Les vieux cimetières juifs d'Alsace
par Robert WEYL
Extrait de l'ouvrage Juifs en Alsace, ed. Privat 1977
Complété par des planches de dessins et des légendes par Martine Weyl


 

L'amour du métier,
qui caractérise les
sculpteurs alsaciens,
se traduit de diverses
manières. On reconnaît
en 7 les mains
bénissantes des
"cohanim",
en 4 et 5 le vase lévitique.
La forme droite est
caractéristique pour
Ettendorf, alors que la
forme en chapeau de
gendarme (5) se rencontre
surtout à Rosenwiller
et à Haguenau.

Dessin à la plume.
Martine Weyl.

Si la présence juive en Alsace est attestée depuis le moyen âge, aucune des grandes nécropoles, que ce soit Rosenwiller, Ettendorf ou Jungholz ne peut soutenir la comparaison avec celle de Worms où les stèles vont du 11ème siècle jusqu'à l'époque la plus récente. En Alsace, on est obligé de se rendre dans les musées pour trouver des stèles du moyen âge; quant à celles qui sont encore en place, elles ne remontent qu'à la fin du 16ème siècle.

Après les grandes persécutions du 14ème siècle, les cimetières disparaissent; les pierres sont partout utilisées comme matériau de construction. Même dans les communes où la présence juive fut presque continue depuis le moyen âge, comme Haguenau, les stèles les plus anciennes ne datent que du 17ème siècle.

Il n'est même pas certain qu'il y eut, en ces temps difficiles, de véritables cimetières pour les Juifs. Entre deux expulsions, on leur désignait, à prix d'or, un endroit pour enterrer leurs morts. Ascher Lévy, dans ses Mémoires, raconte qu'en 1633, lorsque la vieille Reichele d'Oberbronn mourut, il fut très difficile de lui trouver un endroit pour l'enterrer, car il n'était pas possible de la conduire au cimetière d'Ettendorf, en raison de l'insécurité des routes. Après de longues recherches, le Magistrat leur désigna "pour beaucoup d'argent", un endroit sur une colline proche, où l'on enterra la vieille femme.

Entre le milieu du 14ème siècle et la fin du 16ème siècle, les choses ont souvent dû se passer ainsi. On perdit aussi l'habitude d'élever des monuments funéraires en pierre, et l'on se contenta de marquer l'endroit de la tombe par une planchette en bois. Là encore les Mémoires d'Ascher Lévy de Reichshoffen nous apportent un témoignage précieux. Voici ce qu'il écrit : Le lundi 14 Tamouz 390 (= 1630) je me mis en route pour Metz, et le lundi 17, jour de jeûne, j'arrivai à Volmeringen, et je me rendis sur la tombe de ma mère, la pieuse, que la Paix soit sur elle. Je craignis que les habitants de la contrée ne viennent à l'oublier, c'est pourquoi je lui taillai une stèle en bois comme monument funéraire, et je gravai dessus (son nom) Hindele, et le monument se dressait à son chevet. Les stèles en pierre ne sont pas d'usage, car on ne les conserve pas. (Die Memoiren des Ascher Levy aus Reichshoffen im Elsass (1598-1635), page 38 du manuscrit, page 45 de la traduction Ginsburger.)

Ce texte nous donne aussi une meilleure compréhension d'une lettre adressée en 1767 par le Magistrat de Rosenwiller à l'Intendant d'Alsace à propos du cimetière juif : Il est aisé de croire que le culte de leur religion, jadis, n'était point semblable à celui qu'ils exercent aujourd'hui, puisque, dans une partie du numéro 1 [allusion au plan du cimetière annexé à la lettre], à l'est, il n'y a aucune pierre sur les tombeaux, marque évidente qu'ils se croient présentement des héreaux (sic), puisque chacun d'eux veut avoir une pierre en forme de mosolé (sic) sur son tombeau particulier avec un emplacement différent à l'exemple des rois. (Archives de Mutzig, cité par E. Scheid.) Le Magistrat de Rosenwiller se souvient avec nostalgie de la misère des Juifs de jadis, s'indigne de leur prospérité actuelle qui se manifeste par un mur de clôture autour de leur cimetière et par des stèles en pierre, et souhaite les voir restreints dans leurs droits. On pouvait redouter avec raison qu'aucune de ces stèles en bois n'ait résisté au temps. Aussi notre surprise et notre satisfaction furent-elles grandes lorsque, en visitant le cimetière de Hegenheim, dans le sud de l'Alsace, non loin de Bâle, mais en territoire français, nous découvrîmes une telle stèle en bois. Ce cimetière avait été étudié par Achille Nordmann en 1910. Il y avait vu des stèles en bois, mais n'y avait attaché aucune importance, tout en notant leur présence. Le recours au bois explique l'absence de stèles sur d'immenses étendues à Rosenwiller, à Jungholz et à Ettendorf.

