né en 1742, y enseigne l'hébreu et étudie la Bible et le Talmud. Contrairement à ses nombreux successeurs, il restera jusqu'à la fin de sa vie à Sierentz, où il décède en 1835 à l'âge de 93 ans, après avoir eu la douleur de perdre en 1819 en l'espace de deux mois et sa fille Elisabeth et son épouse, née Anne Brunschwig. Ses fils Léopold et Mayfer ne suivent pas ses traces et se lancent dans le petit commerce.

Jean-Romain WAHL, de Bergholtz-Zell, fin des années vingt, puis Jacques REISS de Welbhausen en Bavière rhénane, qui lui succèdent, "ne pratiquent pas la langue française" et continuent à assurer un enseignement traditionnel.

En 1843, le conseil municipal refuse d'ériger cette école privée en école publique, considérant qu'il existe déjà dans la commune deux écoles, que les enfants juifs ont toute latitude de fréquenter.

Dix ans plus tard, la communauté de l'école israélite réitère sa demande qui, par 7 voix contre et 1 pour, est à nouveau rejetée, les conseillers estimant que :

et attendu : Peut-on parler d'hostilité dans ces propos ? En principe non, d'autant plus qu'à partir de 1855, les édiles accordent pour le chauffage de l'école juive une somme annuelle de 50 F, qui sera portée à 100 F en 1861, puis à 140 F en 1862, pour le bois mais également comme quote-part des élèves indigents.

Comme dans la plupart des écoles de campagne, ce n'est qu'aux débuts des années 1850 que les effets de la loi Guizot se font sentir.

Jacques BLUM est des premiers instituteurs diplômés à enseigner à l'école privée juive de Sierentz. Sa lettre datée du 12 octobre 1855 et adressée à l'Inspecteur mérite attention :

"Il appartient à d'autres que moi de soulever ces questions délicates d'administration et de consolidation des écoles privées israélites de ce département dont de regrettables motifs ont empêché jusqu'ici l'érection en écoles publiques.

Nos jeunes instituteurs en préparant la génération naissante dans de meilleurs sentiments pourraient peut-être contribuer à faire disparaître successivement cette antipathie qui malheureusement existe encore entre les citoyens des différents cultes de ces environs ; mais pour cela il faudrait que l'indépendance de leur position fût assurée et qu'ils puissent arranger leur enseignement dans les vues d'une autorité compétente et éclairée ; car, enseignement, discipline, ascendant moral, tout dans une école libre se ressent de ce que l'instituteur est livré pieds et poings liés au caprice de quelques pères de famille, pour la plupart ignorants, qui l'engagent et le renvoient à volonté. Si je ne craignais de vous ennuyer, Monsieur l'Inspecteur, je vous entretiendrais des tracasseries continuelles, auxquelles nous sommes exposés et je vous prouverais que, maintes fois déjà, des pères de famille se sont concertés pour m'imposer telle matière d'enseignement que d'autres m'avaient obstinément interdite.

Le traitement affecté à mon école s'élève à un minimum de 1 200 francs. Malgré cela, il pourra vous être constaté par Monsieur le grand rabbin de Colmar qui dernièrement a inspecté ma classe qu'aucun de mes prédécesseurs n'a pu s'y maintenir pendant trois ans, malgré leur bonne volonté et leur capacité".

La source de la vieLui non plus ne fait pas long feu et en 1857, il demande et obtient la direction de l'école israélite de... Mascara, dans la province d'Oran.

Les demandes d'ouverture d'une école juive se succèdent ensuite à un rythme alerte :

06 mai 1858: Isaac SCHWARTZ 30 ans de Strasbourg
15 octobre 1858: Léopold SINGER 22 ans de Düppigheim
03 mai 1861 : Salomon NERSON 27 ans de Bischheim
18 mai 1863 : Wolfgang MEYER 18 ans de Pfaffenhoffen
13 décembre 1864: Jacques WEILL 24 ans de Marmoutier

Ces jeunes maîtres, le plus souvent débutants et célibataires, s'établissent à Sierentz avec leurs parents mais n'ont qu'une hâte : aller enseigner dans des écoles juives publiques, où leur situation risque d'être moins aléatoire.

