Les stèles funéraires juives d'Alsace
par Robert WEYL
Extrait de l'ouvrage Le cimetière juif de Rosenwiller, Editions Salde, Strasbourg 1988

 

Approche géologique

Tombes au cimetière de Rosenwiller - © M. Rothé

La roche généralement utilisée est le grès. On trouve en Alsace deux sortes de grès, d'aspect et d'origine fort différents. Ce sont le grès à meule dit aussi grès à Voltzia et le grès des Vosges. Le grès à meule est un grès à grain très fin. L'Alsace aux temps géologiques était un pays en bordure de mer sillonné de rivières, couvert de vasières. Le sable, très fin fut aggloméré par compression et cimenté par un liant, l'argile, phénomène auquel s'ajoutent des dissolutions suivies de recristallisations, pour donner le grès à meule. Ce grès, du fait de sa finesse, est facile à travailler, mais en raison de sa haute teneur en argile, possède un fort pouvoir de rétention d'eau. Cette eau gèle en hiver, et au moment du dégel, la roche éclate et s'exfolie. Ce phénomène s'observe encore davantage dans les parties de la pierre proches du sol. Or il se trouve que sur de nombreuses inscriptions à Rosenwiller le nom du défunt et la date du décès se trouvent dans les toutes dernières lignes qui sont ainsi irrémédiablement perdues.

A Ettendorf on trouve une majorité de stèles en grès des Vosges, qui possède un grain bien plus grossier que le grès à meule, puisque les grains de quartz qui le constituent ont généralement 1 à 2 millimètres de diamètre. Il est pauvre en argile, retient peu l'humidité ce qui le rend moins sensible au gel. Géologiquement son origine est différente, puisqu'il provient de la désagrégation de roches quartziques, granitiques et de gneiss, agglomérées à nouveau par l'alternance de périodes humides en climat chaud. Il subit en revanche une altération, que l'on n'observe pas sur le grès à meule. L'anhydride sulfureux S02, dit aussi dioxyde de soufre, contenu dans l'atmosphère, se combine avec les sels calcaires solubles pour former du sulfate de calcium ou gypse, donnant à la pierre une patine, c'est-à-dire un encroûtement superficiel, qui, lorsqu'il devient important, gène considérablement la lecture des épitaphes. Cet encroûtement est intimement lié à la pierre et ne peut être éloigné. Alors qu'à Rosenwiller, c'est par la base, au contact avec le sol que commence le phénomène de destruction, on assiste à Ettendorf au phénomène inverse : c'est le haut de la pierre qui est le plus touché. Ceci est d'autant plus fâcheux qu'à Rosenwiller la date et le nom du défunt se trouvent dans les toutes dernières lignes de l'épitaphe, à Ettendorf, le nom et la date se trouvent souvent dans le bandeau supérieur faisant encadrement.

Stèle et épitaphe

La stèle fut à l'origine une simple pierre, blanchie à la chaux, signalant qu'en ce lieu se trouvait une tombe, et que les prêtres devaient s'en écarter de peur de se rendre impurs. La Torah de Moïse s'oppose au culte des morts pratiqué en Orient, et si le peuple fut tenu dans l'ignorance du lieu de sépulture de Moïse, c'est pour éviter qu'il ne devienne un lieu de culte. Par la suite, la stèle fut pourvue d'une inscription permettant d'identifier le mort. Encore au Moyen Age, cette inscription fut d'une grande simplicité. Les stèles de Nancy du 14ème siècle portent simplement le nom du défunt, "untel fils de unte"l, et une eulogie très simplifiée. Les stèles de Strasbourg des 13ème et 14ème siècles sont plus complètes, car en plus du nom du défunt, accompagné souvent d'un qualificatif, le jeune, le vieillard, le pieux, la femme estimée, un prince de la Torah, nous trouvons la date du décès et une eulogie plus développée, dans laquelle nous trouvons déjà tous les éléments de l'eulogie qui finira par s'imposer au cours des siècles, visiblement inspirée par I Samuel 25:29 et dont la rédaction la plus complète est ainsi formulée : "Tehi nafsho zerura bizror ha-'hayim im shear zadikim ve-zadqaniot she-began Eden". "Que son âme soit réunie au faisceau des vivants, avec tous les justes, hommes et femmes, qui se trouvent dans le jardin de l'Eden". Ainsi se trouve affirmée la croyance : lorsque l'être humain aura perdu son apparence périssable, son esprit immortel recevra sa récompense. Cette rétribution répond à une exigence de justice de l'être humain qui ne comprendrait pas "la prospérité du méchant et l'affliction du juste" sur terre (Abot, 4:19).