La stèle en bois de Hegenheim

Hegenheim. Stèle en bois de Braïna. 1855
Dessin à la plume. Martine Weyl.

La stèle en bois du cimetière de Hegenheim se présente sous la forme d'une planchette arrondie dans le haut, en bois de chêne de cinq centimètres d'épaisseur et de trente centimètres de largeur. La hauteur, mesurée au milieu de la planchette et correspondant à la partie émergeant jadis du sol, est de 55 centimètres. Elle est couverte d'une écriture hébraïque carrée, gravée en profondeur. L'écriture se détache en noir sur fond jadis blanc. Il n'est pas possible de se rendre compte s'il s'agit d'un travail de pyrogravure. La stèle a beaucoup souffert des intempéries. Elle a subi une importante perte de substance dans sa partie inférieure, en contact avec le sol. Une profonde faille coupe la stèle en deux morceaux, mais sans nouvelle perte de substance.

Une sorte d'encadrement en tôle de zinc protège, assez mal, la stèle des intempéries, puisque le processus de destruction part du sol pour gagner en hauteur. Il est également vrai que l'encadrement en tôle de zinc est postérieur à la pose de la stèle.
Nous avons pu déchiffrer l'épitaphe. En voici la traduction : "Ici a été enterrée la femme distinguée et charitable, la dame Braïna, épouse de Henle (?) Bloch de Hegenheim, décédée le samedi et enterrée le lundi 27 nisan 615 du petit comput. Que son âme soit liée au faisceau des vivants."

Cette stèle est donc relativement récente, puisqu'elle ne daterait que de 1855, et seule la pauvreté de la famille semble expliquer le choix d'une stèle en bois. Mais cette stèle nous permet d'affirmer qu'il existe en Alsace une tradition autorisant l'usage de stèles en bois : chose que l'on a longtemps contestée, que cette tradition s'appuie sur le témoignage d'Ascher Lévy de Reichshoffen, qu'elle est certainement très ancienne, et permet d'expliquer l'absence de stèles datant des 15ème et 16ème siècles.

Cette explication n'exclut pas les interprétations traditionnelles. Ainsi, le grès des Vosges utilisé pour tant de stèles résiste mal aux effets conjugués du gel, du soleil et de la pluie, et se réduit en sable. Ceci est surtout vrai pour Rosenwiller où l'on utilisa un grès de bien mauvaise qualité, alors que le grès utilisé à Ettendorf se retrouve après des siècles dans un état de conservation remarquable. En revanche, l'explication proposée de ces pierres qui s'enfoncent dans le sol au cours des ans et qui finissent par disparaître est tout à fait fantaisiste. Mais les destructions faites par malveillance et les vols peuvent souvent être prouvés à l'aide de documents.

