LES METIERS DES JUIFS DE SAVERNE DEPUIS LE 17ème SIECLE
par Alain KAHN
Conférence au Colloque de la Société d'Histoire des Israélites d'Alsace et de Lorraine, mars 2005

En introduction, je tiens avant tout à remercier M. Pierre Katz pour l'aide si appréciable qu'il m'a apporté dans ce travail par sa documentation et les généalogies qu'il a réalisées sur certaines familles juives de Saverne. Cette étude a aussi été rendue possible grâce aux nombreux souvenirs recueillis auprès de savernois ou d'anciens savernois comme ma chère mère, Mme Silvain Kahn, et aussi Mme Gaby Bloch, M. Jean Marx, M. et Mme André Metzger, Mme Liliane Weil – Lemmel, Mme Josiane Tovias – Weil, Mme Suzie Levy – Frenkel, et M. Claude Meyer. Je tenais vraiment à leur exprimer toute ma reconnaissance.

Pour avoir un aperçu des professions exercées par les juifs de Saverne, je vous propose de les aborder chronologiquement en développant, lorsque cela s'avère possible, l'évolution que certaines familles ont donné à leur métier.

1 - Le 17ème siècle

En 1613, l'évêque de Strasbourg, Léopold d'Autriche, accorde pour la première fois aux juifs, vivant sur son territoire, le droit d'exercer une activité commerciale sans toutefois les autoriser à ouvrir boutique. Ces dispositions concerneront les juifs de Saverne, territoire épiscopal, où les premières familles s'installeront en 1622, 1623 et 1634. Toutefois, en 1636, les juifs vont déjà être contraints de résider et de travailler dans le Judenhof, le quartier de la basse ville qui leur est réservé.

Les premières activités commerciales relevées à l'époque où l'Alsace devenait française, c'est-à-dire entre 1648 et 1681, concerne le commerce du sel. Il semble qu'il s'agissait d'une activité lucrative puisqu'il fallait acheter une charge et prélever l'impôt à l'occasion de la vente du produit, comme cela ressort des intéressants travaux de M. Haarscher sur la situation des juifs sur le territoire voisin, le comté de Hanau - Lichtenberg. Ainsi en 1651 existait à Saverne une telle activité exercée par Abraham Judd de Bouxwiller. Cette activité est encore relevée en 1661 et c'est alors Hirtzel Judd qui s'en occupait.

l'abattage rituel était également autorisé depuis 1654 sans possibilité toutefois de vendre de la viande aux chrétiens. c'est en 1684 que le tribunal épiscopal consenti à autoriser la vente des parties arrières des bêtes aux chrétiens puisque celles-ci ne peuvent pas être consommées par les juifs. Il faut attendre 1696 pour voir évoluer la situation en ce qui concerne la localisation des activités et des boutiques.

2 - Le 18ème siècle

En effet, à cette date, le cardinal de Furstenberg, évêque de Strasbourg, autorise l'ouverture d'un premier magasin tenu par un juif, Maïer Lévy, au centre-ville. Il pouvait y vendre des draps, de la soie et des épices et c'est lui qui va devenir préposé territorial de Basse-Alsace. Une autre évolution se réalise en 1711 lorsque le nouvel évêque, le prince Armand-Gaston de Rohan, permet aux juifs de se rendre adjudicataire de certains immeubles dans des conditions très restrictives.

Comme la communauté de Saverne se constitue petit à petit, un autre métier va apparaître, celui de Rabbin et le premier qui sera nommé fut Jacob Kahn en 1736. Il est intéressant de noter que son fils, Marx sera également nommé Rabbin de Saverne en 1768 de même que son petit fils Samuel Kahn en 1779.Le neveu de ce dernier s'appellera également Marx Kahn, né à Saverne en 1778 puis rabbin de Westhoffen et grand père du Grand Rabbin de Paris, Simon Debré. Au milieu du 18ème siècle la communauté est composée d'une trentaine de personnes et avant la révolution de plus d'une centaine. La communauté se voit alors dotée également d'un chantre, Samuel Raphaël, nommé en 1784, ainsi que d'une école la même année dont le premier responsable fut Nordon Sieskind. l'école va fonctionner jusqu'en 1916 et les derniers directeurs furent Salomon Lehmann et Max Feist.