Les ouvrages traitant de l'au-delà, de la survivance de l'âme et de la résurrection à la fin des temps dans un style apocalyptique ont toujours exercé une puissante fascination sur les esprits, surtout en période de persécutions, et les rabbins ont eu beaucoup de peine à détourner les communautés d'écouter les "scrutateurs de la fin". Ainsi beaucoup d'ouvrages apocryphes ou pseudoépigraphiques, nés à l'époque préchrétienne ou talmudique, ont été rejetés du canon. Le judaïsme se contente d'affirmer sa croyance en une survie de l'âme, à une rétribution après la mort, à une résurrection à la fin des temps (Maïmonide en a fait son treizième article de foi), sans pour autant se demander comment tout cela se réalisera. Si toutes les stèles de Rosenwiller proclament l'immortalité de l'âme et le vœu de voir le défunt réuni au faisceau des vivants réunis au jardin d'Eden, une seule stèle porte le souhait de voir le défunt ressuscité à la fin des temps, celle de Cerf Berr de Medelsheim. Nous lisons :" veya'amod le-goralo le-qez ha-yamim", "puisse-t-il se lever pour recevoir sa part à la fin des temps" (Daniel, 12:13). Cette formule est exceptionnelle, mais non pas unique. On la retrouve à Jungholz (Rabbin Abraham Bloch, Sultz, 1831), à Trèves (Rabbin Abraham Moyse fils de Heschel Levov, 1788, rabbin Mordekhaï ha-Levy Pastelburg, 1804, dans la lignée de Karl Marx).

La simplicité médiévale évolua dès le 16ème siècle vers un discours exprimant, tantôt le désespoir de la famille, voire de la communauté, tantôt les mérites du défunt. Aussi peut-on affirmer qu'il n'existait aucune contrainte pour celui qui était chargé de la rédaction de l'épitaphe, rabbin, instituteur ou proche parent. Il écrivait selon son cœur, son inspiration et ses connaissances. Parmi les épitaphes du premier type : "Si notre cœur est meurtri, si nos yeux sont embués, c'est qu'elle est tombée de notre tête, la couronne, par la mort de notre mère" (Ettendorf, 1625). "Les pleurs coulent de nos paupières, les larmes s'échappent de nos yeux, car la mort s'est montrée à notre fenêtre, a enlevé les délices de notre œil, malheur, oh malheur ! Elle est brisée l'arche de l'Eternel" (Haguenau, rabbin Anschel Schopflich, 1846). "Ah, lundi 16 Sivan, comment t'oublier, car ce jour est tombée la couronne de fleurs de notre tête. Pasteur fidèle, il fut notre Père, notre Maître. Une lumière à ses pieds, ô Eternel, Ta Torah, une source d'eau vive, où puisait sa langue, un ruisseau du Paradis, où il abreuva son troupeau" (Haguenau, rabbin Aron Lazarus, Schirrhofen, 1854). "Elle est brisée, la force d'Israël… et c'est parmi les Saints que se trouve la gloire de Ari Juda" (Rosenwiller, rabbin Lion Loeb Elsass, 1784).

Mais généralement la simplicité et la mesure sont les caractères essentiels de l'épitaphe. Et c'est avec une simplicité qui n'exclut pas la grandeur que le grand rabbin David Sintzheim composa l'épitaphe qu'il destinait à son père, et c'est une inscription encore plus dépouillée que le rabbin Juda Nathan inséra dans ses dispositions testamentaires.