2. Destructions au moment de la Terreur

Les archives de Rosenwiller possèdent un document particulièrement éloquent et peu connu. Pendant la Terreur, très exactement le 24 novembre 1793, le citoyen-commissaire Nicolas Oberlin, de Dorlisheim, accompagné de deux gendarmes et par toute la Municipalité, se rendit au cimetière juif de Rosenwiller. Constatant que les symboles religieux n'avaient pas été effacés, il en ordonna la destruction. Le coût de l'opération se monta à 308 livres. En quoi consista cette destruction ? Se limita-t-elle aux inscriptions ? Dans ce cas, nous devrions retrouver les stèles mutilées, ce qui n'est pas le cas. Il est probable que de nombreuses stèles furent abattues et réutilisées comme matériau de construction dans le village de Rosenwiller. Dans une lettre parue dans la Strassburger Israelitische Wochenschrift le 2 octobre 1906, le rabbin Armand Bloch d'Obernai raconte qu'en 1903 un incendie détruisit totalement une maison de Rosenwiller. Dans les murs de fondation, on eut la surprise de trouver un grand nombre de fragments de stèles funéraires juives, fragments que le rabbin Bloch fit transporter à l'intérieur du cimetière. L'historien peut regretter que cet acte de piété demeurât incomplet. Les fragments ne furent pas publiés, on ne les fixa pas au mur d'enceinte, et nous ne savons pas ce qu'ils sont devenus.

Neuwiller-les-Saverne. Mur d’enceinte. Un des nombreux graphitis.
Dessin à la plume. Martine Weyl.

3. Un cimetière sans stèles : Neuwiller-les-Saverne

Il existe à Neuwiller-les-Saverne, cas unique en Alsace, un cimetière sans stèles funéraires. Il se trouve dans les fossés de la ville, aux pieds du mur d'enceinte, sur lequel sont gravées de nombreuses inscriptions en caractères hébraïques. Lorsqu'on aperçoit des lettres hébraïques sur les pierres d'une muraille, on songe immédiatement au remploi de stèles funéraires, comme cela se fit si souvent après les grandes persécutions du moyen âge. Il n'en est rien ici. Tout tend à prouver que ces inscriptions ont été tracées sur le mur achevé : il n'y a pas d'inscriptions renversées, elles sont toutes à portée de main, et ont été gravées à l'aide d'instruments de fortune. Certaines sont si peu profondes qu'elles se confondent avec les défauts de la pierre. On trouve toutes sortes d'écritures, généralement l'écriture carrée, quelquefois la cursive. On a l'impression que l'important n'était pas de faire du beau travail, mais de laisser des repères faciles à retrouver. La lecture en est souvent difficile. Tout y contribue : le manque de soin du graveur, le manque de profondeur des lettres, les intempéries, les travaux de consolidation de la muraille, au cours desquels les maçons ont projeté à profusion du mortier sur de nombreuses inscriptions. Ces inscriptions se limitent généralement à un nom : Joseph, Jacob, Moïse, Faïss, Nana, Hana, Israël, noms souvent suivis de l'abréviation zaïn, lamed, pour zikhrono li-vrakha, "que sa mémoire soit bénie". Dans un cas, nous avons trouvé une inscription un peu plus complète :Benjamin Wolf, et sur la pierre immédiatement en dessous, nous avons cru lire : 30 tishri 5432, ce qui correspond à l'année 1671, puis l'eulogie tav nun ̣zade bet he, que nous trouvons actuellement sur toutes les stèles funéraires : "que son âme soit réunie au faisceau des vivants".

Durant la guerre de Trente Ans qui ravagea l'Alsace entre 1618 et 1648, et plus tard durant la guerre de Hollande, entre 1672 et 1679, l'insécurité sur les routes était telle que l'on risquait sa vie à vouloir enterrer ses morts dans un cimetière tant soit peu éloigné. Les Juifs de Neuwiller-les-Saverne sollicitèrent obtinrent l'autorisation d'enterrer leurs morts dans les fossés de la ville. On ne sait pas si, à leurs yeux, il ne s’agissait pas d'une inhumation provisoire. Voilà qui explique la présence de ces repères sur les pierres des murs d'enceinte. Par la suite, l'autorisation d'aménager un cimetière avec des stèles funéraires leur fut accordée, toujours dans les mêmes fossés.

