Cent-vingtième de la synagogue de Sélestat
13 novembre 2011

Allocution de Gilles Bernheim, Grand Rabbin de France

[... ]La vision du judaïsme que je défends me ramène aux sources alsaciennes de mon histoire familiale.

La mémoire du judaïsme alsacien de ma famille paternelle, de la région de Colmar, mais aussi celle de la famille de ma femme, est une mémoire très vivante. La nostalgie qu'elle m'inspire reflète un grand amour pour ce judaïsme rural d'Alsace peu sophistiqué et souvent peu érudit, mais familier et intime. Judaïsme qui s'est souvent manifesté par un amour non seulement pour le paysage alsacien, mais aussi pour les gens, tous les gens et leur mode de vie.

L'Alsace est précieuse pour moi. Son judaïsme rural solidement enraciné et résistant, fut longtemps tenu pour le symbole de la judaïcité française, comme le rappelle l'évocation de la mémoire de quelques grands personnages qui en sont issus : Daniel Mayer, Jules Moch, Léon Blum, Simone Veil et combien de dirigeants communautaires.

Contrairement au judaïsme des communautés provençales ou ibérico-portugaises du Sud Ouest, judaïsme quasi disparu sous le double effet de l'assimilation et de l'immigration des juifs étrangers, ce judaïsme d'Alsace semble avoir traversé le temps plus sereinement.
Des figures brillantes l'ont honoré, telles que celles des grand rabbins Ernest Weill, Henri Schilli, Ernest Gugenheim. Dans ces familles d'Alsace, on était avant tout respectueux des règles et de l'autorité. Nombre de ces juifs d'Alsace étaient des gens de la terre, pour qui les idées de proximité, de convivialité, de vie commune dans le village ou les petites villes, signifiaient beaucoup. Ils étaient marchands de bestiaux, de grains, de bois ou charbon, des métiers typiques de l'Alsace.

Ils étaient aussi à l'aise avec les non juifs qu'avec les juifs. On pouvait être un juif traditionaliste et se découvrir la tête lorsqu'on travaillait avec les non juifs. C'était un judaïsme parfois strictement observant, parfois moins, mais toujours bienveillant, je dirais fraternel; et ce malgré un antisémitisme toujours un peu latent. Un judaïsme bien intégré à son environnement naturel.

Une telle pratique tranquille de ce judaïsme ne concerne plus aujourd'hui que de très rares communautés. La répartition entre juifs s'effectue désormais – le plus souvent – entre une religiosité fervente et une assimilation aboutie.

Hommage soit aussi rendu au judaïsme séfarade tellement mieux accueilli en Alsace que ne l'avait été le judaïsme polonais, et qui, depuis cinquante ans a régénéré – différemment – les grandes communautés.

Humanisme, sincérité, authenticité fraternité, voila des valeurs qui incarnent ce judaïsme d'Alsace, voila des valeurs qui méritent que l'on se sacrifie pour elles.

En venant célébrer ici le 120ème anniversaire de la création de la synagogue de Sélestat, c'est aussi à ces valeurs que je voulais rendre hommage.


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