A travers la grande variété d'épitaphes destinées à des hommes, on devine les trois grandes lignes directrices de la vie juive, Torah, Avoda, Gemilut 'Hesed. La Torah, non seulement l'étude de la loi et de la littérature talmudique et rabbinique qui la commente, mais aussi son application dans la vie quotidienne. Avoda, le culte aussi bien synagogal que domestique. Enfin Gemilut 'hesed, les œuvres charitables, ou pour mieux dire, l'amour du prochain, principalement du plus faible, du plus misérable, du plus démuni, du plus malheureux, de la fille que sa pauvreté éloigne du mariage, du malade, du mort. La famille fait graver dans la pierre que le défunt a consacré beaucoup de son temps à l'étude de la Torah, et beaucoup de son argent pour que d'autres puissent le faire, qu'il fréquenta assidûment la synagogue matin et soir, et qu'il eut un cœur généreux à l'égard de son prochain. On dit de lui qu'il fut intègre et juste, "osaq masa ve-matan be-emuna", qu'il fut d'une intégrité parfaite dans ses affaires, que "ve-lo devar daltonim col yomov", "qu'il n'y eut jamais un mot de médisance dans sa bouche tous les jours de sa vie".

Au cours du 19ème siècle, on assiste à un recul certain de l'étude de la Torah, mais on fréquente toujours assidûment la synagogue. Puis, on semble négliger le service biquotidien à la synagogue, mais les œuvres charitables sont toujours pratiquées.

D'une femme on dira qu'elle est "eshet 'hayil", "une femme vaillante" avec tout ce que ce terme renferme de louanges, puisées dans le Livre des Proverbes, 31:10 à 31. Dire d'une femme qu'elle est une "eshet 'hayil", c'est proclamer sa perfection.
On la compare à Esther, à Abigaïl (1 Samuel 25) à Debora (Juges 4). On ne manque pas de souligner sa générosité, le temps passé à nourrir et à entretenir ceux qui étudiaient la Torah ainsi que les indigents, et l'on rappelle qu'elle accueillait les nécessiteux avec un visage souriant et des paroles aimables, comme le veut la morale talmudique (Talm. Bab. Sukka 49 b) qui fait remarquer que les paroles accompagnant chaque don peuvent être plus précieuses que le don lui-même.
On fait observer la minutie avec laquelle elle accomplissait les obligations dévolues aux femmes, la 'Halla, la Nidda et la Hadlaqa. La 'Halla, le prélèvement rituel d'une portion de la pâte avant l'enfournement du pain, geste sacrificiel rappelant les offrandes au Temple. La Nidda, l'éloignement de son mari pendant la menstruation, période s'achevant par l'immersion totale dans le bain rituel. Enfin, la Hadlaqa, l'allumage des lumières avant l'entrée du Shabath, cet allumage étant réservé à la femme, car la femme, dit le Midrash, en incitant Adam, le premier homme, à manger du fruit défendu, a obscurci la lumière du monde. C'est pourquoi la femme est chargée d'allumer la lumière sabbatique.
On lit qu'une femme est aqereth ha-bayit, ce qui signifie littéralement la (femme) stérile de la maison et ne manque pas de surprendre. En fait, l'expression est une allusion au Psaume 113, verset 9 : "Moshivi aqeret ha-bayit em ha-banim seme'ha", "la (femme) stérile (jadis) se réjouit de se voir dans sa maison entourée de nombreux fils" Aussi traduit-on toujours aqeret ha-bayit par mère de famille.
Certaines femmes allaient au-delà des obligations imposées à la femme juive et se rendaient matin et soir prier à la synagogue. Telle était Edel, l'épouse du rabbin Simon Horchheim. Ou bien elles jouaient un rôle important dans la communauté, rôle dont nous ne pouvons que deviner l'importance en lisant que Fratel, l'épouse d'Isaac Netter de Rosheim était, par son sang et sa chair, un bouclier pour sa génération. Il ne faut pas oublier qu'à cette époque nombreux étaient ceux qui savaient lire et comprendre une épitaphe, de sorte que son rédacteur se sentait tenu à une certaine mesure.
Peut-on trouver plus de sincérité, plus de vérité que dans cette épitaphe destinée à une jeune fille qui ne fut probablement pas très belle : "Sheqer ha-hen ve 'hevel ha-yofi. Isha yirat hashem hi tishalol"."La grâce est trompeuse et la beauté s'évanouit. Mais la femme qui craint l'Eternel, elle est digne de louange" (Prov. 31:.31) ; comme la jeune fille qui repose ici. Les exégètes pensent que le chapitre 31 du Livre des Proverbes depuis le verset 10 jusqu'à la fin est un éloge funèbre prononcé sur la tombe d'une femme qui vécut en réalité, femme aux nombreuses vertus à l'exception de la beauté.

