Mauschélé Zellwiller
par Ernest GINSBURGER
Extrait de la Tribune Juive 1935 - traduit par Alain Kahn


Nombre de nos coreligionnaires se souviennent encore  de cette petite silhouette avec son sac sur le dos, qui d’une année à l’autre sillonnait la Haute et la Basse-Alsace et qui, plusieurs fois par an, se présentait chez nos coreligionnaires pour prendre un rendez-vous pour de l’aumône. Il s’agit de Mauschele-Zellwiller. Son vrai nom était Moïse Baer, né le 27 janvier 1815 à Zellwiller, une commune près de Barr, où autrefois vivaient de 30 à 35 familles juives. La communauté juive n’existe plus aujourd’hui. Il y a quinze ans vivaient encore là-bas trois familles qui, depuis l’armistice, se sont établies à Barr et à Obernai. Il y a quelques années, la synagogue a été vendue par le Consistoire Israélite et a été transformée en maison pour une association catholique.

Mauschele-Zellwiller était une personnalité connue mais aussi singulière. Il a passé toute sa vie à mendier. Personne ne lui refusait la charité dès lors qu’il frappait à la porte d’une maison juive. Le sac, qu’il portait avec lui, lui servait emballer les habits qui lui avaient été offerts. Il les faisait remettre en état par sa sœur célibataire qui tenait  à Zellwiller une petite épicerie. Après de nombreuses années il avait économisé de l’argent et s’est acheté une petite maison dans son village natal. Dans les années quatre-vingt, il laissa une association de jeunes strasbourgeois le photographier puis il les autorisa à reproduire sa photographie sur une carte postale dont les exemplaires lui furent confiés et qu’il vendait au cours de ses tournées. Nous en dévoilons une ici.

Mauschele-Zellwiller ne savait ni lire ni écrire. Un jour il a été arrêté par un gendarme allemand qui l’avait vu aller de maison en maison et qui le soupçonnait d’être un mendiant. Le gendarme lui demanda : "Avez-vous des papiers ?". Là-dessus Mauschelé répliqua : "Non ! Mais je veux tout de suite en acheter là-bas dans l’épicerie pour un nickel "!  Le Gendarme remarqua tout de suite qu’il avait à faire à un être inoffensif et le laissa à nouveau partir.

Jamais Mauschelé ne voulait montrer l’argent qu’il portait sur lui. Ainsi, il arriva une fois à Hattstatt (Haut-Rhin) chez le président de l’époque. Après que celui-ci lui eut donné une pièce d’argent, il dit à Mauschelé : éMauschelé, si tu recomptes ton argent ici sur cette table, tu auras encore de moi un Mark !". Mauschelé chercha sous sa chemise sa bourse qu’il avait attachée à son cou et versa son contenu sur la table. Elle ne contenait que des pièces de 5, 10 et 50 Pfennig et en tour à peu près 35 Mark. Une connaissance du Président qui se trouvait là par hasard prit alors sa pipe, qui avait la forme d’un pistolet, le braqua sur la poitrine de Mauschelé et dit : "Voilà, maintenant tu laisses ton argent ici ou je tire "!  Mauschele devint furieux, et sauta sur son ennemi et lui asséna plusieurs coups de poing au visage. C’est seulement après qu’on lui ait expliqué qu’il s’agissait d’une blague, que Mauschelé se calma, mais il mit rapidement son argent dans sa bourse et sortit de la pièce. A partir de ce jour, Mauschelé ne revint jamais dans la demeure du président.

Mauschelé-Zellwiller mourut dans les années quatre-vingt-dix, à peu près deux ans après sa sœur. Tous les deux sont enterrés au cimetière de Rosenwiller. (St)    


Mauschélé Zellwiller
par Ernest GINSBURGER
Extrait de la Tribune Juive


Mauschélé Zellwiller en habits de fête
La bonne figure de Mauschélé Zellwiller vient d'être reproduite dans l'excellent annuaire publié par la Tribune Juive et il m'est réapparu avec sa bonne tête glabre, son rictus souriant, ses yeux doux, le gauche couvert de la visière d'une casquette légendaire, tant sa couleur, sa forme avait connu les assauts victorieux du soleil et de la pluie. La blouse, familière en ce temps à plus d'un bon juif alsacien, enveloppait un menu corps pourtant solide et cachait, dans ses plis naturels et ignorants du coup de fer, toute la gamme des bleus, depuis l'azur le plus radieux, la noirceur du bleu de Prusse jusqu'à la pâleur du bleu de roi. De solides souliers cloutés parfois huilés, mais rébarbatifs au cirage, chantaient la blancheur crayeuse des poussières des routes alsaciennes, ou les ornières et les misères boueuses des chemins. Ils frappaient haut et clair, la route nationale, le chemin de grandes communications comme la voie communale ou le sentier joyeux, dédaigneux de la voiture complaisante et du chemin de fer arrogant.