Des lignées de rabbins

Le sermon du Rabbin - gravure ancienne
Les rabbins et les ministres - officiants vont se succéder jusqu'à nos jours. Ainsi le rabbin Lazare Liebermann fut rabbin de Saverne de 1803 à 1831 et fut membre du Sanhédrin voulu par Napoléon premier. Son fils Isaac Liebermann, né à Saverne devint grand (abbin de Nancy de 1853 à 1889. Le rabbin Benjamin Rose en 1834. Michel Sopher est également né à Saverne et en devint le rabbin de 1844 à 1856, il fut ensuite grand rabbin du Luxembourg, son père, David Sopher, avait été chantre à Saverne de 1817 à 1839. On peut encore noter que Salomon Ullmann est né à Saverne en 1806 et qu'il devint Grand Rabbin de France de 1853 à 1865.

Le Rabbin Dreyfus Heymann Loeb fut rabbin de la communauté de 1857 à 1896 et son fils Jacques Henri Dreyfus devint Grand Rabbin de Belgique puis de Paris de 1891 à 1933, Sa sœur Pauline se maria en 1878 à Henri Lévy qui fut quincaillier à Saverne et dont la famille sera évoquée plus tard. Le rabbin Max Staripolski, très érudit, nommé par les autorités allemandes en 1897, et ne sera pas reconduit dans ses fonctions lorsque l'Alsace redeviendra française.

Deux autres rabbins ont eu une grande influence sur la communauté, le premier fut le Rabbin Armand Bloch qui exerça de 1920 à 1952, il était le petit fils du Hokhem von Hutene, le rabbin Moïse Bloch de Hutenheim et l'arrière petit-fils du Rabbin Abraham Samuel Dreyfus de Landau ; il a été aussi le grand père du rabbin Jacques Schlammé qui fut rabbin à Paris et actuellement à la retraite en Israël.

Le second fut Max Gugenheim, de 1957 à 1968, il succédait au rabbin Gérard Weil, et fut le dernier rabbin ayant habité à Saverne. J'étais son dernier élève et il descendait d'une longue lignée de rabbins depuis Samuel Sanvil Weil, rabbin de Haute Alsace de 1711 à 1754 jusqu'à son fils Ernest Gugenheim qui fut directeur de l'école rabbinique de Paris, poste assuré actuellement par son fils Michel Gugenheim.

Il s'agit là de véritables dynasties de rabbins qui montrent combien les communautés d'Alsace étaient vivantes et, contrairement à certains préjugés, les juifs alsaciens, en milieu rural comme en milieu urbain, s'étaient dotés dans le cadre communautaire d'un corps rabbiniques qui remplissait parfaitement son rôle de guide et d'enseignant auprès des fidèles.

Pour clore sur ce type de profession, il faut ajouter qu'en ce qui concerne les ministres-officiants professionnels, il y eut avant la première guerre mondiale le célèbres Alphonse Wolff, qui officia si brillamment lors de l'inauguration de la synagogue en 1900 et, avant la deuxième guerre, Siegmund Friedemann qui créa une chorale mémorable. Après la Shoah, il y eut d'abord André Silbermann puis Isaïe Deutsch, qui était également "sho'heth", chargé de l'abattage rituel, de 1952 à 1976 et il était le frère du Grand Rabbin Abraham Deutsch.