Salomon NERSON obtient son ouverture malgré une condamnation par la Cour Impériale d'Alger à 6 jours de prison et 200 francs d'amende pour avoir frappé un élève. Après les avis du juge de paix, du procureur général et de l'inspecteur d'Académie, le Préfet justifie son autorisation par le fait que "ce délit n'est point contraire à la probité et aux moeurs".

Nerson quitte Sierentz au bout de deux ans puis revient le 16 Août 1869, après des séjours à Blotzheim et à ... Bagdad, en Turquie. (1) Celui qui marquera le plus de son emprunte cette école est incontestablement Jacques WEILL.

Un instituteur juif : Jacques Weill

Nous avons évoqué, dans notre précédent article, l'école privée juive de Sierentz. Nous allons à présent nous intéresser au cas d'un instituteur, qui malgré la brièveté de son séjour, l'a marquée de son empreinte.

Jacques WEILL est né le 22 janvier 1840 à Marmoutier. Il obtient son brevet de capacité le 5 mars 1862. Après avoir enseigné à Soultz, il ouvre une école libre juive à Sierentz en janvier 1865. Il quittera ce poste en avril 1869 pour Durmenach.

Un rapport d'inspection, daté du 1er mai 1868, nous apprend que 48 élèves, 33 garçons et 15 filles, fréquentent sa classe, qu'il touche 1 100 frs, alloués par la communauté israélite, que le local de la classe, le mobilier, le logement, les lieux d'aisance sont en mauvais état, mais qu'il existe un projet de construction. Tous les enfants comprennent et parlent le français.

En observations :

"cet instituteur vante beaucoup le peu qu'il fait, et se fait donner des médailles et des secours par les sociétés protectrices des animaux, par les comices agricoles, etc .... Il ne manque pas de capacité, mais il a encore plus de vanité que de savoir. Ses coreligionnaires le soutiennent ; cependant il sollicite un poste d'instituteur communal. La maison qu'il habite est dans un état complet de délabrement et de malpropreté : la salle de classe est trop basse et trop petite. On s'occupe d'un projet de construire à la fois une synagogue, un presbytère et une école ; tout serait fait par la communauté israélite, mais on est loin encore de s'entendre".
Prix d'agriculture

Son courrier, fort abondant, nous permet de mieux cerner le personnage. En septembre 1865, il écrit à l'inspecteur d'académie :

"La sollicitude avec laquelle vous veillez sur les instituteurs du Haut-Rhin et le plaisir que vous éprouvez quand ils marchent dans la voie du progrès, me font un devoir de vous faire savoir que je viens d'obtenir un prix d'agriculture.
Ce prix, consistant en un abonnement d'un an à la Gazette du village m'a été donné à Landser par le Concours agricole de Mulhouse. C'était une récompense pour avoir donné l'instruction agricole aux élèves de ma classe".
Il est un fait qu'à l'époque des efforts sont faits pour encourager l'enseignement de cette discipline.
Il poursuit : "C'est M. JOURDAIN d'Altkirch, président, assisté de M. le Sous-Préfet de Mulhouse et de tout le comice, qui m'a remis, au milieu d'une foule compacte de spectateurs, tous les numéros de la gazette. J'étais le seul instituteur de tout l'arrondissement qui ait obtenu une pareille faveur.
M. BARTH, docteur en médecine et membre du conseil d'arrondissement a été chargé d'examiner mes élèves ; après l'examen, il m'a dit qu'il est très content des enfants et surtout de moi qui m'efforce à répandre dans notre village des notions saines et utiles de cet art nécessaire à l'homme".
Il termine sa lettre par :
"Je vous avoue que je suis fier d'un pareil succès, non pas pour avoir reçu un prix, mais parce que j'ai vu que l'arbre, que je soigne, porte des fruits mûrs et utiles".
Cours d'adultes

En octobre 1865, il obtient du préfet l'autorisation d'ouvrir une école d'adultes, dont voici le règlement d'étude, d'ordre et de discipline :


