A l'occasion de la réinauguration de la Synagogue de Sélestat
IN MEMORIAM
Le statut personnel des juifs de Sélestat du 14ème siècle à la Révolution
par Claude GENSBURGER, rabbin de Sélestat


La synagogue sur une carte postale ancienne - coll.© M. & A. Rothé
Nous n'avons pas de "Memorbuch" de Sélestat et, pour ainsi dire, plus de documents juifs sur l'histoire de la première Communauté de cette ville. A défaut, de nombreuses pièces d'archives et les récits des Chroniqueurs non-juifs nous restituent une image assez nette de la vie des Juifs à Sélestat du 14ème siècle à la Révolution.

Le 14ème siècle est l'époque du célèbre Rav Schmouel Schlettstatt, fils d'un rabbin de cette ville, qui fut Rosh Yeshivah à Strasbourg et qui a laissé notamment un abrégé et un commentaire du "Morde'haï". C'est aussi, pour les Juifs de sa ville natale, une époque de larmes et de sang.
Nous ne donnerons ici qu'un bref résumé d'un sujet qui sera, si Dieu veut, traité d'une façon plus complète dans une étude que nous espérons publier prochainement.

Au 14ème siècle

Au 14ème siècle, la Communauté juive paraît avoir été assez importante. Les Juifs habitaient un quartier excentrique, adossé au rempart. Les règlements des Corporations, établis à cette époque, non seulement excluent les Juifs de ces associations, mais interdisent même de leur vendre de la marchandise, de leur moudre du blé ou de leur tailler un vêtement. De ce fait, la Communauté juive avait sa vie autonome, tant sur le plan économique que sur le plan social. Ses relations avec les autres éléments de la population étaient d'ordre essentiellement commercial : commerce de l'argent et prêt à intérêt surtout (interdits aux Chrétiens par l'Eglise). Elle avait ses rabbins - juges ou Dayanim. - sa yeshivah et sa synagogue, probablement dans les mêmes locaux.

En 1338 (?) le sang juif coula pour la première fois à Sélestat, lors d'exactions commises par des adeptes de Jean Zimberlin, dit "Koenig Armleder", un cabaretier de village qui prétendait avoir reçu du Ciel la mission de "venger le Fils de Dieu sur les Juifs" et dont les bandes de paysans armés, précédées de la croix, ensanglantaient la région. Le Magistrat de Sélestat ne s'est cependant pas associé à ce mouvement et, malgré une première expulsion en 1343, on le voit accueillir ensuite les Juifs des villages environnants. En 1346 il y eut de nouveaux massacres et, après l'échec définitif des partisans d'Armleder, le Magistrat obtint en 1347 de Charles IV l'autorisation d'expulser les Juifs, dont les biens furent donnés en 1349 aux bourgeois de Sélestat. Pourtant tous ne furent pas chassés puisque, en cette même année 1349, il furent accusés d'avoir empoisonné les puits et ainsi provoqué la peste noire (cf. lettre au Magistrat de Francfort). Ils connurent la torture, le bûcher et les noyades. Cette accusation, partie de Strasbourg en 1348, provoqua une vague de massacres qui devait s'étendre jusqu'à Bâle. Sélestat ne rappela des Juifs que 39 ans plus tard (en 1387).

Au 15ème siècle

La fin du 14ème siècle et la majeure partie du 15ème siècle furent l'âge d'or de la première Communauté. Bien que "Kammerknechte" (sujets personnels) de l'empereur, ils refusèrent à ce dernier, soutenus pour des raisons financières par le Magistrat de Sélestat, le paiement du tribut annuel (ce qui valut d'ailleurs à la ville d'être mise au ban de l'Empire). Ils devaient cependant payer une taxe spéciale au Magistrat. Par la suite, ils reçurent même, fait à noter, le droit de devenir bourgeois de Sélestat (cf. Statuts de 1401). Leurs privilèges furent confirmés en 1404 et 1406, notamment dans le domaine judiciaire. Ils exerçaient les professions de courtiers, de marchands, de changeurs et de prêteurs sur gages. Leurs rapports avec la population sont plus étroits, malgré les prohibitions.

Mais en 1476, les troupes suisses, alliées de Sélestat, pillèrent le quartier juif au retour de la guerre contre les Bourguignons et en 1477 les Suisses firent expulser les Juifs de la ville. Ils se refugièrent à Châtenois et à Scherwiller.

En 1479, Frédéric IV concéda au Magistrat de Sélestat le privilège perpétuel d'agir à sa guise envers les Juifs : soit en les chassant, soit en les accueillant. Une charte municipale leurs interdit d'élire domicile à Sélestat.

Aux 16ème et 17ème siècles

La synagogue sur une carte postale ancienne - coll.© M. & A. Rothé
Pendant tout un siècle, pourtant, ce dernier texte ne fut pas appliqué et l'édit de 1479 interprété dans un sens favorable. Lors de la Guerre des Paysans, en 1525, Sélestat refusa d'ouvrir les portes de la ville aux "Rustauds". Leur défaite à la bataille de Scherwiller sauva les Juifs de Sélestat d'un massacre certain.

A la fin du 16ème siècle tout change. C'est l'époque de la contre-réforme ; à Sélestat, les Jésuites sont à leur apogée. L'édit de 1479 est appliqué d'une façon de plus en plus restrictive. Les Juifs doivent porter un signe distinctif. On règlemente leurs activités commerciales, les prêts sur gages sont interdits. Sous l'occupation suédoise (1632-1634), ils doivent payer la plus grande partie de la contribution de 30.000 florins. Ils furent expulsés définitivement de Sélestat vers 1645, ce qui n'empêche pas la ville de continuer à percevoir des taxes de douane et d'inhumation pour les personnes enterrées au cimetière juif - le cimetière actuel - ouvert en 1622 (sur le cimetière, voire l'étude de Monsieur le Rabbin Joseph Bloch dans Das Jüdische Blatt, 1910).

Cependant, marchands et forains juifs continuaient à être autorisés à titre personnel à venir pratiquer leur commerce aux foires annuelles ainsi qu'aux marchés hebdomadaires.

Cette situation devait durer jusqu'à la Révolution qui, par l'octroi de la citoyenneté française (28 septembre 1791), leur accordera l'égalité des droits avec les autres ressortissants de la République française. Un nouveau chapitre commence : l'histoire de la deuxième Communauté juive de Sélestat, laquelle atteignit 300 personnes vers 1870. Elle construisit une magnifique synagogue (la quatrième) en 1890. Cette synagogue profanée, pillée et partiellement brûlée par les Nazis en 1940, sera, si Dieu veut, réinaugurée après restauration dimanche prochain (11 septembre 1960).


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