4. Ettendorf

Les plus anciennes stèles funéraires juives encore en place dans un cimetière en Alsace se trouvent à Ettendorf. Elles datent de la fin du 16ème et du début du 17ème siècle. Ce sont de belles dalles rectangulaires, presque carrées, couvertes de bord à bord, sans marge aucune, d'une magnifique écriture profondément entaillée. L'épitaphe est simple comme celle qui nous dit : "Mardochée, fils de Bourg, décédé le jeudi 15 adar, enterré le 16, de l'année cinq mille trois cent soixante treize de la création du monde. Que son âme soit réunie au faisceau des vivants." Rarement l'art funéraire juif a associé tant de simplicité à tant de grandeur. L'état de conservation de ces pierres est remarquable. L'érosion n'a même pas effacé les marques de la scie qui a débité la pierre. Scheid situait les origines du cimetière d'Ettendorf au 15ème siècle. Mais il est beaucoup plus vraisemblable que sa création ne remonte qu'à la deuxième moitié du 16ème siècle. Après les persécutions des 14ème et 15ème siècles, la population juive en Alsace était si réduite qu'on ne comptait, pour le comté de Hanau-Lichtenberg, avec Haguenau, Bouxwiller et Westhoffen, qu'une soixantaine de familles au début du 16ème siècle.

Le cimetière d'Ettendorf est remarquable parce qu'il montre sans discontinuité l'évolution de l'art funéraire juif, depuis la fin du 16ème siècle, jusqu'à l'époque contemporaine. On a tenté d'expliquer les grands espaces vides du sommet de la colline par des destructions, ou par l'affirmation - sans preuves - que les pierres se sont enfoncées dans le sol. Nous croyons plutôt à l'existence de stèles de bois, comme celle que nous avons vue à Hegenheim, ce que l'extrême pauvreté de la population juive d'alors suffirait à expliquer. Les premières stèles en pierre que nous rencontrons ne sont pas sans évoquer, par la simplicité de leurs formes, les planchettes primitives.


 
Ettendorf. Stèle de Mardochée, décédé le 15 adar,
enterré le 16, de l'année 5373
de la création du monde. "Que son âme soit
réunie au faisceau des vivants." (1613).
  Ettendorf. Stèle de l'enfant Nephtali
fils de Eliezer Ha-levi de Hatten (1608)

Dessins à la plume. Martine Weyl.

5. Apparition du Baroque


Ettendorf. Magnifique stèle de style baroque
pour le préposé, Eliézer fils de Jacob. 1647
Dessin à la plume. Robert Weyl.

Saverne. Motif de la coquille. 1686.
Dessin à la plume. Martine Weyl.
Vers le milieu du 17ème siècle, l'art funéraire juif passe sans transition du moyen âge au baroque. En 1647, à Ettendorf, un tailleur de pierres sort d'un seul bloc de pierre une magnifique stèle de style baroque pour le Parnes, le préposé, Eliézer fils de Jacob. Les lettres hébraïques sont en relief. De part et d'autre de l'épitaphe, deux colonnes aux chapiteaux proto-ioniques assez déroutants supportent une immense coquille. La coquille, sans être un motif spécifiquement juif, était largement utilisée par les Juifs à l'époque byzantine (pavement de la synagogue à Bet-Shean). Il est remarquable que le premier motif "moderne" que l'on ait réussi à faire accepter aux Juifs les rattache à leur lointain passé. Ce modernisme ne fut pas unanimement admis. Dix ans après, en 1657, la famille de Samuel fils de Josué le Cohen choisit une stèle dans les anciennes traditions, proche des stèles du moyen âge. Mais, peu à peu, le baroque finit par s'imposer, et bien au-delà d'Ettendorf. Le motif de la coquille se retrouve à Jungholz, à Mackenheim, à Saverne, à peu près à la même époque. Puis les sculpteurs s'enhardissent. Ils proposent des motifs nouveaux et parviennent à les faire accepter. Le style rocaille triomphera, mais nulle part autant qu'à Sélestat et à Mackenheim.

Stèle "en chapeau de gendarme".
Haguenau 1747. Dessin Martine Weyl.

6. Résistance au Baroque

Il y eut également des îlots de résistance au baroque, où l'on préféra la sobriété des lignes à l'exubérance. Ce fut le cas à Haguenau et peut-être aussi à Rosenwiller, mais, là, nous ne possédons aucune certitude. Comme nous l'avons remarqué plus haut, le cimetière de Rosenwiller eut terriblement à souffrir durant la Terreur, et beaucoup de stèles furent remployées par les paysans du village pour la construction de leurs maisons. Peu de stèles d'avant la période révolutionnaire subsistent. A Haguenau, dès le milieu du 18ème siècle, on adopta une forme de stèle dépouillée, couronnée par un chapeau de gendarme. C'est cette forme qui, avec quelques variantes, est caractéristique du cimetière de Rosenwiller.