Les tombes d'enfants sont généralement réunies et placées à l'écart. Elles sont marquées d'une petite stèle et l'épitaphe généralement réduite au nom et à la date de décès. Mais les parents ne peuvent parfois pas s'empêcher de marquer leur tendresse à l'égard de l'enfant si tôt disparu," yeled she'ashu'im ne'hemed ve-na'im", "l'enfant préféré, agréable et beau", "ve-eneno ki loqa'h oto eloqim", "qui n'est plus car l'Eternel l'a repris".

L'ornementation des stèles

Le visiteur non hébraïsant est attiré par les motifs sculptés dans le haut des stèles, et s'interroge sur leur signification. Le motif le plus répandu a la forme d'un vase destiné à contenir des liquides, cruche, aiguière, broc, chope avec ou sans couvercle, pot à lait, etc… Dans sa diversité, fruit de l'imagination du sculpteur, ce vase représente l'aiguière dont les Lévites se servent pour verser de l'eau sur les mains des prêtres, les Kohanim, quelques instants avant que ceux-ci, tournés vers les fidèles, le visage caché par le tallith, le châle de prière, les bras tendus, les doigts écartés d'une manière rituelle, bénissent le peuple de leur triple bénédiction (Nombres 6:22 -26). La présence d'un vase, quelle que soit sa forme, sur une stèle signifie que le défunt appartenait à la tribu de Lévi à qui un certain nombre de fùonctions avaient été réservées à l'époque du Temple. Le Temple est détruit, et les fonctions des Lévites ne sont plus ce qu'elles étaient, mais le privilège de laver les mains des Kohanim leur a été conservé dans les synagogues de stricte observance et il est rappelé sur leurs stèles funéraires. Comme les mains réunies par les pouces, aux doigts écartés d'une manière si particulière, rappellent la bénédiction des k.

Tombes au cimetière de Haguenau
   


L'usage de marquer les stèles des prêtres et des lévites est relativement récent. Inconnu au moyen âge, il a fait son apparition au 16ème siècle. Nous le rencontrons pour la première fois en Alsace à Ettendorf, en 1608. Ainsi, il existe dans nos cimetières une imagerie spécifiquement juive, mais aussi une imagerie non spécifique. Dans la première catégorie nous placerons les mains des Kohanim, les cruches des Lévites, le Shofar, cette corne de bélier que l'on sonne au Nouvel An et durant les jours redoutables, qui orne la stèle de celui que ses coreligionnaires avaient chargé de cette mission. Il y a aussi le petit couteau et le flacon de poudre astringente, instruments de travail du Mohel, du circonciseur. Quant à la lampe de Shabath, elle marque la tombe de la femme pieuse qui, sa vie durant, fut la gardienne fidèle de la pureté et de la religiosité de son foyer. Au 19ème siècle en Alsace, de nombreux symboles se sont ajoutés à cette symbolique purement juive, mais Rosenwiller en fut relativement épargné. En revanche, on rencontre à Rosenwiller des motifs décoratifs, inconnus partout ailleurs. I1 s'agit de symboles solaires sous des formes diverses, svastika courbe, roue dentée ou non dentée, et même l'image du soleil, humanisé avec des yeux, une bouche, un nez.

Que faut-il penser de cette imagerie étrange qui appartient davantage à l'art populaire alsacien, et même à l'art populaire tout court, qu'à la tradition juive ? On a tenté de rattacher ces motifs à une tradition juive très ancienne, en citant par exemple les motifs géométriques trouvés sur les ossuaires d'époque hérodienne, ainsi que le char solaire ornant le sol en mosaïque des synagogues de Beth Alpha et de Tibériade. Le char solaire de ces synagogues appartient à une période de plus grande tolérance en matière artistique remontant au 6ème siècle. Plus tard ces images furent frappées d'interdit. Si aujourd'hui encore, avant de se prosterner sur le sol le jour de Kippur, les Juifs recouvrent d'un tissu le dallage de pierre de la synagogue, il s'agit d'une survivance de l'époque où leurs regards pouvaient être attirés par ces représentations humaines ou animales, au moment même où leur dévotion devait être dirigée vers le Dieu invisible et vers Lui seul. Il n'existe aucune recommandation semblable lorsque le sol est un plancher de bois.