Des hommes d'affaires

Revenons maintenant sur l'évolution des professions commerciales.
Après la première installation d'un commerce au centre ville au début du 18ème, de nouvelles activités apparaissent au cours de la période qui précède la révolution française. Ainsi Simon Cerf, en 1776, lui-même propriétaire foncier, obtient l'autorisation d'acheter des terrains et des immeubles pour les revendre. Son père, Simon Hirtz, était commerçant et son frère Moïse Cerf, né en 1764, devint rabbin de Bischheim. Simon Cerf fut l'un des premier homme d'affaire puisqu'il était négociant, cessionnaire de dettes et marchand de biens. Il fut aussi l'un des premiers notables puisqu'il devint adjoint au maire de Saverne. Son fils, Moïse Cerf, né en 1824, était marchand de bois et fut nommé premier adjoint au maire de Saverne.

c'est Simon Cerf qui contribua au financement et à la réalisation de la première synagogue en 1779. Cette aide précieuse pour la communauté vint également de la famille Libmann qui offrit le terrain sur lequel fut construite cette première synagogue. Salomon Libmann, né en 1735, était aussi un important négociant et son frère Moïse Libmann était rabbin à Ribeauvillé. La famille allait continuer à se spécialiser dans les affaires, le fils, Jonas Libmann, né en 1767 se lança dans le commerce des habits et son petit fils, Alexandre Libmann, né en 1808, devint banquier. La fille de ce dernier épousa en 1867 Alfred Cromback qui avait fondé en 1855 la banque de son nom. Il fut le père de Lucien Cromback, né à Saverne en 1884, architecte et président du Consistoire Israélite du Bas-Rhin. Il s'agit là d'une lignée d'hommes d'affaires.

Avant la révolution, alors que la population juive s'élève à 103 personnes selon le recensement de 1784, les professions commencent à se diversifier. Outre les hommes d'affaires déjà évoqués, la communauté est composée de 10 marchands de bestiaux, 6 fripiers, 1 cordonnier, 4 commerçants, 1 marchand colporteur, un boucher et un horloger qui n'est autre que le chantre Samuel Raphaël dont il a déjà été question. La plupart des professions traditionnellement exercées par les juifs continuent à l'être à Saverne et une diversification sensible va s'amorcer après l'émancipation des juifs en 1791, événement si important pour tout le judaïsme français.

3 - Le 19ème siècle

En effet, dès le début du 19ème siècle, parallèlement à l'augmentation de la population juive qui atteint 252 personnes en 1806, le nombre et l'éventail des métiers progressent d'une manière significative. On peut mesurer cette évolution car les juifs sous Napoléon premier devaient obtenir le délivrance, par la mairie, de certificats de non-usure pour pouvoir être titulaire d'une patente commerciale. Ainsi pour les années 1808/1809, ont obtenu un certificat de non-usure : 2 bouchers, 1 rubanier, 1 marchand d'huile, 4 fripiers, 1 cordonnier, 1 ferrailleur, 4 négociants, 1 boulanger, 2 fabricants de bas, 4 brocanteurs, 8 marchands de bestiaux ou de chevaux, 4 colporteurs et 2 cabaretiers, soit 35 personnes exerçant une activité commerciale.

l'une des professions qui continue à être dominante à Saverne est celle de marchand de bestiaux. l'importance que prend cette profession fait que dès 1791, le 28 mai, les édiles municipaux décident de la création du marché aux bestiaux qui va perdurer jusqu'en 1970, c'est-à-dire près de 180 ans. l'arrêté municipal justifie sa décision ainsi :

"considérant qu'il serait extrêmement avantageux pour la commune de Saverne d'y établir un marché pour l'achat et la vente des bestiaux ; que cet établissement fondé sur la liberté du commerce et de l'exemption de tous droits, augmenterait le débit des denrées, procurerait de nouveaux débouchés à l'industrie et favoriserait la culture par une augmentation des engrais …".