Prit-il jamais, Mauschélé Zellwiller, l'un ou l'autre ? Avec peine ou trouverait un témoin pour affirmer semblable trahison de notre chemineau. Son bâton à la main, son sac sur l'épaule, il allait voyageur impavide, sans souci du pain quotidien et du gîte : l'étape s'étirait à sa fantaisie, et villes, bourgs et villages – sans en rater un – limitaient les randonnées quotidiennes suspendues seulement aux jours de Shabath et de fêtes. En ces solennités, hôte honoré, il trônait majestueusement à la table amie et tous les juifs de la communauté assemblés venaient prêter une oreille complaisante et curieuse à ses récits. N'était-il pas, Mauschélé Zellwiller, le voyageur averti de tous les événements, celui qui avait vu et entendu autour de lui nos juifs casaniers, terrés en leur village dont plus d'un, des ans durant, ne dépassait pas les limites, écoutaient ébaubis les nouvelles. Car Mauschélé était le messager de toutes les nouvelles, de tous les événements d'Alsace et même d'au-delà des monts vosgiens, et nul n'aurait pu rivaliser avec sa science anecdotique. L'une après l'autre, chaque communauté défilait dans son récit : rabbins, 'hazanim (chantres), shamashim (bedeaux), parnossim (présidents) étaient les héros de ses causeries, et si plus d'un Baal Tekiha (sonneur de shofar) n'a pas connu la rougeur au front, il le doit à la sagacité de Mauschélé qui savait avec adresse et astuce interpréter la fausse note ou le manque de souffle.

Il était la gazette vivante et trottinante aux mille oreilles fidèles et averties, contant deuils, mariages et fiançailles, et plus d'un ont appris une joie de famille ou le malheur par notre journaliste ambulant. Mauschélé Zellwiller connaissait, en effet, toute la juiverie d'Alsace : il était un mémorialiste incomparable ; avec aisance, si ce n'est avec vérité, il parlait des pères, des grands-pères et bravement remontait à Valmy et Fleurus ; presque sans erreur, il plantait les arbres généalogiques, embranchait en leurs divers rameaux oncles et tantes, cousins, cousines, et il eût fallu le voir, quand redressant son torse et sans terreur du démenti, il lançait : "Ter, ter kenn ich, wase's !" ("Celui-ci je le connais, tu sais").Il savait, c'était vrai ; aussi, comme avec impatience on attendait la nouvelle de la famille dispersée, du frère de la sœur. "Ich hab ta Bruder gseï : e get guet : er scheckt à bonjour" ("J'ai vu ton frère, il va bien, il t'envoie un bonjour") – était-il, de vrai, le messager élu du bonjour ? Le saura-t-on jamais ? Mais sa venue au village répandait la joie, chaque maison s'ouvrait hospitalière, chaque main se tendait fraternelle, couvert et li s'offrait amicaux et Mauschélé Zellwiller pouvait avec orgueil affirmer qu'en chaque croin de la terre d'Alsace se dressait pour lui un pignon familier où il régnait souverain maître, salué à sa venue même des acclamations des enfants.

Bon Mauschélé Zellwiller ! Que de fois, bambin extasié, je me suis tenu à ses côtés, curieux et content. Est-ce lui, parmi la troupe de nos pauvres professionnels d'Alsace qui, chaque a, accomplissaient en chaque demeure juive leur tournée pastorale, est-ce lui qui disait, après chaque service : "Teller wek !" ("Enlevez les assiettes !"). Est-ce lui qui, après chaque plat exigeait le changement d'assiette, souvenir de temps fortunés et d'abondantes richesses ? Mais sans doute, Mauschélé Zellwiller n'as-tu jamais connu l'aisance que si familièrement je te prête. Tu as dû naître, ainsi que plus d'un d'entre nous, en une modeste maison villageoise ; ni grande, ni étable n'ornaient l'habitation ; tu as couru en guenilles, dès la première enfance, et ton adolescence est pleine de ce mystère qui vêt la vie du pauvre. Mais quoi qu'il en soit de ta naissance, des ans de ta jeunesse, avec ta blouse usée, ta casquette crasseuse, tes croquenots durs et rapiécés, tu restes pour moi le message enchanteur, le facteur de la famille, dont le sac contenait les merveilles et les surprises où s'est plus d'une fois enflammé mon cerveau d'enfant, et c'est pourquoi, puisque par la Tribune Juive tu connais la grande célébrité, j'écris cet hommage de reconnaissance.

Les moschelich de Mauschélé

Mauschélé Zellwiller, figure emblématique du schnorrer (mendiant professionnel) alsacien est souvent évoqué dans nos pages pour les moschelich (bons mots qu'on lui prête). Nous avons rassemblé ci-dessous certains d'entre eux :

 
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