Toujours est-il que ces images étranges, svastikas, soleils, roues n'avaient pour nos ancêtres pas la moindre signification. Le tailleur de pierre chrétien, spécialisé en écriture hébraïque, assurait ses clients qu'il mettrait tout son art à leur service, et qu'il ajouterait même un beau motif décoratif pour faire joli. Nos ancêtres étaient fort satisfaits. Quant au rabbin, s'il avait conçu même l'ombre d'un soupçon quant à la signification de ces motifs, il les aurait fait effacer de quelques coups de ciseau.

Les Roshe Tevot

L'épigraphiste se heurte souvent à la fâcheuse habitude des scribes de se servir de Roshe Tevot, d'initiales. Par souci d'économiser la place, le scribe aura recours aux abréviations. Il prendra la première lettre, ou les deux premières lettres de chaque mot, les coiffera d'un signe d'abréviation, point, accent circonflexe renversé, ligne ondulée, et les alignera simplement, se fiant à la sagacité du lecteur pour retrouver, pour reconstituer la phrase. Si le scribe se limite à un certain nombre de mots usuels, le lecteur un peu entraîné n'éprouvera aucune difficulté. Mais à l'égard d'un scribe qui aura pris fantaisie de traiter ainsi quelque verset biblique, en le modifiant éventuellement, l'épigraphiste se trouve désarmé. Un excellent exemple nous est fourni par la stèle de Hirsch David de Rosheim (1725-1797), stèle n° 23. Pour les abréviations les plus courantes, nous donnons ci-dessous une liste de quelques unes relevées à Rosenwiller.



Le calendrier juif

La date inscrite sur la stèle est calculée selon le calendrier juif. Il est important de savoir la lire et de trouver son équivalent selon le calendrier civil.

Le calendrier juif actuellement en usage fut institué au quatrième siècle, exactement en l'année 344. Il fut à ce moment déclaré que l'an un de la Création du monde débuterait le lundi 7 octobre 3760 années avant l'ère chrétienne. Pour avoir l'équivalence d'une année juive avec le calendrier civil il suffit de soustraire 3760 à l'année juive (ou 3761 puisque l'année juive est à cheval sur deux années civiles).

Il est bon de signaler que les Juifs omettent généralement d'écrire le millénaire. L'année civile 1987 correspond à l'année juive 5747, que l'on écrira 747 selon le petit comput. Il faudra tenir compte de ceci lors de la conversion.

Le jour, selon le calendrier juif, commence et finit à la tombée de la nuit, et non pas à minuit comme sur le calendrier civil. Ceci explique le décalage que l'on peut constater.

Le mois juif est lunaire, le premier jour du mois correspond à la renaissance de la lune. Ce jour est dit Néoménie ou Rosh 'Hodesh. L'année juive comprend 12 mois : Tishri, Mar'heshvan, Kislev, Tebet, Shevat, Adar, Nissan, Iyar, Sivan, Tammuz, Av, Elul. Les fêtes religieuses sont saisonnières selon la Tora, donc liées au cycle solaire. "Prends garde au mois de la germination pour célébrer la Pâque" (Deut. 16:1). "Souccot est la fête de l'automne au déclin de l'année lorsque tu rentreras ta récolte des champs" (Ex. 23:6).

Pour que les fêtes tombent en leur saison, il fallut mettre en accord une année de 12 mois lunaires de 29 ou 30 jours avec le cycle solaire en intercalant un 13e mois tous les deux ou trois ans. Cette année comprendra deux mois d'Adar, Adar Rishon, Adar I et Adar Sheni, Adar II.