Le marché se tenait le jeudi sur l'actuelle Place des Dragons et n'avait pas lieu les jours de grandes fêtes juives. Comme les marchands de bestiaux juifs étaient nombreux, cet usage semblait aller de soi. Ainsi dans le registre des ventes de 1821, si bien analysé par Léon Gehler, le marché n'a pas eu lieu le jeudi 27 septembre, c'était Rosh Hashana (le nouvel an), ni les 11 et 18 octobre qui correspondaient à la fête de Soukoth. Les marchands de bestiaux venaient d'abord de Marmoutier qui représente une heure de marche. d'autres viennent en particulier de Bouxwiller, Dettwiller, Bourscheid, Borschingen, Lixheim, Romanswiler, Neuwiller, Mittelbronn, Ingwiller, Weiterswiller ou encore Offwiller et Uhrwiller distants de 25 à 30 km. A cette époque les marchands de bestiaux de Saverne étaient une douzaine. Environ 310 transactions sont ainsi consignées dans ce registre qui recouvre la période allant de juin à novembre 1821.

Un grand choix de bêtes

L'intérêt du marché venait du fait que les affaires pouvaient se traiter plus facilement qu'à domicile. l'acheteur trouvait un grand choix de bêtes, il pouvait les soupeser, les palper, comparer, discuter comme l'expose L. Gehler dans le n° 130 de Pays d'Alsace en 1985. l'affaire conclue devait ensuite être inscrite dans le registre ouvert pour cela à la mairie. Les affaires étaient conclues sous différentes formes : la transaction simple avec prix et conditions notamment au niveau de la santé de la bête et du crédit. Par exemple pour 156 F, 4 échéances de 39 F sont prévues de six mois en six mois, soit un crédit s'étalant sur deux ans avec un intérêt de 5%. Une transaction sur un an pouvait se faire sans intérêt et une partie du prix pouvait même être payée en nature par exemple en fournissant quelques mesures de céréales.

Il y avait aussi l'échange et en général l'échangiste payait une soulte pour plus value ou "mehr wert". Une autre formule était l'Anschlag ou offre. Il s'agit d'un contrat de vente doublé d'une association en vue de la vente. Un exemple : Martz de Haegen propose à Mossbach de Wingersheim une vache fauve. Mossbach verse en juillet 24 F comme cote part à l'association. Mossbach s'occupera de la bête jusqu'à la période de Noël puis elle sera remise en vente et les deux associés se partageront le produit de la vente lorsqu'elle se réalisera.

Avec l'évolution de la population, les professions vont continuer à se diversifier.

En effet, le recensement de 1851 fera ressortir que 237 juifs vivaient à Saverne et que 64 d'entre eux exerçaient des professions effectivement très variées : 6 bouchers, 13 marchands, colporteurs ou commerçants, 6 servantes juives engagées dans des familles juives, 1 médecin, 8 marchands de bestiaux, 1 chantre, 1 rabbin, 1 agent d'affaires, 6 fripiers, 3 clercs d'avoués, 1 employé des Ponts et Chaussées, 1 quincaillier, 3 étudiants en pension, 1 clerc d'huissier, 4 propriétaires fonciers ou rentiers, 1 mercier, 1 couturière, 1 tailleur, 1 fabricant de marteaux, 1 journalier, 1 instituteur, 1 chiffonnier et 1 femme manœuvre.

Ce constat montre bien que, d'une part, la communauté commence à avoir accès à des professions bourgeoises dans les affaires, dans l'administration ou auprès d'avoués et en tant que médecin et que, d'autre part, une certaine partie de la communauté est dans le besoin et doit exercer des professions comme servantes, journalier ou manœuvre. On entre dans la seconde moitié du 19ème siècle et, malgré l'antisémitisme ambiant, la communauté cherche à s'intégrer tout en affrontant les défis de l'époque.