7. Le Néo-classicisme

L'époque révolutionnaire mit fin au baroque. On revint à des formes plus sévères, ce qui ne devait pas faire l'affaire des sculpteurs. Le moyen âge avait connu des tailleurs de pierre et des sculpteurs juifs. Mais après la révolution sociale du 14ème siècle, ils furent éliminés de la profession, comme de tant d'autres. Cependant il faut reconnaître que les sculpteurs alsaciens auxquels les Juifs durent avoir recours mirent toute leur conscience et leur amour du métier au service de leur clientèle
juive. C'est par la recherche du décor que les sculpteurs essayèrent d'atténuer la rigueur des formes.

8. Mains des Kohanim - aiguières des Lévites

Les stèles funéraires juives du moyen âge ne comportaient pratiquement pas d'éléments ornementaux. Les stèles des Kohanim, descendants d'Aron et celles des "lévites" ne se distinguaient en rien de celles des autres. C'est au 17ème siècle que nous voyons apparaître les mains élevées en un geste de bénédiction sur les stèles des Kohanim et l'aiguière sur celles des "lévites". Ces symboles évoquent la bénédiction des Kohanim : "L'Eternel parla à Moïse et dit : Parle à Aron et à ses fils et dis-leur : Voici comment vous bénirez les enfants d'Israël..." (Nombres 6: 22-23). Encore aujourd'hui, dans de nombreuses communautés, la bénédiction des Kohanim termine l'office des jours de fête. Avant d'aller bénir l'assemblée, les Kohanim se font verser sur les mains l'eau purificatrice. Ce sont les "lévites" qui sont chargés de ce service. Voici pourquoi les mains placées dans le geste rituel de bénédiction définissent le Kohen, et l'aiguière le "lévite". La plus ancienne stèle à aiguière qui nous soit connue se trouve à Ettendorf. C'est celle de l'enfant Naftali bar Eliézer ha-Lévi. Mais l'usage n'était pas encore entré dans les mœurs. La stèle d'Aron fils d'Eli ha-Kohen, de 1639, ne comporte aucun ornement. En parcourant les nombreux cimetières d'Alsace, il nous a paru intéressant de voir comment nos sculpteurs alsaciens concevaient le vase à ablutions lévitique, selon le lieu et l'époque. Le résultat est souvent surprenant :

    Aiguières Lévitiques : 1. Ettendorf 1614 - 2. Haguenau 1747- 3. Ettendorf 18 e siècle
    4. Weitersweiller 18 e siècle - 5. Riedisheim 1800 6. Hegenheim 1831 - 7. Rosenwiller 1820 8. Rosenwiller 1819 - 9. Haguenau 1790 - 10. Bischheim 1816
    11. Gundershofen 1852 - 12. Haguenau 1799 - 13. Bischheim 1820.
    Dessin à la plume. Martine Weyl.
  1. Ettendorf, 1614, aquamanile.
  2. Haguenau, 1747, chope à bière.
  3. Ettendorf, 18ème siècle, aquamanile
  4. Weiterswiller, 18ème siècle, aquamanile.
  5. Riedisheim, 1800, aquamanile.
  6. Hegenheim, 1831, aiguière moresque
  7. Rosenwiller, 1820, pot à lait.
  8. Rosenwiller, 1819, pichet à vin.
  9. Haguenau, 1790, chope à bière
  10. Bischheim, 1816, cafetière.
  11. Gundershoffen, 1852, pichet à vin
  12. Haguenau, 1799, aquamanile.
  13. Bischheim, 1820, broc de toilette

