Histoire de la Communauté juive de Saverne - 3

La synagogueDe 1900 au début de 2001 - l'évolution brisée

Le 20 ème siècle sera marqué tout d'abord par l' apport que va représenter pour la communauté la nouvelle synagogue, la troisième de son histoire, puis, par les conséquences qu' aura le nazisme sur son avenir. On peut donc distinguer deux périodes : celle qui précède la Shoah et celle qui la suit ou celle de la consécration suivie de la mutilation.

Avant la 2ème guerre mondiale

Cette période est marquée d'abord par l' apport que représente la nouvelle synagogue puis par les séquelles du premier conflit mondial.

a. La nouvelle synagogue

Les Juifs de Saverne font partie intégrante de leur ville et veulent donner un signe fort àcette appartenance. Ils ne peuvent plus prier dans une vraie synagogue, puisque celle dont ils disposaient est en ruines. Par ailleurs, ils ne souhaitent plus retourner dans la "Cour des Juifs" où ils se sentent, à juste titre, comme étant un peu mis à l'écart de la société. Ils finissent par obtenir toutes les autorisations nécessaires pour construire une synagogue, bien en vue, comme les églises des autres confessions, sur un terrain situé "route de Lutzelbourg", actuellement rue du 19 Novembre, c'est-à-dire bien loin du quartier qu' ils désirent quitter. Deux grandes cérémonies vont ponctuer sa réalisation.

La pose de la première pierre

Une première cérémonie a lieu sur place le 22 mai 1898, à l' occasion de la pose de la première pierre de l' édifice. La solennité de l'événement est pérénisée par la confection d'un parchemin superbement réalisé en couleur par le rabbin Staripolski et rappelant, en allemand et en hébreu, que c'est sous le règne du Kaïser Guillaume II que la construction de cette synagogue a pu commencer. De nombreuses personnalités sont présentes, notamment : le représentant du Kaïser en Alsace-Lorraine, Son Excellence Von Puttkammer, Secrétaire d' Etat, les édiles de la ville, Messieurs Dieckhoff et Wintzinger , le président du Consistoire israélite de Basse-Alsace, Gustave Lévy, le Grand Rabbin Isaac Weill et le président de la communauté, Isaac Lévy.

La nouvelle synagogue
(carte postale ancienne)
Majestueux
Les plans de la nouvelle synagogue sont établis par M. Hannig qui est en quelque sorte l' architecte de la ville. Sa construction est financée par la communauté elle-même. Une participation de l'ordre de 21 000 marks est obtenue de la part de l' Etat (16 000 marks) et de la ville (5 000 marks). De nombreuses entreprises savernoises participent à la réalisation et à la finition de l'ensemble. Ainsi, la serrurerie Haemmerlin offre la porte extérieure, le peintre Hirschler accepte de réaliser les peintures intérieures, et le tapissier Wisbach fournit le rideau et d'autres décorations. Les frères Stuhn participrent aux travaux de couverture et le menuisier Eitel fabrique les bancs.

La synagogue doit adopter cette apparence extérieure monumentale des églises pour bien mettre l' accent sur l'intégration de la communauté dans la vie de la cité. Un style orientalisant lui donne, par ailleurs, un caract ère spécifique. L' ensemble est majestueux et comporte une rosace gothique et un bulbeallongé impressionnant, ainsi que six petites tourelles qui accentuent l' aspect élancé de l'ensemble. Un bâtiment annexe est construit pour les activités communautaires avec un oratoire et des locaux pour l'école.

L'inauguration

L' inauguration de la nouvelle synagogue a lieu le 9 mars 1900 en présence de nombreuses autorités civiles, militaires et religieuses, parmi lesquelles le Président du district, M. Halm représentant le Kaïser, le grand rabbin de Strasbourg, M. Ury, et le maire de Saverne, M. Weber, ainsi que des représentants de l'état-major et du tribunal du Land. Après la prière du matin dans l'ancienne synagogue , les rouleaux de la loi sont transportés dans l'appartement du rabbin Staripolski d'où ils sont amenés en cortège, à 3h de l'après-midi, dans la nouvelle synagogue entourée de drapeaux.

Avant l'entrée solennelle, une petite fille de la communauté, Marie Schlammé, ma grand-mère, lit un poème, puis se déroule la remise les clés du bâtiment au grand-rabbin Ury. Celui-ci les confie au président de la communauté qui est toujours M. Lévy et qui les remet, ostensiblement, au rabbin Staripolski. Ce dernier, avec l'autorisation du représentant du Kaïser, procède enfin à l'ouverture de la grande porte. Le chantre Wolf entonne alors le célèbre "Ma Tovhou Hohale'ha", "comme elle est belle ta demeure...", accompagné par un orchestre et par la chorale qu' il a créée pour la circonstance. Après une procession avec les rouleaux de la loi, ceux-ci sont déposés dans l'armoire sainte.

Inauguration de la synagogue - 1900
Le printemps de la communauté
Le rabbin Staripolski prend alors la parole pour comparer l' événement au printemps de la communauté après son passage dans l'obscurité de l' hiver. L' hiver se situait bien entendu au "Judenhof" et le printemps dans ce lieu plein de promesses. Pour lui, ce jour démontre que des religions différentes peuvent vivre ensemble et que, ce faisant, elles luttent contre le fanatisme. Il conclut en disant : "Le Seigneur est notre gardien et nous demande par sa sainteté de protéger la vie et la paix dans les coeurs".

La cérémonie se termina par l'audition de la Grande marche de Prométhée de Beethoven, magistralement exécutée par une formation de la musique militaire qui s'est déplacée pour l'occasion au grand complet. Le soir a lieu un dîner de gala à l' Hôtel Bloch. Le lendemain, un second repas est offert au Central Hôtel, et la soirée s'achève par un bal organisé à l' Hôtel des Vosges. Cette période faste allait bientôt être assombrie par le bruit des canons .

b. Les séquelles du premier conflit mondial

Armand Bloch, rabbin à Saverne de 1920 à 1952
A. Bloch
En 1916, l'école juive ferme ses portes et son dernier responsable, Marx Feist, obtient du travail dans une banque de Saverne. Les conséquences du premier conflit mondial commencent ainsi à apparaître d'une façon de plus en plus palpable. L'enseignement religieux continue bien entendu à être dispensé par le rabbin et par le ministre-officiant lorsque l'Alsace redeviendra française en 1918.

En 1919, un nouveau rabbin est nommé. Il s'agit d'Armand Bloch, francophone convaincu, qui prend ses fonctions en 1920 alors qu'il avait vu sa nomination refusée par l'autorité allemande à l'époque où le rabbin Staripolski avait été finalement nommé en 1896. Un nouveau ministre-officiant, Siegmund Friedemann, succédera à Aaron Wolf en 1936 et créera à son tour une chorale, qui acquiérera une renommée particulièrement justifiée. Mon père y participa avec beaucoup de conviction notamment au niveau de la bénédiction des "cohanim" que prononcent précisément les descendants d'Aaron lors de chaque fête religieuse.

Mais les séquelles de la guerre de 1914-1918, si meurtrière par l'hécatombe qu'elle a entraînée, se ressentent désormais de plus en plus fortement au niveau de la baisse effective de la population juive. Douze jeunes de la communauté ont péri. En1927, elle ne comporte plus que 275 personnes, en 1930 les Juifs seront 259 et en 1937, avant la deuxième guerre mondiale, ils ne seront plus que 229. Ils ne peuvent pas imaginer que le pire les attend et que leur destin, leur évolution, vont être brisés brutalement.


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