De nombreux commerçants

Les commerçants vont former de plus en plus une partie importante de la communauté. La première famille qui va créer à cette époque des magasins célèbres est la famille de Aron Lévy qui fonde une quincaillerie en 1854. Ses fils Henri et Adolphe vont lui succéder et sa fille Lucie va épouser en 1878 David Frenkel qui est quincaillier à Dettwiller. Henri Lévy va épouser la même année Pauline Dreyfuss, la fille du rabbin de Saverne, Heymann Dreyfuss Loeb dont nous avons déjà parlé. Ils auront 3 enfants dont deux resteront quincailliers à Saverne, Julien jusqu'à son décès en 1963 et Alfred qui n'est pas revenu d'Auschwitz. Leur quincaillerie faisait le coin entre la grand' rue et le quai du canal et figure sur de nombreuses cartes postales de l'époque. Adolphe Lévy a également eu 3 enfants dont deux, Paul Lévy, qui fut très longtemps vice président de la communauté, et Robert Lévy continueront, jusqu'en 1969, à gérer la quincaillerie située sur la grand' rue non loin de la première.

David Frenkel va rejoindre la quincaillerie de ses beaux-parents et le couple aura 6 enfants. Leur fille Emma va épouser en 1908 Isaïe Schwartz qui sera le grand rabbin de France jusqu'en 1952 et qui assistera à la réinauguration de la synagogue en 1950. Le seul enfant qui travaillera à la quincaillerie sera Gabriel Frenkel qui, par la suite, va créer en face de la quincaillerie sa propre affaire de bonneterie-mercerie en gros avec son frère Armand. Gabriel Frenkel fut président de la Communauté avant la Shoah et mourut de maladie en 1941. Son frère Armand reprit l'activité familiale après la guerre et créa une fabrique de layette mais ses activités s'arrêtèrent en 1949.

Lorsque l'Alsace devint allemande après la guerre de 1870, la présence des juifs continua à se développer pour atteindre près de 330 personnes en 1895. Leurs activités continuent bien entendu à prendre de l'ampleur au début du 20ème siècle et cela jusqu'en 1939.

"Réclames" de la scierie Israël (bois pour charpentes et meubles, mais aussi ciments et chaux), de la maison Knopf (cadeaux, articles de luxe, cartes postales) et du Café-Restaurant M. Marx.


4 - Le 20ème siècle

En effet, la fin du 19ème et le début du 20ème représentent la période la plus faste de la communauté. Les juifs se sentent reconnus et ont pignon sur rue. Le "Judenhof " est de plus en plus désaffecté et la plupart des juifs habitent le centre ville ou certains quartiers résidentiels. 1900 devient l'année de référence puisque c'est celle de l'inauguration, le 9 mars, de la nouvelle et prestigieuse synagogue construite loin du "Judenhof " et de telle sorte qu'elle soit bien visible.

En 1886, la famille de Jacob Jacques Schlammé, originaire de Schildberg en Prusse Orientale, s'installe au "Judenhof " comme tailleur qui vendait ses habits à la campagne. Il a l'opportunité vers 1900 d'ouvrir un beau magasin qu'il peut louer en plein centre ville, au niveau de la place du château des Rohan. Le propriétaire, M. Missbach, maître-sellier, a tellement confiance en son locataire qu'il lui vend très rapidement ce bâtiment impressionnant en prévoyant une clause selon laquelle il pouvait le payer dès qu'il le pourra. Ce magasin de vêtements, spécialisé aussi dans les habits professionnels, sera ensuite exploité jusque dans les années 70 par le fils de Jacob Schlammé, Léon Schlammé, père du rabbin Jacques Schlammé dont nous avons déjà parlé. Il était aussi le frère de ma grand'mère maternelle, Marie Weill.

Cuirs et peaux

Une autre activité s'installe vers 1902 à Saverne. Molling Marx venait de Weiterswiller où il récupérait de la ferraille comme le faisait déjà son père Marc Marx. Pour son activité il achète une tannerie qui se trouvait tout au début de la rue principale de Saverne, la grand'rue. Ainsi, en 1910 il se lance aussi dans le commerce des cuirs et peaux qui deviendra très vite son activité principale. c'était un vrai métier d'intermédiaire puisqu'il récupérait essentiellement des peaux de lapins auprès des bouchers ou des fermiers et les revendait aux marchands de cuirs.