9. Décor géométrique et motifs solaires

Il est indispensable de rajouter à cette étude des planches reprenant les motifs si particuliers que l’on trouve à Rosenwiller : les savastika, les roues dentées et les images solaires, qui ont fait l’objet d’un article publié par Robert Weyl en 1991 dans les Cahiers Alsaciens d’Art et d’Histoire :
Les images solaires du cimetière juif de Rosenwiller.
Le soleil gravé dans la pierre représente la lumière du monde futur, lumière promise aux Justes, accompagnée par la guérison, le rétablissement dans leur intégrité physique et mentale. Depuis qu’il est sur terre, l’homme voit chaque matin le soleil se lever à l’horizon, parcourir le ciel pour se coucher le soir, immuablement depuis des millénaires, lui donnant le concept de l’éternité et l’espoir en la résurrection.
Seul le cimetière de Rosenwiller offre en abondance ces svastikas courbes et ces roues dentées, absentes à Ettendorf, à Sélestat, à Jungholtz.

 
Motifs solaires à Rosenwiller :1. Stèle du rabbin Anchel Schopflich ha-Lévy 1773 - 2. Svastika et shofar 1809
3. Image solaire 1859 - 4. Image solaire 1826 - 5. Image solaire 1864
Dessins à la plume. Martine Weyl.
Motifs décoratifs géométriques relevés sur des stèles funéraires du début du 19ème siècle.
On remarquera, en 9, la svastika courbe, dont il existe de nombreux exemplaires à Rosenwiller.

10. Noms des familles

Les noms des familles sont aussi prétextes à illustration. Les Hirsch font sculpter un cerf, les Sichel une faucille. Il n'est pas coutume, en Alsace, de faire figurer le signe du zodiaque, comme cela se fit ailleurs. Mais l'activité religieuse du défunt au service de la communauté donne lieu à illustration. Le mohel, "circonciseur", verra sa tombe marquée par un couteau et par un flacon de poudre astringente ; sur la stèle d'un chantre on sculptera la coupe de vin du qidush ; le sonneur de shofar sera accompagné dans l'éternité par la corne de bélier, l'instituteur par un livre.

Les noms de famille inspirent les sculpteurs:
1.et 3. Hirsch (cerf)
2. et 5. Sichel (faucille et croissant)
4. Stieffel (botte)
6. Fisch ou Fischer (poisson)
Dessin à la plume. Martine Weyl.
1. Couteau et flacon de poudre astringente, rappelant l'activité
du Mohel (circonciseur).
2. Coupe du Qiddush (sanctification) sur une stèle de Baal Tefilla, (chantre)
3. Les symboles du Mohel, associés à la corne de bélier (shofar).
Le défunt sonnait le shofar lors des fêtes du Nouvel An.
4. Couteaux du shoheth ou sacrificateur.
5. Livre de l'enseignant.
Motifs romantiques relevés à Bischheim. Premier tiers
du 19ème siècle. - 1. 2. 3. fleurs
4. urne funéraire ayant pris l'aspect familier de la soupière alsacienne
5. la fleur brisée - 6. bougie brisée sur un bougeoir alsacien.
Dessins à la plume. Martine Weyl.

Les sculpteurs alsaciens imposent de plus en plus leurs motifs. Ainsi, à Ettendorf, la grappe de raisin. Peut-on la considérer comme un motif juif ? Isaïe n'a-t-il pas dit : "la maison d'Israël est la vigne du Seigneur", car, dit le commentateur, comme la vigne, elle a besoin d'être sarclée, arrosée, taillée, buttée.
Pourtant, nous ne pensons pas que la grappe de raisin soit ici d'inspiration juive, pas plus que le cœur qui orne certaines stèles à Ettendorf. Les ornemanistes juifs ont toujours soigneusement évité de représenter le cœur, entré dans la symbolique catholique. Le cœur est devenu l'un des motifs favoris de l'art populaire alsacien. Parmi les motifs non-juifs, nous trouvons également des sabliers ailés, des fleurs, à Ettendorf ; une urne funéraire aux apparences de soupière alsacienne, une bougie brisée, des fleurs, à Bischheim.