Article I : La classe d'adultes a lieu cinq fois par semaine, tous les soirs de 7 heures à 9 heures, à l'exception du vendredi et du samedi soir.
Article II : Seront reçus les jeunes gens âgés de 14 ans et au-dessus ; toutefois les élèves qui suivent la classe du jour et qui ont atteint l'âge susdit peuvent faire partie des élèves admis au cours.
Article III : L'enseignement des cours comprend : la lecture, l'écriture, la langue française, le calcul élémentaire et appliqué, le système légal des poids et mesures.
Article IV : Des notions de géométrie et de dessin linéaire, d'arpentage, la tenue des livres, I'écriture des formules commerciales, comme notes, quittances, etc la composition des lettres familières et commerciales, l'agriculture et l'industrie. Des notions d'histoire et de géographie seront enseignées aux personnes déjà avancées.
Article V : Des livres composant notre bibliothèque seront prêtés aux adultes pour faire la lecture chez eux, pendant qu'ils seront désoeuvrés.
Article VI : Un livre perdu ou déchiré est payé par le lecteur.
Article VII : I1 est défendu de fumer, soit pendant le cours ou à la fin du cours, pendant tout le temps qu'on se trouve dans la salle de classe.
Article VIII : Il est également défendu de produire du désordre par des mouvements quelconques faits à volonté, ou par un langage offensant son voisin ou son camarade.
Article XIX : Tout adulte, faisant du bruit ou gênant la marche régulière des leçons, est puni de 2 centimes, après un second avertissement.
Article X : Tout argent provenant des punitions servira à acheter les cahiers des pauvres écoliers.
Article XI : La politesse doit être un des éléments constitutifs de la classe.
Article XII : Après plusieurs avertissements ou punitions, qui n'auraient produit aucun bon effet, le renvoi de l'adulte peut être prononcé, sans admission nouvelle.
Article XIII : La discipline doit être maintenue hors de classe, aucune plainte ne doit s'élever contre les adultes, provenant soit de querelles, ou de dommages causés par eux à toute personne.
Article XIV : La classe est entièrement gratuite.
Article XV : Le 30 de chaque mois, il sera rendu compte à l'inspecteur primaire en résidence à Mulhouse, des travaux des adultes et des faits principaux qui auraient pu survenir.

Encore des prix

En octobre 1866, un nouveau prix d'agriculture récompense son enseignement : une médaille de bronze à Hirsingue.
Il commente son succès par une lettre à l'Inspecteur d'académie :
"Les élèves ont fait depuis l'année passée des progrès marqués dans l'agriculture et dans ma classe d'adultes de cet hiver, les paysans jeunes encore, qui savent la pratique par la routine, ont été initiés à une théorie aussi facile qu'utile ...." "Je tâcherais de continuer ainsi et puissent les jeunes gens de Sierentz acquérir des notions utiles et devenir aptes à répondre au voeu de notre cher Empereur".

Il participe au concours de Mulhouse et même à l'épreuve départementale de Colmar :

"J'ai préparé dans mes classes d'adultes de cet hiver, j'ai enseigné l'agriculture théorique à des cultivateurs de 17 à 35 ans. Ces jeunes gens travaillent pendant le jour dans les champs, j'ai pensé qu'il était utile de mêler de la théorie à leurs connaissances pratiques. Je compose en ce moment un livre de dictées agricoles qui roulent sur les premiers rudiments de la grammaire. J'essaierai plus tard de donner une série de lettres agricoles sur les conseils à donner à un voisin pour planter ses vignes, sur la manière de fumer la terre, sur la taille des arbres, etc... Je trouve également bon que les problèmes d'arithmétique roulent sur l'économie rurale, sur le nombre de chariots de fumier qu'il faut à tel terrain, sur les prix des diverses machines, sur le gain qu'on retire des terres après les avoir ensemencées, .... même l'écriture, la calligraphie des élèves de la campagne pourrait avoir pour modèles des idées agricoles.
Je tâcherai de composer un livre où ces quatre matières se trouveront réunies".

Jusqu'à la société protectrice des animaux qui lui décerne une médaille d'argent pour son manuscrit intitulé : Leçons sur la protection et les bons traitements dus aux animaux.

(1) Note du Webmaster: Monsieur Avraham Malthete nous signale:
 "à propos de Salomon Nerson à Bagdad, il faut ajouter qu'il y est le directeur de l'école de l'Alliance Israélite Universelle (1865-1866), qu'il vient d'ouvrir."


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