Ses fils Louis et Fernand vont continuer à exploiter cette affaire ainsi que plus tard le fils de Louis, Jean Marx. Ils vont d'avantage développer la récupération de déchets industriels et déjà avant la guerre de 39-45 ils mettent en place des bennes auprès des entreprises concernées. Après la guerre le tonnage représentera 20 à 30 wagons par mois. Mais les petites récupérations se poursuivaient, et les gens dans le besoin venaient toujours leur apporter des vieilleries ou des peaux pour se faire un peu d'argent. Cette activité représentait un wagon par mois mais elle avait un caractère très pittoresque puisque ces transactions donnaient lieu à d'interminables discussions mais aussi à des relations empreintes de fidélité. Avec l'évolution du marché de la récupération, l'affaire fut reprise en 1986 par un grand groupe leader dans ce domaine, la Compagnie Française de Ferrailles dans laquelle Jean Marx continuera à exercer sa profession jusqu'à sa retraite et il est actuellement le président de la communauté de Saverne.

Au début de ce 20ème siècle, les autres commerces du centre ville se développent. La maison Metzger et Weil propose des vélos, des machines à coudre et des voitures d'enfants. Alfred Metzger va conserver ce magasin en le développant et Pierre Weil en ouvrira un autre quai du Canal. l'immeuble appartient à la famille Séligmann et plus tard à la famille Metzger. Simon Lemmel, puis son gendre Sylvain Weill, Michel Roos, les familles Wolarski, et René Weil ouvrent chacun un magasin de vêtements dans la Grand'rue.

La cité Israël

Robert Weil dispose aussi d'un magasin en plein centre proposant des cartes postales, des articles pour fumeurs et des cadeaux. Ce magasin accueillera plus tard les "Vêtements Modernes" de la famille Kochmann lorsque Robert Weil, qui fut aussi président de la Communauté, ne conservera à Saverne qu'un dépôt, rue Poincaré, pour sa Société Pipal. Il y eut aussi la maison Bauer spécialisées dans les toiles, les fourrures, les tapis ainsi que le grand magasin Marx et Bloch qui offrait pareillement un des plus grand choix en tissus, literies et tapis. l'importance de la communauté a aussi permis à un fabricant de pains azymes, les matzoth, de s'installer, Marcel Lévy et son épouse Thérèse, connus sous leur surnom : "matzebeck", le boulanger qui fabrique les matzoth.

De plus Meyer Marx, frère de Molling Marx, ouvre le Café Central où se dérouleront nombre de festivités communautaires comme le bal organisé pour l'inauguration de la synagogue. Des jeunes gens de la communauté se lancèrent aussi dans des métiers plus techniques et fréquentèrent dans les années 1909, 1910 et 1911 l'école du travail de Strasbourg où Aron Chimowitch apprit le métier de prothésiste dentaire et Léopold Wolff celui d'horloger. Ce dernier ouvrit avant la guerre son propre magasin pour exercer sa profession.

Une nouvelle entreprise a, par ailleurs, été créée en 1920. Il s'agit de la scierie Israël Frères qui sera l'une des plus importante de la place. Selon les éléments que la famille a bien voulu fournir à la communauté juive de Saverne, elle était dirigée par les trois frères Julien, Lazard et Lucien Israël. En 1936, sa raison sociale change pour devenir Société Générale Commerciale de l'Est. Après sa modernisation en 1962, son nom sera : Société d'Exploitation des Scieries de l'Est. l'entreprise est dirigée par Jean-Claude, le fils de Lazard Israël et par Gérard, le fils Lucien Israël, jusqu'en 1981 lorsqu'elle cesse son activité. Celle-ci était multiple puisque le bois utilisé, le sapin, le pin, le hêtre et le chêne servait à la fabrication de charpentes, menuiseries, parquets, lambris ou autres produits en bois. Le volume de grumes débité était de 20 000 à 25 000 m3/an. l'entreprise employait entre 80 et 100 salariés et a créé une cité ouvrière pour le logement de son personnel et tout le monde l'appelait "la cité Israël".