Le texte biblique ne comprend pas de chiffres, les nombres sont écrits en toutes lettres. A l'époque rabbinique on adopta le système alphabétique. A chaque lettre correspond un chiffre. 1 = alef, 2 = bet, 3 = gimel, 4 = dalet et ceci jusqu'à 10 = yud. Et l'on continuera 20 = kaf, 30 = lamed, 40 = mem et ceci jusqu'à 100 = quf, 200 = resh, 300 = shin, 400 = tav. L'alphabet étant ainsi épuisé, on procédera par addition. Yud alef = 11, caf hé = 25, mem vav = 46, ayin gimel = 73. Il en sera de même pour les grands nombres. 747 s'écrira 400 + 300 + 40 + 7 soit tav shin mem zaïn. Pour les millénaires on se servira des premières lettres de l'alphabet que l'on coiffera d'un double point. Rappelons que l'on indique rarement le millénaire.

Par scrupule religieux on n'écrira pas les chiffres 15 et 16 selon la règle générale yud hé et yud vav, qui risquent de rappeler le nom de l'Eternel. On écrira 15 = 9 + 6 = tet vav, et 16 = 9 + 7 = tet zaïn.

Certains rédacteurs d'épitaphes ont eu la coquetterie de dissimuler la date dans un verset dans lequel l'addition de certaines lettres signalées par un signe particulier ou gravées dans un format supérieur donnent la date. On en verra un exemple sur la stèle de la Dame Esther épouse du rabbin David Sintzheim.

Lorsque l'on aura réussi à lire correctement la date selon le calendrier juif on aura simplement recours aux tableaux d'équivalences. Il en existe d'excellents, notamment ceux établis par l'astronome Edouard Mahler dont il existe une édition récente : "Handbuch der Jüdischen Chronologie" Hildesheim, 1967.

Un Midrash en guise de conclusion

Arrivé au terme de cette étude, je voudrais souligner la richesse de l'épigraphie funéraire juive qui tient pour beaucoup au soin accordé à la rédaction de ce raccourci d'oraison funèbre. On n'écrivait pas n'importe quoi sur n'importe qui, et je vais en faire la démonstration à la manière juive, à l'aide d'un Midrash. Un Midrash est un récit tout d'imagination mais chargé d'un contenu spirituel et moral.

Il y avait une fois un homme, ni vraiment bon, ni franchement mauvais, un peu comme la plupart d'entre nous. Cet homme avait un fils qui avait pour son père la plus grande admiration, car chaque samedi, il s'isolait dans un coin de la chambre, il lisait la Sidra, la section hebdomadaire de la Torah, il lisait la Haftara, la lecture prophétique, il regardait les traductions. Lorsqu'il mourut, son fils en conçut un immense chagrin, et pour lui faire honneur, il donna l'ordre de graver sur sa stèle funéraire "Morenu ve-rabbenu ha-rav", notre maître le rabbin, un titre auquel il n'avait aucun droit, mais que dans son affection filiale, il pensait pouvoir donner à son père. Peu de temps après, le père apparut au fils dans un songe, et il lui dit :
"Qu'as-tu fait, mon fils, qu'as-tu fait ? Je me trouvais devant le tribunal d'en haut, et devant moi il y avait une balance. Sur un des plateaux on avait entassé mes péchés, et sur l'autre mes bonnes actions, et les deux plateaux étaient en équilibre. Et, tout à coup, on vint encore apporter quelques péchés oubliés, et le plateau des péchés s'enfonça. Alors l'ange chargé de me défendre se leva et dit : "Ces péchés-là, il les a commis par ignorance. C'est un homme simple, un ignorant, il ne savait pas, il faut lui pardonner". Alors le Satan, l'adversaire, se leva à son tour et ricana méchamment : "Qu'est-ce que j'entends ? Un homme simple, un ignorant, regardez donc ce qu'il a gravé dans la pierre " Morenu ve-rabbenu ha-rav ", notre Maître le rabbin. Cet homme savait fort bien ce qu'il faisait". Et on l'écouta et le jardin d'Eden me fut fermé".
A ce moment le fils se réveilla fort troublé. A la première heure, il se précipita chez le tailleur de pierres et le supplia de l'accompagner au cimetière. Là, il l'obligea à enlever au ciseau ce Morenu qui avait confondu son père.

Le Midrash s'arrête ici, car le père n'apparut plus jamais à son fils. Sans doute les portes du jardin d'Eden lui avaient été ouvertes.


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