11. Stèles de femmes

Motif de lampe sabbatique sur une stèle.
Dessin à la plume. Martine Weyl.
Il n'existe pas à proprement parler de décor ou de symbole particulier pour une stèle de femme Seule la lecture de l'épitaphe nous dira si un homme ou une femme repose sous la pierre. A deux exceptions près, l'une à Haguenau, l'autre à Saverne. Le sculpteur a représenté très schématiquement une lampe à six becs, la Schabbeslamp ou "lampe sabbatique". L'obligation d'allumer les lumières sabbatiques incombe essentiellement à la femme. Les chants de mariages judéo-alsaciens ne manquent jamais de le lui rappeler. A Hegenheim, la stèle d'une dame Faïgele est ornée d'un oiseau. L'explication est simple : Faïgele, à l'origine Faïele, trouve son origine dans le mot germanique "Veilchen", la violette. Le prénom fut souvent transformé en Faïgele qui, par sa consonance évoque le mot allemand "Vögelchen", diminutif de "Vogel", oiseau.

12. Les "Anciens" et les "Modernes"

Les stèles, toutes taillées dans le même grès, gris ou rose, avaient une apparence identique. Ceci conférait au cimetière une grande harmonie et incitait au recueillement et à la méditation. Les vieux cimetières s'intègrent parfaitement à leur cadre naturel et ne le déparent pas. J'ai rencontré à Rosenwiller un vieux curé qui y lisait son bréviaire et un peintre qui y avait planté son chevalet. Cette harmonie, il faut le dire, fut brisée lorsqu'on substitua à l'humble grès des Vosges, qui fut déjà un luxe pour nos ancêtres, les marbres et les granits. Elle disparut aussi dans la disparité des formes, lorsqu'on fit voisiner dalles couchées et obélisques. L'anarchie s'empara de nos cimetières lorsque chacun fut libre d'imposer son goût et de recopier ce qu'il voyait dans les cimetières des autres cultes.

 

Jungholz. Stèle pour un ministre officiant. 1923.
Le ministre officiant était chargé de la lecture publique
de la Torah. C'est pourquoi le sculpteur a représenté
les rouleaux de la Torah, ouverts sur le pupitre de
lecture; on remarquera, à droite, le yad ou main de lecture.
Dessin à la plume Martine Weyl.
Ce croquis, pris dans un de nos cimetières alsaciens,
montre les outrances d'un art funéraire juif du début du 20ème siècle.
Stèle double. Le mari et la femme sont représentés en buste.
Croquis à la plume. Robert Weyl.

Nous avons parcouru l'Alsace à la recherche de nos vieux cimetières juifs. Il est à peu près certain qu'entre le XVe et le 17ème siècle, il fut interdit aux Juifs d'élever des stèles de pierre, et qu'une modeste stèle de bois marquait la tombe. Hegenheim conserve une de ces stèles. Les fossés et les murailles de la ville fortifiée de Neuwiller-les-Saverne constituent un cas unique en Alsace de cimetière sans stèles, et rappellent la guerre de Trente Ans et ses misères. Ettendorf est un exemple parfait de cimetière alsacien montrant, dans sa continuité, l'évolution de l'art funéraire juif, depuis la fin du 16ème siècle jusqu'à nos jours. Certaines de ces stèles sont remarquables par leurs inscriptions, ainsi celle de l'enfant Naftali ben Eliézer ha-Levi de Hatten. Le charme de Rosenwiller est bien connu, malheureusement les destructions de la période révolutionnaire nous privent de la plupart des stèles antérieures à cette période. Sélestat et Mackenheim ont vu triompher l'art baroque, Rosenwiller et Haguenau le classique, avec cette forme si originale en chapeau de gendarme. Mais tous les autres cimetières aussi sont intéressants à des titres divers. Nous avons vu les motifs décoratifs, d'inspiration juive ou non-juive, et la part non négligeable prise par les sculpteurs alsaciens dans l'évolution de l'art funéraire juif.

Il convient de souligner l'impression de sérénité qui ne peut manquer de frapper les rares visiteurs de ces cimetières aujourd'hui envahis par les herbes folles, les oiseaux et les animaux de la forêt. Ils témoignent de la volonté opiniâtre des Juifs d'Alsace de s'enraciner dans ce paysage, de l'apprivoiser, sans jamais oublier le souvenir magnifié de la Terre Promise, on le verra par la suite.


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