Certains juifs vont aussi se lancer dans les études, en dehors du commerce. Ainsi, Joseph Meyer est l'un des rares juifs polytechnicien au début du 20ème siècle et, en tant qu'ingénieur, il dirige l'établissement du gaz et à Saverne on l'appellait "d'e gaz Mayer". Sa fille Suzanne fit des études de droit et épousa en 1933 Sally Weill de Cologne. Tous les deux furent avocats mais Sally Weill, comme il avait fait ses études en Allemagne, dut repasser son doctorat après la guerre et le réussit brillamment. Ils exerceront leur profession jusque dans les années 60.

Dans un autre domaine, la Banque Meyer Frères et Cie a pris le relais de la banque Cromback qui avait fait faillite et permettra à des personnalités comme Alfred Schwartz, dont les parents tenaient une petite crèmerie-fromagerie, de faire carrière dans la banque et il sera d'ailleurs premier adjoint après la guerre. Max Feist, le dernier directeur de l'école juive qui ferma en 1916 avait aussi été engagé dans cette même banque.

La Shoah va bien sûr bouleverser la vie de la communauté. Avant la guerre la communauté comptait encore environ 230 personnes et après la tourmente environ 130 personnes sont revenues, soit une baisse de l'ordre de 40%, 32 juifs avaient été exterminés par les nazis et d'autres ont choisi de vivre ailleurs en fonction des situations familiales souvent si douloureuses. A partir des années 50 la communauté se reconstruit et sa population va augmenter jusque dans les années 60-70 puis elle va sensiblement décliner pour finalement se stabiliser tant bien que mal. Elle atteint environ 170 membres en 1957 puis 140 en 1965, 85 en 76 et actuellement elle compte une cinquantaine de personnes.

Le retour de nombreux commerçants

De nombreux commerçants reviennent et reprennent leurs activités. On peut noter toutefois une nouvelle diversification des professions avec des médecins, comme le Dr Paul Cromback, des dentistes comme Isidore Kauffmann, de nouveaux avocats comme Maître Roger Schwartz dont le père était un marchand de chevaux qui n'est pas revenu de déportation, des professeurs comme Léon Gehler, des représentants comme Max Meyer, Siegmund Alexandre ou Robert Danheiser, des fonctionnaires comme David Metzger, employé à la gare de Saverne et qui deviendra Président de la Communauté, ou encore Alfred Hirsch, bedeau et en même temps tapissier. En 1963, Joseph Alimi, menuisier originaire d'Algérie s'installa dans l'appartement du bedeau. Je me rappelle aussi d'un homme que tout un chacun appelait "d'e frigidaire Lévyé parce qu'il vendait des articles ménagers, des réfrigérateurs, directement aux particuliers.

Les métiers traditionnels des juifs d'Alsace ont perduré à Saverne jusque dans les années 60-70. Ainsi le difficile métier de colporteur était encore exercé par les sœurs Malz-Danheiser, Lucie, Jeanne et Cécile. Deux d'entre elles prenaient quotidiennement la route, à pied, en train ou en car, emportant avec elles de lourdes valises d'habits, ou de tissus et elles allaient ainsi de village en village, de ferme en ferme, à pied, pour vendre directement à l'habitant leurs produits. Celle qui restait à la maison s'occupait de toutes les tâches ménagères. Elles étaient impressionnantes à voir et suscitaient beaucoup d'admiration devant leur courage et leur détermination.

Permettez moi d'évoquer aussi le métier de mon regretté père Silvain Kahn, rescapé d'Auschwitz et président de la communauté de 1974 à 1987. A son retour de déportation il exerça la profession d'agent immobilier que son père Justin Kahn avait commencé avant la guerre en s'installant à Saverne où il fut aussi président de la Communauté tout de suite après la guerre. Il avait d'abord été marchand de bestiaux, originaire de Schwenheim et s'était installé à Dettwiller.

La famille Kahn est présente à Schwenheim depuis 1735 et les professions exercées furent d'abord ferrailleur puis surtout marchand de bestiaux. Du côté de sa mère, Fany Mandel, originaire de Dauendorf, son père et son grand-père avait été bouchers et leur présence à Dauendorf remonte également au début du 18ème siècle. La famille Mandel, alliée à la famille de Salomon Muller, développera l'activité de boucherie jusqu'à nos jours à Haguenau.

Des marchands de bestiaux traditionnels

Le marché aux bestiaux de la place des Dragons (carte postale - 1955)
bestiaux
Je n'ai pas évoqué le métier très particulier de "schnorer", de mendiant, qui existait de tout temps et mon père en recevait encore un tous les ans jusque dans les années 65. Il se faisait appeler "Dr Dolles" car en alsacien "dolle" veut dire "imbécile", il avait bien sûr beaucoup d'humour ainsi que le sens de la dérision, ce qui rendait sa présence bien tonifiante. Il vendait chaque fois un calendrier à mes parents qui lui servaient de bon coeur un repas et je me rappelle qu'il avait très bon appétit.

Mon père n'avait jamais voulu continuer le métier de "peïmesshaendler", de marchand de bestiaux. Dans sa jeunesse il avait vu en quoi il consistait et sa dureté l'avait toujours dissuadé de s'y consacrer. A Saverne pourtant plusieurs marchands de bestiaux ont encore exercé "à l'ancienne" leur profession jusque dans les années 70. Les frères Camille et André Coblentz étaient très connus pour leur professionnalisme. d'autres aussi comme André Kahn, Achille Kahn ou Albert Weill.

Ce dernier, comme beaucoup d'autres, avait un surnom : "Schlétte", ce qui veut dire "traîneau". En effet il marchait en traînant les pieds et il avait une technique infaillible pour faire des affaires. Il traînait, il s'incrustait chez le fermier le temps qu'il fallait, lui racontant tout ce qu'il savait sur tant de familles à la ronde. Pour qu'il parte plus vite, le fermier finissait le plus souvent par conclure l'affaire pour laquelle il était venu et c'était bien des fois pour se débarrasser de lui. c'était vraiment un personnage attachant et pittoresque. Il vivait avec sa sœur Sarah, qui s'occupait aussi bien de la maison que de l'étable qu'il avait en ville.

Des marchands de chevaux comme Paul Meyer, qui vivait aussi avec sa sœur Rachel, vendaient les chevaux aux fermiers qui en avaient besoin avant le développement des tracteurs, certains d'entre eux comme Julien Kahn ont développé cette activité sur une plus grande échelle en important les chevaux notamment de Pologne. Le commerce de chevaux existait depuis le 18ème siècle lorsque l'armée avait, elle aussi, besoin de nombreux chevaux.

En ce qui concerne les marchands de bestiaux, certains ont aussi commencé traditionnellement comme Claude Meyer, dont le père Lucien Meyer était boucher et marchand de bestiaux à Marmoutier. Ils sont devenus par la suite des chevillards qui achetaient les bêtes pour les revendre en vue de l'abattage. c'est ainsi que petit à petit le métier traditionnel a disparu au profit de coopératives ou de structures de bien plus grande dimension qui, elles, peuvent mieux répondre aux besoins du marché.

Aujourd'hui, les professions des membres de la communauté, qui habitent Saverne, sont encore assez variées puisqu'elles concernent notamment l'immobilier, la fonction publique hospitalière, la SNCF, l'architecture d'intérieur et les fers et métaux.

Voilà un aperçu succinct des professions exercées à Saverne par les juifs depuis leur installation dans la cité des Rohan. Il montre l'apport que ces professions représentent pour la ville, pour la région et pour le judaïsme alsacien dans son ensemble.

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